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Full text of "Revue du Lyonnais"

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JN pourrait écrire sur la tombe d'Arthur de 
Gravillon : « Ci gitun Lyonnais ». Aucun artiste 
n’a plus que le regretté défunt prèché la décen- 
tralisation et l’affranchissement pour Lyon de la métropole 
de Paris. | 

Dans un discours prononcé au banquet des artistes de la 
Société Lyonnaise des Beaux-Arts, le 24 février 1898, 
Arthur de Gravillon disait : 

« Paris vous le savez, méprise k province, il la regarde 
comme un sous-sol humide, oubliant que ce sous-sol est le 
cœur même de la France et renferme les vins généreux 
ainsi que les forces vives de la nation. Bien que les puis- 
santes coteries parisiennes soient composées en majorité de 
provinciaux émigrés, campés, groupés là-bas, elles nous 


6 ARTHUR DE GRAVILLON 


dédaignent et nous dominent tout ensemble. Nous nous 
courbons devant elles et nous les subissons. Nous leur 
sacrifions le plus souvent notre originalité native. 

« Est-ce qu’à l’époque où Raphaël et Michel Ange, ces papes 
de l’art tronaient à Rome, dans toutes les autres villes de 
l'Italie, il n'y avait pas d’autres artistes s'illustrant libre- 
ment en des senres différents ? Masaccio et Donatil à 
Florence, Jean à Bologne, Léonard de Vinci à Milan, et à 
Venise, l’étincelante trinité de Paul Véronèse du Titien et 
du Tintoret. 

« N'avons-nous pas eu nous aussi à Lyon nos architectes 
comme Philibert Delorme, nos sculpteurs comme Covsevox 
et Coustou, nos peintres comme Stella, et jusqu'en cette 
fin de siècle le doux Flandrin, le robuste Chenavard, le fier 
Meissonier, le cher et poétique Puvis de Chavannes, ne 
sont-ils pas nos compatriotes ? 

« Fils de Lyon que noussommes, pourquoi tendre toujours 
le cou vers Paris, et aspirer à boire les eaux troubles de la 
Seine, lorsque nous avons le double courant autrement 
large et limpide de la Saône et du Rhône ? » | 

Cette idée de décentralisation, éloquemment résumée 
dans le discours de 1898, avait dominé Ja vie d'Arthur de 
Gravillon, qui abandonna Paris pour s'installer définiti- 
vement à Lyon. 

La Revue du Lyonnais manquerait à sa raison d’être, si 
elle n'adressait à l'artiste Ivonnais que fut Arthur de Gra- 
villon un souvenir ému. | 

Nous n'avons pas pour but de nous livrer à un examen 
littéraire ct artistique des œuvres de notre distingué conci- 
toven. Cet examen à Été fait pendant des années etle temps 
des polémiques est passé. Mais nous crovons intéresser nos 
lecteurs en leur donnant quelques notes biographiques 


ARTHUR DE GRAVILELON AE 


4 


sur Arthur de Gravillon et un aperçu de l’œuvre immense 
de cet infatigable travailleur. 

Arthur de Gravillon, né à Lvon en 1828, était fils d’un 
ancien garde du corps de Charles X, cet de la petite-fille de 
Pillustre Camille Jordan. Il avait épousé MM: Gabrielle de 
Vauxonne, fille d’un conseiller à la Cour d’appel de notre 
ville. 

Pour se conformer aux désirs de ses parents, Arthur de : 
Gravillon fit des études de droit, devint attaché au Parquet 
du procureur général Devienne, et obtint le poste de 
substitut à Gex. Sa carrière dans la magistrature, ne devait 
pas être longue, son esprit humoristique fut tenté par le 
spectacle qu'offre une petite ville et il publia un livre 
sensationnel, intitulé /es Dévotes. Le pseudonyme de 
Diogéne ne cacha pas un seul instant le véritable nom d’un 
auteur dont l'œuvre commentée comme chronique locale 
souleva de vives récriminations. | 

Arthur de Gravillon, riche, et d'esprit indépendant, 
répondit par s1 démission aux explications qu’on lui 
demandait, et dès lors, se livra tout entier à sa véritable 
vocation, c'est-à-dire à l’art et aux lettres. 


Voici une liste de ses principaux ouvrages littéraires : 

Education des abeilles, Lvon, Aimé Vingtrinier, 1856. 

Dieu pour tous, 1856. 

Les Vers à soie, Lyon, Aimé Vingtrinier, 1857. 

J'aime les merts, Paris, Baudrillart et Cie, éditeurs (très 
belle édition), 1861. 

Les Dévotes, Paris, Ballay ainé, éditeur, 1862. 

Histoire du feu, par une bûche, Lvon, Méra, libraire, 1862. 

Elévations, Paris, Victor Poillet, éditeur. | 

À propos de bottes, Paris, Achille Faure, éditeur, 1865. 


8 ARTHUR DE GRAVILLON 


De la malice des choses, Poulet-Malassis, éditeur. 

De l'oisiveté incomprise, Lyon, Aimé Vingtrninier. 

Trois lettres à MM. les moutons de Panurge, Lyon, librairie 
Charles Méra, 1871. 

Le jour de ces dames, Lyon, librairie Henri Georg, 1888. 

Vie de Divitiac, Rev, 1893. 

Découverte d'un village gaulois, imprimerie Rey, 1896. 

Leitre à M. le Directeur du « Journal des Artistes » sur le 
temple de Diane à Aix-les-Bains, Lyon, Rey, 1897. 

Considérations philosophiques à propos d'une puce, Lvon, 
Rev, 1898. | 

Vieilles choses regrettées, Lyon, Rey. 

Médiiations en chemin de fer, Lyon, Ballay et Conchon. 

Le Roman de la Foudre, La Marseillaise du travail, Une 
soirée chez Victor Hugo, Rey. 

La vie et la mort d'un arbre en Bretagne, Rey. 

Un jour à la Chesnaye, et une nuit à Combourg, Rex. 

Le marché du quai Saint-Antoine, Rex. 

Le temple de Diane à Aix-les-Bains, Pour les sculpteurs 
lvonnais, Un premier, Lvon, Rev, 1899. 

Cette dernière brochure n’a précédé que de quelques 
jours la mort de l'auteur. 

L'œuvre du sculpteur n'est pas moins considérable. 
Citons : 

Le Premier Semenr, exposé à Paris 1874, et à Lyon 187$ 
(médaille de bronze). 

La Vestale coupable, marbre, 1878 (médaille d'argent à 
Lvon). 

Peau d'ane, statue marbre, 1882 (mention honorable à 
Paris). | 

Le Chercheur d'or, Mort pour la Patrie, PEnfant prodigue, 


le Génie de Pélectricité, Première Douleur, 


ARTHUR DE GRAVILLON 9 


Buste marbre du comte de Rougé, 1883 (commande de 
l'Etat pour l’Institut). 

La Perle, statue plitre destinée à l'Exposition universelle 
de Lyon comme motif d'éclairage électrique. 

Monument de Claude Ecrnard pour son village natal de 
Saint-Julien, Rhône (à Paris, 1884, mention honorable; à 
Lyon, première médaille de vermeil). 

Le Sphinx, Guérie, Le Sacré-Cœur, Prière, Aspiration, 
le Triptyque de la Miséricorde. 

Nous pourrions citer un grand nombre de bustes, ceux 
de Mgr Caverot, de Mer Foulon, de l'abbé Hvvrier, dé 
l'abbé Dauphin, de M. Le Rover, président du Sénat, de 
Mer Gouthe-Soulard, de M'ie Van Zandt, du chiromancien 
Desbarolles, de M. Molier, le propriétaire du célèbre 
cirque, etc., etc. 

Le sculpteur, fidèle à son système de décentralisation, à 
fait don de quelques-unes de ses œuvres à des villes de 
province. | 

Le musée de Lyon possède Pean d’'Ane, le musée de 
. Marseille Première Douleur, le musée d'Aix Guérie, l'église 
d’'Ecully une statue du Sacré-Cœur, l’église de Vernaison 
une statue de la Vierge, et l’école Saint-Charles d'Ecully 
une statue de la Vierge. Sur la place du Champ de Mars, à 
Autun, a été inaugurée en grande pompe la statue de Divi- 
tiac, chef militaire et druide du pays des Eduens, ami de 
Cicéron et de César. | 

Nous nous bornons à refléter une opinion unanime à 
Lyon, en disant que notre muste possède l’œuvre maitresse 
d'Arthur Gravillon. Peau d’'Ane lui assure une place dis- 
tinguée parmi les sculpteurs. 

Pour les œuvres littéraires, nous mentionnerons spécia- 
lement, après /es Dévoles, dont nous avons parlé, J'aime les 


10 ARTHUR DE GRAVILELON 


morts et Elévations. Ces deux derniers livres ne révèlent pas 
seulement l'humour habituel de Pauteur, mais un grand 
talent d'écrivain et de penseur. 

Nous pouvons dire, avec certitude, qu'Ælévalions est, 
dans toute la force du terme, un livre de piété. 

Un mot fort juste sur Arthur de Gravillon à été écrit 
par le Courrier de Cannes : «Dans les différentes branches 
qu'il a abordées, il est toujours resté lui, c’est une figure 
originale qui disparait. » 

Aucune appréciation ne saurait être plus éxacte. Dans 
presque toutes les œuvres de lartiste défunt on retrouve 
une pensée qu'il exprimait ainsi: « Le culte sacré de l’art 
est la religion suprème. On s'élève directement vers le cicl 
en suivant comime le plus court chemin la ligne droite du 
pur ravon qui en descend. » 

Mais l’auteur d'Elévations avait le cœur trop bien placé 
pour ne pas finir par comprendre que sa formule ctait 
incomplète. Assisté d’un vénérable prètre des Chartreux, 
l'abbé Bernard, avec lequel il était Hé depuis plusieurs 
années, Arthur de Gravillon est mort en chrétien le 7 fc- 
vricr 1899, reconnaissant que l'idéal du Beau, du Bien et 
du Vrai, n'est et ne peut ètre que Dieu. 


Robert BOUBÉE, 


Avocat près la Cour d'appel de Tvon. 


LES 


IMPRIMEURS LYONNAIS 


Au XVI: Siccle (1) 


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OUS n'avons pas à présenter aux lec- 
teurs de cette Revue la Bibliographie 
lyonnaise du XVI siècle. Tous con- 
naissent déjà cet ouvrage qui a sa 
place marquée parmi les grands 


Èe classiques de la bibliographie et qui 
honore autant ses auteurs que l’art admirable auquel il 
est consacré. On sait que la Bibliographie lyonnaise est le 
fruit des immenses recherches de feu M. le président 
Baudrier, considérablement augmentées encore par son fils, 
M. Julien Baudrier, et publiées par celui-ci avec une science 


(1) Bibliographie lvonnaise. Recherches sur les imprimeurs, libraires, 
relieurs et fondeurs de lettres de Lvon au xvie siècle, par le président 
Baudrier, publiées et continuées par J. Baudrier. Quatrième série, — 
Paris et Lvon. In-8. 


12: LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


et un zèle auxquels on ne saurait rendre de trop justes 
éloges. 

Non content de dépouiller les archives dont les moins 
accessibles s'étaient ouvertes devant lui et d'en tirer une 
foule de documents précieux pour l'histoire de la trpogra- 
phie et des tvpographes de Lvon, le président Baudrier 
avait rassemblé. aussi une foule de notes bibliographiques 
sur les principales éditions publices dans cette ville, notes 
qui forment le complément indispensable des documents 
d'archives. Ce sont ces matériaux que la piété filiale de 
M. Julien Baudrier a si bien su coordonner, en les augmen- 
tant de toutes les découvertes que des recherches étendues 
dans les principales bibliothèques d'Europe et dans les 
catalogues de librairie lui ont permis de faire en abon- 
dance. | 

Depuis 1895, M. Baudrier à fait paraitre quatre volumes 
qui seront suivis de bien d’autres et témoignent de sa 
persévérance autant que de son infatigable activité. Le plan 
adopté par lui est simple et nous croyons qu'on n’en pou- 
vait choisir de meilleur, parce que seul il permettait d’entre- 
prendre et de mener à chef cette immense publication. 
Sans s'astreindre à l'ordre alphabétique ou chronologique, 
dont Putilité serait d’ailleurs assez faible, de nom- 
breuses tables venant v suppléer, M. Baudrier publie 
les monographies de chaque imprimeur ou libraire au fur 
et à mesure de leur achèvement. En tête de chacune de 
ces notices, l’auteur place les documents recueillis dans les 
archives, puis la liste chronologique des éditions, décrites 
avec toute la précision requise aujourd’hui par la science 
bibliographique. : 

Sans doute, et malgré toute Î1 conscience de ces 
recherches, un certain nombre de volumes auront échappé 


AU XVI SIÈCLE 13 


aux auteurs de la Bibliographie lyonnaise. Il serait chimé- 
rique d’espérer pouvoir être absolument complet dans un 
-aussi vaste domaine, mais c'est précisément la publication 
de ses notices qui permettra à M. Baudrier d'atteindre des 
éditions dont il n'a pu jusqu'ici avoir connaissance. Ce sera 
l'affaire de supplémentsque lesvstème adopté par M. Baudrier 
permettra de joindre aisément à l'ouvrage principal. 

Déjà précieuse par elle-même, cettesuperbe publication, qui 
se fait remarquer par un luxe de bon aloi, l’est encore davanta- 
ge par les innombrables fac-similés de marques, de caractères 
typographiques et de figures sur bois que l’auteur, sans reculer 
devant aucune peine ni aucune dépense, à jointes à son 
texte avec une intelligente prodigalité, C’est un instrument 
de premier ordre que M. Baudrier met dans la main des 
travailleurs. Il y a là, pour la bibliographie et l'iconographie, 
matière à nombreuses découvertes et à rapprochements 
inattendus. On comprendra mieux d’ailleurs quelle est, à 
ce point de vue, l’inappréciable valeur de cette publication, 
quand nous dirons que la série des marques de Benoit 
Rigaud comprend À elle seule quatre-vingts numéros. 

La quatrième série, qui vient de paraître et dont nous 
avons plus spécialement à rendre compte, offre à cet égard 
un intérèt tout particulier : M. Baudrier v à multiplié les 
reproductions de titres, de marques, bandeaux, lettres 
ornées, planches et portraits de toute nature. Nous sivna- 
lcrons entre autres les portraits d'Antoine du Verdier, de 
Ronsard, de Guillaume des Autelz et de sa femme, de Jean 
Brèche (tr), des planches tirées de lOfficium B. Marix 


(1) Un document récemment découvert par M. Baudrier lui permet 
d'établir aujourd’hui que ce portrait est l'œuvre de Claude Clérembault, 


14 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


Pirginis de Boninus de Boninis et de Jean Didier, la série des 
marques de Louis Cloquemin, de Thibaud Payen, de 
Thomas Soubron, de Sébastien ct Barthélemy Honorat, 


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SPÉCIMEN DES FIGURES SIGNÉES : I. D. 


de lOficium B. Marix Virginis de J. Didier, 1597 


De ce dernier libraire, M. Baudrier nous donne encore une 


série de grande valeur : ce sont des spécimens des cartes 


signées par Antoine du Pinev et des figures de la célèbre 


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SPÉCIMEN DES MARQUES DE Louis CLOQUEMIN 


16 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


Bible de 1585, en particulier la Marche des Israëlites dans le 
désert, œuvre caractéristique de Pierre Cruche dit Eskrich, 
cet intéressant peintre-graveur qui, né à Paris, a passé à 
Lyon la plus grande partie de son existence, après un séjour 
de quelques années à Genève. Dans une notice récemment 
parue (1), M. Katalis Rondot à rendu à ce maitre la place 
qu'il mérite dans l'histoire de la gravure sur bois, en mon- 
trant que de nombreuses séries de planches, parmi lesquelles 
figurent au premier rang celles de la Bible de Rouville, que 
l'on avait attribuées sans preuves à un prétendu graveur du 
nom de Jean Moni, sont en réalité l'œuvre de Pierre 
Eskrich. Une étude attentive des productions de cet artiste 
nous a conduit *à adopter entièrement les conclusions de 
M. Rondot. 

C'est là, après bien d’autres services rendus par l'éminent 
érudit à la cause de l’art en France, une très importante 
contribution à l'histoire de la gravure sur bois à Lvon au 
vi siècle, histoire qui présentait jusqu'ici des difficultés 
inextricables, résolues aujourd’hui en bonne partie par les 
pénétrantes recherches de M. Rondot. 

Nous avons tenu à rendre hommage au maitre infatiga- 
ble chez lequel les années semblent redoubler la vigueur 
intellectuelle, mais nous devons revenir à cette quatrième 
série de la Bibliographie [vonnaise qui doit nous occuper ici. 

Parmi les nombreuses notices contenues dans le volume, 
nous sisnalerons comme présentant une importance spé- 
ciale, celles consacrées aux imprimeurs Thibaud Paven 
(1519-1570), et Sulpice Sabon (1535-1549), aux libraires 
Guillaume Boullé (1543-1545), Louis I Cloquemin 
(1560-1581), François ct Jean Didier, Thomas Soubron, 


(1) Les graveurs sur bois d Lvon an XVIe sicéles 1898, in-8, 


AU XVI SIÈCLE se 


Jean ‘Temporal, Jean Vevrat, Barthélemy et Sébastien 
Honorat, Jean Saugrain. 

La bibliographie de l'œuvre de Thibaud Payen ne compte 
pas moins de 345 numéros. « Bon 
imprimeur, nous dit M. Baudrier, 
libraire hardi et entreprenant, il 
occupe un rang des plus honorables 
dans la typographie Ivonnaise du 
xvis siècle. » Il lui à manqué tou- 
tefois, ajouterons-nous, la note d'art 


ou les préoccupations d'ordre litté- 
raire qui ont porté si haut le nom  SpÉcIMEX DES MARQUES 
. de quelques-uns de ses confrères. nie Éd 
A propos de Sulpice Sabon qui à 

té, lui, un typographe vraiment artiste, M. Baudrier fait 
une remarque intéressante. C'est à tort que les bibliogra- 
| phes ont attribué 
jusqu'ici la marque 
si connue du Rocher 
à Sulpice Sabon ; elle 
est en réalité celle 
du libraire Autoinc 
Constantin, lequel à 
si souvent employé 
les presses de Sabon 
qu'il est permis de 
croire à l'existence 
d'une association 


EnNErE EUX: 


MARQUE DE THOMAS SOUBROX, ne 2 


Bien que la plus 

longue et surtout la plus intéressante partie de la carrière 

de Thomas Soubron, appartienne au xvI° siècle, ce libraire a 
N° 1. — Juillet 1809. > 


18 LES iMPRIMEURS LYONNAIS 


cependant publié, de 1592 à 1600, un certain nombre de 
belles et importantes éditions qui marquent avantageusc- 
ment sa place au xvi siècle et donnent un vif intérèt à la 
notice que lui a consacrée M. Baudrier. 

Il noussuffira de rappeler les Œuvres de Pierre de Ronsard, 
1592, S vol. in-12, 
et les Œuvres de Remy 
Belleau,1592et1593, 
2 vol. in-12, ainsi 
que quelques volu- 
mes rarissimes tels 
que la Philocalie du 
sieur du Croset Forc- 
sien, 1593, In-12, ct 
les Escraignes dijon- 
noises composées par 
le fen s' du Buisson 
[Estienne T'abourot|, 
1592, in-8, édition 
à peine connue, non 
décrite jusqu'ici et 


qui serait digne d’une 
PORTRAIF DE RONSARD étude détaillée d’1- 
près l'exemplaire que 

M. Baudrier signale à la bibliothèque de Woltenbüttel. 
Jean Temporal mérite une qgtention particulière comme 
éditeur de plusieurs relations de voyages en Afrique, insé- 
rces dans le Recueil de Ramusio. Il est regrettable, ajoute 
à ce propos, M. Baudrier, que les « tiers, quatrièmes ct 
et autres [tomes] consécutifs traitant de l’Asie, des Indes et 
autres parties descouvertes depuis peu de temps, n'avans 
estés veuës auparavant » annoncées par Temporal dans 


GRANDE MARQUE DE TEOMAS SCUBRON 


20 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


l'avis au lecteur du dit recueil, n'aient pas vu Île jour. 
Outre le mérite très réel d’avoir rassemblé ct publié ces 
relations, Temporal a-t-il aussi celui d’en avoir traduit 
lui mème une partie, comme l'ont-avancé certains biblio- 


GRANDE MARQUE DE JEAN TEMPORAL 


uraphes ? M. Baudrier estime la chose douteuse, bien que 
TFemporal füt un lettré. Homme de bonnes lettres et 
homme de goût, tel fut, en effet, ce libraire qui nous 
apparait comme l’un des éditeurs Ivonnais les plus distin- 
gués du XVI siècle. Sa bibliographie présente un choix délicat 
de volumes aussi précieux par l'intérêt du texte que par les 
soins donnés à l'exécution. Citons dans le nombre : 


AU XVI SIÈCLE 21 


Art poelique Francois [par Thomas Sibilet], 1551 €t 1556, 
in-16. — Amoureux repos de Guillaume des Aultels, 1553, 


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PORTRAIT DE JEAN BRÈCHE 


dans ses Commentarit, Jean Temporal, 1556. 


:n-8. —— Le discours de la guerre de Malle, par Nicolas de 
Villegaignon, 1553, In-8. — Luc Apulee de l'asne doré, 


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22 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


traduit par Jean Louveau d'Orléans, 1553, in-16, avec 
48 figures dans la manière du Petit Bernard mais gravées 
par plusieurs mains de valeur très intgale. Ces bois ne sont 
en tous cas pas les mêmes que ceux de la Metamorphose 
autrement l'asne d’or, traduction de George de la Bouthiere, 
parue la même année chez Jean de Tournes.— Za Tricarite, 
par C. de Taillemont, 1556, in-8.— Histoire de FI. Joseplw, 
traduite par F. Bourgoing, 1558, in-folio. — Les Eslogues 
de Baptiste Mautuan, traduites par Laurent de la Gravière, 
1558, in-8. 

Quant à Jean Saugrain, 1 avait, comme tant d'autres 
de ses confrères, embrassé le protestantisme et devint l’un 
des adeptes les plus militants de l1 nouvelle religion. 
Associé avec Benoît Rigaud, son oncle, de 1555 à 1558, 
il s'en sépara pour se livrer plus librement à la publication 
des ouvrages de poléinique protestante. Sa librairie devint 
le fover d'où se répandirent tant de pièces anonymes, 
si rares aujourd’hui. Saugrain quitta Lyon en 1573 pour 
aller s'établir à Pau; il est fort probable que ce changc- 
ment de résidence fut déterminé par les massacres et les 
violences qui furent à Lyon les conséquences de la Saint- 
Barthélemw. 

M. Baudrier met au nombre des publications de Saugrain 
un livret fort curieux et de toute rareté, qui a pour titre : 
Epistre du seigneur de Brusquet aux maguifiques & boncres 
Seigneurs, Syvndicz el Conseil de Geneve, Lvon, 1559, in-8. 
Cette pièce, dont nous ne connaissons qu'un exemplaire 
faisant aujourd'hui partie de la remarquable bibliothct- 
que de M. Perceval de Loriol, à Genève, est un pamphlet 
assez mordant dirigé contre les magistrats genevois de 
l'époque et il serait étrange qu'un calviniste aussi 


convaincu que Pétait Saugrain eût consenti à publier 


AU XVI‘ SIÈCLE 23 


ce libelle, alors qu'il venait précisément de se séparer de 
son oncle Benoît Rigaud à cause de leur divergence d’opi- 
nions religieuses. En réalité, l’Epistre de Brusquet n'est pas 
sortie de la boutique de Saugrain; un document inédit tiré 
des Registres du Conseil de Genève et que nous aurions 
voulu pouvoir communiquer plus tôt à M. Baudrier, va 
nous révéler l'éditeur ct l’imprimeur de cette publication : 
Du 7 mars 1559. « Lettre diffamatoire contre Messieurs. Icv est mis en 
avant qu'on a imprimé à Lvon une cpitre diflamatoire contre ceste 
Seigneurie, soubz l'inscription de Brusquet fol du rov, combien que l’on 
pretend que ce soit Gueroult demorant à Lvon. Parquor est arresté 
qu'on s’enquiere de l'imprimeur pour estant trouvé en faire plaintifz et 
à cest effect on donne charge au Sr Amblard Corne, de s'en enquerir. » 
Du 16 mars. « Sus ce qu'on avoit donné charge de s’enquerir au 
Sr À. Corne, de l’auteur de ladite lettre et de imprimeur, il a icv 
raporté avoir entendu que l'imprimeur s'apele Benoit Piquot (1) dit 
Groz doz imprimant pour un autre nomimé Anthoine Volant en la 
rue Tomasson, l'auteur Guillaume Gueroult estant à Parvs dont la copie a 
esté envoyee à Lyon et qu'il ne s’en parle plus. Au reste que les magis- 
trats de Lvon sont fort contraires à l'Evangile, parquov arresté qu'on 
s'en souvienne cv après, si on pouvoit apprehender ledit Gueroult. » 


C’est donc à Guillaume Gueroult qu'il faut attribuér la 
paternité de l’Epistre de Brusquet et c'est pour Île libraire 
Antoine Volant qu'elle a été imprimée par ce Benoit Piquot 
(ou Pignot ?) auquel M. Baudrier à consacré une notice 
dans sa première Série. 

Nous voudrions pouvoir étudier en détail chacune des 
monographies qui composent la Bibliographie lyonnaise ; les 
documents recueillis à pleines mains par ses auteurs nous 
révèlent à chaque page, entre les typographes, les libraires 
et les graveurs du xvi° siècle, des relations de famille ou 


(1) La lecture Piquot n'est pas douteuse, 


24 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


d’affaires qui éclairent une foule de points demecurés 
obscurs jusqu'ici dans l’histoire des publications de cette 
admirable époque. Il faut nous arrêter avant d’avoir trop 
abusé de l'hospitalité qui nous est offerte par l’aimable ct 
dévoué directeur de cette revue, et de la patience 
de ses lecteurs. Disons cependant un mot encore de Sébas- 
lien Honorat et de son neveu Barthélemy, qui furent les 
chefs de l'une des plus importantes librairies Ivonnaises du 
xvIS siècle. 

Les Honorat appartenaient à une famille originaire du 
Contado de Florence, où celle possédait le château de 
Calenzano, nom sous lequel elle est connue dès l'an 1130. 
Vers 1540, ses membres adoptèrent le nom d'Onorati, en 
souvenir d'Onorato da Calenzano, ct leurs descendants 
venus à Lyon le francisèrent en celui d'Honorat. Des 
lettres de confirmation de noblesse, du 18 avril 1665, 
accordées par Louis X{IV à Barthélemy Honorat, écuyer, 

seigneur de Janzev, conseiller du roy en la sénéchaucée et 
siège présidial de Lvon, déclarent les Honorat, sur produc- 
tion de leurs titres authentiques « vravs et anciens nobles, 
d’ancienne extraction ». 

Sébastien Honorat, dont les premières éditions datent de 
1554, avait embrassé le protestantisme. À la suite des 
troubles de 1567, il se retira à Genève, dont il acquit la 
bourgeoisie, et mourut dans cette ville en 1572, après y 
avoir fondé une succursale de sa maison de Lyon. 

On lui doit plusieurs éditions de la Bible, dont quelques- 
unes protestantes, une édition des Psiumes traduits par 
Clément Marot et Théodore de Beze et de bonnes réim- 
pressions des principaux commentaires de Calvin sur l’Ecri- 
ture Sainte. | | 

Mais c'est Barthélemv Honorat qui à principalement 


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Di M LODOVICO ARIOSTO, 


ornato di varie figure, 


CON cinque canti d'un nuouo libro, & altre ffanze del 

medefimo, nuonamente aggiunti : 

con belle Allegoric: & nel fine, vna breue cfpofi- 
tione de gli ofcuri vocabuli: 


Con La Tauola di tutto quello che nell'o- 
pcra fi contrene . 3 


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26 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


contribué du lustre de l’importante maison dont il devint 
le chef à Lyon en 1572, à la mort de son oncle Sébastien. 
Il suivit les traces de Jean I" de Tournes et de Guillaume 
Rouville dans le domaine des livres à figures et fut, avec ses 
deux illustres confrères, l’un des libraires qui contribuèrent 
le plus à Lyon au développement de l'illustration du livre. 
On connaît surtout ses Figures de la Bible declarces par 
| slances par G. C. T. [Gabriel 
Chappuis Tourangeau], pu- 
bliées en 1582 et dont les 
planches se retrouvent dans 
les belles éditions de la Bible 
données par Honorat en 1581 
et 1585. C'est là une suite 
fort intéressante et d'une 
réelle valeur artistique, bien 
qu'elle n'ait point l'originalité 
de celles publiées par les de 
Tournes et par Rouville. On 
sait en effet que la plupart des 
planches imprimées par Hono- 
rat sont des copies fort habiles de celles de Bernard Salomon. 
La suite des Actes qui ne compte pas moins de 153 figures, 


SPÉCIMEXN DES MARQUES 
DE SÉBASTIEN ET BARTHÉLEMY 
HONORAT 


est seule originale et révèle la main d’un artiste de talent. 
Avec M. Rondot, nous reconnaissons dans les Actes, 
comme dans les autres parties de cette bible, le faire carac- 
téristique de Pierre Eskrich auquel il convient de restituer 
cette œuvre considérable, et il faut, là encore, faire dispa- 
raitre le prétendu Moni de l’iconographie lyonnaise. 

À côté des Figures de la Bible, on doit placer, parmi les 
beaux livres illustrés dus à Barthélemy Honorat : Les 
mondes célestes, terrestres et infernanx, tirez des œuvres de Doni 


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de.) 


PAR SEBASTIEN HONORE 


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28 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


Florentin, par Gabriel Chappuis, 1580, in-8, avec des bois 
remarquables d'un artiste inconnu, qui, éN tous Cas, ne 
saurait être Pierre Eskrich ; Les Images des dieux des anciens 
par Antoine du Verdier, 1581, in-4, dont les planches nous 
paraissent révéler lai main de ce maitre ; la Prosopographie du 
même auteur, 1586, in-fol., et d’autres encore. 

C'est aussi chez Honorat, que du Verdier fit paraitre 


SPÉCIMEN DES FIGURES DE LA BIBIE 


Exécutées par Pierre Eskrich pour B. Honorat 


sa célèbre Bibliothèque (1585, in-fol.), qui constitue CNCOTE, 
avec celle de La Croix du Maine et malgré bien des lacunes, 
l'une des sources les plus précieuses de l'histoire littéraire 
et de la bibliographie du xvi siècle. 

Enfin, notre libraire a eu l'honneur de lancer avec Bar- 
thélemy Vincent, le Corpus juris civilis, imprimé en 1583 
par Jacob Stoer à Geneve, avec les commentaires €t anno- 
rations de Denvs Godefroy, cette Œuvre magistrale qui 1 


renouvelé l'étude du droit civil. 


a 


AU XVI SIÈCLE 29) 


« Au xvr siècle, nous dit M. Baudrier dans son Avertis- 
«ment, l'imprimerie et la librairie ont joué à Lyon un 
role capital. Plus que toutes les autres branches du com- 
merce et de l’industrie réunies, elles ont contribué à porter 
notre cité au nombre des villes commereantes les plus uni- 
versellement connues. On est trop disposé à l'oublier 
aujourd’hui. Je me borne à le constater, sans aborder pour 
l'instant l’histoire générale de l'imprimerie lvonnaise. Ce 


SPÉCIMEN DES FIGURES DES « MONDES CÉLESTES » 


sujet sera traité lorsque toutes les notices des imprimeurs 
et des libraires seront publiées. » 

Personne n’est mieux qualifié que l'auteur de la Biblio- 
graphie Lvonnaise pour retracer l’histoire de la typographie 
et de la librairie de sa ville natale, mais, dès aujourd’hui, 
les matériaux précieux qu'il a mis à notre disposition per- 
mettent d'indiquer le trait caractéristique de ces fastes 
lustres : c'est l'union intime de l’art et de la tvpographie. 


30 LES IMPRIMEURS LYONNAIS 


Nulle part au xvI° siècle, en aucun temps et en aucun 
pays, non pas même à Venise vers la fin du xv° siècle et 
au commencement du XVI‘, les imprimeurs et les libraires 
nont été, comme ceux de Evon, pénétrés du sen- 
timent du beau, n'ont relevé leur profession par 1 cons- 
cience, le soin et le goût de lexécution, n'ont cherché à 
satis'aire les veux du lecteur, autant que son esprit. C'est 
à Pillustre Jean de ‘Fournes, premier du nom — /rpogra- 
Phorum lugdunensiun facile princeps, — merveilleusement 
secondé d’ailleurs par son fidèle Bernard Salomon, que 
revient, en bonne partie, lhonneur d’avoir ouvert cette 
voice brillante et d’v avoir marché, entrainant à sa suite les 
Rouville, les Bonhomme, les Honorat et tant d'auires, dont 
M. Baudrier nous rappellera successivement les mérites. Les 
tvpouraphes Ironnais de la grande époque ont eu, d'autre 
part, la bonne fortune d'exercer leur art dans une ville alors 
le centre d’un mouvement littéraire intense, original et 
indépendant, de cette école littéraire qui, succéda à celle de 
Marot, ouvrit les voies à 1 Pléiade et dont Louise Labe ct 
Maurice Scève sont les plus illustres représentants. 

Ainsi se sont produites, par le concours fécond des écri- 
vains, des imprimeurs et des dessinateurs, ces œuvres qui 
capuvent encore aujourd'hui l'attention des lettrés autart 
que l'admiration des bibliophiles. 

On ne saurait demander au grand public d'apprécier les 
travaux de bibliographie savante ; il ne saurait se rendre 
compte des difhcultés et des peines que comportent les 
recherches de ce genre; il contond volontiers bibliogra- 
phie et bibliomanie et c'est à peu près li seule récompense 
que lon puisse attendre de lui, mais c'est un motif de 
plus, pour les érudits et les lettrés, de rendre aux auteurs 
de pareils travaux la justice qui leur est due et de leur en 


AU XVI SIÈCLE 31 


témoigner de la reconnaissance : € Notilia librorum est 
dimidium studiorum et maxima erudilionis pars, exactam 
librorum babere cognitionem », disait déjà l’un des grands 
érudits du siècle dernier. Mais c’est de nos jours surtout 
que l'on a compris que la bibliographie était la base indis- 
pensable de l'histoire littéraire et que l'on a consenti à 
donner à cette branche le rang auquel elle à droit dans 
l'ordre des sciences. 

À ce titre et à d’autres encore, la Libliographie lonnaise 
est un véritable monument élevé par MM. Baudrier à la 
gloire de lillustre cité qui doit compter l'art typographique 
au nombre des plus beaux fleurons de sa couronne. | 


Alfred CakriEr. 


AUGUSTE BRIZEUX . 


d'après une étude récente 0) 


4 060 . 

fi. Va onze ans, en septembre 1888, Li ville de 
FC a , . * * & 
)\t Lorient clevait une statue à Fun de ses enfants 


RATE plus illustres. On à plaçait vers le fond de la 
rade, € en un bosquet charmant de sapins et de tilleuls, en 
face d'une source jailhissante » (2), au bord des flots muegis- 
sants, dont le chantre de Marie, des Pretons et de la Fleur 


d'or, semble écouter lt svmphonie lointaine, tantôt suave 


Cu) Biisoux, sa va el ses œucress d'après des documents inédits. par 
Pabké €. Leciune, docteur &s lettressmaitre de conférences aux Facultés 
catholiques de Halle. Un vol. ing" de joÿ pages. Paris, Poussiclaue. 

05 PA; 


(2) Ecciene, p. 26. 


AUGUSTE BRIZEUX 35 


comime le chant d’une mère, tantôt terrible comme la 
grande voix de l'Océan en courroux. Dans ce paysage 
superbe, plein de grandeur et de poésie, tel que Peût rêvé 
Brizeux pour encadrer son image, son œuvre simple et 
pure et si Muse aux coups d'ailes timides et frémissants 
vers l'idéal et l'infini, trois poètes de Bretagne parlèrent le 
matin de leur Roumanille, de leur Mistral, de celui qui 
avait fait vibrer sous ses doigts la Æarpe d’Armorique, 
Telen Arvor (1). Le soir, on entendit encore deux bretons, 
Renan, Jules Simon, puis M. François Coppéc, le poète 
des Humbles, célébrant une des gloires de li Bretagne, 
moins éclatante que Chateaubriand ou Lamennais, mais 
encore assez belle pour attirer les regards de ceux qui 
aiment le talent original et délicat de nos poctæ minores. 
M. François Coppte débitait de superbes strophes en 

l'honneur du poëte breton : 

Pour chanter la Bretagne el sa belle légende, 

L'écume de la mer et la fleur de la lande, 

Entre tous la Muse l'élut. 
Mais, loin des vieux dolmens, loin des flots pleins d'épares, 
Nous aussi, nous aimons tes poèmes suates. 
Brixeux, Barde d'Arvor, salut ! 


e. Q , . . e 0 e e . 0 + 0] C2 


Ob ! comme il a senti profondément les charmes, 

Pays mouillé, touchant comme un visage en larmes ! 
Qu'il vous aimait, landes, rochers, 

Arbres que l'Océan courbe sous ses baleines, 

Et vous surtout, Bretons, cœurs forts comme vos chénes, 
Et pieux comme vos clochers ! 


(a) C'est le titre de l'un des poèmes de Brizeux en langue celtique. 


N':1. — Juillet 1809. 3 


34 AUGUSTE BRIZEUX 


Vous l'honcrez, c'est bien. Maïs, devant cette image, 
Le pays tout entier s'associe à lhommase 

Et veut s'incliner aujourdhui. 
Ce simple el doux Briseux, c'est notre T'héocrile ; 
Son œuvre en notre cher langage fut écrite : 

Tous les Français sat fiers de lui. 


Après avoir rappelé qu'à l'époque du siège de Paris, on 
avait vu « les Bretons aux yeux piles » défendre héroïque- 
ment le drapeau tricolore, le poète ajoutait : 


Donc, Bretons et Français, bomorons le foêle, 
Et, de plus, gardons tous de cette noble féte, 
Un salutaire enseignement. 
Il fut errant, malade et misérable presque, : 
. Celui que vous veyez dans ce lieu pittoresque 
Se dresser sur ce monument. 


Mais qu'importe la vie el son dur esclavage, 
Barde, si le laurier, mélé d'ajonc sauvage, 
Orna ton cercueil de sapin, 
Et si, trente ans plus tard, jugeant ton œuvre bonne, 
La Posiérité vient, qui fait justice el donne 
Du brouxe à qui mangua de pain ? 


Quand de tant d'orgnerilleux la gloire est abattue, 
Lu triomphes, poëte, et voici ta statue. 
Ton nom plane sur les sommets. 
Le curé d'Arzano le disait bien cu prône : 
Celui qui jette bas les puissants de leur trône 
Prend Phumble et l'exalle à jamais (1). 


(1) AT. Lecigne a oublié de mentionner ces vers dans sa Brblinsraphie, 
d'atlleurs très bien faite. 


AUGUSTE BRIZEUX 35 


Malgré cette glorification, Brizeux n'a été nommé ni par 
M. Brunetière dans l'Evolution de la poésie lyrique en France 
an XIXS siècle, 1894, et dans le Manuel de PHistoire de la 
litiérature française, 1898 (1), ni par M. Lanson dans sa 
volumineuse Histoire de la litiéralure française, 3° &di- 
tion, 1898. | 

C’est pour protester, en quelque sorte, contre cette injus- 
tice ou cet oubli que M. l'abbé Lecigne, l'un des plus 
jeunes et des plus brillants professeurs de l'Université 
catholique de Lille, a vouiu consacrer à Brizeux une étude 
historique et critique, qui, mieux que la statue de Lorient, 
fait revivre sous nos veux le 6 Théocrite » de la Bretagne 
et lui assure une immortalité préférable à celle du bronze 
et de lairain. 

Si M. Lecigne doit à Brizeux, ainsi qu'il Pavoue, la révé- 
lation de la poésie, qui lui est apparue fraiche et pure, 
comme « une feuille humide de roste matinale », dans 
les vers des Adienx du poète à sa mère, de la Maison du 
Moustoir et du Convoi de Louise, W s’est noblement acquittc 
de sa dette de reconnaissance, en se faisant lhistorien de 
Brizeux, avec toute l1 conscience, toute la sûreté d’informa- 
tion d’un érudit et d’un chercheur, doublé d’un écrivain 
élégant, dont le style poétique sait se teindre des couleurs 
du sujet. 

La famille et les amis du poîte, M. Lacaussade, M. Ar- 
mand Bover, M. Arthur Pouzin, M. Frédéric Saulnier, 
M. de Laprade — non pas Xavier, il n'y a pas de fils du 


qe ee A _… — 


(1) M. Gustave Allais, dans la Recue d'hidoire litléraire de ke Francs, 
15 juillet 1898, pense que M. Brunctière, accordant « une place un peu 
inusitée à G. du Bartas et à Béranger », aurait pu nommer Brizeux. 
e qui leur est Fien supérieur », P. 400. 


36 AUGUSTE BRIZEUX 


poète portant ce nom, mais Norbert, Victor ou Paul — 
ont communiqué gracieusement à M. Lecigne toutes Îles 
Lettres qui devaient l'éclairer : il n’v a que celles adressées 
par Brizeux à E. Guvesse, son compatriote, et à Saint-René 
Faillandier que M. Lecigne n'ait pas pu connaître, et c’est 
reurettable, surtout pour ce qui concerne la mort du poîte. 
Maluré cette lacune, M. Gustave Allais (Tr), l’un des juges 
de M. Lecigne, estime « définitive » la partie historique 
de son livre et complètement établie la biographie du 
poite. | 

Le critique, en M. Eccigne, est à la hauteur de l'histo- 
rien, I] a su éviter l’écueil du « panégyrique à outrance » 
et apprécier très équitablement les qualités et les défauts de 
Brizeux, sauf que, tantôt il l'appelle un « grand poëte », 
pages 21 et 492, et tantôt il ne voit en lui qu'un « peintre 
d'esquisses » de «vignettes », avec une incurable « indigence 
d'imagination ». Toutefois, il fait aimer Brizeux et la 
Bretagne. Aussi l'Université de Rennes a-t-elle fait un 
excellent accueil à la thèse de cet homme du Nord, qui a 
su prendre l'âme et la plume d'un Breton pour mettre en 
relief la physionomie douce, grave et mélancolique, de cet 
enfant de la terre aux genèts d’or et à la lande fleurie. 

Nous sera-t-il permis de dire, après M. l'abbé Leciunc, 
quel homme et quel poële fut Auguste Brizeux, auquel 
appartient la Bretagne, comme le golfe de Naples à Lamar- 
tine, le Berrv à Me Georges Sand, les Alpes à Victor de 
Laprade et li mer à Joseph Autran ? 


1) Revue uhistoire littéraire de la France, 15 juillet 1898, p. 487. 


AUGUSTE BRIZEUX 


V9 
“1 


Auguste Brizeux naquit à Lorient, sous le Consulat, le 
12 septembre 1803, d'une famille originaire d'Irlande et 
venue en France avec le roi Jacques. Elle n'avait pas changé 


’ 


de patrie : 


Car les vierges d'Eir-inn et les vierges d Armor 
Sont des fruits détachés du méme rameau d'or, 


dit le poëte dans Marie, « Ceux qui recherchent dans 
l'analyse d'une âme les influences de lhérédité seraient bien 
embarrassés » pour démêler, dans la phvsionomie morale 
de Brizeux, quelques traits de « l’intérminable lignée pape- 
rassière » de contrôleurs des actes, de receveurs et de 
directeurs de l'enregistrement, de notaires, que furent ses 
aïeux. Tout au plus peut-on dire que son grand-père, un 
rude paysan breton, à linsouciante générosité, à l'esprit 
d'indépendance, aux âpres passions, lui fit « une substance 
morale dont rien ne pourra jamais altérer le métal solide ». 
Peut-être aussi son père, chirurgien de marine, qui avait 
« bercé sa vie dans la secousse des tempêtes, au bruit des 
vagues, au souffle des vents du large », avait-il laissé à son 
fils « le goût des pélerinages, des voyages au pays de la 
Fleur d’or». Mais il mourut à Cherbourg, le 19 janvier 1810, 
et le poëte n'évoque son souvenir qu'une seule fois pour 
s'accuser 
… de Ces Saïvageries, 
De ces fières humeurs, de ces hauteurs de ton, 
Que lui transmit son pére avec le sang brelon. (1) 


(1) Marie. 


38 AUGUSTE BRIZEUX 


C'est sa mère, Françoise-Souveraine Hoguet, une des- 
cendante du grand pastelliste du xvin siècle, Quentin de 
Latour, « l'immortel magicien », comme l’appelle Diderot, 
c'est cette femme dont la sensibilité native s'était affinée 
dans les malheurs de la Révolution, qui sut « mouler à son 
effigie âme de notre poète et laisser sur son génie une 
impression exquise de délicatesse ». Quoique remariée 
en 1811 et devenue Mr Boyer, elle avait le droit de dire 
à l'enfant qu'elle aimait : 


Oui, je relrouve en loi 
Un frère, un autre époux, un cœur fail comme moi (1) 


A l'âge de huit ans, Brizeux fut confit à l'excellent 
M. Lenir (2), recteur d'Arzano, sur la limite du pays de 
Vannes et de Cornouuilles, près du Scorf et de l’Hellé. C'est 
de là que date la vraie vic de notre poète : le presbytère, 
la maison du Moustoir, le pont Kerlô, les haies fleuries, 
les chènes verts, tous les parfums de ces contrées péné- 
trèrent l'âme du jeune breton, qui devait les immortaliser, 
en chantant celle qui lui était apparue entre ces rivières et 
ces bois, Marie, « fleur de rêve, mystérieuse comme la 
Bretagne, solitaire comme ces rochers, douce et parfumée 
comme ces landes » (3). 

Sans doute, l'enfant avait bien pleuré en quittant pour 
la première fois € ses deux mères ». Mais comme il aima 
bientôt et ce vénérable prètre, qui répétait toujours ces 


(1) Marte. 

(2) « Un de ses frères, dit M. Eccigne, greffier au Tribunal de 
Kemper-lé, avait épousé la tante du futur poîte », qui dut se faire 
remarquer du bon recteur. 

(3) Lecigne, p. 45. 


AUGUSTE BRIZEUX 39 


mots : @Ïl faut être bon!... Pour vivre heureux, vivons 
caché! » et ses condisciples, Joseph Hello, Daniel, 


Yves du bourg de Scaër, Loïc de Keribuel (r) ; 


et les jeux dans la verdure et les foins, et les leçons apprises 
à travers les champs et la lande en fleurs, et le joyeux 
essaim des écoliers bourdonnant et gazouillant autour des 
haies du presbvtère ! 


C’élail, tout le malin, c'étail un long murmure, 
Comme de blancs ramiers autour de leurs maisons, 
D'écoliers à mi-voix, répélant leurs leçons : 

Puis la messe, les jeux et les beaux jours de fête, 
Des offices sans fin chantés à pleine téle.… 

Jours aimés! Jours éleints ! Comme un jeune lévite, 
Souvent j'ai dans le chœur porté l'aube bénile, 
Offert l'onde et le vin au calice, et, le soir, 

Aux marches de l'autel balancé l'encensoir ! (2) 


Le « clerc d’Arzano » grandissait, et son cœur s’ouvrait 
bientôt au charme d'une gracieuse idylle, dont il nous dira : 


.… J'aimais une douce et fréle créature, 
Et sans chercher comment, sans nous rien demander, 
L'office se passait à ncus bien recarder. (3) 


C’est de l’histoire vécue que les rencontres dans la lande, 
à la porte de l’église, au pont Kerlô, où les deux enfants 


… Causaient d'avenir avec les flots menteurs (4). 


(1) Marie, 1° Cdition. 
(2) Marie. 

(53) Marie : Le Catichisme. 
(4) Hègésippe Moreau. 


10 AUGUSTE BRIZEUX 
ou donnaient la liberté aux grandes libellules bleues : 


Sur la main de Marie une vient se poser, 

Si bizarre d'aspect qu'afin de l'écraser 

J'accourus ; maïs déjà la jeune paysanne, 

Par l'aile ayant saisi la mouche diaphane, 

En voyant la pauvrelte en ses doigls remuer : 

«@ Mon Dieu! comme elle tremble ! oh ! pourquoi la tuer ? 
Dit-elle. — Et dans les airs sa bouche ronde et pure 
Soufla légèrement la fréle créature, 

Qui, déployant soudain ses deux ailes de feu, 

Parlit et s'éleva joyeuse et louant Dieu (1), 


À treize ans, en octobre 1816, Brizeux quitta le « grand 
nid d’Arzano », qu'il ne devait jamais oublier et où la. 
Muse l'avait, pour ainsi dire, touché de son aile et sacré 
poète, comme Lamartine sur le lac du Bourget. Le jeune 
clerc entra au collèuc de Vannes, pour y passer trois ans, 
y conquérir de nombreux lauriers scolaires et y prendre 
l'amour de la paix, au milieu d’écolicrs turbulents, encore 
enivrés des derniers bruits de bataille contre les Bleus et 
contre l'Europe coalisée à Waterloo. 

En 1819, à l'âge de seize ans, il alla achever ses études 
au collège d'Arras, sous la direction de M. Sallentin, son 
orand-oncle maternel. 


Le cœur halelant, sous un ciel de fumée, 
Il vint, enfant breton, de la lande embaumée. 


Il eut encore de belles couronnes ct fut reçu bachelier 
ës-lettres à Douai, le 29 novembre 1821. Plus tard, il voulut 


(1) Marie. 


AUGUSTE BRIZEUX 41 


revoir ce collège d'Arras, transformé en asile de vicillards. 


On nrouvrit la maisin. En montant Pescalier, 

Je me mis à songer à mes jours d’écolier, 

À cet âge où l'on rit, à cel âge où l’on Joue, 

Quand, les cheveux à l'air el le feu sur la joue, 

Ici je grandissais… 

Après bien des détours dans un grand corridor, 
J'arrivai. Cette chambre autrefois fut la mienne. 
Je reconnus la porte et la serrure ANCienne. 

Mais au-dedans, hélas ! on n'avait rien laissé. 
Mon nom sur la muraille était même effacé ; 

Mes plus chers souvenirs, mes cartes, mes estampes, 
Ce gracieux portrait de Vierge aux belles tempes, 
Et qui, me souriant avec sérénilé, 

M'enseignait combien douce et calme est la beauté (1) 


Rentré à Lorient en 1821, Brizeux commence son stage 
dans une étude d’avoué, comme A. Barbier dans une 
officine de notaire à Paris, où il rencontre Casimir 
Delavigne et Louis Veuillot. En décembre 1823, Brizeux va 
faire son droit dans la capitale. 

C'était l'heure des belles éclosions romantiques. « I] 
s'opérait, dit Théophile Gautier, un mouvement pareil à 
celui de la Renaissance. Tout germait, tout bourgeonnait, 
tout éclatait à la fois. Des parfums vertigineux se dégageaient 
des fleurs; l'air grisait. On était plein de lyrisme et 
d'art (2). » Lamartine tenait à la main, avec ses Méditations, 


Ce beau luth éploré qui vibre sous ses doicts. 


(1) Le POTATAN Collève. 
(2) Histoire du Romantine, 


42 AUGUSTE BRIZEUX 


Alfred de Vigny était au lendemain de Moïse, d'Éloa ; 
Victor Hugo venait de publier ses Odes, et la Muse française 
faisait connaitre les vers et les idées littéraires du premier 
Cénacle. 

Brizeux s’occupa médiocrement de son droit et beaucoup 
de poésie. Il fréquenta chez les peintres, Deveria, Ingres 
surtout. Il assistait aux lectures d'Andrieux, « ce Despréaux 
familier et charmant ». Et, tout en rèvant à sa mère et à 
Marie, il écrivit des articles sur Héléna et Éloa et sur André 
Chénier, Il fit jouer, en 1828, Racine, comédie en un acte à 
propos des Plaideurs, composée en collaboration avec 
Busoni, publia les Mémoires de Mme de La Vallière, 1828, 
et se lia d'amitié avec de Vignv, Berlioz, Gustave Planche, 
Auouste Barbier surtout. 

Voilà donc Brizeux lancé dans le monde des arts, de la 
littérature et de la philosophie, « capricant et sauvage, dit 
Blaze de Bury, mais d’une sauvagcrie intermittente, 
modeste, réservé, élégant de manières et d'esprit, préoccupé 
d'art et de philosophie platonicienne, goûtant Ballanche, 
admirant à l'écart G. Farcv, « ce cœur tendre, attentif à 
cacher son or pur » (1). 

Les années 1828-1830 marquent une période très impor- 
tante dans la vie de Brizeux. C'est une fin et un com- 
mencement : la fin de sa religion naïve et heureuse; le 
commencement d'un scepticisme douloureux. À quel 
moment précis se consomma Île divorce ? M. Lecigne estime 
qu'on ne saurait le dire, mais que la vie libre de Paris, 
l’enseignement de Victor Cousin à la Sorbonne, la lecture 
du Globe, où Théodore Jouffrov venait de publier Comment 


(1) Revue des Deux Mondes, 15 dèc. 1880, p. 915. 


AUGUSTE BRIZEUX 43 


les dogmes finissent, arrachèrent du cœur du jeune breton 
cette foi de sa mère, dont il devait peindre en‘un ravis- 
sant tableau les souvenirs et les impressions lointaines : 


De ces jours de ferveur, oh! vous pouvez m'en croire, 
éclat lointain réchauffe encore ma mémoire ; 
L ; 
L'orgue divin résonne en mon âme, et ma voix 
'e e ciel se autrefois 
Retrouve vers le ciel ses accents d ; 


alors que tout un peuple à genoux priait « le Dieu des 
fruits et des moissons nouvelles » : 


Les voix montaient, montaient ; moi, penché sur ma slalle, 
Je subissais de Dieu la présence fatale : 

J'avais froid ; de longs pleurs ruisselaient de mes yeux, 

Et comme si Dieu méme eût dévoilé les cieux, | 
Introduit par la main dans les saintes phalanges, 

Je sentais tout mon étre éclaler en louanges, 

Et noyé dans des flots d'amour et de clarté, 

Je n'anéantissais devant Pimmensilé (x). 


Une fois ses croyances perdues, Brizeux put faire le 
deuil de son bonheur évanoui, et Mgr Baunard eut un 
chapitre de plus pour son beau livre, le Doule et ses victimes 
ait XIXS siécle. 

« L'orgueil de la pensée, 


Qui n'accepte aucun frein, aucuxe loi tracée (2). 


ne sufhsait pas plus à l’âme du jeune breton que la liberté 
conquise au soleil « des trois glorieuses ». 


à mme eee me  enmmmeenme = += à 


(Gi ) Marie. 
(2) Marie. 


À4+ AUGUSTE BRIZEUX 


Après une année de solitude et de travail recueilli, Brizeux 
publia Marie, roman sans nom d'auteur, le 12 septem- 
bre 1831, le jour anniversaire de sa naissance. « Ce petit 
livre, dit M. Lecigne, fut un événement dans le monde 
littéraire, et d'emblée, d’un premier élan, Brizeux entra 
dans la gloire. Le public, saturé de mélodrames, repu de 
mauvais romans, enivré de toute sorte de littérature fer- 
mentée, avait besoin d'émotions fraiches et neuves. On en 
avait assez des luxueuses mollesses d'A. de Vignv, des 
audaces fringantes et sensuelles d'A. de Musset, des 
dénouements ensanglantés des drames à la mode. C'était 
l'heure embrasée des splendeurs romantiques ; il fallait une 
oasis pour se reposer, avec des ombres douces, des brises 
humides, des sources limpides et pures. Et voici que tout à 
coup quelque chose s’en venait de bien loin, une voix jeune 
et triste, une mélodie rustique comme celle des cornemuses 
bretonnes. On demeura sous le charme, et de toutes parts 
un concert d'éloges s’éleva vers le mystérieux inconnu. » 

L'auteur de Marie part alors avec Auguste Barbier, l’au- 
teur des Jambes, pour Lyon, où il est heureux de saluer 
Mme Desbordes-Valmore, et pour l'Italie, où Pise, Florence, 
Naples et Venise le charment beaucoup plus que 
Rome (1832). 

Rentré en France, il va revoir sa chère Bretagne; il v 
perd sa bonne grand’mère ; mais les bardes et les poëtes de 
l’Armorique lui tressent à l’envi des couronnes de lauriers. 
Il séjourne à Scaër ; il° assiste à la messe à Arzano ; il par- 
court la paroisse : « Oh ! ceci ne doit point se noter, écrit-il 
dans son Journal, 16 septembre 1833. Priez pour mot. » 
JE travaille à un nouveau poème breton. 

De retour à Paris, il collabore aux Annales romantiques, 
à la Revnedes Deux Mondes, au Journal des Débats. Les Mar- 


te 


AUGUSTE BRIZEUX +5 


scillais, auxquels il fait en 1834 un cours de poésie, dont 
le manuscrit existe, mais n'a pu être retrouvé par M. Le- 
cigne, l'applaudissent avec un enthousiasme semblable à 
celui qu'ils ont prodiguë naguère à Lamartine, partant pour 
l'Orient. 

En avril 1834, il repart pour Pise et Florence, sa seconde 
patrie ; puis, la nostalgie des landes et de ce qu’il appelait 
« les petits pays de là-bas » le ramène en Bretagne, à Scaër, 
à la Tour du Finistère, auprès de son vieux maitre, 
M. Lenir. Rentré dans la capitale, il s’y lie intimement 
avec M. Lacaussade et Turquety, v donne une seconde édi- 
tion de Marie, poëme, en 1836, et en prépare une troisième, 
qui sera définitive en 1840. Entre temps, il voit Le Goni- 
dec, et, devant sa tombe, en 1838, il évoque la belle figure 
de ce grand savant, qui avait tant aimé son pays. 

La traduction de la Divine Comédie de Dante, 1841, est 
beaucoup mieux accucillie du public que les Teruaires (les 
trois âges de la vie), dont le symbolisme ne plait qu’à quel- 
ques délicats. | 

Après un troisième séjour à Scaër Ct un troisième Voyage 
en [ralie, 1844, il publie les Bretons, en juin 1845. Sainte- 
Beuve et Charles Magnin les louent ; mais l’auteur tombe 
malade et il faut que Lacaussade et Sainte-Beuve l’assistent 
dans sa pauvreté et l'envoient pour sa convalescence dans 
sa chère Bretagne, à Scaër. | 

L'année 1846 s'ouvre pour Île poète par des souffrances 
physiques, des angoisses morales; heureusement, elle se 
termine par un double triomphe : le poëte est décoré de 
la Légion d'honneur par de Salvandv, et les Bretons (3° édi- 
tion) sont couronnés par l'Académie Française. 

Une quatrième fois, il repart pour l’Italie et présente un 
exemplaire des Frelcus au pape Pie IX, qui le bénit, lui et 


46 AUGUSTE BRIZEUX 


son œuvre ; il entre en relations avec le comte Schouvalot 
et sa fille Hélène, risque sa vie pour sauver un enfant qui 
se noie dans la baie de Naples, et se voit en proie à des 
tristesses plus navrantes que jamais, lorsque « maman 
Boyer », avec un de ses enfants malades, vient retrouver 
en Italie « le pauvre chanteur errant, qui la fuit, mais qui 
l'aime ». En février 1851, il est à Lvon et assiste au cours 
de Victor de Laprade, « qui parle comme Platon au cap 
de Sunium ». L'auteur de Psychs, grèce à son beau-frère, 
M. de Parieu, ancien ministre de l'instruction publique, et 
à M. de Lamartine, fait porter sa pension de 1,200 à 3,000 
francs. | 
En 1852, paraissent Primel et Nola, la Fleur d'or, nou- 
velle édition des Teruaires; en 1853, divers articles dans 
la Revue des Deux Mondes ; en 1855, la Poëtique nouvelle ct 
les Histoires poétiques, que l'Académie Française couronne 
sur un rapport de Villemain. 
Mais Brizeux avait rèvé un fauteuil d’immortel, et malgré 
Sainte-Beuve et Alfred de Vignv, il ne peut, hélas ! l'obte- 
nir. « Nousen avons bien assez de M. de Musset ! » dit 
Montalembert, faisant une cruclle allusion aux allures de 
bohème débraillé qu'avaient données à Brizeux sa vie errante 
et la maladie dont il souffrait, le diabète. Le poète doit, en 
1856, à la suite d’une pneumomie, faire ses adicux à Scaër, 
partir pour Bordeaux, Montpullier, Marseille. Après avoir 
promené une vie mourante par toutes les routes de France, 
1 ramasse «. ce qui lui reste d'énergie, d'inspiration ct 
d'amour en un dernier cri, le plus beau, le plus puissant 
peut-être qui ait jamais vibré sur ses lèvres », FÆlégie de 
la Bretagne, qui se déroule € en stances superbes d’une 
facture sculpturale, poignantes d'émotion » : 


AUGUSTE BRIZEUX 47 


Silencieux men birs, fantômes de la lande, 

Avec crainte et respect dans l'ombre je vous vois ; 
Sur nous descend la nuit ; lu solitude cs! grande ; 
Parlans, à noïrs granils, des choses d'autrefois. 


Et le poète s'indigne contre la civilisation moderne, qui tue 
le passé. 


Adieu, les vieilles mœurs, grâce de la chaumière, 
Et lidiome saint par le barde chanté, 

Le costume brillant qui fait l’âme plus fière.… 
L'utile a pour jamais exilé la beauté. 


O Dieu qui nous créas on guerriers ou poëtes, 
Sur Ta côte, marins, et pâtres dans les champs, 
Sous les vils intérêts ne courbe pas nos lêles ; 

Ne fais pas des Bretons un peuple de marchands. 


Laïvu, bar l'avarke enmués el vicillis, 
Des barbares sans foi, sans cœur, sans espérance, 
Et, l'amour m'inspirant, j'ai chanté mon pays. 


Vingt ans, je l'ai chanté ! Maïs si mon œuvreest vaine, 
Si chez nous vient le mal que je fuyais ailleurs, 

Mon âme monlera, triste encor, mais sans haïne, 

Vers une autre Breiagne en des mondes mcilleurs. 


Après cette éloquente protestation, 11 signe mélancoli- 
quement ses lettres : « Mon ombre ». Il part pour Mont- 
pellier et va mourir le 3 mai 1858, chez M. et Mme Saint- 
René Taillandier. C'était mourir dans les bras de l'amitié, 
mais non pas, hélas! dans les bras de la religion, s'ilest vrai 
que la veille de sa mort, exaspéré par un article de Louis 


4 AUGUSTE BRIZEUX 


Veuillot, 1l ait renvoyé le prêtre au lendemain, qu'il ne 
devait pas voir. 

Que n'était-il allé mourir là-bas, près de la maison du 
Moustoir, du pont Kerlô, de la lande fleurie, de léglise 
de sa mère, sur le sol de cette religieuse Bretagne, qu’il 
identifiait avec l’immortelle patrie et où il devait dormir 
son dernier sommeil ! 

Brizeux, tel que nous lé montrent sa vie et sa corres- 
pondance, n'était pas un penseur comme Alfred de Vignv, 
mais un rèveur épris d’idéal, une âme sensible, tendre, 
délicate et profonde : c’est de là que lui est venu, non 
pas son génie, — il n'en à point, --- mais son talent 
original. | 

La philosophie esthétique de Brizeux, qui s'est formée 
sous différentes influences, influence du Romantisme, à 
Paris, influence des voyages en Italie, influence de la Bre- 
tagne, influence de Pétrarque, de Dante, de Shakespeare, 
des Lakistes, sè ramène à cette formule idéaliste : l’Art pour 
le Beau ; 1 Va exprimée par une image magnifique : 


Le Beau, c'est vers le Bien le chemin radieux ; 

C’est le vétement d'or qui le pare à nos veux (1): 
Il dit encore : 

Au prétre d'enscigner les choses immortelles ; 


Poële, ton devoir est de les rendre belles (2) 


La philosophie religicuse de Brizeux, c'est le récit des 
eHorts qu'il fait pour échapper au scepticisme et au doute, 


(1) Marie, 
(2) Poétique nouvelle, 


AUGUSTE BRIZEUX 49 


qui le poursuit depuis le moment où il a renoncé à la foi 
de sa mère: 


Et moi, tel qu'un aveugle aux murs tendant la main, 
A latons dans la nuit je cherchais mon chemin (à). 


Il ne trouve guère « qu'un flux et un reflux perpétuel de 
la foi au doute et du doute à la foi ; de beaux regrets pour 
celle-ci, des prédilections pour celui-là, un sceptisme irré- 
solu, qui n'a même pas conscience de lui-même et se 
déguise mal sous de Ivriques abstractions, une sorte de 
philosophie naturelle où surnagent çà et là des réminis- 
cences divines du catholicisme, amour, charité, poésie du 
culte, un formulaire assez vague que M. Cousin et Sainte- 
Beuve lui-même à certaines heures n’eussent pas refusé de 
signer » (2). | 

La philosophie morale de Brizeux est plus ferme : 

Dans ton intérét ne le corromps pas. 
Aux autres il faut croire ; il faut croire à soi-même, 
Pour qu’on nous aime, aimer, aimer sans qu'on nous aime(3). 


M. Lecigne a raison de reconnaitre que l'imagination de 
Brizeux « manque de souplesse dans les sujets de passion 
et de sentiment, de puissance dans le poème philosophiques». 
Elle était, dit M. Allais, «comme réfractaire à l'étonnante 
magie de la couleur ». lille n’a pas compris les radieuses 
contrées du soleil et de la belle lumière, que le poète aimait 
tant à parcourir en Italie. 

Ce penseur médiocre, tantôt platonicien, tantôt pan- 


(1) Marie. 
(2) Lecigne, p. 420. 
(3) La Fleur d'or. 
N° 1. — Juillet 1899. À 


30 AUGUSTE BRIZEUX 


théiste ou mème chrétien, était uif beau caractère : timide, 
ombrageux, farouche, sauvage mème, mais fier et indé- 
pendant. « Oh ! que de choses à dire, écrivait au lendemain 
de fa mort de Brizeux M. Audren de Kerdrel, sur l'indé- 
pendance de son caractère, le plus noble que j'aie jamais 
rencontré, sur cette pauvreté volontaire, qu'il avait non pas 
subie, mais choisie, comme le meilleur port en ce monde 
pour ceux qui mettent au-dessus de tout les ineffables 
jouissances d'une conscience tranquille, les délicates satis- 
factions du respect de soi-mém:. » 

Mais ce qu'il v avait de plus remarquable en Brizeux, 
c'était son cœur, sa sensibilité délicate, exquise, profonde. 
JE aimait tendrement « ses deux mères », surtout « maman 
Bover ». Écoutez-le qui lui dit :- 

Si je ne l'aimais pas, qui donc pourrais-je aimer 2 

Quand ton cœur au mien seul semble se rantmer, 

Lorsque, dans tout le jour, peut-être, il n'est point d'heure 

Que la pensée aimañlte autour de ma demeure 

Ne vienne, redoutant mille lointains périls 

Et les chagrins sans nombre et dont souffre ton fils ? 
…… Et tu écris abrs 

Pour forcer ma paresse 4 de nouveaux efforts ; 

C'est mon sort, C'est le tien, au besoin tu n'en pries, 

Et qu'il faut triompher de ces sauvageries, 

De ces Jières bu HICHFS, de ces hauteurs de Lo, 

Que ne lransmit mon pére avec le sang breton. 

Puis, viennent de ces tiens, de ces mols, de ces choses, 

Que toute femme trouve, en écrivant, écloses, 

Qu'on baise avec transpert el qu'on relit tout bas. 

Oh! qui pourrai-je aimer, si je ne P'aimais pas ? (1). 


(1) Marie. M. Lecigne aurait pu citer ces beaux vers. 


— 


ne RS nie io, nr cum 


AUGUSTE BRIZEUNX SI 


Et lorsque, aux vacances, de Vannes, d'Arras, de Paris, il 
revient au fover domestique, 


Quelle joie, en entrant, mais calme, sans délire, 
Quand debout sur la porte, et téchant de sourire, 
Une mére inguiète est là qui vous attend, 

Vous baise sur le front ! 


Jamais le cœur d'un fils n'a chanté ses souvenirs avec 
plus d'éloquence pénétrante que notre pote, rapportant 
les adieux de sa mère : 


Oui, quand lu pars, mon fils, oui, c'est un vide immense, 
Un morne et froid désert qui toujours recommence. 

Ma fidèle maïson, mon Jardin, mes amours, 

Tout cela n'est plus rien. et j'en ai pour buit jours, 

J en ai pour 1ous ces MOIS d octobre el de novembre, 

Mon fils, à te chercher partout de chambre en chambre. 
Je l'afflige, mon fils, je l'afflige !.… Pardonne, 


C'est qu'avec loi, vois-tu, Punivers m'abandonne ! (+) 


S'il aimait ‘a mère, Brizeux aimait aussi ses amis it en 
était tendrement aimé : Auguste Barbier, Alfred de Vigny, 
si personnel, si inaccessible dans sa tour d'ivoire, Turquetv, 
Lacaussade, Mme Desbordes-Valmore, Sainte-Beuve, Victor 
de Laprade, Saint-René Taillandier, ont eu pour notre 
poète une tendresse méritée. 

Et sa Bretagne bien aimée, de quel accent 1l en parle ! 

Ob ! lorsqu: après deux ans de poignantes douleurs 
e revis ma Bretagne el ses genéts en fleurs, 
Lorsque, sur le chemin, un vieux potre celtique 

Me donna le bonjour dans son langage antique, 


(1) Marie. 


2 AUGUSTE BRIZEUN 


Quand de troupeaux, de blés, causant ainsi tous deux, 
Viurent d'autres Bretons avec leurs longs cheveux, 

Ob! comme alors, pareils au torrent qui s'écoule, 
Mes songes les plus frais m'inondérent en foule ! 

Je me croyais enfant, beureux comme autrefois, 

Et, malgré moi, mes pleurs étoufférent ma voix ! 

Avec cette sensibilité profonde, et cette impressionnabi- 
lité extrème, Brizeux à souffert beaucoup . mais aussi il s’est 
apitoyé sur les malheurs d’autrur, sur la mort d’un bou- 
vreuil, sur celle du bon cheval Jô-Wen, et il nous arrache 
encore des larmes émues, ce qui n'est pas un mérite 
vulgaire. 

En somme, comme le dit fort bien M. l'abbé Lecigne, 
« il a marché trente ans, la lyre à la main, n'écoutant que 
[a voix intime de son rève, le regard fixé vers la terre pro- 
mise de l'idéal et du beau, fidèle jusqu’au bout à sa voca- 
tion, indifférent à tout le reste ». Ils sont rares en tout 
temps et surtout en notre siècle, ceux qui peuvent se 
rendre ce témoignage à lheure suprème : « Je n'ai chanté 
que la religion (1), la patrie, l'amour de la nature et de 
l'art, les meilleures, les plus saines émotions de lime 
humaine ; jamais je n'ai prèté ma voix aux accents du déses- 
poir (2), aux séductions de la volupté, aux entrainements 
de l’orgueil. Epurer les cœurs et consoler les âmes, c'était 
là toute ma poétique. » 

(A suivre) L'abbé Théodore DELMONT. 

Professeur à FÜniversité catholique de Evon. 


the 


(1) I v'aurait ici des restrictions à faire: on les trouvera plus loin. 

(2) En 1855, lorsque Victor de Laprade lui eut dédié la Svphonie du 
lorront, Brizeux le pria de supprimer cette dédicace, parce qu'il n'avait 
Pas « prèté l'oreille à la voix du torrent et ne s'était pas promené en 


désespéré sur les montagnes ». 


LE 


COLLÈGE DE THOISSEY 


=" retour du commandant Marchand à Thoissev, 
J sa ville natale, à porté l'attention sur cette pai- 

sible et souriante pecite cité dont le collève à 
fait la réputation. 

Marchand à passé quelque temps dans cette maison qui, 
depuis sa fondation en 1680, n'a cessé de prospérer et de 
fournir à toutes les carrières des hommes d’une incontes- 
table valeur. | 

Nous devons à M. F. Greppo, l'excellent poète lyonnais, 
ancien élève de Thoissey, li communication d’un règle- 
mert de cette maison célèbre, daté du siècle dernier. 


s4 LE COLLÈGE DE THOISSEY 

Voici ce qu'il nous dit à ce sujet : 

« Ce prospectus, qui porte le titre de Règles du Collège Royal 
de Thoissey en Dombes, a figuré en 1887 dans la vente aux 
enchères publiques, après décès, de Louis Bouillieux, le libraire- 
bibliophile autrefois trés connu à L'on. Disputé par plusieurs 
amateurs, 1l s'est adjugé à un prix relativement élevé. 

« Ce réglement, curieux surtout par des détails sur le costume 
et les soins de toilette donnés aux élèves, ne peut manquer 
d’intéresser vivement les anciens élèves et les élèves actuels de 
celte maison toujours florissante. Je diraï en passant que de mon 
temps,1854-1859, l'uniforme était identique à celui des Iycées 
de l'État : Tunique et pantalon à passepoils rouges, Képi et ceintu- 
ron de cuir verni à plaque dorée. 

« La pièce que je vous communique, certainement rare el peut- 
étre unique en raison de sa fragilité de feuille volante, à été 
imprimée par Perisse, le dernier grand éditeur Fvonnais, 
el 1770. » 

Nous donnons plus loin de ce document une reproduc- 
tion in-extcns0. 

Préalablement nous citerons sur Thoissey un histo- 
rien contemporain de la fondation de son collège, Cacher 
de Garnerans, auteur d’un Abrégé de l’histoire de la Souir- 
rainelé de Dombes, imprimé À Thoissev par Jacques Leblanc, 
en 1696. 

On remarquera, dans les quelques lignes que nous trans- 
crivons, que Thoissev à la fin du dix-septième siècle 
S'écrivait SANS V : 

« Thoissei, la seconde ville de Dombe, agreable par sa situation 


et ses environs; Autrefois très renommée par son château fort 
qui est a present démoli, fut bâtie par Guichard-le-Grand (1). 


(1) Guichard-le-Grand, seigneur de Beaujeu. 


LE COLLÈGF DE THOISSEY- $5 


environ l'an 1300. Ce prince lui accorda de très beaux privilèges 
l'an 1310. Il fit rebâtir et fonda la chapelle de sainte Marie 
Magdelaine, présentement la paroisse de cette ville. Elle a été 
assièégee plusieurs fois par les comtes et ducs de Savoie; elle a 
gardé très longtemps des garnisons considérables pour empêcher 
les mouvements des religionnaires. L'an 1680 feue son altesse 
royale (1) établit et fonda un collège pour toute la Dombe. Elle 
y mit un Principal et plusieurs autres prètres agréges en corps 
de communaute pour y enseigner la grammaire, les Humanités, 
les Mathématiques et la Théologie. Son altesse sérénissime (2) 
qui lui a succédé a pris ce collège sous son auguste protection 
et lui donne tous les jours des marques de sa bienveillance. » 


Actuellement, après avoir été laïcisé pendant la Révo- 
lution et assez lorgtemps après, le collège de Thoissey est 
de nouveau dirigé par des prêtres séculiers, tel que l'avait 
institué la Grande Mademoiselle, la duchesse de Mont- 
pensier, petite-fille de Henri IV, souveraine de Dombe, 
l'héroïne de là Fronde auteur de mémoires très curieux, 
l'épouse morganatique du duc de Lauzun, le célèbre cour- 
tisan, ce prototype toujours vivant de l'élégance française. 


PAUL DE VANANS. 


(1) La duchesse de Montpensier. 
(2) Le duc du Maine, 


REGLES 
DU COLLEGE ROYAL 


DE THOISSEY EN DOMBES 


Confié aux Religieux Bénédiâins de la Congré- 
gation de St Maur, par Lettres-Patentes 

. enregifirées au Parlement le 13 Février 1769, 
Jous les aufpices & la proteion de Mon/fei- 
gueur PArchevéque de Lvon & de Monfieur 
le premier Préfident du Parlement. 


Bénédiéins de la Congrégation de St Maur ont élevés 

où rétablis depuis quelques années. Flattés d’une con- 
fiance dont ils fentent tout le prix, & qu'ils tâcheront de 
plus en plus de mériter, ils ont l'honneur d'annoncer un 
nouvel établiffement entrepris à Thoifflev en Dombes. Cette 
petite ville eft fituéc dans un pays fertile & charmant, 
fur les rives de la Saône, à neuf lieues de Lyon, & trois 
de Mâcon : Pair v eft pur, & les fruits de toute cefpèce, 


Ï Ë Public à paru fatisfait des Penfionnats que les 


LE COLLÈGE DE THOISSEY SA. 


. 


excellents. La Penfon, autrefois confiée à des Prètres 
agurégés, & qui a joui d’une grande réputation, vient 
d'être mife entre les mains des Religieux de ladite Congrcé- 
uition : Sa MAJESTÉ, en leur enjoignant dans les Lettres- 
Patentes, de fuivre les ufages de leurs Colleges, leur trace 
le plan qu'ils doivent fuivre en celui-ci. 


JOURS DE CLASSE 

Le lever des Penfonnaires eft fixé pour toute l’année 
à cinq heures & demie ; on aura cependant égard à l’âge 
& aux befoins particuliers : I Pricre avec une leéture de 
l'Evangile fe fera aux trois quarts : elle fera fuivie de la 
première étude, qui, comme toutes les autres, fera préfidée 
par un Religieux. En général les Penfionnaires feront toujours 
fous les veux d’un furveillant. On dira à fept heures la 
Mefle, à l'iffue de laquelle on accordera un quart d'heure 
pour déjeüner & pour fe récréer. La Claffe, qui commencera 
à huit heures moins un quart, finira unquart d'heure avantdix 
heures, & ce quart ct lift pour un petit délaflement : 
les deux heures qui reftent jufqu'au diner, font deftinées 
à l'étude & aux différents exercices auxquels les Penfion- 
naires vaqueront alternativement & fans confufion. 

Aux jours de Clafle le diner fera en tout temps à midi. 
Un Religieux qui affiftera, aufli bien qu'à souper, aura foin 
que tout fe pale dans l'ordre, & que les regles de la 
bienféance & de la proprété v foient obfervtes. La lecture 
de la table fera utile & intéreffante. 

Les Penfionnaires fe rendront à l'étude à une heure & 
demie, & en fortiront à deux heures & demie, pour 
prendre un quart d'heure de relâche ; de là ils iront en 
Claffe jufqu'à cing heures moins un quart; pendant ce 
quart d'heure, le goûter & la récréation. L'étude & les 


58 LE COLLÈGE DE THOISSEY 


différents exercices rempliront les deux heures qui reftent 
jufqu’au fouper, après lequel la récréation jufqu'à huit 
heures & demie. On fonnera la Pricre qui fera fuivie d'une 
ledure pieufe, à l’ifue de laquelle les Penfionnaires fe 
retireront pour fe coucher. Deux Religieux qui vifiteront 
les chambres, un réverbcre allumé toute la nuit, deux 
domeftiques qui fe releveront pour veiller, doivent raffurer 
Meffieurs les Parents fur tous les dangers auxquels les 
les enfants font expofés. 


JOURS DE CONGÉ É 


Les Penfionnaires vaqueront tous les Jeudis de lanmée, 


à moins qu'il ne fe rencontre une Fête dans la femaine, 


qui exige qu'on dérange cet ordre ; aux jours de congé, 
on ne fe levera qu'à fept heures en hiver, & à fix heures 
& demie en été. La Priere, qui fe fera un quart d'heure 
après, fera fuivie de la Mefle & du déjeüner. 

À dix heures les Penfionnaires fe rendront dans une 
falle, pour v faire preuve devant les Religieux affemblés, 
des progrès qu'ils auront faits dans les fciences auxquelles 
on les applique ; & c’eft cet examen qui fixera les notes 
qu'on enverra chaque mois à Mefhieurs les Parents. 

On dinera à onze heures & demie, & fur la fin du 
repas on fervira le goûter, qui fera réfervé pour la pro- 
menade; elle durera en hiver jufqu'à quatre heures & 
demie; & elle ne pourra être prolongée en été que jus- 
qu'à fix heures & demie. Depuis la Touffaint jufqu'à 
Pique, on fera l'étude depuis fix heures du foir jufqu'à 
fept; elle tiendra lieu de celle du lendemain matin, ce 
qui procurera une petite douceur aux Penfonnaires, qui 
ces jours-l ne fe leveront qu'à fix heures & demie, 


LE COLLÈGE DE THOISSEY S9 


JOURS DE FÉTE 


Les jours de Fôte, les exercices font les mêmes que ceux 
des jours de congé, jufqu’à dix heures moins un quart du 
matin, temps auquel les Penfionnaires fe rendront à la 
Chapelle intérieure, pour y entendre une leéture de pitté 
& une petite inftruétion fur l'Evangile, qui durera jufqu’À 
l'entrée de la Grand’'Mefe._ 

On dinera à onze heures & demie ; la récréation après: 
diner fera prolongée jufqu'à deux heures moins un quart ; 
elle fera fuivie d’une étude d’une heure, & d'un quart 
d'heure de récréation ; à trois heures les Penfionnaires fe 
rendront à la Chapelle, & tous indifféremment feront inter- 
rogés fur le Catéchifme du Dioccfe. Vêpres fe diront en 
tout temps à trois heures & demie : à liffue de Vèpres 
on diftribuera le goûter, & on fe récréera jufqu’à fix heures, 
temps auquel on commencera une étude qui tiendra lieu 
de celle du lendemain matin, & qui prolongera le repos, 
comme aux jours de congé. 

On tiendra la main à ce que tous les Ecoliers du College, 
foit Penfionnaires, foit Externes, fe confefflent régulière- 
ment une fois le mois. 


PRIX DES PENSIONS 


Le prix des Penfions, compris les différents Maitres 
d'exercices, les Perruquiers, les Peigneufes, le Blanchif- 
fage, le petit raccommodage, les plumes, encres & papier, 
cft fixé pour les dix mois de clafle à trois cents quarante 
livres, & pour les Penfionnaires qui pafferont les vacances au 
College, à la fomme de quatre cents livres, pavable d'avance 
à deux termes égaux, la Touffaint & Pique. Chaque Pen- 


60 LE COLLEGE DE THOISSEY 


fionnaire apportera auffi en entrant, deux paires de draps, 
hx ferviettes & un couvert d'argent : les frais de lhabil- 
lement feront aufli fur le compte de Meflieurs des Barents. 

Pour maintenir l'union parmi les Eleves, il a paru conve- 
nable de fixer un uniforme, qui confifte, pour les jours de 
Fête, en un habit bleu, parements, revers & collet rouge, 
poches à l'angloife, boutons de cuivre doré, vefte & culotte 
rouges; & pour les jours ouvriers, il fufhra qu'ils aient 
un furtout bleu, collet & parements rouges, boutons de 
même étoffe : on Haiffe la couleur de la vefte & de la 
culotte au choix de Meffieurs les Parents, qui font priés de 
ne rien envoyer direétement à leurs enfants, mais toujours 
par la médiation du Reverend Pere principal. 

Ceux de Metlieurs les Parents qui fouhaiteroient que 
les Religieux priflent fur leur compte tous les frais de 
l'habillement, des livres clafliques, du Médecin, Apothi- 
caire, Chirurgien & remedes, & enfin des menus plaifirs 
qu'on difiribuera chaque femaine à leurs enfants, paieront 
quatre cents foixante & dix livres pour les dix mois de 
clafle, & cing cents trente livres, s'ils veulent les laiffer au 
College pendant les vacances; & en outre leur donneront 
en v entrant, douze chemifes, autant de mouchoirs, de 
coëffes de nuit, de cols & de paires de chauffons, trois paires 
de bas d'été & trois paires de bas d’hiver, deux chapeaux 
& deux paires de fouliers ; le tout neuf & bien conditionné. 
Ils v ajouteront un couvert d'argent. Un penfionnaire qui 
fortira du College la première année, remportera fon habit 
uniforme, & tout ce qu'il aura apporté; mais fe retirant 
les années fuivantes, on ne lui en rendra que la moitié en 
valeur. : 

Le premier devoir de l'homme étant de rendre À Dieu 
le culte qui lui eft dû, on ne négligera rien pour procurer 
aux Eleves la connoitfance de notre fainte Religion, & pour 


LE COLLEGE DE THOISSEY 6i 


leur en infpirer l'amour ; c'eft vers ce point capital que 
nous dirigerons principalement nos foins. ’ | 

Sa MAJESTÉ nous enjoint par fes Lettres-Patentes, d’en- 
feiyner toutes les Claffes, depuis la Sixième jufqu’à la Phi- 
lofophie inclufivement; mais pour donner une éducation 
plus complette, & pour fonder & pour développer lestalents, 
on donnera des cours de Morale, d'Hiftoire, de Géographie, 
de Mythologie, de Blalon & de Langue françoife, & 
fur-tout de Mathématiques, en faveur des Eleves qu'on 
deftine au Génie ou à lArtillerie. On appliquera chaque 
Penfionnaire à une ou à plufieurs de ces fciences, felon la 
volonté de Meflieurs les Parents, & felon le goût & la 
difpoñtion des Eleves. La diverfité des objets, bien loin de 
jetter de la confufion dans l’efprit des jeunes gens, con- 
tribue au contraire à les amufer par la variété, & à fixer 
la légèreté qui eft naturelle à leur îge. L'expérience favo- 
rife cette affertion : la Mufique vocale & inftrumentale 
qu'on leur enfeignera, contribuera à leur former le goût, 
& l'exercice de la Danfe leur apprendra à fe préfenter 
avantageufement. 

Nous prions Meflieurs les Parents qui retireront leurs 
enfants aux vacances, de vouloir bien les occuper, & de 
les renvover quelques jours avant la Toutflaint. Il feroit 
bien à défirer qu'après ètre entrés au Penfionnat, ils n’en 
fortiflent plus qu’à la fin de leurs études ; au moins ne doit-on 
jamais les prévenir fur leur fortic du College : l’exptrience 
apprend tous les jours que l’inconfidération des Parents fur 
cet objet eflentiel, infpire à leurs enfants le dégoût de 
leur devoir. 

Les Religieux de St Maur n'oublieront rien de ce qui 
peut contribuer à la propreté, à fa décence & au bon 
ordre. Des Peigneufes, fous l'infpeétion d’un Préfet, auront 
foin tous les jours d'accommoder les cheveux des Penfion- 


‘62 LE COLLEGE DE THOISSEY 


maires, des Perruquiers les friferont les Dimanches, les 
l'ètes & fes jours de congé; chacun aura fon armoire par- 
uculiere, où il fermera toutes fes hafdes, & les clefs en 
feront confites à une perfonne füre : chacun aura fes peignes 
& fes linges, qui feront mis dans des lavettes étiquetées. 

Les malades auront un appartement féparé, & un domef- 
tique particulier, & outre deux vifites que leur rendra tous 
les jours le Reverend Pere Principal, on deftinera un Reli- 
gieux qui veillera fpécialement à ce que rien ne leur manque. 

Les examens particuliers qui fe feront un jour de chaque 
femaine devant les Religicux, difpoferont les Eleves à en 
fubir, 1°. un plus étendu qui fe fera tous les derniers Jeudis 
de chaque mois; 2°. un général, & plus rigoureux, qui 
aura lieu au commencement de Septembre. On choifira 
parmi les Penfonnaires, ceux qui fe feront diftingués pen- 
dant le cours de l'année dans les différents exercices ; leurs 
noms feront infcrits fur un Programme imprimé, qui ren- 
fermera la notice des différentes fciences fur lefquelles ils 
feront interrogés ; & ce dernier exercice fera terminé par la 
diftribution des prix, qui couronneront le mérite & excite- 
ront l'émulation. Ceux de Meflicurs les Parents qui ne ver- 
roient pas les noms de leurs enfants inferits fur le Programme, 
connoîtroient facilementqu'ils n'ont pas répondu aux foinsdes 
Religieux : d’ailleurs les notes qui leur feront adreffées tous 
les mois, les inftruiront aflez des difpoñitions, des efforts, 
& des progrès fuccetBifs de leurs enfants : enfin on n'oublicra 
rien pour infpirer, par des motits de religion & d'honneur, 
non feulement l'amour de l'étude, mais encore plus celui de la 
piété. Si maluré leurs foins, les Religieux avotent la douleur de 
voir quelqu'un fe déranger contidérablement dans les mœurs, 
la prudence leur diéteroit de les renvover, toutefois après 
avoir averti Meflieurs les Parents. Cependant, pour éviter 
uncdémarche ft difuracicufe, ils avertiflentqu'ils ne recevront 


LE COLLÈGE DE THOISEY 6; 


point de Penfonnaires au deflus de l’âge de feize ans, & 
ils exigent une atteftation en bonne forme pour ceux qui 
auroient étudié dans quelque Colleue éloigné de leur patrie. 

On prie Meffieurs les Parents qui voudront confier auxdits 
Religieux le foin de leurs enfants, de leur en écrire pour 
le plus tard dès la fin du mois d’Août prochain. 

L'adreffe pour écrire à Thoifley, eft : Au Révérend Pere 
Principal du College Royal de Dombes, 4 Thoifey. 

On reçoit les paiements, foit en argent, foit en billets 
fur Paris, Lvon & Mäcon. 


OR UE 4) 


(LE 
: 
© E 
tÉ 


L'OUVRIER EX SOIE. MONOGRAPHIE DU TISSEUR LYONNAIS. Etude 
historique, cconomique et sociale, par Justin Godart, docteur en droit. 
avocat à la Cour d'appel, membre de la Société littéraire, historique 


et archéologique de Lvon. — Première partie : La réclomentation du 
travail (1466 à 1791). Un vol. gr. in-8" avec figures. Lvon : Ber- 
noux et Cumin. — Paris : Arthur Rousseau (1). 

(/ 


OILA un ivre qui comble, dans l'histoire de notre industrie 
QI locale,une lacune qu'on peut s'étonner d'v être demeuré si 
longtemps, vu l'importance du tissage des soieries à Lvon. 

Ce nest pas que déjà divers écrivains n'aient abordé ce sujet. Mais 
ils ne l'ont envisagé que partiellement, ct par quelques-uns de ses côtés. 
L'étude approfondie de l'histoire de la manufacture, avec ses progrès 
au cours des siècles, son personnel de maitres, compagnons et apprentis 
et leur vie intime, sa constitution corporative et religieuse, ses condi- 
tons de travail et ses démèlés intérieurs, ses rapports avec le dévelop- 
pement mème de la cité, etc. cette étude, instructive entre toutes, mais 
que sa complexité rendait particulièrement ardue, restait à faire. 
M. Justin Godart vient de l'entreprendre, et il s'est acquitté de sa tiche 
avec un plein succès. 

Soucieux d'établir une œuvre d'ensemble qui embrassât les multiples 
manifestations de la fabrique, et de l'établir avec Ces garanties d'au- 
thenticité qu'on exige aujourd’hui de tout écrivain qui veut étre écoutt, 


(1) Honoré d'une souscription de la Chambre de Commerce de Lvon. 


SPP RER EEE su © tr 


2 gg MN MN OURS mn rm NE ns 


BIBLIOGRAPHIE 6; 


l'auteur a recouru directement aux sources, sans se lasser jamais du 
fastidieux travail imposé par le dépouillement etJ'analvse de pièces 
innombrables. 

En plus des imprimés généralement connus ct qui ne pouvaient 
apporter qu'un assez faible appoint, le fonds si riche de la Grande 
Fabrique aux Archives communales, ceux de la Charité, de la Chambre 
de commerce et autres dépôts publics ont été compulsés, et, de cette 
préparation consciencieuse, est sorti un livre achevé, traitant à fond son 
sujet et nous donnant, du long passé de notre fabrique lvonnaise, un 
tableau vivant autant que véridique. 

La première tentative d'implantation à Lvon de la manufacture des 
soies est due à Louis XI, mais elle échoua bientôt par l'opposition du 
Consulat et des notables qui, jaloux des privilèges de la ville, ne pou- 
vaient admettre de créer, avec les deniers des habitants, — le roi avait 
exigé un impôt extraordinaire de 2.000 livres, — un établissement in- 
dustriel dont la direction restait entre les mains du roi. Les ouvriers en 
soie, déjà installés dans notre ville, furent transférés à Tours 
en 1469. 

A laide des documents contemporains, M. Justin Godart nous 
donne, sur ce premier essai, des détails extrêmement curieux et à peu 
pres ignorés jusqu'ici, tel le compte des dettes laissées à Lvon par les 
ouvriers partis à Tours. Ces dettes furent acquittées des deniers com- 
munaux, ct leur énumération présente une esquisse précieuse de la vie: 
matériclle des ouvriers en drap d'or et de soie, de 1466 à 1469. 

Nous arrivons aux lettres de privilèges concédées par François [«", 
en 1536, aux Piémontais Turquet et Nariz pour fonder à Lvon unc 
manufacture des velours dont Gènes avait le monopole. C'est l'origine 
de notre industrie du tissage des soies qui devait prendre, avec Île 
temps, un essor inouï, conquérir, par la variété ct la perfection de ses 
produits, une renommée universelle et faireenfin la gloire et la richesse 
de Lvon. : 

M. Justin Godart, en de savants chapitres, nous montre le long 
développement de la fabrique, favorisé par des circonstances de situa- 
tion particulières, et ses liaisons intimes avec le développement de la 
cité elle-mème. Il nous’introduit dans l'intérieur d'un atelier d'alors ct 
nous initie, avec la science d’un véritable praticien, au fonctionnement 
compliqué du métier à la grande ou à la petite tire. 

La réglementation, cet élément si souvent décrié des anciennes 

N: 1. — Juillet 1899. $ 


66 BIBLIOGRAPHIE 


corporations, est étudiée avec toute l'ampleur qu'elle comporte. Une 
triste constatation r@sort avec évidence : c'est que ces règlements qui, 
à l’origine, avaient pour unique but l'intérèt général et la pratique 
loyale de la profession, dégénérérent bientôt en un instrument de pré- 
pondérance injuste du maitre-marchand sur lé maitre-ouvrier, situation 
déplorable qui amena, entre autres révoltes, celles de 1744 et de 1786, 
et qui, malgré les plaintes amères des ouvriers, persista sans change- 
ment appréciable jusqu’à la fin de l'ancien régime. 

Trois chapitres entiers sont consacrés à l'apprentissage, au compa- 
gnonnage et à la maitrise : c’est dire que ces trois stages de la carrière 
du tisseur sont étudiés ici avec le mème soin scrupuleux que tout le 
reste, et que nous V trouvons la révélation de bien des faits peu connus. 

Après avoir traité des conditions ordinaires de l'apprentissage quant à 
la durée, aux formes et clauses du contrat, au droit d'inscription, à la 
limitation, aux obligations de résidence, etc., l'auteur montre l'apprenti 
vivant au fover du maître, et par un choix d'exemples empruntés aux 
registres contemporains, la situation spéciale des apprentis de l'Aumône 
générale admis gratuitement, avec droit à un gage pavé par 
maitre. 

Pour le compagnonnage, deuxième degré de la hiérarchie profession- 
nelle, nous vovons se dérouler d'abord la série des dispositions qui le 
concernent : droits de réception, billet de consentement, de congé ou 
d'acquit, le livre du compagnon, — qui a donné naissance au livret 
d'ouvrier encore usité dans Ja fabrique, — les avances, le chef-d'œuvre, 
L'auteur ensuite, fidèle à un plan qu'on ne saurait trop louer, utilise 
les documents authentiques pour placer dans son cadre et faire revivre 
sous ños veux le compagnon d'autrefois, avec le modeste budget de 
ses gains et de ses dépenses. 

La maitrise arrive enfin, couronnement envié d'une laborieuse prépa- 
ration. Si elle confère des droits, elle impose en retour certaines obli- 
gations. Les uns et les autres sont exposés avec la parfaite impartialité 
dont l'auteur ne se départ jamais. M. Justin Godart, en ctfet, est sobre 
d'appréciations personnelles, estimant à juste titre que la vérité sur les 
avantages et les défauts de Finstitution qu'il étudie se dégage d'elle” 
même des documents qu'il soumet à son lecteur, lesquels documents par 
leur grand nombre et le caractère de généralité qui en résulte, ne lais- 
sent dans l'ombre aucun point du sujet. 

Les chapitres suivants traitent du Ziacail et dés diverses questions 


A De AS ni 


BIBLIOGRAPHIE 67 


qui SV rattachent : chômages, crises, tarifs, grèves, niises à fin- 
dex, etc. 

C'est le côté religieux de la fabrique qui apparaît dans la Coufrerie 
avec ses dignitaires les courriers, sa chapelle aux Grands Cordeliers, 
puis aux Jacobins, ses cérémonies, ses ressources, sa suppression €t la 
vente de ses biens. 


Viennent ensuite : Le Bureau, son installation, ses services, ses métiers 


pour les chefs-d'œuvre; — Les Maitres-vardes avec leurs attributions, 
leurs droits de visites : — La communauté el ses luttes contre la liberté, 


la liberté ! théorie séduisante, mais au fond de laquelle nos pères ne 
prévovaient que trop l'antantissement aujourd'hui consonumé du vieil 
atelier Ivonnais; — La vie intellectuelle, les distractions, la prévovance, 
les idées religieuses et politiques ; — et enfin La vie matérielle et les budects, 
deux chapitres remplis de détails curicux sur l'existence courante de nos 
tisseurs aux deux derniers siècles, leurs fètes, leurs ébats, leur mode 
d'assistance, leurs sentiments religieux et politiques, leur condition 
matérielle d'après les budgets, etc., etc. 

On voit, par ce simple exposé, combien l'auteur à su faire la 
lumière sur toutes les parties de sa thèse, et puiser à son égard tous les 
modes d'informations. 

Le travail de M. Justin Godart comporte encore un long et labo- 
rieux complément, précieux entre tous, et dont les chercheurs de 
l'avenir lui sauront gré. C'est une bibliographie générale et un classe- 
ment méthodique, avec analvse sommaire, de toutes les pièces d'archives 
avant trait à l'histoire de la fabrique, que renferment nos dépôts 
publics et dont l'auteur s’est servi pour édifier son œuvre, Cent huit 
pages du livre sont consacrées à cette nomenclature, référence perma- 
nente qui à épargné au texte l'inconvénient de citations qui l'eussent 
fréquemment entrecoupé. 

On conçoit sans peine les services multiples que peut rendre à notre 
histoire locale un classement de cette importance. 

Des dessins et eaux-fortes de M. G. Pautet reproduisant une série de 
motifs incdits empruntés au fonds de la Grande Fabrique, donnent à 
l'ouvrage un attrait de plus. 

Deux autres volumes, actuellement en préparation, suivront celui-ci. 
Le premier, ayant pour titre : La liberté du travail, comprendra la 
période qui s'étend de la suppression dés maîtrises et jurandes à la créa- 
tion des syndicats professionnels (2-17 mars 1891 au 21 mars 1884). Le 


68 BIBLIOGRAPHIE 


second, intitulé : La liberté du travail el la liberté d’associalion, ira de la 
création des svndicats professionnels à nos jours. 

C'est donc une monographie complète de l'ouvrier en soie de Lyon 
que nous promet M. Justin Godart, la seule qui aura été écrite jusqu'à 
présent sur un plan d'ensemble aussi étendu. | 

« L'accueil que feront les lecteurs au volume que nous leur présen- 
« tons aujourd'hui nous dira si nous sommes trop ambitieux et si nous 
« devons compléter l’œuvre entreprise, » dit l’auteur en terminant la 
préface qu'il a placée en tète de son livre. Cet accucil, nous en sommes 
certain, sera digne du mérite de l'ouvrage et bien propre à encourager 
l'auteur à en poursuivre l'achèvement. Et c'est avec d'autant plus 
d'impatience que les lecteurs attendront ces études futures qu'ils 
auront pu apprécier, par le premier volume, la haute valeur d'un tra- 
vail qui restera l'une des milleurs contributions apportées depuis 


longtemps à l'histoire de notre ville. 
A. GRAND 


A MECOTE, par J. EsquiroL, Paris, Slock, 1894. 


Des convictions religicuses profondes, moins basées peut-être sur des 
motifs de raison que de sentiment, une nature facilement impression- 
nable, des tendances à la rèverie, une mollesse native et invincible, la 
haine de leflort, telles sont les qualités de quelques jeunes Lvonnais. 
L'un d’entre eux, entrainé par la logique de la Foi, Georges Desmarcs, 
le héros, peu héroïque, aspire aux sommets de la perfection, aux alpes 
mystiques où les puretés éternelles promettent fraicheur et repos, tandis 
que dans les vallées profondes, où le torrent du siècle roule li banalité 
de ses fanges, l'air manque à son âme anémice. 

Un soir, excité par le chant des rossignols, le tremblotement d'une 
etoile et l'odeur des fleurs de tilleul parfumant l'air tiède, ce jeune 
homme de vingt-deux ans sent son cœur se gonfler et des larmes 
« d'indécises émotions » coulent abondantes: puis « soudain des 
pensées qui le hantaient inconsciemment depuis des années se concré- 
térent, se précisérent, lui fondirent le cœur en un élan très doux vers 
le Dieu de cette nature pacifiante. C'en était fait, La résolution de 
Georges était prise, il serait moine. » 

De sages personnes discutent cette vocation sentimentale et de bons 
conseils Jui font ajourner ses débuts dans la vie monastique, il peut, du 


reste, Cssaver d'un noviciat moins dur, en entrant dans un grand sémi- 


BIBLIOGRAPHIE .69 


naire, et il part pour Issv, grand séminaire tvpe et modèle, dirigé par 
les Sulpiciens. Sensible et mystique, Georges ne peut s'accommoder des 
réalités de l'apprentissage sacerdotal, du prosaïsme de la discipline, de 
la monotonie de la règle, et au bout de deux mois il reconnait qu'il 
n'a pas les aptitudes voulues pour ètre prètre ou religieux. 

I rentre dans le monde, organisant sa vie librement, pour jouir de 
tous les avantages d'une existence religieuse contemplative, n'avant pu 
attéindre le pic où lime est plus près de Dicu, il ne quitte pas la 
sainte montagne ct, dd micoles Gi établit un érmitage Cgoiste où a 
ferveur de sa foi ne sera pour lui qu'une jouissance. 

Ainsi finit l'aventure psychologique de Georges Desmares. Ce livre 
est dédié à Huvsmans, maitre et ami; en cflet, il procède d'En roule, 
mais S'41 v a quelques analogies entre ces deux œuvres, elles sont plus 
dans la forme que dans le fond. Georges n'a rien de Durtal, que les 
dialogues invraisemblables et les monologues où le pour cet le contre 
plaident sans qu'il soit jamais tiré de’ conclusions. Durtal n'a pas cette 
foi enfantine, d'habitude, acquise dès l'enfance, dans Ja famille, et 
conservée puis développée par les directeurs de la maison d'enscigne- 
ment libre. Dans En roule, les mouvements désordonnés de l'âme font 
rage ; l'ennemi est derrière la porte, on ne le voit pas, mais on l'entend 
gronder de terrible façon: cette première nuit de Durtal, à la Trappe, 
comme elle est tragique, comme TF'immonde redouble ses furieux 
cforts! Avec Georges, cela n'existe pas, le lecteur en éprouve mème 
un vague étonnement, une comique inghiétude. Car dans une étude 
psychologique aussi serrée, supprimer tout simplement « le tendre 
embarras qui maigrit l'espèce humaine » ecla ne laisse pas que de 
dérouter un peu. Il faut voir là un parti-pris habile de l'auteur qui 
voulant sans doute faire un roman lonnais, à donné cette caractéris- 
tique retenue à tous ses personnages. 

Georges, Chaudier et FEcirax, tous les trois d'un mème gabarit, se 
profilent sur un ciel päle, tous les trois tiennent à 11 main une tige de 
lis symbolique, leur barbe est fluviale, et une fumée bleue, qui les 
nimbe de ses volutes, sort de leurs pipes fidèles et pudiques. 

Durtal n'est pas Lvonnais et Gcorges l'est bien, ce qui ajoute à 
A mi-côte un attrait tout particulier pour nous. 

"Ces formules empruntées à un autre auteur, par méfiance de soi- 
mème, ce masque du pseudonvme, sont choses auxquelles se con- 
damnent les écrivains citovens des quatre ou cinq petites villes confé- 


=0 BIBLIOGRAPHIE 


dérées sous le nom de Lvon; il les faut, surtout dès les débuts, pour 
échapper à l'interprétation basse, étroite ou moqueuse des pharisiens 
coudovés chaque jour. 

A mi-céle est écrit, dans un style bien personnel, clair, précis, plein 
de pensées encore plus que d'images. Comme il est convenu, dans ce 
genre-là, l'auteur ne doit pas éviter un mot trivial, si ce mot exprime 
mieux sa pensée, il ne doit pas non plus se priver de néologismes, 
mots composés, etc. L'on est déjà habitué à cette manière d'écrire et 
l'on peut sourire lorsque ces inventions sont drôles comme l'adjectif 
« alléluiatique », ou comme Île verbe « arc-en-<cieler » ; et pourtant ne 
faudrait-il pas qu'un écolier soit bien coupable pour être condamné à 
conjuguer le verbe « j'arc-en-ciclise » ? 

Les paysages sont traités en artiste ; ils sont pleins de sentiment, ces 
petits croquis, tracés avec l'acuité du terme choisi, ou aquarellés 
d'épithètes inattendues. C'est à Fourvière, sur Ja sainte colline, que 
Gcorges se promène de préférence avec son ami Chaudier et ils errent 
souvent «au hasard des routes solitaires bordées de couvents, dont les 
murailles grises faisaient planer sur le chemin le calme de leurs clôtures 
conventuelles, encadraient des portes toujours fermées que surmontaient 
des croix, des statues de la Vicrge, des Enfant Jésus soutenant la boule 
du monde; puis s'interrompaient de temps en temps sur des échappées 
de vie irréelle, des clochers, des méandres de fleuves Jaiteux, des 
épandues lointaines de plaines violettes donnant l'illusion de la mer. » 

La cathédrale et le quartiër Saint-Jean ne sont pas oubliés et ce sont 
de bonnes pages qui leur sont consacrées, par l'auteur ne traversant pas 
la Saône et ne voulant point voir Fourvière de la place Bellecour. 

Qui donc dira les aspects multiples et variés des deux fleuves 
et des deux collines, qui donc peindra la splendeur de a ville vue du 
quai des Brotteaux, la morosité des maisons trop hautes, la tristesse 
grelottante des carrefours d'hiver, la pocsie rétrospective du quai Saint- 
Clair et le merveilleux panorama qui s'étale autour du pont de la Guil- 
lotière ? Nul mieux qu'Esquirol ne le fera, il vient de donner un gage, 
et, déja peut-être, il a tracé, pendant ses nuits fécondes, les meilleures 
pages d’un second romain lvonnais. 

Qu'il en soit ainsi, et nous le couronnerons de lauriers et de lis — 


pas de mvrtes : 4 mi-cûte, promet autant qu'il a donné. 


F. BREFGHOT pu LUT. 


Chronique de Juin 1899 


SOMMAIRE. — Les morts du mois. — M. Auguste de Montgoffier. — 
Xavier Privas, prince des Chansonniers. — Arnaud-Picheran et 
« Madame Pistache ». — Les livres du mois. — «Ceux de Belfort. » 
Les « Guides » de Gil-Bert.— Les émeutes à Lvon.— Les étudiants et 


les fêtes de Thoissev, — Marchand et Baratier. — Gallieni à Lvon. 
— La Société d'enseignement professionnel. — Le congrès d'archéo- 


Jogie de Mâcon. 


JE mois doit être marqué d'une pierre noîre. S'il. 


commence par l'arrivée de Marchand, le héros 
de Fachoda, et de la mission Congo-Nil, il finit 
par le retour de Drevfus; Il s'ouvre avec les scandales 
d'Auteuil et se termine avec l’arrivée au pouvoir du cabinet 
Waldeck-Millerand et de Lanessan. S'il commence avec des 
ondées bienfaisantes, réclamées par le paysan, H s'achève 
avec des pluies torrentielles qui compromettent bien des 
récoltes. C’est donc un bilan néfaste qu’il nous faut enregis- 


72 CHRONIQUE DE JUIN 


trer. La mort y fauche bien des amis. Le 8 juin, M. Ernest 
de Chenelette meurt emporté, à 21 ans, par une longue et 
terrible maladie qui brusquement interrompt une vie qui 
_s'ouvrait devant le plus brillant avenir. 

Le 10 juin, nous enregistrons la mort de M. Auguste de 
Montgolfier, chevalier de l'ordre de St-Grégoire-le-Grand, 
ancien député, maire de St-Marcel-les- Annonay. On sait 
comment fut remplie la vie de cet homme de bien qui laisse 
après lui de si vifs regrets. Sorti avec le n° 2 de l'Ecole Cen- 
trale de Paris, il avait donné tous ses soins à continuer l’in- 
dustrie de ses frères et créé, avec son frère aîné, M. Charles 
de Montsolfier, une usine modèle dont la vieille réputation 
est universelle. 

Le 15 février 1874, il fut nommé maire de St-Marcel ct 
. l'était encore lorsque la mort est venue le frapper ; ajoutons 
que, depuis le commencement du siècle jusqu’en 1877, la 
mairie de St-Marcel avait toujours été occupée par un 
membre de la famille Montgolfier. 

En 1885, M. Auguste de Montgolfier était élu conseiller 
général d’Annonay ; en 1889 il était envoyé à la Chambre 
des Députés par ses concitoyens. | 

Il fut de 1890 à 1893 président du syndicat de la pape- 
terie française. 

Le 13 juin, mort à Vienne de M. Xavier Olibo, qui pen- 
dant 33 ans (de 1847 à 1880) avait été directeur de l’octroi 
de Lyon. 

Des travaux très remarquables sur la législation adminis- 
trative, lui avaient valu d’être nommé, en 1856, chevalier 
de la Légion d’honneur, puis officier du même ordre, 
en 1877. 

Nous apprenons de Feurs, le 15 juin, là mort de M. Lucien 
Bouchetal-Laroche, conseiller honoraire à la Cour d’appel 


CHRONIQUE DE JUIN | 73 


de Lvon, chevalier de la Légion d'honneur, ancien président 
du Conseil général de la Loire. 

Le 16 juin, une fin prématurée impressionne douloureu- 
sement le monde médical de Lyon; je veux parler de la 
mort, à l'hoissey, du docteur Francon, qu'on enterrée pen- 
dant les fêtes organisées en l'honneur du commandant 
Marchand, triste opposition des choses de ce monde : la 
fète, le deuil, c’est la loi commune. Tout le monde apprt- 
ciait l1 modestie, le savoir et la charité du docteur Francon, 
ancien interne de nos Facultés, gendre de M. le professeur 
Vignon, qui occupa longtemps avec tant d'autorité et de 
distinction la chaire de rhétorique au Lycée de Lyon. 

Enregistrons encore, le 18 juin, la mort de Mme Hubert 
de St-Didier, marquise douairière de la Verpillière, décédée 
à Lagnieu (Ain); enfin, celle de Clovis Lambert, ancien 
sous-directeur de l'Harmonie Lyonnaise, ancien directeur 
de Harmonie Gauloise, musicien consommé, artiste très 
aimé ct très apprécié dans toutes les réunions musicales. 


Mais si le monde des arts et de la musique a été pro- 
fondément affecté par la mort de cet artiste, une nouvelle 
l’a mis en joie. Notre excellent ami et compatriote Xavier 
Privas venait d’être sacré, à Montmartre, prince des Chan- 
sonniers. Le 10 juin, les amis du poète, réunis au Cabaret 
des Arts, confiaient le sceptre de la Chanson à ce chanson- 
nier exquis, lettré délicat, amant fanatique du rythme et 
de la forme, qui fit pendant tant d'années les délices du 
Caveau Lyonnais, avant d'aller conquérir les suffrages des 
poètes de Montmartre jusqu’à s’en faire élire leur roi. 


74 CHRONIQUE DE JUIN 


Qui de nous n’a connu la fière mine de mousquetaire du 
régisseur Taravel, l'enfant chéri de nos salons qui s’en 
disputaient les faveurs ? Qui ne l’a entendu, de sa voix claire, 
sonnante et mordante, marteler avec énergie ses fantaisies 
tantôt macibres, à la Villette, tantôt amoureuses, à la 
Piron ; la tête fièrement rejetée en arrière, s'accompagnant 
lui-même au piano, tourné de trois quarts vers son audi- 
toire attaché à ses lèvres. Xavier Privas secoua, il v a 
tantôt sept ans, les paperasses du régisseur Taravel, il en 
brisa x plume pour prendre celle du poète de là Chanson 
et s’envola pour Paris qui vient de le sacrer prince des 
Chansonniers, comme il avait sacré Verlaine, Mallarmé 
et Dicrx, princes des poëtes. Quelle carrière, rapidement 
couronnée de la plus flatteuse des gloires! 

Un autre artiste Ivonnais, compositeur de talent, Eugène 
Arnaud-Picheran, qui tint avec beaucoup de verve le bâton 
de chef d'orchestre du Casino et se fit applaudir si souvent 
dans nos salons pour ses compositions pleines de charme 
et de mélodie, vient d'obtenir à Paris, aux Folies-Drama- 
tiques, dont il est depuis deux ans le chef d'orchestre, un 
joli succès, le 14 juin, avec un vaudeville-opérette en trois 
actes dont il a fait la musique « Madame Pistache ». Cette 
œuvre badine à été très bien accueillie par la critique et 
marche gaillardement vers sa cinquantième. 

Après les poètes et les musiciens, passons aux hommes de 
lettres. | 

Deux livres nous apparaissent en ce mois. Je ne parlerai 
pas du troisième volume de la Nouvelle Histoire de L\on, 
de A. Stevert, œuvre monumentale que tous nos érudits 
ont déjà entre les mains. Je signalerai aux amis des lettres : 
Ceux de Belfort, de Gabriel Gerin, notre si aimable et si 
séduisant compatriote, l’auteur si goûté d’une précédente 


CHRONIQUE DE JUIN 75 


étude sur le siège de Neuf-Brisach où se couvrirent de gloire 
les moblots du Rhône, l'écrivain charmeur du Pays des Etangs 
et des Mariniers du Rhône. Le nouveau roman de Gabriel 
Gerin est empoignant .vec son style incisif, coloré, écrit 
avec une plume alerte et vigoureuse. Îl s'en dégage mème 
une haute leçon. Les mobiles de Lyon, recrutés à la hâte, 
entrent à Belfort indisciplinés, sans esprit militaire, sans 
instruction. Ils en ressortent décimés par le feu, mais 
aguerris, invaincus et triomphants. Le siève accomplit ce 
miracle ; la lutte de tous les jours à opéré cette transforma- 
tion. Voilà la philosophique leçon qui ressort du roman 
de M. Gabriel Gerin; voilà le salutaire et martial ensei- 
unement que donfent à ceux d'aujourd'hui Ceux de 
Belfort. 

Enfin, voici le nouveau guide de Gil-Bert (Jules Berlot, 
de l'Express) le Sud-Est de la France, œuvre complètement 
remaniée, transformée, complétée, qu'il nous avait déjà 
présentée, il v à un an, sous le titre de Autour de Lyon, 
en plusieurs fascicules. Edité avec le plus grand s:in par 
PS. P. A., et avec un luxe inouï, une débauche d'illustra- 
tions et de gravures, le travail de Gil-Bert est un véritable 
tour de force en son genre. 

Sur chaque pays, chaque vestige, chaque site, c’est une 
quantité prodigieuse de notes historiques, topographiques 
et pratiques, condensées en quelques lignes et présentées 
avec une clarté parfaite, un mouvement et une vie qui 
font que l'on dévore les pages comme les kilomètres. Son 
précis historique de Lvon est un travail qui se recommande 
autant aux touristes qu'aux fervents de notre histoire 
lvonnaise. 

Ceux-ci ont tenu, le 6 juin, à la Commission du Feux 
Lvon, une intéressante séance. M. Jamot v à présenté li 


76 CHRONIQUE DE JUIN 


suite de son portefeuille contenant la reproduction. des 
vieilles enseignes encore existantes. | 

MM. Gourju et Georges ont fait part à la Commission 
de leurs recherches personnelles pleines d'intérêt. Le Pieux 
Lyon s'est donc mis résolument au travail ; nous pouvons 
attendre de lui une œuvre féconde et nécessaire À notre 
histoire. 


J'ai réservé pour cette fin de chronique les faits saillants 
du mois. 

Au début, manifestations tumultueuses qui, pendant 
cing jours, livrent le quartier de Bellecour à l’émeute. 

Au lendemain du scandale d'Auteuil, qui a rendu légen- 
daire à légal de celui de Napoléon le chapeau de M. Emile 
Loubet, les étudiants de Lyon se réunissent à la Brasserie 
Fhomassin pour préparer l’organisation d’un voyage sur la 
Saône, le 18 juin, à Thoissev, à l’occasion du retour du 
commandant Marchand. 

En sortant de la réunion, monôme traditionnel et cris 
de : Vive l’Armée ! Quelques personnages, aux allures 
louches, leur répondent par les cris de : À bas l'Armée! 
Vive Loubet ! | 

TFapage ; horions et coups de cannes. Le lendemain, 
6 juin, la rue, sur un mot d'ordre venu d’en haut, est 
livrée à la populace. Il faut au monôme pacifique et patrio- 
tique d’hier, une contre-manifestation officielle. Le cri de : 
Vive Loubet! sert de prétexte à une foule venue des quatre 
coins de la banlieue où la police tolère ses chevaux de 
retour, pour envahir le centre de Lvon et créer, sur la 
place Bellecour, de véritables émeutes. Mais il était plus 


re 2 1 1 1 Os 


CHRONIQUE DE JUIN pra 


facile de faire sortir ces bandes révolutionnaires de leurs 
repaires que deles v faire rentrer. Pendant cinq jours c’est le 
désordre dans les rues, avec ses charges de gendarmerie, ses 
razzias accoutumées. 

Enfin la semaine s'achève sur une nouvelle manifestation 
au cours de la Faculté de médecine professé par M. Auga-' 
æneur, dont les étudiants n’acceptent qu'avec répugnance 
les nouvelles théories socialistes-révolutionnaires. Le cours 
de pathologie externe est suspendu le 10 juin jusqu’au 14. 
Sa réouverture se fait sans incident. 

Pendant cette semaine d’émeute, un scandale avait 
défravé les conversations, l’arrestation de M. S....., direc- 
teur-gérant d’un de nos grands magasins de Lron. M. S..…., 
est remis en liberté le 30 juin, après avoir signé sa démis- 
sion de directeur-gérant de la Société. 

Mais les étudiants de Lvon n'avaient pas perdu de vue, 
pendant la semaine d'émeute, leur projet de vovage à 
Fhoissev. 

Le 18 juin, nous les retrouvons dans la plus petite ville, 
si coquettement plantée sur les rives de la Saône, dans 
cadre le plus riant qui se puisse rèver. Ils viennent v accla- 
mer le commandant Marchand, revenant dans sa ville 
natale, accompagné des capitaines Baraticr et Germain, 
après trois années occupées à mener à bien, avec une éner- 
gie indomptable, la fameuse mission Congo-Nil, héroïque- 
ment conduite à Fachoda. Jamais je n’oublierai ces deux 
journées de fêtes splendides, où la foule des paysans, accou- 
rus de tous les coins du Beaujolais, du Lvonnais, du Micon- 
nais, de la Bresse et de la Dombes acclamait Marchand et ses 
collaborateurs, avec une joie débordante, un enthousiasme 
qui touchait au délire, où jamais note discordante ne 
troubla cette belle harmonie des cœurs. Tous se sentaient 


78 CHRONIQUE DE JUIN 


fers de serrer la main de ces héros, comme si, à ce con- 
tact, une étincelle de leur gloire, les eût, eux aussi, éclairés. 

Et ces étudiants exubérants de gaieté et de patriotisme, 
qui détellent les chevaux de la voiture pour traîner en 
triomphe le commandant Marchand au champ de foire où 
l'attend un banquet monstre de quatorze cents couverts; 
ces tables qui s’eflondrent sous les spectateurs juchés afin 
de mieux acclamer leurs héros, et ce retour du banquet à 
travers les rues de Thoissey, promenade triomphale où cha- 
cun veut encore embrasser l'ancien petit clerc de l'aimable 
notaire M. Blondel, qui perdit tant de temps à lui inculquer 
jadis, sans résultat hélas! quelques éléments de procédure. 
Marchand, pas plus que Xavier Privas, n'était né pour 
les paperasses. 

Voilà des fêtes qui nous réconfortent et nous consolent 
de bien des hontes. 

Le 27 juin, les anciens clèves de Thoissey acclamaient 
encore leur ancien camarade et Marchand se vovait de 
nouveau fêté, dans l'intimité cette fois du vieux collège, 
par des amis fiers de sa gloire. 

Une chose m'a frappé dans ces deux officiers, Marchand 
ct Baratier, avec qui j'ai vécu deux journées, celle du lundi 
surtout, tout à fait intime; c'est leur belle figure ouverte, 
crane, terriblement dure quand elle réfléchit, pleine de 
charme quand elle sourit; ces veux perçants comme l'acier, 
profonds, qui vous dévisagent, vous analvsent, vous 
detptent, noirs de jais chez Marchand, bleus chez Baratier 
comme son uniforme, des veux qui devaient fasciner, 
terrisser les chefs africains, et qui font comprendre comment 
ces 0 Eciers ont pu, sans s’en douter, accomplir de si grandes 
chose:, des veux enfin qu'on n'oublie jamais. 

Et tandis que Thoissev recevait en triomphe son enfant 


CHKONIQUE DE JUIN 79 


prodigue... de gloire. Lyon acclamait le général Gallieni, 
un autre héros, tout aussi modeste, le pacificateur de Mada- 
uascar, à la Société de Géographie. Comme Marchand, 
Gallieni est grand, élancé ; il a la tournure énergique, le 
visage froid et réfléchi de l'homme d'action. 

Le mème jour, 18 juin, M. Liard, directeur de l'ensei- 
unement supérieur, présidait à côté de M. Mangini, la 
distribution des prix aux élèves de la Société d'enseignement 
professionnel du Rhône. 

Le 20 juin, M. Liard inaugurait le muste archéologique 
installé au deuxième Ctage du palais commun aux Facultés 
de Droit et des Lettres. Autour de lui, M. le recteur 
Compayré, MM. Armand-Caillat, Isaac, Sicard, MM. les 
professeurs des Facultés ; M. Liard en a profité pour remer- 
cier solennellement les riches bienfaiteurs de l'Université ; 
MM. Mangini, Cambefort, Oberkampf, de Riaz, Isaac, 
docteur Birot. | 

Bientôt le public pourra visiter chaque semaine le nou- 
veau musée archéologique. 

Ne quittons pas nos Sociétés littéraires ! Voici l'Académie 
de Lyvon qui s’honore de recevoir dans son sein M. l'abbé 
Rambaud, MM. les D" Crolas et Marduel. 

Et revenons, pour finir cette chronique, à l'archéologie, 
à propos du Congrès d'archéologie tenu à Mâcon du 
14 au 21 juin, Congrès particulièrement brillant par Île 
nombre et la qualité des membres français et étrangers qui 
suivirent ses excursions à Clunv, à Parav-le-Monial, à 
Solutré, à Berzt, Tournus, Chälon, Autun, etc... Lyon 
ctait représenté au Congrès par ses plus éminents archéo- 
logues : M. le D' Birot qui fait au Congrès une communi- 
ation intéressante au sujet des sculptures de Pabbave 
d'Ainav, protographites en collaboration avec M. l'abbé 


50 CHRONIQUE ‘DE JUIN 1899 


Martin, MM. Pierre Richard, Jamot, Joseph Déchelette 
et Favarcq, de la Diana, y font aussi d’intéressants rapports. 
Le Congrès de Mâcon aura des conséquences importantes 
3 . , . . ; 6 
pour l'archéologie et pour l’histoire de notre région. 


Pierre VIREs. 


à RE Et 


Le Gérant : P. BERTHET. 


Lvon, Imp. Mougin-Rusand, Waltener et CF, suc", rue Stella, 3. 


SAINT NIZIER 


Panégyrique prononcé, dans son Eglise, pour sa fête 


patronale, le 16 avril 1899 


IL est permis, en fêtant les habitants du ciel, 
de rapprocher les exemples qu'ils nous ont lais- . 
sés des préoccupations de l’heure présente, si la 

piété ne se choque pas d’entendre louer des vertus antiques 

avec le ton et les expressions d’un langage moderne, l'il- 

lustre patron de cette paroisse, me semble-t-il, présente à 

l'admiration et à l’étude l’évêque populaire par excellence, 

dans la double signification étymologique du mot, l'évêque 
allant au peuple et agréé par le peuple, cher à ses ouailles, 
plus aimé encore que révéré, plus désireux d’être utile par 
sa charité que d'obtenir pour sa haute dignité les marques 
d’un respect obligatoire. On le vit affable et bienveillant, au 
moins autant que vigilant et mortifié, mais plus soucieux 

encore de nourrir les pauvres et de vêtir les malheureux ; il 

s’appliqua à combattre les ignorances et les vices de l'âme 

et il guérit les maux du corps; assidu à l’oraison, ardent à 

N° 2. — Aoùt 1809. 6 


82 SAINT NIZIER 


l’action, il fut prompt à rendre la justice aux humbles, la 
liberté aux prisonniers, la paix aux vaincus ; attentif surtout 
à diminuer les charges publiques, à briser les tyrannies 
sociales, à établir sur le travail, la fraternité et la prière, 
les bases nécessaires d’une civilisation naissant à peine, au 
souffe de l'Evangile, et lente à se constituer, dans la fusion 
des débris de la puissance romaine et des éléments du monde 
germanique, si voisins du chaos. 

Et par un retour, malheureusement trop rare, jamais 
ministère sacré ne fut entouré de plus d’honneur et de 
vénération. Les services engendraient la considération ; 
l’obéissance s’étendait avec la renommée. On ne discutait 
pas des ordres qui étaient estimés comme des bienfaits ; 
chacun s’empressait de s'engager sous la plus paternelle et 
la plus indulgente des tutelles. En contemplant cette harmo- 
nieuse entente du pasteur et du troupeau, en observant les 
heureux effets d’une union ouvertement et sans cesse pro- 
. clamée, les paroles du Sauveur viennent naturellement à 
l'esprit: sans hésitation comme sans hyperbole, on applique 
à saint Nizier et au diocèse qu'il à dirigé ce signe d’un 
sacerdoce fécond et d’une docilité bénie : Cognosco oves meas 
el CognosCunE me mer. | 

Règle essentielle de l’activité apostolique ; idéal sublime 
ct familier à la fois du prêtre catholique, averti de disposer 
des grâces, dont il est l’intermédiaire, avec une prudence 
avisce et une libéralité assez large pour gagner tous les 
cœurs. 

Pendant vingt et un ans que saint Nizier fut à la tète de 
son église, la cité Ivonnaise vécut dans cette concorde et 
dans cette félicité. Elle en goûta les charmes, elle en res- 
sentit es précieux avantages. Les crovances catho- 
liques s’affermirent et s’étendirent; les restes des supers- 


SAINT NIZIER 83 


titions idolâtriques disparurent des campagnes les 
plus écartées, où elles s'étaient isolées; le niveau de la 
moralité monta; la législation s’éclaira ; les coutumes san- 
vuinaires se réformèrent peu à peu, les institutions s’inspi- 
rèrent des maximes évangéliques et la rovauté mérovin- 
vienne, sous Childebert et sous Gontran, s’honora de mettre 
au service de Dicu ses trésors, ses trophées et ses codes. 

Le peuple, délivré de l'horreur des invasions, protégé 
contre la violence des vainqueurs, secouru dans ses maux, 
ramené à la charrue et aux sillons, instruit et guidé, attri- 
buait à son évêque les bienfaits nouveaux dont il jouissait, 
et le ciel, pour redoubler cette confiance et récompenser 
cette soumission, multipliait les miracles sur les pas de son 
envoyé; il ajoutait ainsi, à l'influence d’éminentes vertus 
et d’abondantes aumônes, l'éclat éblouissant d’une perpt- 
tuelle et mystérieuse intervention. 

Les traces et les preuves de ce tout-puissant ascendant 
sont aussi innombrables que certaines ; l’histoire, en ce cas, 
a de beaucoup précédé la légende ; elle est plus merveilleuse 
qu'elle. Un des derniers traits de la destinée de notre saint 
est en effet d’avoir eu pour biographe son petit-neveu, 
celui qu'on à surnommé le Père de nos annales françaises. 
C'est avec ses souvenirs personnels, là mémoire encore 
toute chaude des spectacles qui l'avaient frappé, la plume 
agile et exacte à reproduire les récits rapportés par des 
témoins oculaires, que Grégoire de Tours à composé la 
Vie de son bienheureux oncle et qu’il nous à laissé le por- 
trait achevé de sa physionomie aussi attachante que noble, 
moins terrible aux méchants qu'elle ne fut souriante aux 
infirmes, aux miséreux et aux opprimés. 

Avec un tel guide, on est assuré d'avance de ne pas 
glisser dans Fa banalité de louanges indécises et communes. 


84 SAINT NIZIER 


Notre appréhension serait bien plutôt d’affaiblir les couleurs 
du tableau et de ne parvenir qu'imparfaitement à en repro- 
duire les traits, dessinés avec tant de sincérité et d'émotion 
filiale. | | 

Je crois légitime d’expliquer par la bonté le crédit et la 
popularité de saint Nizier; elle nous livre le secret de son 
action sur son diocèse, du succès de ses prédications, de 
l'efficacité de ses prières, du don mème des miracles qu'il 
portait partout où il allait et dont ses cendres furent 
longtemps honorées. 

La bonté fut sa vertu de naissance, de prédilection et de 
grâce, le fond de sa nature, l'inspiration de sa conduite, la 
source intarissable de ses largesses et de ses prodiges. 
Prenez la peine de le suivre dans la demeure paternelle, au 
milieu des siens, sur son trône épiscopal, dans le tombeau 
où il fut enseveli avec tant de larmes et de regrets, partout 
il est constant avec lui-même: enfant humble, prélat bienfai- 
sant, thaumaturge secourable, il tire sans cesse de son cœur les 
trésors d’amabilité, de compassion, de dévouement et de 
miséricorde dont il surabonde; personne n’accourt vers lui, 
sans être exaucé dans sa requête, protégé dans son inno- 
cence, soulagé dans sa faim, encouragé dans ses espérances 
et dans ses vœux. A l’école du grand Apôtre, il s'est 
fait tout à tous et il les gagne tous à Jésus-Christ : jusque 
par delà les portes de la mort, tout poudre que son 
cadavre est devenu, il ne peut demeurer insensible aux 
plaintes de sa clientèle accoutuméce qui lassiège : il sèche 
les pleurs, il redresse les membres, il chasse les démons. 
Voilà le modèle des évêques, le plus tendre des pères, le 
plus compatissant des intercesseurs. Caractère, œuvres, 
prodiges, tout révèle dans ce célèbre pontife le parfait imi- 
tateur du Maitre qui a dit : « Venez tous à moi et je vous 


Lt me 7 


SAINT. NIZIER 55 


soulagerai. » Sa vie entière n’a été que l1 reproduction 
ininterrompue de cette parole ct de cet exemple divins. Je 
m'arréterai, dans son cours, aux épisodes les plus saillants 
et vous en serez de plus en plus convaincus. 


Lorsqu'il prit possession de la chaire fondée par saint 
Pothin, arrosée du sang de plus de vingt mille martyrs, 
illustrée par la science d’Irénée, les austérités de Just, l’élo- 
quence d’Eucher, la sainteté de vingt de ses prédécesseurs, 
placés sur les autels, Nizier touchait à sa quarantième 
année et il acceptait avec simplicité une dignité qu'il n'avait 
pas recherchée. Sa personne aussi bien que son éducation, 
ses études comme ses vertus, son humilité, sa réserve et sa 
piété annonçaient qu'il serait un homme d’Eglise et un 
défenseur de la cité, tel que la Providence les choisit aux 
heures critiques et les donne aux nations qu’elle aime. 

J'ignore si nos ancêtres le connaissaient et l'avaient vu; 
il était né à Genève et sa jeunesse s'était écoulée en Bour- 
gogne. Mais ce qu'ils apprirent de sa famille, de son 
caractère, de ses habitudes, l1 recommandation que le 
vénérable évêque Sacerdos, dont ils pleuraient le trépas 
récent, en avait faite, suffit amplement à les rassurer. L’élu 
s'offrait à eux avec les marques évidentes d’une vocation 
d'en haut, orné des dons les plus propres à lui en faciliter 
les devoirs et à lui concilier toutes les sympathies. 

L'étoile des prédestinés avait brillé sur son berceau et 
une guérison inattendue, au sortir de l'enfance, avait 
permis d’augurer qu’à son endroit les plus ambiticusces 
espérances maternelles ne seraient pas déçues. Ce double 


86 SAINT NIZIER 


récit vaut la peinc d’être reproduit; les intentions célestes 
s’y dévoilent avec le plus gracieux intérêt. 

Les parents du futur prélat de Lugdunum, Florentius et 
Artémia, attendaient sa venue prochaine en ce monde, 
quand les Genevois perdirent leur propre pasteur et déci- 
dèrent de le remplacer par le sénateur Florentius lui-même. 
Une pareille élection, extraordinaire à nos yeux, n'avait 
rien d'insolite et d’anormal dans ces âges reculés; on voyait 
assez fréquemment ces passages subits de la famille au 
sanctuaire, de l'administration de vastes domaines au gou- 
vernement ecclésiastique. Le roi Sigismond avait ratifié le 
vote, et le candidat un peu involontaire n'avait pas refusé 
son consentement. Mais 1] avait compté sans l’émoi et les 
résistances de sa femme. Dès qu’elle eut appris le projet, 
elle le combattit avec sa raison et avec ses pleurs et finit par 
dire à l'époux ébranlé : Abandonnez, je vous en prie, votre 
dessein; repoussez la dignité qui vous est offerte par la cité. 
Je porte dans mon sein le fils que vous m'avez donné; c’est à 
lui qu'ilest réservé d’être évêque. Le Gallo-Romain s’inclina 
devant cette prophétie, comme Abraham s'était rendu à la 
voix de Sara, et quand enfant vit le jour, on l'appela 
Nicétius, le victorieux, voulant bien signifier par là ses 
triomphes à venir sur la chair et sur le siècle, mais pour 
rappeler aussi que la tendresse conjugale lavait emporté, 
en cette circonstance, sur l'engagement pris avec des conci- 
tovens dont les désirs furent impuissants à séparer ce que 
Dieu avait précédemment uni. 

Au seuil de l'adolescence, on eut à redouter que l’oracle 
fût brutalement démenti par la mort. Un abcës infectieux, 
pustula mala, comme s'exprime lhagiographe, envahit la 
face du petit malade ct bientôt son état fut désespéré. 
Artémia s'adresse àtousles saints du paradis, mais surtout, 


SAINT NIZIER 87 


plongée dans les plus affreuses angoisses, clle invoque le 
crédit de saint Martin. Depuis deux jours l'enfant était 
sans regard et sans voix, la pauvre femme songeait aux 
apprêts funèbres, lorsque tout à coup l’agonisant ouvre les 
yeux et réclame sa présence. Elle accourt. « Que me veux-tu, 
mon fils, demande-t-elle. Cessez de craindre, lui répondit- 
il; le bienheureux Martin a tracé sur mon visage le signe 
de la croix et il m'a ordonné de me lever. » A ces mots il 
s'élance hors de sa couche; tout malaise a disparu. Il lui 
resta néanmoins sur la joue une cicatrice, comme témoi- 
gnage du danger qu'il avait couru et de l’opportune inter- 
vention qui l’eh avait délivré. 

-Cependant l'heure des leçons sérieuses approchait ct 
l'avenir présageait trop de grandeur et de fortune au fils, 
pour que la mère ne jugeât pas indispensables, et le plus tôt 
possible, une discipline rigoureuse et une instruction éten- 
due. Le portrait que Grégoire de Tours, son arrière-petit- 
fils, nous à tracé de cette patricienne distinguée, nous la 
montre non moins dévouéc que vigilante, unissant dans sa 
maison l'ordre et l’activité, très résolue à ne pas sacrifier 
la moindre parcelle d’une autorité qui était, entre ses mains, 
aussi ferme qu'absolue. Frappée par un veuvage préma- 
turé, elle suppléa à l'absence du chef de famille, et dans 
ses immenses exploitations agricoles, comme dans son 
intérieur, tout marcha sous l'impulsion de sa haute intelli- 
vence et de sa décisive volonté. 

Mais il semble que Nizier ait obtenu, sur son frère ct 
sur sa sœur plus âgés, une part privilégiée de sollicitude, 
quelques marques plus sensibles de cette tendresse si 
tveillée et si respectueusement nourrie. 

Que de fois, le long des siècles, nous apercevons ainsi 
l'âme des saints les plus originaux tenir d’une mère, 


88 SAINT NIZIER 


presque leur égale, le meilleur de leurs inspirations, de leur 
perfection et de leur générosité ; on rencontre jusque dans 
les plus libres inventions de leur génie, dans les coups 
audacieux de leur héroïsme, dans l'initiative de leur ardent 
mysticisme, l'empreinte. ineffaçable des leçons et des 
caresses reçues dès le berceau. Mère par la transmission du 
sang, la femme chrétienne le devient une seconde fois par 
la loi de la grâce, avec ce je ne sais quoi d’achevé et de 
divin que Je christianisme communique à tout ce qu’il 
touche et à tout ce qu'il sanctific. 

Artémia, qu'il n'est pas déplacé de proposer comme un 
modèle, n'épargna rien et entendit bien que son fils fût 
formé à la science comme à la vertu. Elle ne redouta pas 
pour lui un excès d'application ct un surcroit écrasant de. 
peinc; elle s’ingénia plutôt à lui rendre l'application facile 
et la peine agréable. Des précepteurs distingués, des écoles 
florissantes cultivèrent sa raison et l’initièrent aux connais- 
sances les plus relevées des lettres profanes et de l’antiquité 
sacrée. Les progrès physiques ne furent pas moins surveil- 
lés que le perfectionnement intellectuel et moral; selon 
la remarque de son historien, le travail manuel lui fut 
imposé et dans une tâche quotidienne, en fatiguant son 
corps, on lui apprit à le vaincre autant qu'à lassouplir. On 
eut soin surtout, dès le commencement de cette éducation 
et jusqu’à son couronnement, d'envisager l'avenir et de 
veiller à ses spéciales exigences. La vocation ecclésiastique 
sans doute doit être libre, débattue et décidée par la cons- 
cience; mais il. n’est que sage de la prémunir contre les 
tentations capables de l’ébranler et de la tenir à l'abri des 
orgucils ou des lâchetés, qui la rendraient plus funeste 
qu’utile, odieuse et criminelle même. 

Les Saintes Lettres devinrent la lecture la plus chère et la 


SAINT NIZIER 89 


plus assidue du docile écolier; il se plaisait à en confier le 
texte à sa mémoire et les maximes à son cœur: il en 
approfondit le sens; il en goûta les suaves beautés, il en 
adora les impénétrables mystères. Le livre des Psaumes fut 
surtout pour lui un compagnon de toutes les heures, de 
la nuit et du jour; il se pénétra des sublimes accents de la 
poésie de David et jusqu’à la fin de sa vie, il se surprendra 
à interpréter ses émotions et ses sentiments personnels avec 
les paroles du saint roi ; il lui empruntera, avecun à propos 
toujours nouveau et une familiarité toujours récompensée, 
les gémissements de sa pénitence, les cris de sa détresse, ses 
plaintes dans l'épreuve, ses chants de triomphe pour l'Eglise 
et pour le Christ. 

Le jeune clerc croissait donc en âge autant qu'en sagesse, 
scus les bénédictions de Dieu et aux applaudissements 
des hommes. Le moment arrivé de lui conférer la prêtrise, 
il n'y eutqu'une voix pour le proclamer prèt à cet honneur. 
Il était seul à déplorer une insuffisance qui l’épouvantait ; 
il tremblait de se sentir évidemment trop faible devant un 
fardeau redoutable aux anges eux-mêmes. 

Le saint évêque, qui lui imposa les mains, rassura cette 
timidité, en louant la délicatesse des ses scrupules et la 
pureté de ses intentions. Ce ne fut pas du reste un mince 
avantage pour votre patron paroissial de recevoir l’ordination 
d’un pontife aussi exemplaire que le bienheureux Agricola. 
Sous la couronne de ses cheveux blancs et avec les mérites 
d’une carrière, déjà longue et bien remplie, l’évêque de 
Châlon-sur-Saône était une des lumières de la Gaule ; il 
conseillait ses rois, il dirigeait ses conciles et partout il 
laissait sur son passage quelques traces de son zèle, de son 
éloquence ct de sa miséricorde. Ainsi, avec l'onction, Nizier 
recueillit ces grâces particulières et transmissibles qu’une 


90 SAINT NIZIER 


éminente sainteté porte en elle et communique à ceux que 
ses charmes ont déjà conquis et engagés dans la lutte contre 
le monde et dans limmolation d'eux-mêmes. Plus tard si 
la nature à des défaillances, les croix trop d’accablantes 
pesanteurs, l'esprit de troublantes incertitudes, Nizier se 
retournera vers les souvenirs de son initiation sacerdotale ; 
dans l’image même de son consécrateur il apercevra le 
symbole vivant des sacrifices et des joies de sa propre con- 
sécration, à quelle hauteur elle l’a placé, ce qu’ellecommande 
d'abnégation, de labeur et d’humilité. 

Sa famille eut les prémices d’un ministère aussi provi- 
dentiellement inauguré; il paraît même avoir circonscrit à 
clle seule son activité et son influence. Mais le champ était 
vaste et plus que suffisant aux forces les plus entreprenantes. 
Les domaines étaient considérables, les fermes nombreuses ; 
colons, serviteurs et serfs, femmes et enfants formaientune 
population très dense et très disséminée. Le cercle domes- 
tique constituait une paroisse importante à desservir. 

Les enfants occupèrent spécialement l'attention du nou- 
veau prêtre, du jeune curé. A leur profit, il se transforma 
en maître d'école. Bientôt il eut groupé autour de lui des 
lecteurs et des choristes exercés : dans l1 maison, comme 
dans un cloître, le chant des psaumes retentit, pour ainsi 
dire, sans interruption et, quand les lèvres étaient silen- 
cieuses, les esprits se plongeaient dans la méditation des 
versets qu'on avait retenus. | 

La villa seiwneuriale prit les allures d’un couvent bien 
discipliné ; la prière sanctifia le travail ; la charité régla les 
rapports sociaux ; la justice rendit à chacun l'usage de ses 
droits et le salaire de sa peine ; l’autorité conserva le 
commandement, l'obéissance le mérite de lexécution ; la 
pauvreté fut assistée, la vicillesse entourée, la maladie 


SAINT NIZIER 91 


comblée des consolations qui en dissipent Îles angoisses et 
les privations. Le Décalogue fut promulgué comme l’uni- 
que loi pour tous ; l'Evangile devint le livre où l'enfant 
apprit à lire, l’homme à vivre, le chrétien à mourir. La 
religion eut une voix toute-puissante : sous le joug de ses 
préceptes et.de ses dogmes, elle courba tous les fronts et 
enchaina toutes les consciences. Sous ce toit béni, on ne 
forma plus qu’un cœur et qu’une âme, et pendant quel- 
ques années, dans ce coin de terre bourguignonne, à lom- 
bre de la croix, on put croire que l'idéal du christianisme 
originel était ressuscité. 

L'affection et la partialité du sang ne décidèrent donc 
pas exclusivement Sacerdos à solliciter de Childebert Nice-. 
tius pour héritier de son siège. Le métropolitain de la Lugdu- 
naise, en assistant aux premières sessions du synode de 
Paris, venait de juger à quels périls et à quelles souf- 
frances était exposé un troupeau abandonné à un merce- 
naire silavait sans doute aussi contribué à faire remettre 
la houlette de saint Denis à saint Germain, abbé d’Autun, 
fondateur sur la rive gauche de la Seine de la savante. 
abbaye qui perpétua son nom : il désira naturellement un 
bienfait identique pour la région qui lui était plus chère 
encore et son neveu lui parut le plus digne. « Vous savez, 
dit-il au prince qui le visitait sur son lit de mort, que j'ai 
été pour vous un serviteur fidèle, et quelle ponctualité j'ai 
mise à vous soutenir en toute occasion ; ne me laissez pas 
partir d'ici-bas avec l’amertume d’une prière repoussée. 
Accordez à mon Eglise, pour chef et pour père, le fils de 
mon frère ; c'est un prêtre chaste, dévoué aux églises, 
miséricordieux aux pauvres ; ses œuvres Ct ses MŒUrS, 
dénoncent en lui un des plus honorables serviteurs du 
Christ, » « Que la volonté de Dicu soit faite ! » répondit 


92 SAINT NIZIER 


Childebert. « Fiat voluntas Dei ». L'élu, le clergé et le 
peuple répétèrent, entre Rhône et Saône, la même parole, 
le premier pour s’incliner dans une modeste obéissance, 
les seconds poyr se réjouir du présent qui leur était échu. 


On remarquait dans cette élévation tant de signes qui 


l'avaient fait pressentir et préparer, tant de mérites qui 
l’expliquaient, tant d’espérances qui présageaient des mer- 


veilles plus grandes encore, qu’on se plut immédiatement 


à la regarder comme le plus signalé des bonheurs. On fut 
unanime à attendre d’elle des jours pleins de paix et un 
gouvernement abondant en progrès et en bénédictions. 


' 


La puissance épiscopale au vi‘ siècle, alors que l’élu de la 
royauté franque et de nos aïeux courbait les épaules sous le 
poids de ses responsabilités, était plus prépondérante 
que jamais. Elle embrassait non seulement le gouvernement 
spirituel qui lui était immédiatement dévolu, mais le plus 
souvent elle suppléait à l'autorité des fonctionnaires, au 
silence des lois, à l'absence de la force publique. Elle veil- 
lait à la sécurité de la cité, à ses finances, à ses approvision- 
nements mêmes. Intérèts privés et publics, familles et pro- 
vince, agriculture et pédagogie, tout s’appuyait sur elle, tout 
évoluait à son ombre. Sa crosse n'avait pas la pointe acérée 
du glaive, mais ses coups intimidaient les plus intrépides et 
contenaient les plus violents. Ses richesses territoriales lui 
permettaient enfin de subvenir aux disettestrop communes 
et de nourrir des troupes d’affamés, immatriculés sur ses 
reuistres, et ne vivant que de son assistance. L'intensité de 
la foi, le désir du salut éternel achevaient d'élever le reprt- 


ne, — um 


A Gr qd den ee Ne et 


SAINT NIZIER 93 


sentant du Christ, le successeur des Apôtres, au-dessus de 
toutes les magistratures et de toutes les dignités ; ils avaient 
créé à son. profit une domination à peu près sans bornes et 
sans contre-poids. 

Mais les âmes, bonnes par réflexion et par nature, ne 
montent qu’afñin de mieux se répandre, semblables à ces 
sources jaillissantes qui tombent de haut en écartant la 
masse de leurs eaux. Le dévouement chez elles s’accroit à 
proportion de leur autorité. Notre métropolitain en est un 
exemple frappant et, dès la première heure de sa trop courte 
carrière jusqu'à la fin, il n’usera des droits de $a charge, de 
ses prérogatives et de ses revenus qu’en faveur de ses subor- 
donnés ; selon la belle parole de saint Augustin, 1l songera 
beaucoup moins à commander qu’à servir : plus prodesse 
quam praesse. I sera plus utile qu'impérieux. 

La prière pour son peuple prendra le principal rang dans 
ses occupations; il ne cessera d’être le plus actif et le plus 
vigilant des intercesseurs et dans cette piété, aussi pure que 
désintéressée, on rencontrera une haute leçon et une source 
d’abondants mérites. Un de ses hagiographes, l’anonyme, 
nous le dépeint précédant constamment son clergé à matines 
et ne laissant à personne le soin d’entonner cet ofhce noc- 
turne. Son assiduité au chœur ne se relentira jamais; on lv 
admirera toujours attentif et toujours recueilli; on enten- 
dra, dans sa voix, passer toute l'émotion d’une âme nourrie 
des plus saintès méditations et familiariste avec le sens des 
psaumes et des antiennes. Il fera partager autour de lui son 
voût pour les cérémonies; les solennités se célèbreront 
avec plus de pompe; la musique sera remise en honneur et 
mieux exécutée et, dans son épitaphe même, le marbre le 
louera de ces réformes intelligentes, favorables à l’ordon- 
nance des rites et agréables à la foule. 


94 SAINT NIZIER 


Psallere pracepit normamque tenere canendi 
Primus et alterutrum tendere voce chorum. 


C’est de la faveur d’en haut du reste, plus que des 
hommes, qu'il implore habituellement les secours opportuns, 
afin de soulager les misères publiques, lutter contre les fléaux 
dévastateurs, dissiper de vaines alarmes, mettre un peu de 
vaillance et de paix dans les esprits, de productives semences 
dans les champs. Il combat le découragement, la paresse, 
les superstitions fatalistes par les lumières de la foi, les 
raisonnements du bon sens, les inventions d’un culte plein 
de confiance en une Providence paternelle. Quand une 
sécheresse, telle qu'on ne se rappelle pas en avoir éprouvé 
depuis les âges les plus reculés, brûle sur pied les moissons 
et dévore la graine du raisin, le pontife convoque les popula- 
tions rurales à des litanies et à des pèlerinages ; il prend la 
tête des cortèges qui promènent, dans les campagnes désolées, 
les reliques des saints et les supplications des affigés; il 
commande avec un crédit, au moins égal à celui du prophète 
Élisée, aux nuées de répandre leur fécondante pluie. 

Il agira de même pendant les rigueurs d’un hiver qui 
mêle les angoisses de la famine au supplice d’un froid into- 
lérable ; il ne s’arrète pas de gémir sur les péchés qui attirent 
de semblables châtiments et il compatit avec la plus libérale 
tendresse aux maux dont il désirerait supporter exclusive- 
ment le poids. Tantôt c’est une épizootie effroyable qui 
répand la mort et la ruine dans les étables ; tantôt c’est la 
peste qui atteint les hommes après les animaux ‘et qui, 
annoncée par une comète fantastique, paraît ôter à chacun 
l’espoir de lui échapper et le remède pour s’en guérir. Plus 
la consternation est universelle, plus lintrépidité de sunt 
Nizier se soutient et s’afhrme. Il ne compte ni avec les 


SAINT NIZiER 95 


fatigues, ni avec le danger ; il est partout où sa présence est 
utile, ses exhortations agréables, ses aumônes nécessaires. 
Mais si la charité le guide, son esprit surnaturel ne relâche 
rien de ses inspirations familières ; ilne quitte le chevet des 
moribonds que pour s’agenouiller au pied des autels ; 
pendant des nuits entières, il y verse d’abondantes larmes 
capables de fléchir les plus légitimes colères; il s'offre lui- 
mème comme victime, il supplie que ses ouailles soient 
épargnées et il voudrait détourner sur sa tête toutes les 
horreurs de l’épidémie et toutes ses calamités. 

Se rappelant ce que l’archevèque de Vienne avait fait, 
dans des conjonctures aussi terrifiantes, et combien les Roga- 
tions solennelles, qui précèdent l’Ascension, avaient obtenu 
de merveilleux résultats, il en établit des secondes au com- 
mencement de novembre, aux jours dangereux de l’automne, 
touchant à son terrae, et il demanda à un concile d’en sanc- 
tionner le maintien perpétuel. L'institution n’a pas survécu, 
comme celle de saint Mamert; mais si peu qu’elle ait duré, 
elle témoigne que, dans cette circonstance comme dans 
toutes les autres de sa carrière laborieuse, le prélat fut préoc- 
cupé de sauvegarder les intérèts, la santé, la prospérité de 
ses concitoyens, et qu'il tint à associer de plus en plus indis- 
solublement les bénédictions divines à la sécurité de cette 
terre, la grâce à nos épreuves, le sourire céleste au bien- 
être matériel. Il citait à propos les assurances de l’apôtre 
saint Paul et il lui plaisait de se persuader que la religion 
n'est pas une ouvrière inactive de la paix et de la fortune 
sociales ; ses promesses, qui regardent surtout l'éternité, 
ne sont Jamais tout à fait étrangères aux labeurs et aux 
récompenses d’ici-bas. 

Il se rencontra un jour où le père dut céder la place au 
juge et instruire contre deux de ses disciples, devenus ses 


96 SAINT NIZIER 


collègues, un procès qui mettait en conflit les intérèts des 
fidèles et de l'Eglise avec le penchant de sa tendresse et les 
désirs de sa mansuétude. Il n’hésita pas cependant ; la justice 
est encore une forme de la bonté et défendre la bergerie contre 
la rapacité des loups est une obligation non moins rigoureuse 
que celle de la mener dans les plus gras piturages. Nous 
aurions volontiers jeté un voile sur des faits où le scandale 
part du côté même où l’on attend l'édification et la dignité 
de la conduite ; mais notre silence ne couvrirait rien; l’histoire 
a depuis longtemps enregistré ces fautes. Il est plus franc et 
plus simple de laisser à chacun la responsabilité de ses actes : 
la pureté de la doctrine n’en est pas atteinte, ni la sainteté 
de la morale chrétienne éclaboussée. Il me semble au con- 
traire que la douce figure de votre patron grandit et s’illu- 
mine encore, lorsqu'on connaît mieux les mœurs barbares 
de quelques-uns de ses contemporains et qu’on est ren- 
seigné sur les vices qui les souillaient et sur les infamies 
dont ils se rendaient coupables. 

Deux clercs de l’école cathédrale, Salonius et Sagitta- 
rius, avaient été appelés, le premier sur le siège d'Embrun, le 
second sur celui de Gap. Mais il eût été davantage dans 
leur caractère et dans leurs goûts, au lieu de la mitre, de 
coiffer un casque militaire. On fut en effect, bientôt après 
leur consécration, étonné d’apprendre qu'ils étaient, tous 
les deux, aux côtés du duc Mommole dans son expédition 
contre les Lombards. Leur vaillance et leurs coups d'épée 
n’excusaient pas l’incorrection de leur présence dans les" 
rangs de l’armée. Rentrés chez eux et, pour continuer le 
métier qui les avait enchantés, ils organisèrent une attaque 
de bandits contre l'évêque de Saint- Paul - Trois - Chi - 
teaux. Ilsenvahissent sa demeure, massacrent ses serviteurs, 
brisent son mobilier, vident ses celliers et l’accablent lui- 


SAINT NIZIER 97 


mème.d’injures et de coups. Leur audace criminelle n’a pas 
de bornes : au dire de Grégoire de Tours, pillage, incendie, 
meurtre, adultère sont pour eux des forfaits quotidiens et 
ils portent jusque dans le sanctuaire les souillures de leurs 
orgies et l’impudence de leurs blasphèmes cyniques. Ceux 
qui osent les blimer sont fouettés ignominieusement et ils 
protègent par Ja terreur qu'ils inspirent les brigandages 
qu'ils commettent. 

À la fin, le roi Gontran s’'émeut; l’indignation publique 
éclate et ne permet plus de différer leur mise en accusation. 
Ils comparaissent devant le synode assemblé à Lyon; 
quatorze évèques y prennent part ou bien y sont représen- 
tés; parmi eux on compte le vénérable métropolitain de 
Vienne, Philippe, Agricola de Chälon et le fameux Siagrius 
d'Autun, si cher au Saint-Sièce. Tous sont unanimes 
à déclarer déchus de l’épiscopat ces malheureux qui en ont 
vraiment usurpé le titre, quand ils n’en possédaient aucune 
des qualités et n’ont su en remplir aucun des devoirs. 
Nizier, qui préside, intervient alors; songeant au salut des 
pécheurs, sans hésiter à condamner leurs fautes, il propose 
qu'ils soient enfermés dans un monastère : il avait l’inten- 
tion par cet emprisonnement adouci, en les empêchant de 
nuire encore, de ménager leur conversion, heureux s’il eût 
été écouté et si d’autres conseils n’eussent prévalu pour se 
leurrer d’un repentir hypocrite et croire même à une inno- 
cence plus suspecte encore. 

Après cette catastrophe, qui troubla sa conscience et Île 
blessa dans son honneur, le généreux archevèque se ren- 
ferma de plus en plus dans sa mission pacificatrice et s’inclina 
avec une abnégation plus indulgente. vers les infirmités 
qui l’entouraient. Evitant les conflits, fuvant tout apparat 


de grandeur, on ne l’entendit désormais commencer une 
N° 2. — Aoùt 1899. 7 


98 SAINT NIZIER 


réprimande que pour la terminer par le plus prompt des 
pardons. Il fut de plus en plus empressé à exercer les 
devoirs de l’hospitalité et plus que jamais il vida ses trésors 
dans les mains des indigents; il°ne chercha plus à s’enri- 
chir, nous dit-on, qu'avec les largesses qu'il distribuait. 

Il ne touchait pas encore aux premières limites de la 
vicillesse et déjà les ombres du tombeau l’enveloppaient ; 
on se promettait de jouir longtemps de ses bienfaits et de 
ses vertus, tandis que Dieu se préparait à les couronner. 
Le 2 avril $73 termina brusquement ce nrinistère si avanta- 
geux au bien, si cher à la cité et à tout le diocèse. Vingt 
ans avaient suffi au moins ambitieux et au plus charitable 
des pontifes pour conquérir, au ciel et dans les cœurs, la 
plus sûre immortalité. 


HI 


pa 


À peine ce père vénéré des fidèles a-t-il fermé les yeux, 
que l’opinion publique, n'étant plus retenue par la crainte 
d'offenser sa modestie, transforma les chants de deuil en 
des hvmnes triomphales et commenca, de son propre mou- 
vement, une canonisation improvisée et enthousiaste. 

On vante ses mérites, on publie ses aumônes, on rappelle 
sa complaisance ; on cite ses miracles. Toutes les bouches 
répètent qu'il fut « un homme d’une sainteté accomplie, 
d'une exemplaire continence, d’une exquise charité ». Ses 
prètres le pleurent et le prient ; ses serviteurs lensevelis- 
sent et linvoquent comme un intercesseur infullible. Pen- 
dant ses funérailles, de la maison où il est mort à cette 
basilique où il fut enterré, on arrèie cent fois le cortège, on 
carte les diacres en aubes blanches, on se suspend au 


SAINT  NIZIER 99 


brancard funèbre pour contempler ses traits une dernière 
fois, baiser son vêtement et obtenir des guérisons déses- 
pérées. On n'assista jamais à une explosion de regrets plus 
universels et nulle part le culte d’une mémoire sacrée ne 
fut inauguré par un accord plus sincère et plus touchant de 
toutes les classes des citoyens. 

Mis cette popularité, loin de cesser après la fermeture 
du tombeau, redoubla d'année en année et s’accrut de pro- 
diges en prodiges. Il n’v aurait aucune exagération, je 
pense, à la comparer, au moins pour nos contrées, au con- 
cours et aux merveilles dont la basilique martinienne de 
Tours était le théâtre. Nos ancêtres possédaient aussi leur 
thaumaturge, Lyon et la province le palladium de leur 
sécurité et de leur bien-être. Le pontife compatissant, qui 
n'avait pas su repousser les bras qui se tendaient vers lui, 
ni se montrer insensible aux misères qu’il rencontrait sur 
son chemin, désormais entré dans la gloire de son éternité, 
voulait être plus favorable encore aux suppliants et ne pas 
les renvoyer, sans avoir allégé leurs maux et répondu à 
leurs prières. De toutes parts on accourait vers lui chercher 
sa délivrance, un terme à d’incurables infirmités, le calme 
pour des esprits gn fureur, le remède à des convulsions 
douloureuses, la vigueur pour des membres languissants. 

Un témoin contemporain a rapporté que des multitudes 
immenses affuaient auprès de ces cendres bienfaisantes, 
comme un bourdonnant essaim d’abeilles vole autour de sa 
ruche. Chacun se pressait pour emporter quelques gouttes 
de la cire dérobée aux cierges qui brûlaient à l’entour, ou 
bien de la poussière prise à la pierre sépulcrale, quelques fils 
des étofles d'or et de soie qui là recouvraient. Les dévots 
semaient le parvis d'herbes odoriférantes et de verdure 


fraiche ; les captifs abandonnaient leurs chaines rompues 


100 SAINT NIZIER 


et la masse de ces lourds anneaux, qui avaient étranglé le 
col de ces malheureux, meurtri leurs chevilles et leurs poi- 
gnets, s'élevait comme une pyramide de fer, ex-voto terri- 
ble et touchant à la fois. Des lampes ardentes descendaient 
de la voûte, et on fut étonné, en plus d’une rencontre, de 
les voir brûler durant toute une quarantaine, sans qu'il fût 
nécessaire de renouveler lhuile qui ne s’épuisait pas, ni la 
mèche qui n’était pas consumée. 

Cependant les manifestations surnaturelles se renouve- 
laient sous le regard des assistants agenouillés, criant leur 
misère et mélant, dans une confusion inexprimable, leurs 
plaintes et leurs cantiques d’allégresse. Les boiteux repre- 
naient l’usage de leurs jambes, les aveugles la lumière de 
leurs veux. Les paralytiques étaient redressés, les fiévreux 
apaisés, les énergumènes délivrés, les démoniaques rendus 
à eux-mèmes. Le prêtre Jean atteste, sous serment, à 
Grégoire de Tours qu'en sa présence trois personnes avaient 
recouvré la vue et le diacre Aigulfe, revenant d’un pèleri- 
nage à Rome et à Constantinople, après avoir visité le saint 
tombeau et avoir assisté aux édifiantes scènes qui s’y dérou- 
laient, se répétait à lui-même : « J'ai bravé la fureur des 
flots, je suis descendu dans les cryptes des martyrs de l'Orient, 
mais dans le trésor que je rapporte, je n'aurai rien de plus 
précieux que les reliques de ce saint confesseur de nos 
Gaules. » 

Le bruit de cette puissance extraordinaire se répandit au 
loin et bientôt les clients de saint Nizier se propagèrent dans 
tous les lieux où l’on eut la bonne fortune de posséder et 
d’honorer un peu de ses dépouilles. 

Sa ville natale fut la première à bénéficier d’un présent 
aussi envié. Genève Île reçut au chant des psaumes ; on le 
porta en procession avec la plus pompeuse cérémonie; à tant 


SAINT NIZIER IOI 


de supplications ardentes et de débordante joie, le ciel répon- 
dit en guérissant des aveugles et des boiteux. 

L'évèque de Troyes, Gallomagnus, sollicita la même 
faveur ; il l’obtint et au jour de l'octension, plusieurs malades 
recouvrèrent la santé; depuis une église magnifique, encore 
debout, s’éleva pour célébrer la mémoire du bienfaiteur et 
du bienfait. 

À Autun la renommée avait seulement apporté le bruit 
de ces faits sensationnels et un diacre, qui avait été frappé 
d'une ophtalmie aiguë, disait un jour à ses amis : « Si au 
moins il m'était possible d'aller prier sur cette tombe chérie, 
si j'avais une parcelle de ce saint corps, une frange de la 
tunique qu'il a portée, assurément ma confianec ne serait pas 
trompée, ni mes larmes inutiles. » On lui otirit alors le 
manuscrit de la vie du Bienheureux Patriarche; poussé par 
un sentiment irrésistible de piété : « Dieu est tout puissant 
par ses serviteurs, » s'écria-t-il, et il appliqua sur ses yeux 
les feuilles de parchemin dont il ne distinguait aucune 
ligne. Toute douleur disparait instantanément; la taie 
épaisse, qui obscurcissait ses paupières, est déchirée et sans 
hésitation 1l se met à lire la relation de nombreux mira- 
cles, semblables à celui qui le touche de si près. 

La Touraine connut promptement l’homme de Dieu, si 
étroitement lié à son évêque par la parenté et par l'amitié dont 
il avait entouré son enfance et ses débuts dans la cléricature. 
Saint Grégoire avait reçu le suaire dont la tête de son oncle 
bien-aimé avait été enveloppée après sa mort. Ilen déposait 
de petits fragments dans les autels qu’il consacrait et on ne 
tardait pas d'apprendre que l'effet de leur présence avait été 
des plus surprenants. À Pernay, la clarté du jour fut rendue 
à un vieillard ; au bourg de Pressigny, trois étrangères agitées 
depuis longtemps par les esprits mauvais, les crachèrent 


102 | SAINT NIZIER 


dans un vomissement de sang noir et naustabond ; partout, 
comme les habitants d’Artane, on rendait de vives actions 
de grâces au nouveau libérateur qui imposait son adoption 
d’une façon aussi gratuite qu’excellente. 

Mais nulle part, autant que chez les siens, la mémoire de 
saint Nizier ne fut plus complètement et plus longuement 
associée à tout ce qui constituait l'existence, le progrès, les 
libertés de la ville; il se mêla à l’exercice de la justice, aux 
luttes contre l'anarchie comme au développement de la 
religion, aux espérances de l’autre monde commeaux cala- 
mités de celui-ci. Les magistrats conduisent les criminels 
auprès de son autel pour les convaincre ou les absoudre ; 
les serments qu'on y prononce y sont considérés comme 
les plus inviolables; les parjures y sont découverts et 
confondus ; les vagabonds l’adoptent pour asile, les affamés 
pour refuge ; les pauvres gens y assignent leurs oppresseurs 
comme à une barre où tous les droits sont évaux; la 
simple signature de lillustre mort brise l’orgueil et dénonce 
les mensonges des tyrans les plus fanfarons. 

Il n'est pas jusqu'aux bouleversements et aux tempêtes de 
Pair, aux phénomènes naturels les plus désastreux qui ne 
cèdent devant ce thaumaturge infatigable ; ses ossements 
en poussière fondent les glaces les plus dures et les plus 
épaisses ; ils rendent aux sillons, stérilisés par la grêle, leur 
fécondité et leurs récoltes perdues. Dans’ un violent incen- 
dic, dont les flunmes en fureur enveloppent la plus grande 
partie des maisons et des remparts, son nom, jeté dans la 
foule, on ignore par quelle voix, probablement pas humaine, 
devient comme le mot d'ordre de la lutte contre l’embrase- 
ment. On assure que le saint patron est apparu à deux femmes 
pour leur commander d'organiser les secours et la résistance ; 
la nouvelle vole de bouche en bouche; c'est assez pour 


SAINT NIZIER 103 


chasser le désespoir du cœur des sinistrés et rendre aux 
vaillants citoyens, accourus pour arrêter le feu, le courage 
qui les abandonnait. ( 

Ce concours incessant à la chapelle sépulcrale, ces una- 
nimes hommages perpétuellementextucés, même dans leurs 
manifestations les plus audacieuses et les moins réfiléchies, 
cette série progressive de prodiges inouïs, inexplicables à 
la froide raison, si doux toutefois à [a piété des simples, si 
réconfortants pour l’infortune des humbles, provoquièrent 
dans le titre de cette église une substitution qui survit, 
depuis plus de treize siècles, à toutes les ruines et à toutes 
les réédifications. 

Ce lieu, un des plus vénérables par son antiquité et ses 
traditions, qu'on se plait à considérer comme le berceau de 
la foi lyonnaise, dont le sol aurait porté le premier autel 
érigé dans li Celtique, passa sous l’invocation du saint qui 
dormait sous ses dalles et il devint le monument impérissable 
de sa gloire immortelle. L'évêque Patiens, en célébrant sa 
dédicace solennelle, l'avait consacré aux bienheurcuxapôtres ; 
mais peu à peu ce vocable disparut et s’effaça; celui-là fut 
justement le maître et le possesseur unique du sanctuaire, 
qui le remplissait de la multitude de ses visiteurs, de 
l'éclat de ses miracles, des signes retentissants de ses 
vertus miséricordieuses et de son magnifique pouvoir. 

Cette révolution liturgique s’optra avec lenteur et dut 
se heurter à des difficultés de plus d’un genre. L'autorité 
ecclésiastique, pourquoi le cacher ? loin de lapprouver, la 
combattit avec des raisons et des moyens qui en accélérèrent 
l'issue. Les coutumes les plus respectables, les plus précieux 
souvenirs cédèrent devant les désirs populaires et la logique 
de la reconnaissance ; le langage acheva enfin d’irposer 
par la force de l’habitude ce que le sentiment général avait 


104 SAINT NIZIER 


innové, tant l'amour est invincible, tant il est rare que la 
volonté de Dieu ne soit pas d'accord avec la voix des 
orphelins, des ouvriers et des pauvres pour l’exaltation de 
ses saints et la glorification de leurs œuvres. 


L'abbé J.-B. V'AxEL. 


LA : 


CHASSE A L’ABONNÉ 


UAND Théophraste Renaudot, — médecin de son 
état, — cut l’idée de créer une gazette pour 


amuser les malades qu'il ne pouvait guérir, il 
ne songeait certainement pas à l'extension prodigieuse que 
le journalisme était appelé à prendre en France et ailleurs. 

Ï lui fallut peu de temps, cependant, pour s'apercevoir 
que le besoin de potiner, — le mot est d'invention 
moderne, à cette époque on disait : jaser, — était inhérent 
à la nature humaine, curieuse à l’excès et « débineuse » 
par tempérament. 

Aussi, dès le 30 mai 1631, il écrivait en tête de son 
journal ces lignes prophétiques : 

«... Seulement, ferai-je une prière aux princes et aux 
Estats étrangers de ne perdre point inutilement le temps 
à vouloir fermer le passage à mes gazettes, vu que c'est 


106 LA CHASSE A L'ABONNE 


une marchandise dont le commerce ne s'est jamais pu 
défendre et qui tient cela de la nature des torrents qu’il 
se grossit par la résistance. » 

La Presse, — aujourd’hui, — ne peut plus ètre comparée. 
À un torrent, mais bien à un fleuve débordant, à unc mer 
envahissante. 

Quarante mille journaux pour le monde entier, voilà où 
nous en sommes à l'heure actuelle. 

Et ce n'est pas fini ! 

Le journal est devenu le pain quotidien de lexistence 
morale, — et quelquefois immorale, — des peuples, et, de 
ce pain-là, chaque année en voit augmenter les fournées : 
pourvu que cela ne finisse pas par un étouffement général ! 

Une statistique obligeante vient d'établir que 17.000 
journaux se publiaient en langue anglaise, 7.500 cn 
allemand, 6.800 en français, 1.800 en espagnol, 1.500 en 
italien. 

Cing à six mille journaux se partagent les autres idiomes. 

Dans cette statistique, je suis surpris de ne voir figurer 
ni les journaux publiés en volapük, ni ceux qui, — chez 
nous, — sont rédigés dans une langue nouvelle que personne 
ne comprend, — pas même ceux qui sen servent! — et 
contre laquelle le bon sens et le sens commun finiront 
peut-être par s'insurger. 

Paris, —- à lui seul, — présente deux mille publi- 
cations périodiques. 

Dans cette avalanche de papier noirci, la politique est 
représentée par cent soixante organes clamant en chœur du 
matin au soir et du soir au matin : 


‘IT nous faut du nouveau, n'en fut-il plus au monde ! 


Vous représentez-vous l'accueil qui serait fait aujour- 


LA CHASSE A L'ABONNE 107 


d'hui à ce personnage de comédie disant à qui voulait 
l'entendre : 

— Des journaux, à quoi bon en lire ? S'ils sont de votre 
opinion, c'est superflu. S'ils n'en sont pas, c’est inutile ! 

Ce bonhomme-là ne se faisait assurément aucune idée 
du reportage etfréné, de l'information à outrance dont notre 
époque enfiévrée ne pourrait plus se passer. 

Le Commerce, l'Industrie, la Finance, les Lettres, les 
Sciences, les Beaux-Arts, les Religions, les Théâtres, les 
professions les plus diverses se partagent les dix-huit cents 
autres publications. 

La Diplomatie n’a pas moins de onze journaux spéciaux 
à son service ; les Sciences occultes en possèdent autant ; 
cinq feuilles se prêtent exclusivement aux innocents ébats 
des collectionneurs de timbres-poste et quatre sont entiè- 
rement dévouées à ce que Rabelais appelait « la Science de 
gueule » et à ce-que nous appelons avec plus de retenue 
« l'Art culinaire. » 

Vingt-six s'occupent de musique, — c’est beaucoup! — 
cent quarante-cinq s'occupent de notre santé, — c'est trop !.… 

Une jolie trouvaille au moment où notre belle langue 
française est si odicusement maltraitée : l'Industrie des 
cuirs en fait vivre quatre! 

À signaler également dans cette nomenclature laboricuse 
trois journaux prônant le mariage; deux s'épanouissant 
sur les naissances et un seul s’apitoyant sur les décès. 

Ce dernier, organc attitré des pompes funèbres, ouvre 
largement ses colonnes aux articles nécrologiques, il spécule 
sur Ja reconnaissance des héritiers satisfaits ; inutile 
d'ajouter que son tirage est des plus restreints. 

Tout journal qui se crée, aspire à vivre; pour vivre il 
lui faut nécessairement des abonnés ou des lecteurs. 


108. LA CHASSE A L'ABONNÉ 


Il est extrèmement rare qu'ils viennent tout seuls. 

De à, est née la chasse à l’abonné, chasse sans trève et sans 
merci, où toutes les ruses semblent permises, tous les traque- 
nards autorisés. 

Ce serait grand dommage, — en vérité, — de laisser 
dans l'ombre des exploits cynégétiques qui valent assuré- 
ment la peine d’être mis en lumière, ne serait-ce que pour 
s'en divertir un peu. 


I 


Je ne sais plus où j'ai lu cette recette qui pourrait aussi 
bien s'appeler un apologue. 

Un paysan avait trouvé le moyen de faire marcher son 
_Ânc en fixant à deux doigts de son nez une botte de carottes 
que le baudet poursuivait sans cesse et n’atteignait jamais. 

Quand la pauvre bête, fatiguée, découragée, sccouait les 
orcilles et était sur le point de s'arrêter, le paysan lui per- 
mettait de brouter un peu de fanc... C'était bien appétis- 
sant pour un estomac affamé !... et, — tant bien que mal, 
l'âne reprenait sa course ingratc à la poursuite de son 
insaisissable carotte. 

Je crois me souvenir que, dans l'apologue, l'âne, c'était 
nous; et la carotte, le bonheur que nous poursuivons sans 
jamais l’atteindre. 

Abstraction faite de ce que cette comparaison, — d’allure 
un peu trop rustique, — peut avoir de blessant, elle traduit 
assez fidèlement la situation de Pabonné vis-à-vis de certains 
Journaux trop enclins à faire des promesses qu’ils ne 
peuvent réaliser. 

Dans l'espèce, ces promesses s'appellent « des primes ». 


LA CHASSE A L'ABONNE 109 


Au début, quelques impresarios de lettres pensèrent qu’en 
offrant, — de loin en loin, — aux lecteurs, des sacs de 
pralines et de chocolats à la crème, des caisses de manda- 
rines, ils les rendraient plus assidus. 

Le règne des douceurs fut, — hélas! — de courte durée. 

I fallut bientôt en venir aux paniers de vins fins dont 
chaque bouteille portait l’étiquette, — oh, combien falla- 
cieuse ! — d’un clos réputé fameux. 

Le lecteur devenant de plus en plus exigeant et de moins 
en moins assidu, on lui offrit des gravures. après la lettre ;. 
on le combla de trésors littéraires à o fr. 25 le volume; on 
le bourra de chronomètres à 3 fr. 50; on le satura enfin de 
« de récréations » en faisant passer, — chaque matin, — 
sous ses veux, des rébus, de charades, des énigmes, des 
mots carrés et des devinettes tellement abracadabrantes que 
le sphinx, lui-même, aurait rougi de les proposer aux 
passants. | | 

Des milliers de Français occupèrent leurs loisirs à se 
creuser la cervelle pour trouver la solution de ces intéres- 
sants problèmes. 

De toutes parts les œdipes surgirent, les argus pullulèrent : 
nous ne fûmes plus seulement le peuple le plus spirituel de 
la terre, nous en fûmes aussi le plus sagace. | 

Cette sagacité qu'on put croire inopinément élevée à la 
hauteur d’une institution nationale, a eu le sort de beau- 
coup d'autres choses ; elle s'est usée et si l’on tenait à en 
retrouver maintenant quelques vestiges il faudrait aller les 
chercher dans des cantons éloignés, parmi les habitués de 
l'auberge du Cheval Blanc ou du café du Lion-d’Or. 

Il n'est pas jusqu'à la politique dont les finesses, — 
pourtant cousues de fil blanc, — ne soient maintenant 
devenues impénétrables à la plupart d’entre nous. 


110 LA CHASSE A L'ABONNÉ 


Quelques journaux ont eu l’idée géniale de faire des 
plébiscites : Faut-il encourager chez les femmes l'usage du 
corset? — Quel est l'opéra préféré? — Quelle forme de 
chapeau convient le mieux au visage masculin? — Quel 
est, de Coppée ou de Sullÿ-Prudhomme, celui qui a la plus 
large envolée? — A quelles mesures faut-il avoir recours 
pour augmenter le nombre des naissances en l'rance ? — 
Quelle est l’influence de la taille sur le génie et, vice versa, 
du génie sur la taille ? | 

Autant de questions qui vous paraissent inutiles ou 
frivoles! Détrompez-vous. 

Transformé eri juge, le lecteur, — à l'inverse des juges 
de profession, — ne dort plus, et, dans ses nuits sans 
sommeil, sa pensée se reporte obstinément vers le journal 
qui le met ainsi à la question : le but souhaité est 
atteint. 

Un journal spirite, — ne lisez pas : spirituel, — s’est 
avancé jusqu’à gratifier ses abonnés d’un ticket en échange 
duquel ils pouvaient, — une fois par semestre, — se 
mettre en rapport avec une grande intelligence de l’autre 
monde. 

Ïl suffisait pour cela de se présenter, — à de certaines 
heures, — au bureau de la rédaction et de demander la 
communication avec Pépin le Bref, le chancelier d’Agues- 
seau, Voltaire, Lafayette, Cambacérès, Napoléon I ou 
Gambetta. . 

Ces messieurs y allaient de leur petite entrevue, même 
les dimanches et fêtes. | 

Quelques abonnés, — probablement moins spirites que 
les autres, — finirent par s’apercevoir que c'était toujours 
le même esprit qu’on leur servait : celui des rédacteurs du 
journal. 


LA CHASSE A L'ABONNÉE III 


LH fallut rompre la communication et chercher autre 
chose. 

On à récemment annoncé la fondation, à Paris, d'une 
« Revue des rhumatisants », avec une rédaction compre- 
nant, — en même temps que les illustrations des Arts et de 
la Science, — Îles maitres de la littérature contemporaine. . 
* Cette publication recommandée par le Temps, — un 
journal qui s'interdit, comme on le sait, toute plaisanterie, 


— offrira aux rhumatisants et aux goutteux, — et Dieu 
sait s'ils sont en nombre! — une tribune où ils pourront 


échanger leurs doléances, leurs petits et grands moyens de 
guérison : les uns v feront bénéficier les autres de leur 
expérience, de leurs impressions. 

Ne trouvez-vous pas l'intention charmante, et le sous- 
titre de « Coopérative spirituelle du rhumatisme », déjà 
donné à cette aimable revue, n'est-il pas suffisamment 
justifié ? 

La « Revue des rhumatisants » n’est pas une innova- 
. tion, mais bien une importation. Il existe déjà, en Amé- 
rique, une demi-douzaine de « journaux pour malades » 
qui s'imposent le devoir difficile de distraire et consoler les 
personnes qui, — par suite de maladie, — sont « shutins » 
(lisez : cloitrées). 

Ï va de soi que les malades usent et abusent de la per- 
mission qui leur est accordée de collaborer à ces feuilles 
transformées en «€ intermédiaires des souffreieux », ils v 
décrivent, — pour se consoler et s'égaver mutuellèment, — 
tout ce qu'ils éprouvent et comment ils passent leurs 
heures de captivité. 

En Amérique, également, trois journaux donnent à 
leurs abonnés le droit de se faire photographier pour rien ; 
cinq les invitent à diner une fois par mois; deux cent 


[12 | LA CHASSE A L'ABONNÉ 


soixante les pourvoient de médecins et de médicaments et 
trois se chargent de tous les frais nécessités par leurs funé- 
railles, le jour où la Parque ennemie tranche le fil de leur 
vie... et de leur abonnement. 

En Amérique, aussi, se publient sept journaux imprimés 
sur des mouchoirs. | 


Voilà une innovation qui s'impose chez nous. Avec le 


journal mouchoir, on achète à la fois des informations 
politiques, des articles de fond et du linge. 

Après s'être renseigné sur la situation de l’Europe, on a 
encore la ressource de s’éponger le front avec la critique 
dramatique et 


Quand on a tout perdu et qu'on n'a plus d'espoir … 


de se moucher avec le cours de la Bourse. 

Les journaux américains ne sont pas les seuls à offrir à 
leurs abonnés les joies de objectif. Cette gracieuscté est 
offerte, — chez nous, — aux lecteurs de certaines feuilles 
sous les apparences d’un « BON DE POSE » intercalé à 
la quatrième page avec cette indication : à découper et à 
CONSETVET.. 

Ce bon donne droit à une magnifique carte-album 
délivrée au prix de un franc chez un photographe, — 
wénéralement, — de quinzième ordre. 

Je dois déclarer tout d’abord que la bonne foi des 
susdites feuilles n’a rien à voir dans la fumisterie dont il 
s'agit. Vous découpez religicusement Îe carré en question 
et, — animé d’une inébranlable confiance, — vous vous 
rendez chez l'artiste désigné. 

S'il est huit heures du matin, vous avez quelques 
chances de passer devant lobjectif à trois heures de laprès- 


+ 


LA CHASSE A L'ABONNÉ 113 


midi : vos illusions sur les procédés dits « instantanés » 
auront eu tout le temps de se dissiper. 

Quant à posséder votre portrait, c’est une autre affaire ; 
vous comptiez l'avoir à Pâques, il faudra vous estimer très 
heureux de l’avoir à la Trinité, et même à la Toussaint, si 
jamais vous l'avez. 

C'est là qu'est la véritable pose! 

Que ceux qui seraient tentés de se soumettre à de pa- 
reilles épreuves se tiennent pour avertis. 


II 


J'arrive maintenant aux billets de tombola offerts au 
public par quelques journaux. 

L’appât est tentant : posséder un bien dont l'acquisition 
n'aura rien coûté, — ou à peu près, — c’est le rève de 
beaucoup de gens, même de ceux que leur situation de 
fortune devrait mettre au-dessus de pareilles convoitises. 

Après quelques années d'abonnement, — si la chance 
daigne vous favoriser, — vous pouvez être en possession 
d’un lit succinctement garni, d’une armoire à glace en 
pitchepin ou d’un filtre Pasteur. 

Que faut-il de plus pour être heureux, je vous le 
demande ? | 

Je dois déclarer cependant que, — dans cette voie, — 
l'étranger nous a déjà dépassés. 

Un journal autrichien, le Nieuive Kocrier, faisait figurer 
naguère, — parmi les deux cents objets à tirer au sort 
entre ses 25.000 lecteurs, — une vache, que le directeur 
s’'engageait à reprendre pour 50 florins. 

ÆCe que voyant, le Kuerier de Herteen n’hésita pas à mettre, 


- 


N° 2. — Aoùt 1899. 8 


114 LA CHASSE A L'ABONNÉ 


-— à son tour, — en loterie, une étable comprenant un 
poulain, deux génisses, deux verrats, deux truies. 

Il n’est pas de bonheur parfait, et j'imagine que, pour 
plus d’un lecteur, le plaisir de gagner a dû être, — en cette 
circonstance, — singulièrement mitigé par la difficulté de 
loger son gain, surtout si l’heureux gagnant logeait au cin- 
quième étage. 

Le Bulletin de la Presse vient de consacrer toute une 
série d'articles aux journaux anglais : là encore, — au point 
de vue de la chasse à Pabonné, — nous sommes dans un 
état d’infériorité visible. 

The Daugther, — lisez : la Fille, — le mot paraît un peu 
sec en notre langue, mais pour les Anglais il à la gwrice 
pudique qu'a pour nous l’expression de « jeune fille », Th 
Daugther réserve un petit coin fantaisiste où un astrologue 
à bonnet pointu dit la bonne aventure à ses lecteurs. 

Mie Félicie a écrit au journal pour avoir son horoscope, 
voici en quels termes le journal le lui transmet : — « Vous 
serez très chanceuse; fe Soleil et Vénus, et aussi la Lune 
et Jupiter étaient en conjonction à votre naissance, ce qui 
promet de grands biens dans la vie. Vous aurez des succès 
dans une profession artistique. Mariage encore loin, mais 
brillant : probablement vers quarante ans. La dernière 
moitié de votre vie bien plus brillante que la première. 
Attendez maladie à trente-trois ans. » 

C'est li un jeu innocent, équivalent à la bonne aventure 
graphologique qui s'étale dans certains de nos journaux de 
dames : au point de vue de l'abonnement croyez bien qu'il 
n'est pas Sans IMPOrtMCE. 

The Woman (la Femme) s'est attachée une lady Marian, 
qui donne aux pauvres petites Anglaises aMigtes des « avis 
confidenticls ». 


LA CHASSE À L'ABONNÉ IIS 


Comme le journal tire à 50.000 exemplaires, le terme 
« confidentiels » paraît empreint d’une légère ironie. 

— «J'ai dix-neuf ans, écrit miss Werneth, et mes 
parents persistent À me dire trop jeune pour me marier. 
Moi, je ne me crois pas trop jeune. "Mon fiancé ayant vingt- 
huit ans, nous serons bien assez vieux à nous deux pour 
youverner une maison. Prière de me faire savoir quel âge 
vous considérez le meilleur pour marier une jeune fille ? » 

Lady Marian répond que la mariée doit avoir au moins 
vinot etunans et que vingt-cinq vaudraient mieux. « Une 
jeune fille de dix-neuf ans est, en général, peu en état dese 
former une opinion raisonnée et de choisir sagement le 
partenaire de toute sa vie. » 

Les jeunes filles de dix-huit ans pourront crier raca 
sur la vieille sorcière! elles n’empêcheront pas que ses con- 
sultations ne soient un des éléments de succès du journal, 
qui s'adresse surtout aux misses de la classe populaire. 

Après The Daugther et The Woman, voici The Empire- 
Journal à un penny. 

Jules Célès à dit dans une de ses chansons : 


On n'a pas l'existence oiseuse, 

Ni les faveurs d'une danseuse, 
Pour un sou ; 

Mais, comme dit Clara-la-Brune, 

On ne peut pas avoir la lune 
Pour un sou; 


Il faut, quand même, vite prendre 

Le peu que l'on veut hien nous vendre 
Pour un sou, 

Car le métal perd sa puissance. 

Bientôt on n'aura rien en France 


Pour un sou! 


116 LA CHASSE A L'ABONNE 


Vous allez voir tout ce qu’un journal anglais peut encore 
donner pour un sou. 

Le Journal de l’Empire commence par déclarer qu'il est le 
journal du siècle, un journal pour la maison, un journal 
pour tous, un journal surpassant tous les autres, un journal 
sans précédent. 

On ne saurait être plus modeste. | 

Et sans doute, — ajoute le Bulletin de la Presse, — il 
réalisera ces ambitieuses visées, tant ses fondateurs lui ont 
préparé les voies avec intelligence et largesse. 

Des centaines de mille francs ont été employés à faire 
plusieurs mois d'avance la publicité sur son titre depuis 
la Cité jusqu’au fond de l'Australie, de l1 Nouvelle-Zélande, 
du Canada, de la colonie du Cap, etc., etc. 

Les murailles de tous les pays anglais sont tapissées 
d'affiches en chromolithographie annonçant le journal, et 
le service de vente est assuré partout. 


La direction a pris soin d’ajouter, — à ces procédés 
d'organisation, — des appâts financiers absolument nou- 
VCAUX. 


1° Les héritiers de toute personne tuée dans un omnibus, 
“un tram, un paquebot, sur laquelle sera trouvé le numéro 
de la semaine, recevront d’une Compagnie d’assurances une 
indemnité de 2.500 francs. 

2° Les trois premières personnes qui auront envoyé la 
solution d’un problème géographique posé dans le journal 
jouiront respectivement d’une rente de 25 francs par semaine 
pendant un an, de 12 fr. 50 pendant six mois, de 6 fr. 25 
pendant trois mois. 

Et comme l’Empire- Journal tient à encourager les lettres, 
il fait appel à ses abonnés pour sa rédaction et paie 26 fr. 25 
les mille mots, toute copie acceptée, renvoyant toutes les _ 


LA CHASSE A L'ABONNÉ 117 


autres à leurs auteurs s'ils ont eu soin de fournir une 
enveloppe affranchie pour le retour. 

N'êtes-vous pas d'avis que, dans Part d'attirer les 
lecteurs et les abonnés, nos journaux français sont — pour 
l'instant — relégués au septième plan ? 

On s'efforce, — depuis quelques années, — de retrouver 
l'emplacement occupé par l'Eden de nos premiers parents. 
Jusqu’à présent cette recherche n’a fourni aucun résultat 
probant, en revanche il est dès maintenant permis d'établir 
que c’est au Canada que se trouve le paradis des abonnés. 

Jamais vous ne trouverez en tête d’un journal canadien 
l’avis traditionnel que tous les lecteurs français savent par 
Cœur : | 

« Les personnes dont l’abonnement expire le..... sont 
prites de le renouveler de suite, si*elles ne veulent pas 
éprouver de retard dans l'envoi du journal. » 

Au Canada, on s'abonne aux journaux... à crédit, 
comme cela est établi par le dialogue suivant que je trouve 
dans la chronique d’un de mes confrères de Québec : 

LE MARI complant son argent. — Voici quatre piastres que 
je mets de côté pour aller payer demain le... (mettons Le 
Canadien) 

La FEMME, élendant sa main polelée vers le roulean de 
quatre piaslres. — C'est que, vois-tu, j'en avais disposé 
autrement de ces quatre piastres. J'ai besoin d’une paire de 
gants, la petite d’une paire de mitaines ct toi de quelques 
cols. Tu paieras ton Canadien une autre fois. Les gazettes, 
ça se paie quand on à de l'argent de reste; il ne faut pas 
s'ôter le nécessaire pour le leur donner! Il ÿ en à tant qui 
ne les paient point ! Crois-tu que X... le paie, son journal, 
lui? I m'a dit l’autre jour qu'il devait trois ans. Sans 
doute, toi, tu le paieras, mais il peut bien attendre un peu! 


118 LA CHASSE A L'ABONNÉ 


Le mari cède, comme toujours, et le journal n’est pas payé. 

Aussi, de temps en temps, les infortunés journalistes 
canadiens se livrent-ils à de véritables jérémiades. 

« On nous doit trois cent cinquante abonnements sur 
cinq cents, s’écriait dernièrement l'un d’eux. Si nos clients 
ne se décident pas à nous payer, ou tout au moins à nous 
donner un acompte, nous allons être forcés de faire une 
faillite dont toute la responsabilité pèsera sur la tête de 
nos trop chers souscripteurs. » 

Un journaliste américain émettait récemment l'avis qu'il 
était impossible à un journal de contenter tout le monde. 
et surtout ses lecteurs.  : 

Je m'en étais toujours un peu douté. 

. Les doléances de mon confrère d'outre-mer sont de celles. 
qu'on ne saurait trop méditer : je me fais un devoir de les 
reproduire ici : 

« Editer un journal est un travail très plaisant comme on 
peut Île voir. 

« S'il contient trop de politique, personne n’en veut ; 
s’il en contient trop peu, personne n’en veut. Si les carac- 
tères sont trop petits, on ne peut pas lire; s'ils sont trop 
gros, on dit qu'il n y a rien à lire. S'il publie des dépèches, 
on dit que ce sont des mensonges ; s’il n’en publie pas, on 
dit qu'il n'est pas sérieux et qu'on les supprime pour raison 
politique. 

« S'il donne quelque « bon mot » on dit qu'il est fait 
par des tètes sans cervelles ; s’il n’en donne pas, on dit qu'il 
est fait par des pince-sans-rire. 

« S'il publie quelques relations originales, on le blâme 
de ne pas donner quelque chose de plus sérieux ; s’il en 
donne, on trouve qu'il ne sait pas distraire et qu’il donne 
ce qu'on a déjà vu dans d’autres journaux. 


LA CHASSE A L'ABONNÉ 119 


« S'il rend compte impartialement d’une réunion, on 
dit qu'il cût mieux fait de se taire; s’il ne le fait pas, on dit 
qu'il tronque les textes. 

« S'il donne la biographie d’un homme public, on le 
taxe de partialité ; s’il n’en parle pas, on dit qu’il ne s’oc- 
cupe de rien. 

« S'il donne un article qui peut intéresser les femmes, 
les hommes sont mécontents et vice versa. Si le directeur du 
journal va à l'église, on dit que c’est un clérical; s'il n'y 
va pas, on trouve que c’est un homme sans foi ni conscience. 

« S'il reste au bureau pour diriger son journal, on dit 
qu'il a peur de se montrer ; s’il sort trop souvent, s’il va 
dans un café, on dit qu'il ferait mieux de diriger son 
journal. » ; 

L'abonné n'est jamais content de son journal, — cela est 
d’une rigoureuse exactitude, — et cependant neuf fois sur 
dix, il rend hommage à lingéniosité du triquenard dans 
lequel il est tombé. 

Sa situation est exactement celle du commanditaire naïf 
qui disait à sa femme pour justifier sa confiance excessive 
dans les entreprises de Tamponnet : 

— C’est un malin ; rappelle-toi comme il nous à roulés 
dans l'affaire des 1.300 francs ! 


Léon MaYET. 


AUGUSTE BRIZEUX 


d'après une étude récente (suite) 0) 


IT 


E poète en Brizeux est l'écho fidèle de l’homme, 
de son esprit, de son imagination, de son carac- 
tère et surtout de son cœur et de sa sensibilité. 

Pour bien s’en rendre compte, il faut analyser son œuvre, 
dont il a donné lui-même la synthèse dans l’Zntroduction des 
Histoires poétiques, 1854. « De mon pays, dit-il, j'ai tracé 
d’abord une image légère dans l'idylle de Marie (1831), 
puis un tableau étendu dans l'épopée rustique des Bretons 
(1846), laquelle trouve son complément dans ces Histoires 
poétiques et le recueil de Primelet Nola (1852). Tout a son 
lien dans le livre lyrique de la Fleur d'or, intitulé d’abord 


- 


(1) Voir la Revue du Lyonnais de Juillet 1899. 
| 


AUGUSTE BRIZEUX 121 


les Ternaires, 1841. Enfin, issu de la race celtique, je ne 
devais pas négliger sa langue : plus d’un chant de la Harpe 
d'Armorique où Telen Arvor (poisies en langue celtique 
avec une traduction française en regard, 1844), destiné à 
raviver la pensée et la poésie nationales, s’est répandu dans 
nos campagnes ». Il faut ajouter qu’une Poétique nouvelle, 
en 1855, compléta par un essai théorique l’ensemble de ces 
œuvres et, mieux que la Fleur d’or, résuma la vie intellec- 
tuelle et la physionomie morale de Brizeux (1). 

Marie n’est pas un « roman », comme le poète l'avait 
d’abord appelée : c’est un « poème », ou plutôt, ainsi que 
l’écrivait Brizeux lui-même, « une idylle, une histoire 
d’amour entremêlée d’épisodes et d’idées. » 

La dédicace en est exquise : À ma mére, dit le poète. 

Prends ce livre qu'ici j'écrivis plein de toi, 

Ettu croiras me lire et causer avec moi. 

Si ton doigt y souligne un mot frais, un mot tendre, 
De ta bouche riante un jour j'ai dû l'entendre : 

Son miel avec ton lait dans mon ême a coulé ; 

Ta bouche en mon berceau me l'avait révélé. 

L'héroïne du livre, ou plutôt des huit pièces qui lui sont 
consacrées, est une paysanne bas-bretonne, habitante du 
Moustoir, qui, tous les dimanches, vient à l’église, « pieds 
nus », se cachant à demi sous sa coiffe de lin. 

Le jeune clerc d’Arzano l’a remarquée au catéchisme, et 
les jours d'école buissonnière, ils se retrouvent le long des 
haies odorantes; ils cueillent les marguerites; ils passent de 
longues heures assis au pont Kerlô et regardent couler les 
‘flots, nager les poissons, ou voler les papillons et les libellules. 


(1) Lecigne, p. 456-7. 


122 AUGUSTE BRIZEUX 


L'hiver suivant, Marie a les fièvres, et grandit si fort, mûrit 
si vite qu'après six longs mois elle a oublié papillons, libel- 
lules, poissons et marguerites. Bientôt, en l’absence de son 
jeune amoureux, elle épouse un honnête métayer. Le poète 
la revoit deux ou trois fois, la rencontre au Pardon de 
Scaër, avec ses deux sœurs, 


Belle comme un fruit mûr entre deux jeunes fleurs, 


lui achète des velours, des croix, une bague, qu’elle porte 
sans mystère. | 

Elle a l'air calme d’une épouse et d’une jeune mère ; son 
image suit le poëte comme une bénédiction au sein de 
Paris et du monde. Il en demande des nouvelles au conscrit 
Daniel (1) et le supplie de lui rapporter quelque chose de 
Marie, un de ces riens charmants qu’elle à touchés : 


Assis dans sa maison, alors regarde bien 

Si quelque joie y règne et s'il n’y manque rien ; 

Si son époux est bon, sa famille nombreuse, 

Et si dans son ménage enfin elle est heureuse. 

Et ses petits enfants, prends-les entre les bras, 

Et s'ils ont de ses traits, tu les caresseras… 

Ob ! s'il croît une fleur, une feuille à sa porte, 
Daniel, prends-les pour moi ! déjà séches, qu'importe ? 


Marie ne lira jamais le poème qu'elle a inspiré: elle ne 
connait que Ja langue du pays. D'ailleurs, elle ne se croirait 
pas l’héroïne du livre. 

Telle est cette histoire touchante, « légère comme le rève, 
réelle comme la vie», et autour de laquelle Brizeux a groupé 

(1) M. Lecigne parle à ce sujet, p. 316 des « journées de février » : 
ces journées ont eu lieu en 1848,et Marie est de 1831-1840.— II s'agit 
des journées de juillet 1830, 


AUGUSTE BRIZEUX 123 


une quinzaine de pièces qui sont faites de rien, ou peu 
s’en faut, d’une impression, d’un souvenir : le Livre blanc, 
Paris, le Mois d'août, la Chanson de Loïc sous les buissons 
verts, l’Elégie de le Braz, Hymne à M. ITugres, Histoire 
d'Ivona, les Batelières de l’Odet, À la mémoire de Farcy. Qui 
ne connaît les vers délicieux du Convoi de Louise ? 


Quand Louise mourut à sa quinzième année, 

Fleur des bois par la pluie et le vent moissonnée, 

Un cortège nombreux ne suivit pas son deuil ; 

Un seul prétre en. priant conduisit le cercueil ; 

Puis venait un enfant, qui, d'espace en espace, 

Aux saintes oraisons répondait à voix basse.… 
re Par les taillis couverts, 

Les vallons embaumés, les genéts, les blés verts, 

Le convoi descendit au lever de l'aurore : 

Avec toute sa pompe avril venait d’éclore, 

Et couvrait en passant d'une neige de fleurs 

Ce cercueil virginal, et le baïgnait de pleurs ; 

L'aubépine avait pris sa robe rose et blanche. 

Un bonrgeon étoilé tremblait à chaque branche : 

Ce n'étaient que parfums et concerts infinis ; 

Tous les oiseaux chantaient sur les bords de leurs nids. 


Sainte-Beuve avait donc raison de dire dans la Revue des 
Deux Mondes, en 1841: « Marie dans sa troisième forme 
est la perfection même... Elle n'a plus qu'à rester comme 
cela, sans une épingle de plus ou de moins, et à vivre... 
Marie est le livre pottique le plus virginal de notre temps; 
c'est même le seul véritablement tel que je connaisse. Aux 
jeunes filles, quel autre à donner, je vous prie? Si elles 
s'appellent Marie, il leur revient de droit, avec un bouquet 
de fleurs blanches. Jen ai vu un exemplaire aux mains de 


124 AUGUSTE BRIZEUX 


deux charmantes sœurs à qui on l'avait envoyé, parce 
qu'elles avaient un chagrin ce jour-là, et 1l ÿ était écrit pour 
épigraphe ces deux vers : 

Lire des vers touchants, les lire d'un cœur pur, 

C'est prier, c'est pleurer, et le mal est moins dur. 


Les deux vers étaient de Sainte-Beuve lui-même. La 
gracieuse et charmante idylle de Marie nous reporte à 
Moschus, à Bion, à Synésius, à Théocrite enfin. « Les poètes 
anglais du foyer, Cooper, Wordworth, n’ont jamais rendu 
plus délicieusement les joies d’un intérieur pur, la félicité 
domestique, le bonheur des champs. Il n’est pas chez les 
Lakistes un sonnet pastoral plus gracieux et plus limpide. » 
Enfin, mérite suprème, Marie est une œuvre sans précé- 
dent dans les lettres françaises. Elle nous apparait comme 
une fleur exquise qu'a produite spontanément la terre de 
Bretagne. Son doux poète, énergique à ses heures, chante 
si bien 

Le noir Ellé d’abord, on le Scorf à ta droite 
Roulant ses claires eaux dans sa vallée étroite, 
Et, tel qu'un doux parfum, le chant de mille oiseaux 
S’élevant du vallon avec le bruit des eaux ; 
La brise dans les joncs qui siffle et les caresse ; 
Puis l'appel matinal de la premiére wesse, 
Répété tour à tour comme un salut chrétien, 
Du clocher de Cléguer à celui de Kérien… 
Adieu, Daniel! adieu, le bourg, l'église blanche! 
Adieu, ton beau pays! Après vépres, dimanche, 
Tes amis te verront pour la dernière fois, 
Et tu cacheras maltes larmes sous tes doigts ; 
Car pour nous, vieux Bretons, rien ne vaut la patrie, 
Et notre ciel brumenx et la lande fleurie! 


=" lit ESCRENEUEs 


AUGUSTE BRIZEUCX 125 


Oui, nous sommes encor les hommes d’Armorique, 

La race courageuse et pourtant pacifique, 

Comme aux jours primitifs la race aux longs cheveux, 
Que rien ne peut dompter, quand elle a dit : Je veux! 
Nous avons un cœur franc pour détester les traîtres ; 
Nous adorons Jésus, le Dieu de nos ancétres. 

Les chansons d'autrefois, toujours nous les chantons. 
Oh! nous ne sommes pas les derniers des Bretons ; 

Le vieux sang de tes fils coule encor dans nos veines, 

O ierre de granit, recouverte de chênes ! 


Les Bretons en dix chants, parus quinze ans après Marie, 
sont l’œuvre d'un art plus exercé, plus maître de lui, qui 
a pris plus de force, de sonorité, de relief et d'éclat, quoi- 
qu'il ait perdu la grâce printanière de sa fleur naissante. 

Loïc Daulaz, le petit pâtre de Scaër, qui chante en con- 
duisant sa vache dans les landes, ne montera pas à l'autel, 
comme le voulait son curé, parce qu’il aime Arina Hoël, 
dont la sœur Hélène est aussi aimée de Lilèz. Après un 
Pardon, où Loïc et Lilèz ont défendu Mor-vran de Carnac 
contre « les buveurs de cidre », et une quête avec le vicaire, 
auquel Loïc a révélé « ses angoisses amères », le jeune 
homme va chez Mor-vran, puis aux îlots dorés du Mor- 
bihan : Houad, Hoëdic, Gavr'inis. Mais l’oubli ne descend 
pas dans son cœur ; alors Anna le rappelle. 


Si tendre était sa voix et son regard si tendre 

Qu Anna, les yeux baissés, s'oubliait à l'entendre. 
comprit, l'heureux clerc! — et lui prenant la main, 
Il y passa la bague en ajoutant : « Demain, 

Demain, aprés la lutte, on dansera ; les fêtes 

Seront pleines de joie, Anna, si vous en étes. » 


Elle en est ; elle se mêle avec Loïc à cette ronde trop 


126 AUGUSTE BRIZEUX 


profane. Alors, le malheur entre dans la ferme d’Anna 
Hoël : sa mère languit d’un mal mystérieux. Anna s’em- 
barque à Concarneau pour le pèlerinage du repentir avec 
Lilèz et le vicaire. Une effroyable tempête se déchaine et 
menace de l’engloutir ; mais un cri vers le ciel les arrache à 
la mort. Ils accomplissent leurs vœux et reviennent aider 
Hoël à bien mourir, le conscrit Lilèz à se préparer au 
départ pendant la funèbre veillée des morts. 


Tous sont dans la tristesse : Anna pleure son pere, 
Et Liléz son départ. — Et toi, Loic, mon frère ? — 
Oh! moi, vous savez trop comment s'en vont mes jours ; 
Votre sort est le mien : aimer, souffrir toujours. 
Mais voilà que les conscrits luttent contre les gendarmes : 
Loïc et Lilèz s’échappent, 
fuvant de pays en pays, 
Chevreuils légers des bois poursuivis par les chiens. 


Ils voyagent longtemps par les nuits sombres, jusqu'à ce 
qu'on leur annonce une amnistie. Adicu, les angoisses! 
Loïc et Lilèz rentrent à Scaër et, le même jour, épousent 
lun Anna, qui s'est fait un peu prier, et l’autre Hélène. 
La double noce s’arrète sous les ifs du cimetière et convie 
ses morts 

À se méler un jour aux féles de ce monde. 
J 
Les pauvres en sont aussi, 


Comme en ces ges d'or, lointain qui toujours brille, 
Tous ne formaient entre eux qu'une seule famille. 
Cette histoire romanesque n’est que le côté secondaire du 
poëme et « l’entoure moins comme un vêtement que 
comme une écharpe », disait Charles Magnin: elle sert de 


AUGUSTE BRIZEUX 127 


prétexte à tous les incidents, pardons, pèlerinages, tem- 
pêtes, voyages, qui nous peignent les Bretons dans leur vie 
rude et patiente, simple et naïve, religieuse avant tout. 

Brizeux et d’autres avec lui ont parlé d’épopée, à propos 
des Bretons. Mais il ne pouvait être l’Homire de la Bre- 
tagne, et on ne doit voir dans son poème « ni une épopée 
légendaire, ni une épopée héroïque », comme le fait remar- 
quer M. l'abbé Lecigne. Il ne faut y reconnaître qu’un 
poème descriptif, doublé d’un roman, Les travaux et les jours 
de la Bretagne, suivant l’heureuse expression de Charles 
Magnin. 

« Brizeux a été l'Hésiode ou le Walter Scott de sa patrie. 
À son appel, les voilà qui apparaissent en foule, les recteurs, 
les fermiers, les fermières, les pêcheurs, les conscrits, Loïc, 
Lilèz, Anna, Hélène, Hoël, Mor-vran, bardes, aubergistes, 
marchands, commères, tout un peuple. Y a-t-il un des 
traits bretons qui leur manque ? Regardez : croyants et 
pieux, c'est le fond de la race ; durs au travail, il le faut 
bien, l’Âpreté du sol les y à contraints ; naturellement 
poètes, avides de merveilleux, avec je ne sais quoi de ten- 
drement rêveur, comme tous les peuples chez lesquels 
prédomine l'imagination ; mélancoliques surtout : leurs 
chants de joie eux-mêmes finissent en élégics(r). » Les 
Bretons de Cornouailles, ceux de Léon, ceux des îles revi- 
vent dans le poème de Brizeux, avec leur phvsionomie 
particulière et leurs mœurs spéciales. 

Déjà, sans doute, dans Marie, le lecteur avait vu passer 
sous ses yeux les enfants traversant Îles genèts et les 
chemins creux pour se rendre au catéchisme, 


(1) Lecigne, p. 359. 


128 AUGUSTE BRIZEUX 


Dans les beaux mois d'été, lorsqu’au bord d'une haie 
On réveille en passant un lézard qui s’effraie, 
Quand les épis des grains commencent à durcir, 
Les herbes à sécher, les imüres à noircir… 

© Tous pieds nus, en chemin, écartant le feuillage 
Pour y trouver des nids, et lous à leur chapeau 
Portant ces nénuphars qui fleurissent sur l'eau. 


On avait salué aussi la jeune bretonne avec « son corset 
rouge et ses jupons rayés ». Mais les Bretons déroulent 
devant nous des tableaux bien plus variés. Ce sont d’abord 
les Pardons, les quêtes, à l'heure où 


L’aube pointaît, la terre élait humide et blanche ; 
La sève en fermentant sortait de chaque branche ; 
L'araignée étendait ses fils dans les sentiers 

Et ses toiles d'argent au-dessus des landiers… 
Heure mélodieuse, odorante et vermeille, 

Première heure du jour, tu n’as point ta pareille ! 


Ce sont ensuite les luttes sur le gazon, les marchés rem- 
plis 
De beuglements de bœufs aux cornes acérées ; 
les conscrits en marche, le travail au champ, les grands ct 
robustes paysans récoltant le blé noir : 


Un chêne de cent ans avec son grand feuillage, 

Un Brelon chevelu dans la force de l'âge, 

Sont deux frères jumeaux au corps pur et noueux, 
Deux frères pleins de sève et de vigueur lous deux. 


. C’est le recueillement des hommes, « graves et mürs », à 
l'église, ou leurs entretiens avec « le clerc », le vicaire et 
le recteur. Ce sont enfin les fiançailles, les noces, les fêtes 
des morts, les veillées d’hiver. 


AUGUSTE BRIZEUX _ 129 
Voilà pour les habitants. Voici pour le pays : 


La lande 
Qui jelle vers lesoir une odeur de lavande... 
Un lourd soleil d’aplomb sur nu terrain pierreux… 
Le murmure des pins sur le bord de la mer. 
| … Bruyantes et gonflées, 
Les sources vers la mér vont dégorger leurs eaux, 
Et les rocs de Pen-Mark déchirent les vaisseaux. 


L'enfer de Plo-Goff est une évocation saisissante ; la 
tempête au Ix° chant apparait comme « une scène d’une 
pathétique horreur ». 


Comme un bruit de chevaux, cachés dans le brouillard, 
. On entendit gronder les rochers de Pen-Mark. 

Ils étaient la, debout, péle-méle et sans nombre, 

Devant eux, sur la mer, projelant leur grande ombre ; 

Les flots couraient sur eux avec leurs mille bras ; 

Cabrés conlre les flois, ils ne reculaient pas ; - 

Hérissés, mugissants, inondés de poussière, 

Ensemble, ils secouaient leur bumide crinière. 

De leur masse difforme ils effrayaient les yeux ; 

L'oreille s'emplissait de leurs cris furieux ; 

Et l’homine tout entier, en face de ces roches, 

Dont les aiseaux de mer bravaient seuls les approches, 

Sur son mince vaisseau, pâle et dans la stupeur, 

Se voyant st chélif, sentait qu'il avail peur. 


Sur les bords de la Baie des Trépassés, chant X°, Brizcux 
ne verra pas les souriantes Néréides de Raphaël, de Féne- 
lon et de Chénier, mais je ne-sais quelle divinité druidi- 


que, dure, humide et glauque : 
N°2. — Aoùt 18. 9 


130. AUGUSTE BRIZEUX 


Elle se lord sur son banc de limon ; 
Ses verditres cheveux, l'algue et le soëmon, 
Elle les jetle au vent ; les vents par leurs baleines 
Révcillent en sursaut et requins el baleines : 
Toul le ciel relentit d’épouvantables bonds. 


Plus loin, les montagnes d'Arré 


Dressent sur le.chemin leur dos Or 116 el sacré, 
Le dos de la Bretaone. 


Brizeux est donc un admirable peintre d’esquisses 
bretonnes. Mais il sent que ce ne serait pas. assez, ct il 
veut qu'on découvre dans son livre « la vie humaine, ce 
fond éternel de toute poésie », | 


! 


Si mon pays mourant repil dans ON poème, _. 
Toute la vie humaine y trouve aussi sa part, 
Du berceau de l'enfant au tombeau du. vieillard. 


Après les purs amours cachs dans des feuillées,. 
Les elas des morts viendrout et les noires veillées, 
Les veuves dont les pleurs inondent un. cercueil, 


Et les barques, la nuil, sombrant sur un. A 

Puis le pauvre niteur cherchant son pain sous terre, 
On sans pain, sans abri, le bardi réfraclaire, 
Les durs travaux des champs, les joûtes, les lulleurs, . 
Et les noces aussi, leurs danses, leurs chanteurs, 

Et landes, bois, vallons, ci la douleur S 'émousse, : à 
Enfin tout ce qu fait LE vie. amère el douce. | 


Les Bretons, d'après Brizeux, * trouvent leur complément 
dansles Histoires poëliques etle recueil de Primel et Nola ». 
En effet, si les Histoires poétiques contiennent une série de 
poèmes que M. Lecigne appelle d'un nom très heureux 


AUGUSTE BRIZEUX 131 


« le cycle des Humbles », Jobet son Cheval, le Vieux Rob, la 
Mère du Conscrit, les Hétres de Lo-Théa, l'Incendie, P Arti- 
sane, etc., Où on trouve comme un écho de la poésie de 
Sainte-Beuve, dans son Joseph Delorme, et un avant-goût de 
celle de François Coppte, les histoires et les légendes 
bretonnes occupent la plus grande place dans ce recueil, où 
Brizeux a versé le trop-plein des Bretons. Voici les Péébeurs, 
les Moissonneurs, les Ecoliers de Vannes, l Combat. de. Lez- 
Breiz, Morvan, le Cid de la Bretagne, rival de Louis le 
Débonnaire. Voilà la sanglante idvlle de Lina, fille du duc 
de Bretagne, qui aimait le batelier. Loïs, son frère de lait, 
et se précipita avec lui dans un lac plutôt que d’épouser lé 
seigneur de Plaisance, « un noir poursuivant d'amour ». 
Ailleurs, c’est Ja belle légende de Rosi/y, les Znmortels de 
Saint-Vermolé, le lac de PEostik et enfin Primel et Nola: la 
jeune veuve d'u vieillard offre sa main à un jeune 
homme fier et généreux, qui ne l’épousera que le jeur où 
il aura gagné son habit de noces. Devant ce récit, on sc 
demande involontairement que sont devenues la fraicheur 
virginale, la délicatesse ravissante de Marie, 
Celle grappe du Scorf, cette fleur du blé noir, 
dont Alfred de Musset aurait dit : 


C'est la rosée en pleurs 
Dans les fleurs. 
La Muse de Brizeux à vieilli; elle n’a plus répondu 
joyeusement à son appel, lorsqu'il fui disait : 
. . . « Esprit des champs et de la lande, 
Versez en moi la paix pour que je la répaude (1). 


(1) Invocation de Primel et Nolu, 


132 . AUGUSTE BRIZEUX 


Il faut en dire autant des Ternaires, 1841, ou de la Fleur 
d'or, 1853, qui contient environ trente pièces ajoutées à 
celles des Ternaires. C’est un poème philosophique ou 
symbolique, l’Itinerarium mentis de Brizeux : « les jours 
florissants; les jours civils; les jours suprèmes », où il 


dit : 


Mon voyage es! fini. Vienne à présent le sort : 
Mon cœur est aussi bon, mon esprit est plus fort. 


Est-ce bien sûr ? Il n’y parait guère. Sa pensée religieuse 
est indécise et flottante entre le scepticisme et la foi; sa 
pensée artistique unit désormais à la Bretagne l'Italie, sa 
nature enchanteresse, les splendeurs de son soleil, les 
charmes d’une terre où croît la Fleur d’or, 


Douce comme le ciel de la bloude Toscane. 


Les pièces, 4 Naples, En revenant du Lido, Aux environs 
d’'Albano, l'Aleatico, alternent avec 4 Marie endormie, En 
passant à Kemper, Lo-Théa, le Combat de Saint-Patrick. 
Barbey d’Aurevilly, dans son livre /es Œuvres et les Hommes, 
reproche vivement à Brizeux d’avoir ainsi perdu « sa 
nationalité poétique » : Saint-René Taillandier et M. Le- 
cigne, au contraire, trouvent originale cette alliance des 
deux patries. intellectuelles et artistiques du poète. 

Quoiqu'il en soit, la Poétique nouvelle est, mieux que la 
Fleur d’or, @ le lien général » de l’œuvre de Brizeux. Il veut 
indiquer, après Horace, Boileau et André Chénier dans 
son poème de l’{nveution, le fond de toute poésie : en 
réalité, il ne nous fait que la confidence de ses idées et 
l'histoire de son esprit poétique et critique. La Nature, la 
Cité, le Temple, voilà les trois parties de la Poétique nouvelle, 


AUGUSTE BRIZEUX 133 


les trois sources d'inspiration pour tout artiste : /a Nature, 
initiatrice de tout vrai talent, 


Celui qui n'a point bu son lait ne vivra pas, 


est la mère de la poésie lyrique et de la poésie pasto- 
rale. La Cité inspire la satire, l’élégie, la tragédie, la comédie, 
celle de Molière surtout, 
le sage, l'artiste, 
Le grand contemplateur, au rire bon et triste (1). 


Le Temple, les monuments, les églises de Rome, où l’on 
foule aux pieds la cendre des héros et des saints, donne 
naissance à l'épopée. Puis la poésie, la philosophie, la 
théologie apparaissent chacune avec leur cortège, dont on 
ne voit pas bien le rapport avec ce qui précède. 

La dernière œuvre de Brizeux n’a pas le souffle poétique 
de l’Znventior d'André Chénier ; pourtant, elle lui est supé- 
rieure par l'élévation des idées, le sentiment de la nature 
et le respect des traditions littéraires. Notre poëte ne dit 
pas seulement : 


Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques ; 


mais il unit Shakespeare à Corneille, à Racine, « brillant 
dans la cour divine de l’art tragique ». 

S'il est vrai, comme l’a très bien dit Lamartine (2), que 
pour faire « un poète véritable », il faut « une puissante 
sensibilité pour sentir, une puissante imagination pour 
concevoir et une puissante raison pour régler son imagina- 
tion ct sa sensibilité », on doit reconnaitre que Brizeux n'a 


(1) Souvenirs et portraits. 
(2) Lecigne, p. 481. 


134 AUGUSTE BRIZEUX 


que l’un des trois dons du grand poëte : une puissante 
sensibilité. Il lui manque et la puissance de la raison, ou 
de la pensée, et la puissance de l'imagination créatrice. Il 
n’a que la raison et l'imagination nécessaires pour composer 
avec art, non pas des poèmes de longue haleine, de larges 
tableaux épiquesou lyriques, mais des séries de vignettes, où 
le dessin des figures et le relief des scènes ressortent en 
pleine lumière, grâce à une couleur sobre et forte. 

Il est plus artiste que poète, grâce à une habileté d’exé- 
cution, voisine du génie. | 
‘I croit que l’art ne doit pas être une copie de la nature, 
un miroir qui réfléchit, mais un prisme qui colore. La 
nature idéalisée, voilà ce qu’il poursuit dans son œuvre. 

Son style poétique est très personnel et très original. 
Pas de procédé artificiel : la simplicité, le naturel, une par- 
faite ingénuité, une transparence merveilleuse. « I! réfléchit 
dans son flot de cristal les faits, les personnages, les scènes 
de la nature qui les encadre, comme les ruisseaux de Bre- 
tagne reflètent en leur miroir le paysage de chènes ou de 
rochers qui s'étale sur leurs bords (1) ». Si, dans sa pre- 
mière manière, l’auteur de Marie a quelques nonchalances, 
quelques banalités, il s’en corrige bientôt par un effort sou- 
tenu, et arrive à la précision élégante, à la sobriété forte, 
qui en font un de nos bons écrivains. Volontiers, il aurait 
dit avec Joubert : « Je n'arrête jusqu’à ce que la goutte 
de lumière dont j'ai besoin soit formée et tombe de ma 
plume. » | 

« Sa versification n'offre point de ces effets d’harmonie 


se ; « _…. 


(1) Brizeux en parle mieux qu'Alfred de Musset lui-même dans des 
vers célèbres. 


AUGUSTE BRIZEUX 135 


musicale, où Lamartine et Victor Hugo révèlentleur maîtrise 
souveraine; mais on trouve chez lui les coupes irrégulières, 
les rejets et les enjambements d’un poëte qui connaît la 
technique de son art.Ilaeu tort de modifier la coupe classique 
du sonnet et de préférer dans plusieurs des tercets de la 
Fleur d'or (le Livre des Conseils) le vers étroit de huit syl- 
labes au grand vers de haut vol et de libre allure. » 

M. Lecigne estime qu’il n'était ni classique ni roman- 
tique. On pourrait croire, pourtant, qu'il fut l’un et l’autre 
à Ia fois, avec la mesure et le goût qui le caractérisaient. 

Romantique, il l’est, puisque le romantisme c’est le règne 
du moi dans la littérature, la poésie, et que Marie nous 
apparait comme une confidence, discrète, sans doute, et 
charmante, mais enfin une confidence intime dans k genre 
de celles du chantre d’Elvire, d'Olympio ou du poète des 
Nuits. Qu'il n'y ait dans Marie ni un ridicule et pompeux 
« étalage du moi », ni un désespoir tragique à la René et 
à la Byron : d'accord. Mais c'est de la poésit "intime, per- 
sonnelle, subjective et partant romantique. -=-Même dans 
les Bretons, les Histoires poétiques, la Fleur d’or;-où le poète 
s'efface pour ne peindre que sa Bretagne, son:fralie et ses 
héros, n'est-il pas encore romantique par ce goût de la cou- 
leur locale et d’un certain exotisme, dont il a porté le 
goût à un si haut degré? — Romantique enfin, il l’est, 
dans sa langue et son style, comme le reconnait M. Leci- 
once, en saluant en lui « un disciple fervent ct discret à la 
fois des grands révolutionnaires romantiques, qui ont renou- 
velé notre vocabulaire ct notre poësie » (1). Seulement, il y 


(1) Brizeux, p. 337. La même idée est exprimée p. 437 et fait ainsi 
double emploi. L'auteur aurait évité ces redites en fondant en quelques 
chapitres plus généraux ses études spéciales sur les œuvres du poîte, 


136 AUGUSTE BRIZEUX 


a dans Brizeux « des négligences », des «inégalités », signalées 
autrefois par Villemain et Charles Magnin et trop atténuées 
peut-être par M. Lecigne, qui loue « le fini du travail » 
de Marie et l’impeccable perfection des Histoires poétiques. 
Mais si l’ami d'Alfred de Vigny, d’Auguste Barbier, de 
Sainte-Beuve et de Deveria, était assez romantique pour 
qu'en 1835 l’auteur de Chatterton lui écrivit: « Où étiez- 
vous, mon ami, où étiez-vous ? Quand A. Barbier, Berlioz, 
Antony et tous mes bons et fidèles amis me serraient sur 
Jeur poitrine en pleurant, où étiez-vous ? Mon premier mot 
à Barbier a été: « Si Brizeux était ici! » L’ami d’Andrieux, 
J’admirateur enthousiaste d’Ingres, auquel il a consacré un 
Hymne, et de la beauté plastique de Part italien de Ja 
Renaissance, ne pouvait point ne pas être classique, non pas 
de ce classicisme finissant, qui s’enfermait dans de vaines 
et étroites formules, mais de ce classicisme large et libéral, 
qui est «l’école de l’ordre, de la mesure, du bon goût et du 
bon sens » — « J’appelle classique ce qui est sain », disait 
un jour Gœthe : à ce point de vue, l’auteur de Marie est 
classique, lui pour lequel les lettres et la poésie sont l'âme 
qui se déploie tout entière dans sa puissance ordonnée, sa 
beauté et son harmonie native, sans le faux brillant de la 
déraison, sans les excès d’une sensibilité fiévreuse, d’une 
désespérance morbide.— Il est classique encore, parce qu'il 
croit aux genres et aux règles, comme Horace, Boileau, 
André Chénier, dont il se réclame dans sa Poétique nou- 
velle, tout en disant « qu'après la poétique des règles, il 
restait à faire une autre poétique », la poétique des sources 
d'inspiration : 


Ils ont donné la forme et j'indique le fond. 


— Îlest classique enfin par l'art de la composition, l'amour 


AUGUSTE BRIZEUX 137 


du naturel et de la simplicité, le travail consciencieux et 
le fini de ses œuvres. Il n’a pas brassé la poésie à pleine 
cuve ; il a ciselé longtemps son petit écrin de perles, dont 
toutes, pourtant, ne sont pas de la plus belle eau. 

Ce qui manque ke plus à l’œuvre de Brizeux, c’est d’être 
chrétienne. Quand il écrivait Marie, il était « sans culte », 
comme il l'avoue lui-même. S'il voyait en Jésus « son 
ami le plus doux », il n'y voyait pas un Dieu, mais un 
philosophe : 

Philosophe essénien, amoureux des symboles, 

De sa bouche abondaient de longues paraboles, 

Des mots myslérieux sous lesquels il couvrait 

Sa doctrine puisée au lac de Nazareth. 

Les sages écoutatent, maïs ils ne croyaient pas. 
Nous,qu'écoulter et croire? Homme ou Christ, oh! qu'importe ? 


Il importe souverainement et il y va de toute la religion. 

Dans la Fleur d’or, le poète présente le christianisme ct 
la foi comme le lait de lenfant, et la philosophie à laquelle 
il s'adresse en disant : 

Sœur de la piété, noble philosophie, 

comme le pain de la virilité. Les millions de martyrs de la 
Ville Eternelle, la majesté de saint Pierre, les sublimes 
enseignements des Catacombes ne disent rien, absolument 
rien, au cœur de Brizeux, fermé à toute idée chrétienne. 
L'art seul le remplit de sa foi, et les hymnes au Pére, 
au Fils et à l'Esprit n’ont de religieux que le nom, au 
dire de M. de Margerie (1), plus sévère ici que 
M. Lecigne (2). 


(1) Etudes littéraires, p. 309 ; 1865. 
(2) Le P. Chervoillot, dans le numéro des Etudes du 20 octobre 1898, 
ne reproche-t-il pas trop au dernier historien de Brizeux d'avoir laissé 


138 AUGUSTE BRIZEUX 


* ILest vrai que ce dernier, après avoir déploré la perte de 
la foi dans l'âme du poëte, montre comment Brizeux dans 
les Bretons, dans les Histoires poétiques, revient, sinon au 
christianisme, du moins « À ses riants symboles », au 
« Jait des paraboles », dont « son cœur faible a besoin: ». 
Un jour, passant auprès des maçons qui construisent une 
école dans son village, il leur donne de religieux conseils : 


De l'église du bouro sondez les fondements ; 

La foi, la paix du cœur en furent les ciments. 
Dix siècles ont passé sur le saint édifice. 

Donc, pour bien affermir la nouvelle bâlisse, 
C'est peu du granit dur el c'est peu du mortier, 
Et c'est encore trop peu des réoles du métier. 
Maçons, si vous voulez que votre blanche école 
Ne tombe pas au vent comme un jouel frivole, 
Dés la première assise, à côlé du savoir, 

Mettez la foi naïve et l'amour et l'espoir. 


Comment ne pas admirer encore ce tableau de l'ile 
d'Hédic, dont tous les gens 


. æ 


dans l'ombre son manque de foi ? M. l'abbé Lecigne revient souvent; 
seulement, il fait remarquer avec raison que les idées religieuses de 
Brizeux se modifient, à partir de 1831, dans un sens de plus en plus 
orthodoxe. Celui qu'il appelait son « ancien Dieu » redevient simple- 
ment « son Dieu ». Dans l'édition de 1831, l'auteur de Marie disait de 
Jésus : | 

Philosophe essénien, amoureux des svmboles, 

Dans l'édition de 1836, il dit : 
Tel qu'un sage d Asie, amoureux des symboles. 


Le P. Chervoillot n'aurait-il pas dû tenir compte de cette évolution 
de la pensée de Brizeux, si bien notée par M. l'abbé Lecigne 2 


AUGUSTE BRIZEUX 139 


Se tenaïent sur la grève à recarder les lames ; | 
« Ab! disaient-ils, la mer est rude, le vent fort, 
« Et le prêtre chez nous ne viendra pas encor!» 
Ensuite, ils reprenaient d'un air plein de tristesse : 
« Ceux de Houad sont beureux ; ils ont toujours la messe. » 
Et sans plus espérer, graves, silencieux, 

Sur leur île jumelle ils altachaïent les yeux ; 

« A genoux, dit soudain le chef. Voici qu’on hisse 

« Le pavillon de Dieu : c’est Fheure de l'office. » 
Alors vous auriez vu tous ces braves matelots 

Ces femmes, ces enfants priant le long des Jos. és 

Les îles se parlaient. 


Certes, cette messe entendue de loin, ces prières passant 
par-dessus les vagues agitées, en face de l'infini des flots et 
de l'infini du ciel, voilà une «toile superbe, digne des plus 
grands maitres ». 

Pourquoi faut-il que l’auteur, élevé au milieu d'u un peuple 
« monarchique, catholique et soldat », comme le disait un 
jour en Bretagne Napoléon TT, ait perdu la plus belle part 
de son âme de breton, la foi catholique ? Du moins, il hous 
donne à tous le moyen d'éviter ce malheur : | 


Oh ! ne quiltez jamais, c'est moi qui vous le dis, 
Le devant de la porte où l'on jouait jadis, 
_ L'église où tout enfant et d'une voix léoére 
Vous chautiez à la messe auprés de votre mére, 
Et la petite école où, traïnant chaque pas, 
Vous alliez le matin, ob ! ne la quittez pas ! 
Car une fois perdu dans ces capitales, 
Ces immenses Paris aux lourmentes falales, 
Repos, fraiche gaïlé, tout y vient s’engloutir, 
Et vous les maudissez sans en pouvoir sortir. 


140 AUGUSTE BRIZEUX 


Croyez qu'il sera doux de voir u1i Jour peut-être 
Vos fils éludier sous votre bon vieux maître, 
Dans l'église avec vous chanter au méme banc 
Et jouer à la porte oil l'on jouait enfant. 


Ce qui honore encore Brizeux, c’est qu’à part quelques 
vers où il parle de « regards tout chargés de mollesse, du 
cœur et des sens qui s’éveillent ensemble », il n’y a rien, 
dans le recucil de ses poèmes, « qui fasse monter le rouge au 
front ». C’est à la religion de sa mère qu'il le doit. Il avait 
juré 

De n’aimer ici-bas que les plus douces choses, 
De se nourrir du beau, comme du suc des roses 
L'abeille se nourrit. 


I est demeuré fidèle à son serment. « Pendant que d’autres 
cueillaient les fleurs du mal, disait Renan devant sa statue, 
lui, il n’aima que les fleurs du bien. » Comme « la jeune 
fille noyée de Lanildut », Annaïk, qui, surprise par les 
flots au moment où elle pèchait sur la grève, se montra 
fidèle à la Bretagne jusque dans la mort, et, dénouant ses 
cheveux, les attacha aux goémons qui pendaient sur la 
roche, pour ne pas être emportée par la houle et reposer 
près des siens, dans la terre bénite, de même Brizeux, dans 
le naufrage de ses croyances, s’est attaché à la pureté de 
l’art, dont sa mère si chrétienne lui avait appris l'amour. et 
l’art français, reconnaissant, gardera du poète, si malheureux 
dans ses angoisses d’incroyant, un souvenir ému, avec Île 
culte de ces fleurs, embaumées du parfum de la ter:e d’Armo- 
rique : Marie, les Bretons, la Fleur d'or, les Histoires poétiques, 
Primel et Nola. | 

Ce sera l'honneur de M. l'abbé Leciyne de nous avoir 
fait respirer miéux que personne ce parfum sain et pur, 


AUGUSTE BRIZEUX 141 


parfois exquis, qu’avaient déja su cle V don 
Sainte-Beuve, Charles Magnin, de Pontmartin, Saint-René 
Taillandier et Victor de Laprade. | | 
Tous les amateurs de poésie intime et de poésit locle 
salueront en Brizeux, non pas un « génie », un « grand 
poète », un poëte unique et « sans ancêtres » dans notie 
littérature, mais un poète secondaire, très honorable, qui, 
malgré son style, toujours terne et gris, comme les brumes 
de sa Bretagne, 1 quelque chose de très personnel et de 
très original : une sensibilité exquise, à la fois profonde et 
discrète, dans l'expression des choses du cœur, et assez 
d'inspiration patriotique et locale pour donner un droit de 
cité à la Bretagne dans notre histoire littéraire, heureuse 
d'admirer en Brizeux le poëte de Marie. 


L'abbé Th. DELMONT 


P. S.— Au moment ot cet article allait paraître, les jour- 
naux ont annoncé que l'Académie Française venait de couronner 
le Brizeux de M. l'abbé Lecigne et de lui décerner ÿo0 us 
sur le prix Bordin. | 

Nous sommes très heureux d'en féliciter les Faculiées catholi- 
ques de Lille et surtout le jeune et distingué professeur, M. l'abbé 
Lecigne, qui leur vaut cet honneur. 


Abitudié sul LC subis, CLP ENNEMI TTL ENTER -$c'UIQUR 


h 
D ra 


+ 


ANS un de ses cours de l1 Sorbonne, M. Em. 
Faguet à étudié la vie et les œuvres de Jacques 
Vergier, né à Lyon vers 1655, assassiné à Paris 
en 1720 par la bande de Cartouche. Cet écrivain, qu’on 
appelait le « singe de la Fontaine », est aujourd’hui bien 
oublié. Cependant ses contes en prose ne sont pas sans agré- 
ment (Voir la Revue des Cours et Conférences, 6 avril 1899). 


s, L'Annnaire-Bulletin de la Société de l'histoire de 
France (années 1897 et 1898) analvse divers « Actes 
d'État » du roi Philippe VI. Un assez grand nombre con- 
cernent des personnages de la région fyonnaise, entre au- 
tres : l’archevèque de Lyon (n° 351, 520, 578), Guy, 
comte de Forez (272), Briand, scigneur de Saint-Priest cet 


de Saint-Chamond (289). 


. On trouvera aussi plusieurs mentions qui intéressent 
le diocèse de Lron dans le livre tout récent de M. Joseph 


NOTES ET SOUVENIRS 143 


Loye : les Archives de la Chambre apostolique au XIV siècle, 
Paris, 1899 (Voy. pp. 23, 128, 136, 152, 207, 227, 232). 


, La Société de l’histoire de France a publié, en 1898, 
le premier volume des Mémoires du chevalier de Quincy, jus- 
que-là inédits. À l’année 1702, Quincy tient registre, jour 
par jour, de son voyage de Paris à Lyon par Nevers, Mou- 
lins, Roanne et Tarare. Bien que les réflexions de l’auteur 
soient fort banales, on nous saura peut-être gré de trans- 
crire en partie la fin de cet itinéraire : « Le 29 [mars 1702], 
ayant traversé la Palisse... nous fümes coucher à Roanne, 
petite ville située sur la Loire... — Le 30, à Tarare. — Le 
31, à Lyon, où nous stjournâmes le 1° avril. Elle est la 
capitale du Lyonnois ; le Rhône et la Saône s’y joignent. 
Cette ville est fort ancienne; elle est aux François depuis 
l'an 532. Elle est renommée par son commerce, par ses 
manufactures et par son négoce. Il y a des édifices et des 
plices magnifiques, entre autres celle que lon nomme 
Bellecour. L'hôtel de ville est la plus belle (si) qu'il y ait 


en France, etc. » 


“, Les autres volumes publiés en dernier lieu par la 
mème Société ont tous de l’intérèt pour l'histoire de notre 
province. Le tome VI° des Lettres de Louis XI, qui va de 
1475 à 1478, nous montre le roi longtemps installé à Lyon. 
Un grand nombre de lettres sont datées de cette ville, une 
de Pierre-Scize, une de PArbresle, et quatr: de Roanne. 
— Le premier volume des Letires de Charles VIIT nous 
apprend que deux mille Suisses furent embarqués sur la Loire 
à Roanne au printemps de l'année 1488 ; d’autres avaient 
passé à Lyon en octobre 1487. — Le Journal de Jean Baril- 
lon (tr. IT) raconte le vovage et l'arrivée de François Ir à 


OS SU D. ON mm 


144 _ NOTES ET SOUVENIRS 


Lyon, où il fit son entrée triomphale le 12 juillet 1515. — 
Enfin, le premier volume de la Chronique d’ Antonio Morosini 
(1396-1413) mentionne en plusieurs endroits un Forézien 
illustre, Jean de Châteaumorand, fait prisonnier en 1403 
par les Vénitiens à la bataille navale de Modon. 


*, À six mètres au-dessous de la terrasse du Patronage 
situé rue du Bon-Pasteur, 35, et longeant le flanc de la 
colline de la Croix-Rousse, on à trouvé une galerie souter- 
raine de 60 mètres de longueur, entièrement voûtée en 
plein cintre, d’une hauteur moyenne de 2 mètres et d’une 
largeur de 1 m. 50 environ. 

Ce qui est caractéristique, c’est l'existence de puits nom- 
breux creusés extérieurement à la paroi septentrionale, ct 
communiquant avec la galerie. 

On accède à cette intéressante galerie par une autre gale- 
rie plus basse et plus étroite, qui semble descendre dans la 
direction du Jardin des Plantes. 


", Une jolie naïveté de J. Barbier, imprimeur à Lyon. 
Dans l’hommage qu’il fit aux Consuls du livre des Privilé- 
ges et Authoritez des prévot des marchands... il leur 
déclare qu’en les désignant la Ville « n’a fait que suivre les 
intentions de Dieu qui vous avoit de toute éternité destinez 
et choisis pour tenir droict le fimon du vaisseau lyonnois et 
le faire triompher de tant et de si rudes secousses et furicuses 
tempestes. » …. 

Avec son char de l'Etat naviguant sur un volcan 
M. Prudhomime n’a fait que rééditer J. Barbier. 


UN LIVRE DE FAMILLE. — GÉNÉALOGIE DES RIVÉRIEULX, LEUR 
DESCENDANCE PAR LES FEMMES, LEURS FIEFS ET SEIGNEURIES... par 
Paul de VaARAx. Deuxième édition, 1 beau volume in-4, orné de 
blasons, en vente chez MM. Waltener et Cie, 3, rue Stella. 


La première édition de cet ouvrage, paruc il v a peu de temps, fut rapi- 
dement épuisée. Alors l’auteur, cédant aux nombreuses demandes qui 
lui étaient adressées, se décida à en publier une nouvelle qui vient de 
paraitre. 

De même que pour la Généalogie de la famille de Pomey, dont nous 
avons eu le plaisir d'entretenir nos lecteurs dans la livraison de juin de 
cette revue, c’est un excellent livre d'histoire lvonnaise dont M. Paul 
de Varax vient de propager la diffusion. 

« L'origine la plus probable de la famille de Rivérieulx, lisons-nous 
dans le chapitre Ir, se trouve en Bourbonnais ; Saint-Allais, N'obiliaire 
universel, dit qu'elle vient de Bourbon-l’Archambault; les premiers 
membres de cette famille que l'on trouve à Lvon, v arrivèrent vers 
1630 et étaient natifs de Jalignv, en Bourbonnais. Vers la même 
époque, ce nom se rencontre sur les registres paroissiaux de Verneuil, 
en Bourbonnais, et de Saint-Chamond, en Lvonnais. Au xvi® siècle, 
les Rivérieulx jouirent, à Lvon des plus hautes charges consulaires, avant 
donné à cette ville deux prévôts des marchands ; en possession aussi du 
service militaire, cette famille compte en moins vingt officiers, dont un 
maréchal de camp et cinq chevaliers de St-Louis. Plusieurs de ses 
membres ont exercé des charges en la cour des Monnaies, Sénéchaussée 
et Siège présidial de Lyon. À l’époque de la Révolution de 1793, elle 


N 2. — Août 1899. 10 


146 BIBLIOGRAPHIE 
se divisait en plusieurs branches, distinguées entre elles par leurs noms 
de ficfs, mais se ralliant toutes aux sentiments religieux et monarchiques, 
qui lui valurent cinq victimes de l'anarchie révolutionnaire; quatre 
dans la branche de Varax et une dans celle de Chambost. Elle se 
divise aujourd'hui en trois branches principales : l'ainte, qui porte 
simplement le nom patronymique de Rivérieulx, réside aux environs 
de Brest, en Bretagne; la seconde, surnommée de Varax, a pour siège 
central le chäteau de la Duchère près de Lvon, et s'étend dans la 
Dombes, le Mäconnais, le Beaujolais, la Bresse chalonnaise et 
les Basses-Marches du Bourbonnais. La troisième, dite de Chambost, 
vient de s'éteindre dans son rameau ainé, à Chambost-Longessaigne, 
mais subsiste toujours dans le Dauphiné et la Savoie. » 

Parmi les nombreux fiefs possédés par les Rivérieulx de Varax, il 
faut citer le château de la Duchère, bien connu de tous les Lronnais, 
et dont la pittoresque silhouette se détache entre des ombrages sécu- 
laires à l’extrémité du faubourg de Vaise. 

On trouve dans la Généalogie des Rivérieulx de très copieuses notes, 
sortes d'éphémérides de la Duchère, qui nous initient à la vie du vieux 
Castel depuis l'an 1500 jusqu'à nos jours. Ce château, à lui seul, deman- 
derait une monographie ; les pages que lui consacre M. de Varax 
pourront servir de jalons à son futur historien. 

Une table analytique des noms cités, terminant le volume, permet 
de faciles recherches parmi les généalogies de familles Ivonnaises 
alliées à celle des Rivérieulx. 

La première édition de la Généalogie des Rirérieulx à été presque 
enticrement absorbée par la famille; la seconde, tirée à un nombre 
restreint d'exemplaires, sera promptement écoulée. Nous engageons nos 
amis, bibliophiles et généalogistes, à ne pas attendre la chute des feuilles 
pour se procurer cet excellent ouvrage. 

Léon GALLE. 


ee 


LE PEINTRE JACQUES PILLARD, par M. Jules Bouvier et 
M, l'abbé Claude BOUVIER. Avec un portrait du peintre par lui-même 
et trois reproductions de ses tableaux. Vienne, 1898, gr. in-8v, 
174 pages. 

Sous ce titre, deux Viennois racontent avec bonne humeur, et sans trop 


surfaire de mérite de leur compatriote, la vie d'un peintre qui n'est pas 


BIBLIOGRAPHIE 147 


arrivé à la célébrité. Artiste cependant, d'une main sûre, d’une manière 
simple et large. Peut-être lui a-t-il manqué un accent un peu plus per- 
sonnel, et d'être moins asservi à des formules académiques; mais il 
lui a surtout manqué la science de se pousser et de se faire valoir. Il à 
mieux aimé traverser Îa vie paisiblement, très dédaigneux des 
moyens qui assurent d'ordinaire le succés. À tout prendre, ce qu'il v 
a eu de meilleur en lui, c'était l’homme. C'était aussi le causeur aux 
fins propos, aux traits pittoresques, l'anecdotier inépuisable, déroulant 
de préférence l'histoire de ses longues fläneries travers Jes quartiers de 
Rome; il connaissait la ville « comme s'il l'avait bâtie », et on dit 
que Louis Veuillot lui doit quelques pages de ses Parfums de Rome. Un 
jour pourtant, Pillard se souvint qu'il avait passé son enfance près de 
la porte de Serpaize; il revint à Vienne, avec sa vieille bonne Santa, 
et s'installa prés du Rhône, en face des coteaux de Sainte-Colombe. 
"C’est là qu'il s'éteignit le 9 avril 1898 (1). 

REURE. 


LOUIS XV ET LES PETITES MATTRESSFS, par le comte FLEURY. 
— Librairie Plon, Nourrit et Cie, 10, rue Garancière, Paris. Un 
volume in-8° avec portraits. Prix : 6 francs. 


Quittant cette fois les sombres récits de la Révolution (on se rappelle 
Carrier à Nantes), le comte Fleurv publie à la librairie Plon un ouvrage 
d’ordre moins sévère et très anecdotique intitulé : Louis XV intime et 
les Petites Maitresses. Bien qu'il ait èté beaucoup écrit sur la Cour de 
Louis XV, on n'avait jamais pensé à retracer l’histoire des maitresses 
de second plan du roi voluptueux. Quelques-unes valaient la peine 
d'être sorties de l’oubli : les unes parce qu'elles furent rivales de 
Mme de Pompadour, comme la comtesse de Choiseul-Romanet, la 
marquise de Coislin, la princesse de Rebecq, la comtesse d’Estrades 
ou Mme d’Esparbès, et jouérent un instant un rôle politique; les autres, 
comme Mlle de Romans, la Morphise ou Mlle Tiercelin, parce qu'elles 
ont donné des enfants à Louis XV et qu'il était intéressant de retrouver 
leur descendance. Qu'à celles-là on joigne quelques maitresses de 


(1) Jacques Pillard avait commencé son éducation artistique à Lvon, 
où il stjourna de 1850 à 1834. 


148 © BIBLIOGRAPHIE 


passage venant du Parc aux Cerfs, et l’on connaîtra une liste presque 
complète des femmes remarquées par Louis XV. De très curieux docu- 
ments recueillis à la bibliothèque de l’Arsenal, aux Archives nationales, 
à la bibliothèque Mazarine et aux Archives de Seine-et-Oise apportent 
une lumière nouvelle à ce tableau de genre sur lesquels planent les 
ombres connues des sœurs de Mailly-Nesle, de Mme de Pompadour ct 
de la Du Barry. Huit gravures d’après des portraits de Nattier rehaussent 
l'attrait de ce volume, écrit de plume alerte et appelé à être goûté des 
amateurs du séduisant xvH1° siècle. | 


LAURIERS ET CYPRÈS, poësies patriotiques, par JosEPH MAxIix, 
Alphonse Lemerre, éditeur, passage Choiseul, 23-31, Paris. — Prix : 
3 francs. | 


Rappeler l’héroïsme, les hauts faits d'armes des grands vaincus de 
l'Année Terrible, et stigmatiser en des vers cinglants la férocité, la 
barbarie et la lâcheté des vainqueurs, c’est aimer son pays, c’est faire 
aimer son Drapeau. 

M. Joseph Manin, qui fut soldat volontaire, et devint officier à cette 
époque est, de plus, avantageusement apprécié du monde des Lettrés 
comme écrivain et comme poëte. Il a choisi avec soin l'heure psycho- 
logique où la France est, pour ainsi dire, partagée en deux camps sur 
a question de l'Armée et du Drapeau, pour publier ses Lauriers et 
Cvprès. | 

Son nouveau livre, qui se trouvera dans toutes les mains vraiment 
françaises, est l'œuvre d'un bon patriote, tout en étant celle d’un poîte 
de grande marque. 


BAISERS D’AMES, un volume de poésies, par JosEPH  MaAxix, 

Alphonse Lemerre, éditeur, passage Choiseul, 23-31, Paris. — Prix : 

3 francs. 

Le savant auteur de la Cosmographie de l'Esprit, du Carnet d'un 
Philosophe et des Peuples Latins, M. Joseph Manin, publie aujourd’hui 
chez Lemerre un ouvrage de vers : BAISERS D'AMES, appelé, crovons- 
hous, à un double succès d'estime et de librairie. La réputation du 


: BIBLIOGRAPHIE 149 


poète s'était accentuée avec le poème : À Travers l'Infini, qui lui valut 
les hommages unanimes des Lettrés. Nous sommes persuadés qu’elle 
ne pourra que s'affirmer davantage encore avec Baisers d’Ames, en le 
classant parmi les bons poètes de la pléiade parnassienne. 

Avis aux amateurs de véritable poésie, aux gourmets de vers harmo- 
nieux et sonores, à tous ceux qui recherchent dans le strle ardent, 
lyrique et coloré, une distraction aux banalités de la vie. 


CATALOGUE SOMMAIRE DES MUSÉES DE LA VILLE DE 
LYON, ouvrage de 375 pages, format in-8° carré, orné de nombreuses 
reproductions en similigravure, photogravure, gravure sur bois, ctc. 
— Edition ordinaire : 1 fr.; édition de luxe : 5 francs. 


En vente aux Musées et à l’Imprimerie Mougin-Rusand, Waltener 
et Cie, successeurs, rue Stella, 3, éditeurs-proprictaires du Catalogue. 


Chronique de juillet 1899 


+ 380 l'ombre. — Les morts du mois, le père Tharin, M. Desprez. 
— Les faits du mois, une élection sénatoriale, Congrès des Juriscon- 
suites catholiques, arts, théâtres, littérature. — Sarah Bernhardt et 
«@ Hamlet ». — M. Vermare, prix de Rome, les livres du mois. 


A chronique chôme. Est-ce l'effet des chaleurs 
que nous subissons; serait-ce parce que cette 
affreuse affaire Dreytus captive toute l'attention 

et nous fait négliger-bien des incidents intéressants ? Quel 

‘qu’en soit le motif, les faits à relater sont peu nombreux. 

Est-ce aussi le résultat de cette température sénégalienne, 


qui fait oublier toute mesure de prudence — + 38° à 
l'ombre ? — les décès sont nombreux et très nombreux 


sont les cas de cholérine que certains ont, dans leur panique, 
baptisés du nom de choléra. 

Le 9 juillet, meurt M. André Mathel-Tharin, officier 
d’Académie, chevalier de l’ordre du Nicham, administra- 
teur de l'Enscignement professionnel du Rhône. M. Tharin, 


CHRONIQUE DE JUILLET 1899 ISI 


le père Tharin », comme l’appelaient familièrement les 
Touristes lyonnais, dont il était le fondateur, était issu d’une 
famille très ancienne de Beaufort-sur-Doron, en Savoie. 
En 1870, engagé volontaire à la 3° légion, il s’y conduisit 
bravement. En 1872 il aidait à la création de plus de quinze 
cours élémentaires gratuits À l'Enseignement professionnel 
du Rhône. En 1876, il fondait la Société des Touristes 
lyonnais dont l'éloge n’est plus à faire. Il fut l’initiateur 
d'une dizaine de Sociétés patriotiques en Savoic et prési- 
dent de la Société Philanthropique Savoisienne de Lyon. 
C'était un brave homme, dans toute l’acception du mot, et 
un bon Français. Le 12 juillet s’éteignait M. Adrien 
Chartron, petit-fils de M": Giraud-Novalet, présidente de 
l'Œuvre de Ja Croix-Rouge. 

Deux morts le 24. C’est d’abord M. le comte de 
Montbriand qui succombe à Paris, aux suites d’un terrible 
accident, à l’âge de quarante-quatre ans. Avec lui s’est 
éteint le nom des Léviste de Montbriand, qui a tenu une 
si large place dans l’histoire des Dombes et dont les mem- 
bres avaient jadis occupé les charges les plus hautes au 
Parlement de Trévoux. | 

Le mème jour mourait à Lyon, après quelques heures 
de maladie seulement, M. F. Desprez, ancien bâtonnier de 
l'Ordre des avocats. Depuis plus de vingt années, 
M. Desprez était maintenu, grace à la haute estime dans 
laquelle le tenaient ses confrères, et à sa droiture réputée, 
dans le Conseil de l'Ordre. Dans les moments si troublés 
qui suivirent le krach financier de 1882, sa parole claire et 
sobre, son jugement droit et sain, apportèrent aux magis- 
trats un concours recherché au milieu des conflits d'intérêts 
si aigus et si passionés. | 

En 1889, M. Desprez, batonnier de l'Ordre, recevait La 
croix de chevalier de la Légion d'honneur. 


152 CHRONIQUE DE JUILLET 1899 


Enfin, le 26 juillet, s'éteint à la Maison-Mère des Petits 
Frères de Marie, à Saint-Genis-Laval, le très cher frère 
Euthyme, âgé de soixante-dix-neuf ans, après soixante-quatre 
ans de vie religieuse. Le frère Euthyme a laissé après sa 
mort un vide immense dans son institut dont il était une 
des colonnes ; la science et surtout l’histoire naturelle per- 
dent en lui un de leurs représentants les plus autorisés. 


# 
x + 


Après cet hommage posthume rendu au frère Euthyme, 
enregistrons avec plaisir un autre hommage rendu à un 
homme de bien, par la Société d'économie sociale de Paris, le 
2 juillet dernier, à M. l'abbé Boisard, qui se voit attribuer 
les revenus, 6.000 francs environ annuellement, d’un leus 
important, en faveur de ses établissements agricoles de 
Tunisie qui reçoivent plus de quarante adultes de la région 
lyonnaise se formant à la colonisation dans notre belle 
possession africaine. | 

Avec des colons, il nous faut aussi des soldats et des 
hommes ; aussi avons-nous volontiers applaudi, le 
2 juillet, aux exploits de nos gymnastes, au septième 
concours de l’Association de gymnastique de Lyon et du 
Rhône, à Villeurbanne, tandis qu'on inaugurait à la mairie 
de cette commune la plaque en bronze, — œuvre de 
Pagny, — portant les noms des morts de 1870 du canton. 
Pourquoi faut-il que la politique, cette maudite politique, 
se mêle toujours à ces fêtes où l’on ne voudrait voir vibrer 
à l'unisson que des cœurs de Français. 

Elle trônait aussi en maitresse, le dimanche suivant, 
9 juillet, au Palais de Justice, où se trouvaient réunis les 
délégués sénatoriaux pour l'élection d’un sénateur en rem- 
placement de M. Perras, décédé. La lutte a été chaude et 


CHRONIQUE DE JUILLET 1899 153 


les deux tours de scrutin ont montré la ténacité de chacun 
des partis en présence. En dernier lieu, M. Million, 
modéré, était élu sénateur par 401 voix, contre 336 voix 
données à M. le docteur Cazeneuve, que les socialistes pré- 
tendaient défendre et dont les amis du député Colliard ont 
assuré, bien malgré eux, la défaite. 


* 
*k * 


Pendant ce temps, le Congrès des Jurisconsultes catholi- 
ques s’ouvrait à Lyon à la Faculté catholique des lettres, 
le 18 juillet, sous la présidence de M. de Larmazclle. On 
y entendait les rapports du plus vif intérèt de MM. Poide- 
bard, Fernex de Mongex, ancien bâtonnier de Chambéry, 
Rivet, comte de Lucay, de la Société des agriculteurs de 
France, Richard, François Gairal. 

Le 20, M. Loubet, se rendant en villégiature à Marsanne, 
passait incognito à Perrache, tandis qu’on l’attendait à 
Collonges, chez Mme Perret, de Chessy, dont il fut l’ancien 
avocat-conseil et où jadis il se rendait bien souvent. Les 
habitants de Collonges n’ont pas oublié la silhouette de 
l’ancien président du Sénat qui fumait avec tant de bon- 
heur et de négligé sa bonne pipe sur la terrasse du château 
de Mme Perret, coiffé d’un immense panama — oh! 
shoking! — et les jambes bien à l’aise dans une immense 
culotte de coutil blanc. 

Le 2r juillet, l’assemblée générale du Barreau de Lyon 
renouvelait dans leurs fonctions les membres de l’ordre 
sortant, et M° Morin, bätonnier, réélu à l'unanimité qui 
prononce l'éloge funèbre des avocats morts dans l’année : 
M:: Jules Dulac, Poncet et Lucien Brun. 

Quand nous aurons cité encore les fêtes du onzième 
centenaire de la fondation par l’archevèque Levdrade du 


154 CHRONIQUE DE JUILLET 1899 


Petit Séminaire de St-Jean, — un auteur érudit en a conservé 
le souvenir dans un livre très documenté; quand nous 
aurons signalé les brillantes représentations sportives 
offertes à leurs invités, au camp de la Valbonne par 
MM. les officiers du 1°" hussards, en manœuvres près de 
nous, nous aurons résumé les faits principaux du mois. 


* 
*X * 


Mais la Valbonne n’a pas eu seule le privilège des 
représentations de gala. Malgré une chaleur étouffante, 
Mme Sarah Bernhardt a fait salle comble aux Célestins le 
2 juillet, avec son interprétation d’Hamlet, non pas cet 
Hamlet que nous connaissons tous, cet opéra classique, mais 
l'Hamlet énigmatique, prodigieux conçu par Shakspeare, 
traduit fidèlement par MM. Eugène Moreau et Marcel 
Schwob, et merveilleusement incarné par la grande 
tragédienne. C’est assurément un des plus beaux exploits 
de la glorieuse carrière de Sarah Bernhardt. Jamais, je crois, 
son génie ne s'était élevé si haut, mettant en jeu toutes les 
ressources de la voix, de la physionomie et du geste. D'un 
coup d’aile, elle a dépassé tous les interprètes pour monter 
jusqu à Shakspeare. 

Le 29 juillet, Mme Réjane obtenait sur cette même scène 
un succès considérable avec deux de ses meilleures créations 
du Vaudeville, Lolotte et La Parisienne. 

Sans quitter les Célestins nous nous transporterons aux 
concours du Conservatoire, très intéressants cette année 
et qui, sous une chaleur torride, attirent la foule énorme 
des habitués de ces réunions, dames Cardinal et mères 
d'étoiles en espérance. | 

Parmi les principaux lauréats de ces concours citons, 
dans la classe de déclimation de M. Gerbert, MM. Bourbon 


CHRONIQUE DE JUILLET 1899 155 


et Sance, Mile Chevalier, dans la classe d'opéra M. Milleret, 
Miles Poussonnel et Sapaly, tout particulièrement remar- 
qués et applaudis. | 

Pendant ce temps, une ancienne élève de notre Conser- 
vatoire, Mile Frère-Halo, obtenait à Paris le premier prix 
de chant. 

Et nous n'en avions pas fini avec les apothtoses dans 
cette période heureuse des concours et des distributions de 
palmes et de couronnes. Voici qu’une dépèche nous appre- 
nait le 26 juillet qu’un de nos jeunes statuaires lyonnais, 
ancien élève de notre école des Beaux-Arts, M. Vermare, 
venait d'obtenir le grand premier prix de Rome pour la 
sculpture. 

Le sujet à traiter était: « la Douleur d'Adam et d’Eve 
devant le corps d’Abel tué par Caïn ». M. Vermare avait 
déjà produit des œuvres remarquables : une « Eve », achetée 
par la Ville de Lyon il y a quelques années, et une statue 
en marbre de Giotto, que l’on a pu admirer au dernier 
Salon de Bellecour. M. Vermare n'a pas trente ans, c'est 
un tempérament bien servi par une conception rare de Part 
et de la forme. Souhaitons que le chemin de Rome ouvre 
toute large pour notre jeune statuaire la route de la gloire. 


% 
# *% 


Des arts passons aux lettres et signalons quelques œuvres 
d'auteurs lyonnais qui se recommandent aux amis du livre 
et de notre histoire. 

C’est d’abord l’œuvre si complète, si documentée, si 
curieuse de M. Natalis Rondot et dont la Revue du Lyonnais 
a eu la primeur; j'ai nommé les Thurneysen, ces graveurs 
d'estampes lyonnais si réputés au xvirt siècle. Avant de 
nous donner la nomenclature de leurs œuvres, l’érudit 


156 CHRONIQUE DE JUILLET 1899 


Lyonnais, à qui nous devons tant d'œuvres d’une compila- 
tion savante et bien coordonnée, nous fait revivre dans 
une préface, qui est un précis d'histoire, tout un coin du 
vieux Lyon « au coin de la Poulaillerie, près Saint-Nizier », 
où se trouvaient la boutiqueet l'atelier du célèbre graveur. 

Cet ouvrage continue, avec un rare bonheur, la remar- 
quable collection des études de M. Natalis Rondot sur les 
artistes et les anciens maîtres de métier de Lyon. 

M. l'abbé Bauron, curé de Saint-Eucher, 1 eu l’excellente 
inspiration d'écrire la vie du vénérable chanoïne : « Le curé 
Paret », demeuré si populaire à la Croix-Rousse, cet homme 
de bien, qui avait constamment la main ouverte et qui, 
lorsque sa bourse était épuisée, savait plaider si éloquem- 
ment auprès des heureux de ce monde le sort des malheu- 
reux, des canuts du Plateau éprouvés par le chômage. 

Voici un ouvrage d’un tout autre esprit, dans un ordre 
d'idée bien opposé. Aux douceurs de l’apôtre opposons la 
pointe aiguë de l’escrimeur. M. le capitaine E. Coste, si 
connu et si estimé à l'état-major de la place de Lyon, vient 
de publier un livre qui fera époque dans les annales de 
l’escrime : Fleurets rompus. M. le capitaine Coste, premier 
champion de l’escrime française, était bien qualifié pour 
remplacer laridité des manuels des professeurs d'armes, ou 
la naïveté de ces recueils trop savants de bottes dites 
secrètes, qui n’ont jamais réservé à ceux qui voulaient les 
mettre en pratique que les plus cruelles déconvenues, par une 
œuvre hors des banalités connues. L’aimable maitre en l'art 
de l'épée s’est maintenu dans une région philosophique, qui 
donne à son œuvre un cachet de remarquable originalité. 

Et voyez quelle diversité curieuse dans les sujets traités 
par leurs auteurs ! De l'histoire, avec Natalis Rondot, nous 
avons passé à la charité, avec l’abbé Bauron. Le capitaine 


CHRONIQUE DE JUILLET 1899 is 


Coste nous conduit à la pointe de lépéc; et voici que 
M. Pierre de Bouchaud, avec son Recueil des Souvenirs, va 
va nous entrainer à sa suite dans ses envolées poétiques. 


Souvenirs, — non point confidences, les intellectuels 
abusent de ce mot, — souvenirs poétiques de voyages, 


souvenirs de méditations sur les grèves, souvenirs de rèves 
sur l’Adriatique et sur la Grande Bleue, délicieusement 
groupés, finement ciselés, tous empreints de cette chaleur du 
cœur qui, chez Pierre de Bouchaud, est si communicative, 
peints avec cette fulauration de couleurs éclatantes que 
mon vieux camarade de collège à fixée pour tout jamais 
sur sa palette. 

Ne quittons pas les poètes et signalons en terminant les 
Sonnets foréziens ; ce sont des souvenirs aussi, que M. Anto- 
nin Lugnier, un Stéphanois transplanté à la Lice chanson- 
nière de Montmartre, a délicieusement écrits et qu'a. 
encadrés avec art un autre Forézien, M. Eugène Dclatre. Le 
vers y est plein de flamme ou de douce mélancolie, de pro- 
fondes rèveries ou de fières envolées. 


Par le cœur et l'esprit retournant en arriére 
Au nom du sol natal nous nous redressons forts. 


Oui, c'est ainsi que le sol natal nous souffle ses chaudes 
efluves; c’est ainsi qu’en honorant la petite patrie, nous. 
nous sentons plus forts pour défendre la grande. 


Pierre VIRESs. 


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Revue de la Presse 


Bulletin municipal officiel de la ville de Lyon. — 
7, 14, 21, 28 mai; 4, 11,18, 25 juin 1899 : Délibéralions des corps 
municipaux de la ville de Lvon pendant la période révolutionnaire. — 
Conseil municipal, séances des 3, 4, $, 6, 9, 10, 11, 12, 13, 14,17, 18, 
19, 20, 21, 25, 27, 28, 30, 31 août; 1, 2, 3, 9, 10,13, 14, 16, 20, 21, 
22, 23, 27 septembre 1790. — Consvil général, séances des 16, 23 août ; 
3, 6, 17 septembre 1790. 


L'Express. — 10 mai 1 899 : Francdouaire, à Fourvière, — 13 mai : 
Francdouaire, Réponse à M. Sainte-Marie Perrin à propos de Fourtvière. 
— 14 ett5 mai : Francdouaire, Fétes à Bourg-de-Thizy en l'honneur 
de Claudius Clkrvin. — 21 mai : Emmanuel Vingtrinier, La Bresse au 
XVIe siècle, d'après un livre récent. — 25 mai : Emmanuel Vingtrinier, 
La vie provinciale. — Le Canal de Jonage, protestation des habitants de 
Vaulx-en- Velin. — 28 mai : Causerie d'un bibliophile ; la bibliographie 
Lvonnaise, de M. Baudrier. — 12 juin : Francdouaire, Le quartier des 
Célestins transformé. — 20 juin : Emmanuel Vingtrinier, Le mouvement 
intellectuel en province, — 22 juin : Le Congrès archéologique de Macon. 
— 15 juillet Autour de Lvon; le bois de l'Etoile, — 31 juillet : Joseph 
Vingtrinier, Le lisutenant Bonaparte a Montribloud, 


REVUE DE LA PKESSE 159 


Lyon Républicain. — {Supplément littéraire). — Suite des 
études Ivonnaises de M. Josse, 4 mai 1899 : Laurent de la Feuhe. — 
it mat : Les Villars. — 18 mai: François Villette, — 25 mai : Jacques 
de Vintimille. — 1e juin : Les Vitet, — 8 juin : tienne Ydelez. — 
15 juin : Jean Yrvernalt. — 22 juin : François Zacharie,. — 29 juin : 
Abascantus. — 6 juillet : Claude Corneille. — 13 juillet : Jean Cottereau. 
— 20 juillet : Claude Bimet, — 27 juillet : M6 Desbordes- Valmore. — 
16 juillet : Marcel Violette, Les joutes Lvonnaises. 


Le Nouvelliste. — 10 mai 1899 : Th. D., Les décorations de 
Péylise Saint-Paul, — 12 mai : La question des eaux à Lvon. — 21 juin : 
Henri Beaune, La Nouvelle histoire de Lvon de M, Stevert (tome ID). 


Progrès illustré. — 7 mai 1899 : Félix Desvernav, Les rues de 
Lyon, place du Petit-Collèse et montée du Garillan. — 25 juin : Quai de 
la Pécherie, dessins de Girrane. 


Le Salut Public. — ; mai 1899 : Pierre Desroches, Questions 
municipales ; le monument de Pierre Dupont et la délibérafion de 1896. — 
Pierre Desroches, Les grands travaux publics et le pont des Facultés. — 
14 juin : Henri Rojeas, Lvon inconnu, les gardiens de la paix.— 6 juillet : 
Henri Thiers, Nouvelle histoire de Lvon., — 13 juillet : L'Enseionement 
secondaire dans la région. — 28 juillet : Etienne Charles, Un Lrvonnais 


grand prix de Rome : André Vermare. 


Revue Dauphinoise. — 30 juin 1899 : Le colonel de Bevlié et le 
Musée de Grenoble, par Aristide Albert; Marsanne, par H: Lacroix; 
Prière du soir, poësie, par Henri Second ; Francisque Sarcev à Grenoble, 
par Emile Roux; Le Valvaudemar pittoresque, par Stéphane Moulin ; 
Chronique; Portrait du colonel de Bevlié. — 15 juillet : Marsanne 
(suite), par "A. Lacroix ; Elle était la bonté, poèsie, par Louis Pocat ; 
Francisque Sarcey à Grenoble (Suite), par Emile Roux; Touristes d'antre- 
fois, par Henri Second; Le Valgaudemar pittoresque (suite), par Stéphane 
Moulin; Chronique et Bibliographie. 


La Revue Forézienne. — ’uillet 1899 : La France noutelle, 
par Paul Gourmand; Une oflicine de chirurgicn-apothicaire en Forez at 


160 REVUE LE LA PRESSE 


XVI siècle, par Charles Guilhaume; Féminisme, par L. Van den 
Place; La Baronnie de Cornuillon, par J. Prajoux, etc., etc., chronique, 
études littéraires, bibliographie. 


_ La Revue du Siècle, avril 1899. Ce numéro est consacré aux 
fêtes en l'honneur de Pierre Dupont. — Préface : Camille Rov. — 
Etude sur les œuvres et sur la vie de Pierre Dupont : Armand Belloc. — 
Historique de la souscription pour le monument et des Fêtes de la Chanson. 
— Les fêtes du 29 ct du 30 avril : La féle de la Chanson; La cérémonie 
inauguration du monument ; Le Banquet du Caveau lyonnais, — Odes cn 
Phonneur de Pierre Dupont, de Mme Antonia Bossu, de M. Jean Renoud 
et de M. Paul Houter. — Discours de MM. Coste-Labaume, Ballet- 
Gallifet, Camille Rov, Henri Roujon, directeur des Beaux-Arts, et 
M. Le Roux, préfet du Rhône. — Gravures : Portrait de Pierre Dupont 


cl oue du momunent des Chartreux. 


ERRATUM 


Dans la notice sur Arthur de Gravillon, parue dans 
notre livraison de juillet, lisez, page 7 : « .… Arthur de 
Gravillon, né à Lyon, en 1828, était fils d’un ancien 
garde du corps de Charles X et de la fille de, lillustre 
Camille Jordan... » et non de la petite-fille, comme il a été 
dit par erreur. | 


Le Gérant : P. BERTHET. 


Lvon, Imp. Mougin-Rusand, Waltener et C'e suc”, rue Stella, 3. 


| Laurentio Toannon de Saint Laurent Luadunensi, 
gui d luroha hergarala, Floreniæ Pur irruumt uni Lulerts, rcbus gerendes , COMME Sabru  floren 
ut nat: nhysice andiquiiles à Éxpudorator ddigens, dein Ferrari Casarcus dre ftrador, 
fantuc Le ëtig ad um Qursr ut mu +7 /tratu Consirarius, ac demum Jronræse #7 
aninu Lenikile coflandia, Liberalil inlegrialem velerem jervavi  religionem coluit. 
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UN LYONNAIS DIGNE DE MÉMOIRE 


Joannon de Saint-Laurent 


PHILOSOPHE, NATURALISTE, ARCHÉOLOGUE 
(1514-1783) 


———“—— 


L y a un siècle et demi à peine que l'abbé 
 Pernetti nous donnait en deux minces volumes 


la biographie des Lyonnais dignes de mémoire. 
Depuis lors la liste de nos compatriotes distingués s’est 
considérablement allongée, et il faudrait presque un diction- 
naire pour nous les tous faire connaitre, avec les détails 
qu'ils méritent. 

Bon nombre d’entre eux n’ont pas eu jusqu'ici, à propre- 
ment parler, de biographes, et Breghot du Lut et Péricaud, 
les continuateurs de Pernetti, se sont contentés de nous 
indiquer sommairement, en même temps que les dates de 
Jeur naissance et de leur mort, les actions d’éclat de leur vie 
et le titre des ouvrages qu’ils ont publiés. 

N° 3. — Septembre 1839. IT 


162 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


De ce nombre est le savant modeste dont je vais 
m'occuper; cinq lignes (1) seulement lui ont été consacrées 
dans ce recueil, et sans un concours de circonstances 
d'ordre en quelque sorte privé, il m’eût été presque impos- 
sible de mener à bonne fin cette entreprise. 

Parmi les portraits de famille que possédait M. Antoine 
Mollière, mon père, il en est deux qui nous avaient toujours 
particulièrement intéressés. Le premier est un joli pastel, 
très finement dessiné, dans le genre de ceux qu’exé- 
cutait au siècle dernier le célèbre Latour, peut-être est-il 
l’œuvre du peintre lui-même. 

IL représente au quart de grandeur naturelle la figure et 
le buste d’un jeune homme de 25 ans environ, aux traits 
fins et distingués, dans le costume des élégants d'alors. Per- 
ruque poudrée, gilet blanc, habit marron à revers avec 
jabot brodé, tout indique la tenue d’un personnage appar- 
tenant à la meilleure société. Le second, que nous reprodui- 
sons en tête de cette notice, n’est qu’une gravure sur cuivre 
fort simple, il est vrai, mais très bien venue, de format 
petit in-quarto, faite d’après un tableau (2). Il nous montre 
un homme âgé, à la figure grave et sérieuse, assis dans son 
cabinet de travail près de sa bibliothèque. Il est vêtu d’une 
longue redingote et coiffé à la manière des diplomates 


(1) Joannon de Saint-Laurent (Laurent), habile physicien, de 
l’Académie de Lvon, né en cette ville le 10 mai 1714, mort le 7 
octobre 1783, auteur de mémoires restés manuscrits dans les archives 
de sa Compagnie. Biographie lvonnaise. Catalogue des Lyonnais dienes 
de mémoire, rédigé par Breghot du Lut et Péricaud aïiné, p. 155-156. 
et publié par la Société littéraire de Lyon. Paris et Lvon, 1839. 

(2) Joseph Bongiovanni pinx. Joseph Artioli delin. Christophorus ab 
aqua sculpsit. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT | 163 


autrichiens, tels qu'ils sont représentés dans les estampes de 
la fin du siècle dernier. Sur le dos des livres qui sont à ses 
côtés, l'artiste a inscrit le nom de quelques-uns des 
ouvrages du savant dont il avait figuré les traits. Dans la 
marge inférieure, se trouve un?2 légende indiquant ses titres 
honorifiques et les fonctions qu'il a remplies pendant son 
séjour en Italie. 

Or, ces deux portraits concernent un seul et même per- 
sonnage et ce personnage n'est autre que Laurent Joannon, 
Lyonnais dit Joinnon de Saint-Laurent, dont nous allons 
chercher à esquisser la biographie et surtout à faire con- 
naître les travaux. 

Laurent Joannon, naquit à Lyon, le 10 mai 1714. Il 
appartenait à une honorable famille de négociants. Une de 
ses sœurs épousa, en 1730, M. Vincent Carrel, avocat au 
Parlement de Dijon et capitaine châtelain royal de la ville 
de Seyssel, arrière-grand-père maternel de mon père. 

Joannon étant resté célibataire, ses portraits et quelques 
papiers de famille qui le concernent sont ainsi parvenus 
jusqu’à moi. 

Après avoir passé sa jeunesse à Lyon, exclusivement 
occupé dans des études spéculatives, Laurent Joannon 
résolut d'aller chercher fortune à l'étranger, il voyagea 
beaucoup à travers l’Europe et se dirigea finalement 
vers l'Italie. La péninsule était alors dans une situation 
intérieure toute particulière. Depuis les dernières grandes 
guerres, l'Autriche victorieuse avait été mise en possession 
du Milanais, du Mantouan, puis du duché de Toscane, où 
une branche de la dynastie de Habsbourg-Lorraine avait été 
établie. 

Comme ces riches contrées, éloignées du centre de la 
monarchie, étaient toujours l’objet des convoitises de 


164 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


l'Espagne, de la France et de la Sardaigne, la Maison 
d'Autriche avait résolu de se les attacher par de grandes 
concessions, afin d'éviter toute espèce de mécontentement 
de leur part. En conséquence, elle les laissa se gouverner 
elles-mêmes et sauf la présence de quelques garnisons dans 
les forteresses, les Italiens pouvaient se croire en puissance 
de leur autonomie. L’Autriche eut surtout grand soin de 
leur éviter la présence de ces bureaucrates allemands, aux 
allures ragues et déplaisantes, qui, un siècle plus tard, ont 
été la cause de son expulsion définitive de ces contrées, elle 
acceptait donc avec empressement les services des étrangers 
de distinction qui sollicitaient l’honneur d’entrer dans 
l'administration des principautés annexées et malgré les 
cuerres récentes contre les Français, ces derniers étaient 
toujours bien accueillis. Laurent Joannon n’hésita donc pas 
à solliciter un poste de ce genre (1). | 

Comme on faisait remarquer à limpéiatrice Marie- 
Thérèse que Joannon n'étant pas noble ne pouvait être 
emplové ‘dans l'administration de ses États, cette princesse 
qui connaissait la valeur du jeune étranger répondit : « Eh 
bien, qu'à cela ne tienne, et que désormais il soit Joannon 
de Saint-Laurent. C’est ainsi que notre compatriote fut 
annobli de la manière la plus flatteuse. Il ne dut cette 
distinction qu’à son propre mérite et à l'intelligence d’une 
souveraine habile dans l’art de gouverner et de bien choisir 


(1) Ce régime libéral devait cesser à l'avènement de lempereur 
Joseph IT qui, au dire de Gorani, « s’attribuait le pouvoir judiciaire et 
opprimait la Lombardie où 1.200 satellites allemands faisaient la police 
à coups de bâton ». Marc-Monnier : Un aventurier Italien du siècle der- 
nier. Le comte Joseph Gorani d'après ses mémoires inédits, Paris, 1885, 
page 1.41. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 16; 


ses serviteurs. N'ayant pas eu de postérité, son titre 
disparut avec lui. Il n'existe de ce fait aucun rapport entre ce 
| personnage et les familles qui ont porté et portent encorc 
le nom de Saint-Laurent. 

Il s'établit donc d’abord à Florence, où il se distingua 
dans les belles-lettres, le commerce et le maniement des 
affaires. Il s’acquit une réputation de savant par ses connais- 
sances en histoire naturelle, en physique et par ses 
recherches sur l'antiquité. De bonne heure il fut membre 
de l’Académie Florentine, l’une des plus célèbres de l’Europe. 
Le gouvernement impérial le choisit ensuite pour être 
son agent à Ferrare (je ne puis traduire autrement le mot 
latin qui lui est appliqué dans la légende de son portrait). 

Puis il remplit avec honneur une place de conseiller 
dans le sénat de Mantoue, dont il devint un des présidents. 
Il fut doux, sincère, généreux, très attaché à la religion 
catholique et fit revivre en lui Flexacte probité des 
anciens (1). 

Il mourut dans cette ville en l’année 1783. 

Par une singulière coïncidence, Joannon de Saint- 
Laurent achevait ainsi ses jours comme fonctionnaire 
autrichien dans cette ville de Mantoue, devant laquelle un 
demi-siècle auparavant son beau-frère, M. Vincent Carrel 
terminait prématurément sa carrière militaire contre ces 
mêmes Autrichiens. Soldat dans l’armée française, com- 
mandée par le maréchal de Noailles, Carrel assista en 1735 
au siège de Mantoue. Pendant un assaut, l'échelle qu'il 
gravissait s'étant rompue, il fut précipité dans le fossé et se 
brisa la jambe. Privé des soins nécessaires, il resta boiteux 


es — 


(1) Papiers de famille, 


166 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


et dut rentrer en France où il exerça, comme nous l’avons 

dit, diverses fonctions publiques (1), principalement dans la 
L] C2 , e C2 

petite ville de Seyssel, son pays d’origine. 


Peu après son arrivée en Italie, en 1740 ou 1741, Joannon 
de Saint-Laurent consacra à la philosophie, aux sciences et 
à l’archéologie les loisirs que lui laissaient ses occupations 
commerciales. Sans doute, il était depuis longtemps pré- 
paré à ce genre d’études si cultivées dans sa ville natale 
‘ depuis le commencement du xvi‘ siècle. Il devait connaître 
les travaux des Syméoni (2), des Jacob Spon (3), des 
Colonia (4) et de tant d’autres érudits qui nous ont laissé 
la description des antiquités gallo-romaines qu’on recucillait 
à chaque instant dans le sol du vieux Lugdunum. 

Toutefois, c’est par la philosophie qu’il semble avoir 
débuté dans la carrière des sciences et des lettres. À cette 


(1) Papiers de famille. Lettres écrites pendant la campagne de 1735. 

Ce siège entrepris par les armées françaises réunies aux Espagnols et 
aux Sardes ne put être continué par suite de la défection de ces derniers, 
Le général français pour couvrir ses opérations en fut réduit à l’inaction 
ou à des hostilités insignifiantes. Dareste. Histoire de France, 2e édition, 
t. VI, Paris, 1876, page 319. 

(2) Gabriel Syméoni. Les illustres observations antiques en son dernier 
vovage d'Italie, l'an 1557, Lvon, 1558. 

(3) J. Spon. Recherches des antiquités et curiosités de la ville de Lyon, 
Lvon, 1675. 

(4) de Colonia. Antiquités sacrées et profanes de la ville de Lvon, 
Lvon, 1701, in-4°. 


e 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 167 


époque, de même qu’au siècle précédent, la plupart des 
savants, imitant en cela leurs maîtres Descartes et Newton, 
s’occupaient beaucoup de philosophie et réciproquement les 
philosophes n'avaient garde de négliger les hauts problèmes de 
la physique (1). Aussi, voyons-nous, dèsl’année 1746, notre 
auteur publier, en français, à Lucques, un volume impor- 
tant de méditations philosophiques. Malgré toutes nos 
recherches nous n’avons pu, mon père et moi, nous le pro- 
curer. Mais les citations données par Joannon lui-même dans 
un autre de ses ouvrages, semblent autoriser à admettre 
que cette étude était écrite dans le sens des idées de 
Locke et de Condillac. Comme eux, il paraît avoir étudié 
en, détail les facultés de l’entendement. « Par facultés 
humaines, dit-il, on peut entendre la perception, la réten- 
tion, les puissances. Voyez : Locke Entendement humain, 
pages 147, 157, 271, etc., ou bien comme dans nos 
Méditations philosophiques l' Ame, la Conscience, le Cœur, 
l’Imagination, l'Esprit ou la Raison, le bon Sens, etc., 
pages 142 à 150. » Ce livre contient encore, pages 34 à 37 
un discours sur le raisonnement (2). 

Il relève à coup sûr des doctrines alors régnantes et ne 
saurait beaucoup nous intéresser aujourd’hui. Toutefois il 
nous donne à nouveau la preuve du goût qu’avaient alors 


(1) J'ai sous les yeux un volume contenant divers ouvrages de 
Descartes, publiés du vivant de l’auteur. Il a soin de placer les traités 
de philosophie en tête des traités de physique, cette dernière doit tous 
ses progrès à la métaphysique. Discours de la méthode, plus la Dioptrique 
el les Métcores, par René Descartes, Paris, 1668, in-40. 

(2) Méditations philosophiques. Lucques, 1746, in-12. Cet ouvrage ne 
se trouve dans aucune bibliothèque lvonnaise. Il a été vainement cherché 
à la Nationale et à la Mazarine, ainsi que dansles bibliothèques de Florence. 


168 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


les savants de tout ordre pour les spéculations métaphy- 
siques qu'on affecte tant de mépriser aujourd’hui. 

Le second ouvrage de notre auteur a trait à des matières 
absolument différentes : il est exclusivemeut consacré à 
l'histoire naturelle. À cette époque où il n'existait encore 
qu'un petit nombre de musées, les particuliers favorisés de 
la fortune et amis des sciences réunissaient des collections 
d’objetsd'artoud’histoire naturelle dont l'accès n'était réservé 
qu’à quelques privilégiés. T'el était le cabinet du chevalier 
de Baillon, gentilhomme français, établi à Florence, qui 
renfermait de véritables merveilles. Joannon eut la bonne 
fortune de pouvoir les étudier ét il publia, non sans encou- 
rir quelques désagréments de la part de ce collectionneur 
jaloux, ses remarques personnelles dans un ouvrage ayant 
pour titre: Description abrégée du fameux cabinet de M. le 
chevalier de Baiïllon pour servir à l'histoire naturelle des pierres 
précieuses, métaux, minérauxet autres fossiles. Lucques, 1746-7, 
in-4°. « L’arrangement méthodique des fossiles, dit-il, la 
diversité des sucs pierreux, ci-devant ignorée, leur caractère 
spécifique, leur configuration propre, la formation des pierres, 
la colorification (sic) des pierres précieuses, et enfin la voie 
analytique qu'il faut suivre pour connaître à fond le règne 
minéral, sont une partie de ces ressources indiquées. » 

Sous le titre modeste que nous venons de transcrire, 
Joannon de Saint-Laurent dotait la science d’alors d’un 
véritable traité de minéralogie et il avouait plus tard, sans 
en tirer vanité, qu'il contenait d'importantes observations 
sur la collection la plus propre qu’il ÿ eut « pour enrichir 
et éclairer l'histoire naturelle du règne minéral ». Lorsque 
le président de Brosses visita Florence, il admira le cabinet 
de Baillon. Aussi, quatre années après cette publication, Sa 
Majesté Impériale (l'impératrice Marie-Thérèse), acheta çe 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 169 


cabinet ct le fit transporter à Vienne. De telles études 
avaient admirablement préparé leur. auteur à celle des 
pierres gravées, anciennes et modernes, qui font encore 
aujourd'hui l'admiration des artistes et des archéologues. 
« Les anciens aussi bien que les modernes, dit-il, ont gravé et 
taillé des figures dans toutes sortes de pierres dures, 
même dans les pierres précieuses opaques, demi-transpa- 
rentes et transparentes comme les turquoises, les prases, 
les opales, les yeux de chat, de loup, etc., les topazes, 
chrysopases, amétistes, hyacinthes, émeraudes, saphirs et 
rubis. » Un artiste moderne, Jean Constanzi, de Rome, à 
gravé une tête de Néron sur le diamant. 

Au sujet des pierres antiques, il nous dit encore que le 
30 novembre 1748, il envoyait à l’Académie étrusque de 
Cortone un mémoire avant pour titre : Delle pietre preziose 
degli antichi, et del mode quale le lavoravano (Des pierres 
précieuses des anciens et de la manière dont elles étaient 
travaillées), qui fut lu publiquement en plusieurs séances et 
imprimé dans le cinquième volume des Mémoires de cette 
académie. 

Il connaissait donc à fond son sujet, aussi bien au point 
de vue de l’histoire naturelle que de l’art antique et 
moderne, quand l’occasion s’offrit à lui de publier de nou- 
veau sur ces questions l'œuvre importante dont nous allons 
bientôt parler. 

. Comme aux siècles précédents, la patrie de Benvenuto 
Cellini était toujours éprise de ces chefs-d’œuvre de la 
gravure et de la ciselure sur pierres précieuses dont ce 
maitre incomparable nous 4 laissé des spécimens p:'esque 
aussi beaux que sur les métaux. De plus, le sol de la pénin- 
sule fournissait alors, comme de nos jours, des modèles 
de l’art antique dont quelques-uns sont des chefs-d'œuvre 


170 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


inimitables. Aussi les savants et les érudits s’efforçaient-ils 
d'en donner la description et d’en interpréter les sujets en 
même temps que les artistes cherchaient à les imiter sans 
toutefois les copier servilement. C’est ainsi qu'à la place 
des divinités du paganisme et des empereurs romains, 
nous les voyons figurer le roi de France et les princes de 
la maison d'Autriche qui gouvernaient alors une partie de 
lPItalie. D’autres, plus hardis et plus habiles, abordaient des 
sujets fort compliqués se rapportant à des allégories tou- 
chant les sciences, les beaux-arts, la politique. De ce 
nombre était Louis Siriès, français d’origine, dont le nom 
se trouve étroitement lié à celui de notre Saint-Laurent. Si 
nous ignorons la date de l'établissement de Siriès, en 
Italie, nous savons, du moins, d’une manière certaine, qu'il 
portait le titre d'orfèvre du roi de France, lorsqu'il fut 
employé dans la galerie de Florence. Les détails suivants, 
que nous avons recueillis à son sujet, prouvent qu'il excel- 
lait dans l’art de la ciselure, appliquée aussi bien aux métaux 
qu'aux pierres précieuses. C'était, paraît-il, un artiste 
consommé, car il a laissé des chefs-d’œuvre en coutellerie 
et en orfèvrerie. Il a même fait des tableaux sans jamais 
avoir appris l’art de la peinture. Sa fille, la signora Violante 
Siriès, mariée au sieur Giuseppe Serroti, a laissé la réputa- 
tion d'un habile peintre de portraits, et le sien propre 
figure parmi ceux des artistes distingués que l’on voit dans 
la galerie de Florence. 

Pendant son séjour en Toscane, la reine de Hongrie, qui 
bientôt devait devenir l’impératrice Marie-Thérèse, com- 
manda à Siriès une cuillère, une fourchette et un couteau 
d'or, pouvant tenir dans un étui qu'elle voulait porter 
dans sa poche. Elle désirait, qu’outre ces trois pièces, il y 
en eût le double: non pour servir à un usage réel, mais 


JOANNON DE SAÏINT-LAURENT 171 


pour les montrer comme un objet de surprise et de curio- 
sité à ses invités dans une partie de chasse. 

Pour se conformer au désir de la princesse, sur deux des 
pièces principales, l’habile ciseleur plaça une plaque tour- 
nante sur un vide qu’il avait ménagé dans un ornement qui 
en terminait les manches. Cette pièce, selon qu’on la fai- 
sait jouer, ouvrait ou fermait ce creux, sorte de petit étui 
d’or, où l’on pouvait cacher aussi quelques menus bijoux. 
Puis il se mit à faire deux petites cuillères, deux petites 
fourchettes, deux petits couteaux, tous en or, comme ceux 
qu'il avait exécutés en grand, tous parfaitement bien travail- 
lés. Aux deux grandes pièces préparées, il joignit donc une 
de ces cuillères, une de ces fourchettes, un de ces couteaux; 
c'est la plus grande partie d’un couvert de table qui pèse 
moins d’un grain ! | 

Siriès construisit beaucoup d’autres bijoux du même 
genre, tels que cuillères, fourchettes, couteaux et ciseaux. 
Ces pièces ont une à deux lignes de longueur. Elles sont 
couvertes d’ornements et pèsent la vingtième partie d'un 
grain. Comme le dit très bien l’auteur, ce sont de vérita- 
bles infiniment petits de l’art et il faut une loupe pour en 
reconnaître tous les détails (1). 

Pour l’exécution de travaux si minuscules, Siriès trouva 
le secret de donner à l’or assez de raideur et de dureté, pour 
que, façonné en instruments à couper et à tailler, il devint 
propre aux usages auxquels on emploie lacier. C’est ainsi 


+ ©" See ee 


(1) Millin dit que son mérite consistait à renfermer le plus grand 
nombre de figures dans le plus petit espace. Giulianelli en fait un grand 
éloge ; ses gravures n'étaient, selon Natter, que des égratignures. 
Introduction à l'Etude de V'Arcnologie des pierres graves et des médailles. 
Nouvelle édition, Paris, 1826, p. 215-16. 


172 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


qu'il a pu construire une montre avec boite et rouages 
complètement en or. 

On doit signaler encore ses tableaux d’acier. Dans des 
plaques de métal doré de 9 à ro pouces de surface, il 
enchâssait des médailles de diverses grandeurs et des car- 
touches de différentes formes, les uns et les autres en acier. 
Ce sont de petits bas-reliefs faits à la main, et représentant 
les sujets les plus variés, tant attributs et figures, que per- 
sonnages et animaux. Certains artifices de préparation 
donnaient à quelques parties de ces petits tableaux des colo- 
rations spéciales qui en rendaient l’ensemble plus charmant 
encore. | | 

Vers 1746, environ, Siriès entreprit d'exécuter en. petit 
des sujets, soit gravés, soit en relief, sur une très belle 
pierre bleue, le lapis-lazuli. C'était une tentative auda- 
cieuse, car la matière de cette pierre, facile à « s’égriser », 
n'avait jusqu'à cette époque permis aux anciens pas plus 
qu'aux modernes de la travailler avec succès, autrement 
que pour des objets de gros volume, tels que plaques, 
coupes, poignées de sabre, cuvettes (1). L'artiste français 


(1) Le trésor de la couronne de France possède plusieurs magnifiques 
objets en lapis-lazuli, entre autres, une coupe de lapis pvriteux, en forme 
de nacelle, d’une très grande dimension, estimée 200.000 francs, un 
sabre à manche de lapis, donné à Louis XVI par Tipoo-Saïb, estimé 
6.000 francs. 

Parmi les bijoux admirables que vient de découvrir en Egvpte 
M. de Morgan, dans des tombes remontant au xXviie siècle avant notre 
ère, on remarque des perles de lapis-lazuli et de petits fragments de la 
même pierre servant à des incrustations sur des bijoux d'or, le mélange 
fréquent de la cornaline, de l'émeraude et du lapis-lazuli sur les pecto- 
raux d’or massif était utilisé avec infiniment de goût. A. Amélineau, 
Les fouilles récentes en Egvple, Revue des Deux-Mondes, 15 juillet 1895, 
P: 459-441, 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 173 


débuta par une merveille. C’était un petit crucifix d’une 
grande beauté de forme. La figure du Christ y était de bas- 
relief sur un fond plat et très uni. Le montant de la croix 
avait deux pouces de longueur et le travers un et quart, 
l’un et l’autre sur deux lignes de large. Encouragé par ce 
premier succès, il exécuta ensuite un médaillon représen- 
tant l’impératrice Marie-Thérèse, œuvre fort remarquable 
et qui fut suivie de plusieurs autres, qui paraït-il ne lui 
étaient pas inférieures. Parmi ces dernières, on signalait deux 
camées de calcédoine ou nicolo représentant Héro et 
Léandre et Amphyon jouant de la lyre sur un dauphin. 

Ses nombreuses copies de l'art antique sont également 
fort intéressantes et furent très appréciées par le grand 
Soufflot, architecte du roi de France, qui passait pour un 
fin connaisseur en matière d'art. 

Enfin, vers l’année 1747, il exécuta encore sur lapis lazuli 
un admirable camée, œuvre capitale au point de vue artis- 
tique et technique tout à la fois. Ce travail incomparable 
excita l'admiration des plus compétents et Joannon de 
Saint-Laurent, en sa qualité d'artiste et d’amateur pas- 
sionnné de pierres précieuses, crut devoir en donner la 
description minutieuse dans l'ouvrage suivant, que nous 
avons sous les yeux ct dont voici le titre: Description et 
explication d’un camée de lapis lazuli, fait en dernier lieu par 
M. Louis Siriés, artiste français, orfévre du roi de France et 
employé dans la galerie de Florence, on Lettres de deux amis 
sur diverses productions de Part, avec des Notes curieuses el 
intéressantes. On a joint à la fin du livre la description d'un 
camée onyx travaillé fort singuliérement, Le tout avec des 
figures de trés bonne main, par Joannon de Saint-Laurent ; 
à Florence, mpcczvit. De l'imprimerie à l'enseigne d’Apol- 
lon, avec approbation et permission. Petit in-4° de 203 


174 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


pages, titre rouge et noir, avec 2 pl. hors texte (1). 
C’est un ouvrage bien singulier et qui donne infiniment 
plus que ne l'indique le titre ainsi libellé. Il est écrit, comme 
on le voit, sous forme de lettres, comme c'était l’usage à 
cette époque. L'auteur suppose deux amis, habitant lun 
Paris, l’autre Florence, qui s’entretiennent et se font de 
mutuelles questions sur les productions de l'artiste dont 
nous venons de parler, mais principalement sur le grand 
camée, son œuvre capitale. Pour faciliter l'intelligence de 
ses descriptions, il nous donne une fort belle planche des- 
sinée et gravée par Joseph Zocchi (2). Elle montre que ce 
camée est un véritable bas-relicf ovale qui, avec sa bordure 
enchâssée dans de l'or, a deux pouces et demi dans son 
plus grand diamètre et qu'il contient plus de soixante-dix 
figures, toutes plus petites les unes que les autres, si bien 
qu'il faut une loupe pour en voir distinctement quelques- 
unes qui n’en sont pas moins admirables d’exécution. 
Suivant l’auteur, cette pièce merveilleuse peut être mise 
en parallèle avec le fameux bouclier d'Achille, exécuté par 
Vulcain, chanté par Homère (3). A l'exemple des anciens 


(1) Un religieux Antonin du nom de Pitiot, auquel lexemplaire que 
je possède à appartenu, a inscrit dans la marge de la grande planche les 
vers suivants: Domino Eudorico Siries : 

Quod non tentarunt Gracci, tu sculpis el arte, 
Qui priscam fallié sit Hibi sera lapis 

Quid tot, non dedertt scalprum ducendo figuras 
Aurum qui ferro durius esse facit 

Dicat quis talent veleres cocpisse laborem 

Hoc Lib, nempe probat quod lapis ipse monct, 

(2) Epistole croiche di P. Ovidio Nasone, tradolte da Remigio Fiorcntinoe 
in Parigi, 1762, apresso Durand. 

(3) Iliade, chant XVIIE, 477-609. Cf. Apologie d’Homère et bouclier 
d'Achille, par Boivin, 1715, avec planches reproduisant le fameux bouclier. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 1755 


qui nous ont laissé des descriptions du même genre comme 
l’auteur du Temple de Cebés (1) et Philostrate de Lemnos, 
en ses Tableaux de plate peinture (2), Joannon de Saint- 
Laurent entreprend de dévoiler l’allégorie qu’a voulu figurer 
Siriès et sous le titre, un peu trop pompeux, d’Epistemo- 
technodicée, où Cause des Sciences et des Arts, il s'étend dans de 
longs commentaires sur les divers groupes qui entrent dans 
la composition de cette œuvre sans pareille. Prenant à un 
point de vue différent le sujet de l'Académie des Sciences, 
traité jadis par le célèbre graveur Sébastien Leclerc (3), 
Siriès nous montre la Science, aujourd’hui négligée au 
profit de la Musique et des musiciens (4). — A cet effet, 
il représente très ingénieusement sur son camée une sorte 
de théâtre, où la musique ayant l’aspect d’une divinité 
fastueusement vêtue, trône à la première place, tandis que 
les génies des Sciences et des Arts libéraux y sont repré- 
sentés, tout nus, reconnaissables seulement à leurs attributs. 


(13 Le Zemple de Cébis, d’après un dessin de N. Vleughels, gravé 
par C. Cochin. 

(2) Les Zmuages ou Tableaux de plate peinture (description d'une galerie 
de tableaux peut-être imaginaire) ont èté traduits au commencement du 
xviie siècle, par Blaise de Vigenère. Paris, l’Angelier 1615, in-folio. 
Hs sont accompagnés de très belles gravures qui figurent ces tableaux 
d'après la description. 

(3) Sébastien Leclerc eut un fils qui fut directeur du Séminaire de 
Saint-frénée de Lyon. (Delandine Manuscrits de la Bibliothèque de 
la ville de Lvon, t. IE, p. 513.) 

(4) Un publiciste distingué de nos jours, M. Albert Sorel, a fait la 
remarque qu'à la fin du Xvute siècle « l'Autriche n’enfantait que des 
musiciens, et ne montrait d'entrainement que pour le plaisir. » L'Europe 
et la Revolution française. Les Mœurs politiques et les traditions. 
Paris 1885, p. 458. 


176 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


La bordure du camée consiste en une sorte de zodiaque, 
gravé sur or, À huit stations figurant la culture des terres, la 
récolte des fruits, l'entretien des troupeaux, la navigation, 
le commerce intérieur, le commerce extérieur, le faste des 
villes et le palais des souverains. Le soleil, presque de 
« fabrication cartésienne .», le mot est de l’auteur, se lève, 
puis se couche aux deux extrémités du tableau (1). 

Sur ce thème, en somme assez simple, Saint-Laurent 
accumule réflexions et commentaires de toutes sortes ayant 
trait aux diverses branches des lettres et des sciences, donnant 
la preuve de la variété de ses connaissancees et desa passion 
pour l'étude. Il faut lire une à une les nombreuses notes dans 
lesquelles il donne son opinion personnelle sur tant de ques- 
tions intéressantes et les citations curieuses qu'il emprunte aux 
savants de son temps. Sans doute son style est parfois empha- 
tique, ses périodes et ses amplifications un peu longues. 
Quelques tournures de phrases semblent parfois éloignées 
de l’esprit de notre langue. Mais il faut attribuer ces défauts 
autant à l'usage qu’à l'esprit même de la langue italienne 
qu'il pratiquait depuis bientôt dix ans. « Je ne suis, après 
tout, dit-il, qu’un provincial [un Lyonnais], sorti de France 
et avec cela un peu de patavinité s’acquiert à mesure qu'on 
s'éloigne du commerce de sa nation. » Nous n'en citerons 
pas moins, comme fort curieuses à lire, les pages consacrées 
à la peinture, à la sculpture, à l'anatomie, etc., etc., à la 
composition des minéraux et à bien d’autres sujets encore ! 
Le volume se termine par la description d’un second 
camée en onyx ou nicolo de trois couleurs, exécuté en 1757, 
lequel représente le portrait du roi Louis XV entouré des 


(1) En récompense d'un tel travail Siriès fut nommé directeur de la 
galerie de sculpture du Musée de Florence. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 177 


signes du zodiaque. Une belle figure exécutée par Carolo 
Gregori donne l’idée de ce que devait être ce second chet- 
d'œuvre. De l'avis des plus compétents, les anciens ne sont 
jamais arrivés à ce degré de perfection. | 


I 


Peu après la publication du livre de Saint-Laurent un 
savant français, P.-J. Mariette, qui résidait à Paris, en 
donna une critique assez acerbe dans le tome Ie de sa 
Bibliothèque dactyliographique (1), ouvrage dans lequel il 
s'était proposé de faire la bibliographie complète de tout 
ce qu'on avait écrit jusqu'alors sur les pierres gravées aussi 
bien dans l'antiquité que dans les temps modernes. 

Siriès, qui le premier en eut connaissance (Mariette 
avait eu la malice de le lui faire parvenir), ne manqua pas 
d’avertir l’auteur de la description de son camée, qu’il y 
était maltraité. Les critiques qui lui étaient adressées bles- 
sèrent d'autant plus Saint-Laurent qu’elles ne portaient que 
sur des questions de forme, des fautes de style. « Pour un 
Français, dit-il, qui seul écrit dans un pays étranger, des 
choses qui font honneur à la nation, il est fort désagréable 
qu’un autre Français, sans le moindre égard pour les circons- 


(1) A la fin du t. I du Traité des pierres gravées de P.-T. Mariette. 
Paris 1750, in-folio, on trouve le catalogue des publications sur la 
glvptique parues jusque-là sous le titre : Bibliothèque Dactyliographique 
ou catalogue raisonné des ouvrages qui traitent des pierres gravées, p. 245 à 
268. — E. Babelon. Dictionnaire des Antiquités grecques de Daremberg 
et Saglio, 20° fascicule art, Gemmæ, p. 1473. 

N° 3. — Septembre 1899, 12 


178 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


tances, se soit fait un plaisir, par la pure envie de mordre, 
de le décrier sur sa façon d’écrire et d’affecter de le faire 
dans le pays même ou il réside. » Ce fut l’avis des gens 
les plus compétents, entre autres, du célèbre baron de 
Stosch, entre les mains duquel était tombé le mème 
ouvrage (1). En conséquence il résolut de répondre à 


(1) Le baron Philippe Mussel de Stosch, qui habitait alors litalie, 
passait pour le connaisseur le plus habile qu’il y eut en fait de pierres 
précieuses, anciennes et modernes. Il avait réuni une collection admi- 
rable de camées dont quelques pièces sont actuellement au Muste de 
Berlin. {Daremberg et Saglio. Dict. des Ant., 20€ fasc.) Il publia sur les 
camées un grand ouvrage avec planches : Gemmæ ant. cæl. et un 
autre intitulé : Pierres antiques gravées sur lesquelles les graveurs: ont 
mis leurs noms. Is sont encore cités aujourd'hui. C’était un collection- 
neur grincheux et jaloux : il avait dans toute l'Italie des agents qui 
cherchaient pour lui les objets d’art. Une fois en possession d'un objet 
il ne le cédait à aucun prix. (Voir l’abbé Barthélemy. Voyage en 
[alie, etc. Imprimé sur ses lettres originales écrites au comte de 
Cavlus, publié par Sérievs. Paris, an X, 18o1. Lettre IV, p. 24, 25). 
Dans ses Lettres sur l'Italie, le président de Brosses, après avoir dit qu’il 
avait été chassé de Rome comme espion d'Angleterre, rapporte sur lui 
l'anecdote suivante : « Voici une petite histoire assez comique que j'ai 
oui conter de lui en France. Hardion, notre confrère à l’Académie des 
Inscriptions et Belles-Lettres, montrait le cabinet du rov, à Versailles, 
à plusieurs personnes du nombre desquelles était ce galant homme 
de baron Stosch). Tout à coup, certaine pierre bien connue de vous 
sous le nom de cachet de Michel Ange se trouve éclipsée. On cherche 
avec la dernière exactitude, on se fouille jusqu'à se mettre nu, le tout 
sans succès. Hardion lui dit : Monsieur, je connais toute la compagnie, 
vous seul excepté, d'ailleurs, je suis en peine de votre santé, vous 
paraissez avoir un teint fort jaune qui dénote de la plénitude : je crois 
qu'une petite dose d'émétique vous serait absolument nécessaire. Le 
remède, pris sur Île champ, fit un effet merveilleux et guérit ce pauvre 
homme de Ta maladie de la pierre qu'il avait avalée. » Citation emprun- 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 179 


son adversaire et composi un mémoire en français 
qu'il envoya vers la fin de l’année 1750 à M. Christin, 
membre de l'Académie de Lyon, pour l’examiner, en faire 
corriger le style par plusieurs membres de la Société royale 
ct ensuite le donner à l'impression. M. de Fleurieux, 
savant estimé de notre ville et membre de l’Académie, qui 
eut ce mémoire entre les mains, en fit une réfutation 
dans une des séances de la Société rovale, 22 décembre 1751 
(n° 793 des Archives) et les libraires [yÿonnais refusèrent de 
prendre à leur charge les frais d'impression. Joannon, ayant 
appris ce qui s'était passé à cet égard, témoigna son indif- 
férence pour l’impression par une lettre qu’il écrivit de 
Florence à M. Christin, le 23 février 1753. M. de Fleurieux 
reprochait à Joannon sa manière de voir sur la nature des 
vases murrhins et défendait celle de Mariette qui les croyait 
formés de la mème matière que la porcelaine, opinion 
absolument erronée comme nous le verrons plus loin. Ce 
mémoire de Joannon, conservé aux archives de l’Académie 
ne lui ayant pas été envoyé ofhciellement ni composé pour 
elle, n'a pas de numéro particulier et se trouve placé sim- 
plement avant le n° 793 (1). 

Mon père en a relevé lui-même une copie très soignée et 
après l'avoir lue et relue attentivement, j'estime que cette. 
dissertation est fort remarquable et mériterait d’être publiée 
in-eXtenso, car elle renferme des détails très instructifs sur 


+ me ne 0 RE cpu nn ee —0 che te Un 


tée à Dieulafait. Pierres Précieuses, page 168. I ne faut pas oublier 
pourtant que l'inculpé avait la réputation d'un homme désagréable et 
que d’autre part, le célébre avocat au Parlement de Dijon était, après 
Voltaire, une des plus mauvaises langues de son temps. 

(1) Delandine. Manuscrits de la Bibliothèque de Lyon, Lvon, 1512, 
t. IT, page 11. 


180 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


l’histoire de l’art et de larchéologie au siècle dernier. 
Je ne puis comprendre pourquoi elle fut si mal accueillie 
par nos compatriotes. Les archéologues lyonnais de cette 
époque avaient déjà sans doute le caractère ombrageux que 
nous sommes forcés de leur reconnaitre encore aujourd’hui. 
Il faut croire que la réputation de Mariette, l’ami et le 
collègue des plus grands savants de l’époque, leur sembla 
à l'abri de toute critique, cela est encore possible. Après 
s'être défendu tant bien que mal sur ces questions de 
forme qui lui étaient si à cœur, Saint-Laurent, prenant à 
son tour l'offensive, refute une À une toutes les erreurs que 
renferme le livre de Mariette qui n’est pour lui qu’une compi- 
lation dont les éléments sont en grande partie empruntés 
à l’ouvrage de Georges Vasari (1) et à Paciaudi, ses traduc- 
teurs. La plupart des textes des auteurs anciens ne sont 
donnés que de seconde main, d’après Kirchmann et Longus 
qu'il ne cite mème pas. Puis l’auteur se perd en digres- 
sions étrangères à son sujet sur des questions qui ne lui sont 
pas familières, lorsqu'il dit sérieusement que les anciens 
ne connaissaient ni la perspective, ni l’art enchanteur 
de la composition et du clair obscur, alors que le témoi- 
gnage de Pline et la découverte des fresques d’Herculanum 
démontrent absolument le contraire (2). 


= es nes 


(1) Mariette fut aussi accusé par Giulianelli. (Mésnorie delli Intagliatori 
moderui in pietre dure, etc, Livorno, 1752), d’avoir pillé texte et 
notes du livre de Vasari. Sur ces chicanes d’archéologues, voir la corres- 
pondance inédite du comte de Cavlus avec le Père Paciaudi, Théatin, 
suivie de celle de l'abbé Barthélemv et de P. Mariette, avec le même 
Père, par Ch. Nisard (de l'Institut). Paris, Imprimerie Impériale, 1877, 
2 V. in-8°. 

(2) De récentes découvertes ne permettent plus d'avoir le moindre 
doute à ce sujet. Les deux belles fresques de la maison de Livie à 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 181 


Même série d'erreurs dans les paragraphes consacrés au 
mérite artistique des anciens comparé à celui des modernes, 
à la manière de distinguer les chefs-d’œuvre de l'antiquité 
d'avec ceux de l'époque présente, etc. Il ose même insister 
sur l'importance de la signature des artistes anciens, qui, dit- 
il, apportaient une extrême attention à en bien former les 
caractères, tandis que le juge le plus compétent en ces matiè- 
res, le baron de Stosch, affirme qu’à sa connaissance la chose 
n’a été observée que deux fois seulement, et que Benvenuto 
Cellini fait remarquer que jamais ils ne se sont attachés 
« à bien former les caractères de leurs légendes. » L'histoire 
des graveurs en pierres fines est également très incomplète. 
Mariette oublie en eftet de mentionner un merveilleux 
zodiaque gravé sur cristal de roche par le même Benvenuto 
et qui fait époque dans l’histoire de l’art. Il ne dit rien 
non plus des graveurs des anciens ateliers d'Allemagné et 
de Constantinople qui ciselaient les verres appelés cristaux 
de Bohème et gravaient des caractères orientaux sur ‘des 
agates et des onyx à une époque où on n'exécutait rien de 
semblable ni en France ni en Italie. Il ne parle mème pas 
de la galerie de Florence que les Médicis ont dotée de véri- 
tables merveilles et où s’exécutent tous les jours de nou- 
veaux chefs-d’œuvre. | : 

La description des pierres précieuses propres à la gra- 
vure mérite les mêmes reproches. Cependant M. Mariette 
est assez avisé pour convenir qu'il y a beaucoup d'incerti- 


Rome, représentant Argus et Hermès, Polyphème et Galatée et la vue 
d'une rue de Rome, peuvent ètre comparées, comme exécution, à nos 
meilleures œuvres modernes. Cf. G. Perrot; Mémoires d’Archolosie 
d'Epigraphie et d'Histoire. Paris, 1875, S, V, Les Peintures du Palatin 
dec planches, p. 73. 


182 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


tudes dans la comparaison qu’on voudrait faire de nos pierres 
précieuses avec celles dont Pline et les anciens rapportent 
les noms. Sur ce point, grâce à ses connaissances en miné- 
ralogie, Joannon de Saint-Laurent relève encore quelques 
erreurs du compilateur parisien et fixe avec précision le sens 
d’un bon nombre de textes du naturaliste romain, nous 
ne saurions le suivre sur ce terrain par trop spécial. 

Relativement à la taille des pierres précieuses, Mariette 
encore mal interprété le passage de Pline qui s’v rapporte. 
C’est absolument sans preuves qu’il nous dit que les anciens 
ont dû ‘se servir comme nous du touret et des outils d'acier 
et de cuivre qu’on nomme scies et bouterolles, montés sur 
le tour où ils deviennent autant de-tarières qui produisent 
beaucoup d'ouvrage en peu de temps. Les mots terebræ et 
terebrarum fervor ne peuvent s'appliquer qu’à la mécanique 
de l’archet qui permet, à l’aide dela pointe de diamant, que 
les anciens connaissaient aussi, de percer les pierres pré- 
cieuses et de les travailler. Par contre, il est démontré qu'ils 
se servaient du touret pour scier les pierres et de certaines 
poudres pour user les parties qu’ils voulaient segmenter. 
Mais leur outil le plus efficace, nommé en latin cos, était une 
sorte de meule de grandeur proportionnée aux usages pour 
lesquels on s'en servait et qui était surtout employée pour 
sculpter et graver les pierres fines (1). 

Tout cet attirail d'instruments spéciaux leur permettait 
non seulement de graver de simples camées, mais d'exécuter 
des ouvrages avant les formes les plus variées parmi les- 


(1) Le baron de Stosch, qui, malgré ce que j'en ai dit, fait autorité 
sur la question, possédait des monuments des premiers temps de l'Egvpte 
où Je travail de la roue est parfaitement reconnaissable. Jaonnon de 


Saint-Laurent: Drscription du grand camée, ete., page 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 193 


quelles on peut citer les vases de cristal, d’onyx et d’amé- 
thyste dont plusieurs sont restés célèbres comme le grand 
vase de Verrès dont parle Cicéron, l’étui du poignard de 
Darius (1), la coupe d’agate des Ptolemées et de Mithri- 
date (2), le magnifique vase de sardoine du trésor de Saint- 
Maurice-d'Agaune (3), enfin les célèbres vases murrhins 
dont nous allons parler. Sur cet intéressant sujet, Joannon 
de Saint-Laurent croit devoir donner aussi son avis et 
combattre encore victorieusement l'opinion de son adver- 
saire. Ce n’est pas la partie la moins intéressante du 
mémoire que nous analysons. 


(A suivre) D" Humbert MoLuiërr. 


(1) Joannon de Saint-Laurent. Manuscrit cité. 

Cicéron. Discours contre Verrès. 

(2) Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de Daremberg et 
Saglio, art. Gemmeæ par Babelon, page 1476, 20° fascicule. 

(3) Aubert: Trésor de l’abbaye de Saint-Maurice-d’Agaune, info avec 
planches, Paris, 1872, pages 16-17. Ce vase d’origine antique représente 
une scène de l'Iliade. Il fut donné à Charlemagne par le calife 
Haroun-al-Raschid. Il servit de reliquaire et contient du sang des 
martyrs. 


DOCUMENTS INÉDITS 


SUR LE 


BEAUJOLAIS 


dE" document ci-dessous (1) n’est qu’un faible ren- 
P scignement sur les gucrres de la Ligue dans le 

Beaujolais, époque trouble sur liquelle on peut 
consulter la volumineuse correspondance entre les’ échevins 
de Villefranche et ceux de Lyon, conservée aux Archives 
communales de cette dernière ville. Chaque seigneur, 
toujours sur le qui vive, devait pouvoir tenir tête à ses adver- 
saires ; Jehan Arod pouvait lever de 380 à 400 hommes 
dans les paroisses de sa seigneurie. Montmelas fut attaqué 
en 1593 par une bande d’aventuriers, et Jehan Arod fut tué 
en les repoussant. 


EE oo mme mm À 


(15 Extrait dés Archives du châtçau de Montmelas, 


DOCUMENTS INÉDITS SUR LE BEAUJOLAIS 185 


I 


Les Forces de la Seigneurie de Montmelas 
en 1590. | 


C'est le rolle des sucgest de Montmelas pour venir en 
garde au château du dict lieu. 


PREMIÈREMENT SAINCT CYR ET LA MURE 
Guyonnet et Mathieu dixenniers de Pierre Mebonn 


Antoine Aumyo, dict Mathieu. 
Claude Montellard. 

Claude Gotelle. 

Estienne Montellard. 

Claude Aumyo. 

Eduard Sandrein, dict Dubost. 
Anthoine fils de Michel de But. 


La dizaine de Guyonnet du Bost dict de But 
Anthoine Thomas, dict de But. 
Estienne de But. 

Fleury de But. 

Jehan Gastier. 

Anthoine de Mathieu. 

Noël Landuin. 

Hugues Gentil. 

Loys Mollozet. 

Philibert Dugelay, dict de But. 


BLACÉ 


Plus, donné une escouade à Jehan de la Foret de quatorze 
hommes, tant de Blacé que de Vaulx qui entrera en garde 
le sxv° jour de janvier 1590. | 


186 DOCUMENTS INÉDITS SUR LE BEAUJOLAIS 


Plus Barthelemy Aublanc doibd venir en garde Île 
xxvI* jour du dict mois, heures susdictes du dict Blacé. 

Plus Antoine Savigny doibd venir en garde le xxvir* de 
Janvier avec unze hommes. 

Plus Laurent Buatel doibd venir en garde le xxvim° de 
Janvier, heures susdictes, avec unze hommes. 

Plus Estienne Créppier doibd venir en garde le 
XxIX° jour du présent mois. 


SAINCT JULLIEN 


Premièrement donné une dizaine à Claude Verrier de 
AH hommes. 

Plus une aultre à Anthoine Martin de dix hommes. 

Plus une aultre à Jehan Pinet de unze hommes. 

Plus une aultre à Benoist de Colombier de unze hommes. 


ARBUISSONAS ET SAINCT ÉTIENNE 
Donné une dizaine à Jehan Jacquin tant du dict Ar- 
buissonas que Sainct Estienne, de douze hommes. 


ROGNEIXS 


Donné une escouade à Estienne Rozier du dict Rogneins. 


DEXICE 


Plus donné une escouade à André Rozier, du dict Denicé. 
Plus une aultre à François Damiron, du dict Denicé. 
Plus une aultre escouade à Pierre Brocard, du dict Denicé. 
Plus une aultre à Claude Pellein, du dict Denicé. 


CoicxY 
Plus donné une dizaine à François Poncet, du dict 
Coignv. 


DOCUMENTS INÉDITS SUR LE BEAUJOLAIS 187 


Plus une aultre à Pierre Poncet, du dict Coigny. 

Plus une aultre à Benoist Toussainct, dict Pied de Loup. 
Plus une aultre à François Chervet, dict Bicho. 

Plus une aultre à Toussainct Blanc. 

Plus une aultre à Anthoine Germain. 

Plus donné une aultre escouade à Jehan et Pierre Vernev. 
Plus une aultre dizaine à Claude Toussainct. 

Plus une aultre à Anthoine Branciard. 

Plus une aultre à Benoist Tournassoud. 

Plus donné une aultre escouade à Philippe Thollon. 

Plus une aultre à Claude Auryon. 

Plus une aultre à Etienne de Lamercerv. 


LACEXAZ 


Plus donné une aultre escouade à Benoist Clavette, du 
dict Lacenaz. 

Plus une aultre à Etienne Montessuits, dict Vallas. 

Plus une aultre à Pierre Vallas. 


ARNAZ | 


Plus donné une escouade à Anthoïine Bonnafav, du dict 
Arnaz. 

Plus une aultre à Jehan Vallin. 

Plus une aultre à Jacques Chazier. 


I 


Ordonnance aux habitants de la Seigneurie 


de Montmelas. 


De par Monsieur. Messieurs, qui estes cy assemblés vous 
entendrez ce petit mven discours pour le sallut de voz 


188 DOCUMENTS INÉDITS SUR LE BEAUJOLAIS 


ames et correction à ung chascun bon chrestien et cathol- 
lique des abuz qui se commettent journellement au grand 
mécontentement de nostre bon Dieu douix et amyable, 
comme aussi de justice, qui doibt veiller et avoir l’heul tant 
jour que nuict pour noiïger les blasphemateurs du nom de 
Nostre Dieu, de ses saincts et sainctes, contre lesquels 
blasphemateurs sera desclairée ladmande de dix escuz, 
moytié à mon dict seigneur et l'aultre aulx paouvres et 
fabrique des esglises parrochialles des contrevenans et 
contre ung chascun d’iceulx. Semblablement vous conside- 
rerez le port d’harbalests, harquebuz pour allez chasser 
qui est un deslict et un acte pony tant contre nostre Roy 
que contre vostre seigneur qui ont cy devant fait publier 
lettres, ordonnances, génerallement par toute la France, 
chascun en ce qui touche et peut toucher son auctorité et 
grandeur, ausquels appartient telle vaccation et non à vous 
aultres, par quoy vous garderez de y plus retourner à 
poyne de quattre escuz d'amande envers mon dict sieur et 
de confiscation des dictes armes, et à tenir prisons jusques 
à entier payement d’icelles amandes qui sont dès à présent 
contre ung chascun contrevenant desclairées. En tant que 
touche au sainct jour de Dimenche et aultres festes solemp- 
nelles vous assisterez au divin service qui se fera doresna- 
vant en vos esglises parrochialles, pour prier à mains 
joinctes nostre Dieu nous voulloir repartir la paix que lui 
a pleu et à nostre roy impartir, et corriger des grands voul- 
leries qui se sont faictes et commises longtemps et au 
moyen de quoy son pouvre peuple à tant patty qu'il estoit 
quasi venu sauvaige pour avoir demeuré la plupart du 
temp jour et nuit parmy les bois et contrainctz d’haban- 
donner tous leurs biens, femmes et effants; par quoy mes 
amis vous mettrez en dévotion par cv après suivre la 


DOCUMENTS INÉDITS SUR LE BEAUJOLAIS 189 


Saincte Croix ct prossessions de vos esglises ; et ne vous 
abusez à tenir berlans aulx tavernes et lieux saincts et 
sacrés à peyne contre ung chascun contrevenant de cinq 
escuz d'amande; movytié à mon dict sieur ct l’aultre aux 
pouvres et fabriques de vos esglises parrochialles : d’advan- 
taige vous est enjoinct d'assister aulx commandements qui 
vous seront faicts par justice en ce que de droit et de raison, 
à peyne de cent sols tournois contre ung chascun defail- 
lant ; ensemble nettoyer chascun à l'endroit soy les chemins, 
à mesme poyne que dessus dans la huictaine, aultrement 
par faulte de ce faire dès à présent leur est déclairée 
l'amende de cent sols tournois contre ung chascun défail- 
lant. Aussy sont faictes deffenses aulx sergens de la dicte 
présente jurisdiction d’apourter et mettre gaige aulx contre- 
venans, à peyne de l’amande de deux escuz et privation de 
leurs estas. Et pour faire plus facilement observer et entre- 
tenir tout le contenu cy dessus est enjoinet à tous ceulx 
qui verront commettre telz abuz de venir reveller à justice 
à peyne d’estre declairés rebelles et infracteurs des comman- 
demens de justice. 

Aujourd’huy dixiesme d'aoust, mil six cent sept, Sainct 
Laurent, ont esté tenues les assises de Monseigneur de 
Montmelas, suivant les coustumes de la paroisse d'Arbuis- 
sonaz, justice du dit Montmellaz et au lieu accoustumé 
près la rivière de Vauxonne... (le reste illisible). CALARD. 


Dans un document antérieur il a été dit qu'Arbuissonas 
fut détaché de la seigneurie de Montmelas en 1651. Cet 
avertissement pouvait ou devait s'appliquer aux habitants 
de cette paroisse et à ceux des localités voisines. Les 
assises du seigneur devaient probablement se tenir à 
certaines époques déterminées. Les archives d'où cette 


190 DOCUMENTS INÉDITS SUR LE BEAU JOLAIS 


pièce est tirée contiennent les avertissements aux justi- 
ciables de se rendre aux assises, en 1571, les rôles de celles 
tenues en 1590, 1601, 1604, 1610, 1620, les noms des 
habitants convoqués pour y assister en 1570, 1571. À cette 
époque, 1607, le seigneur de Montmelas était Jean-Jacques 
Arod, marié à Christine de Gleteins. 

Que de réflexions ne peut-on pas faire entre ces temps- 
là et notre époque actuelle! Le blasphème était sévèrement 
puni, et aujourd’hui la licence la plus effrénée est pour 
ainsi dire encouragée ! Si tous les seigneurs n'étaient pas 
parfaits, un grand nombre valaient mieux qu’on ne le 
croit généralement, et ces temps anciens dont on médit 
tant faisaient au moins respecter les lois, la morale et la 
religion. 

I. MorkEL DE VOLEINE. 


CPS 
ST 


NOTICE SUR LA PRÉFACE 


DE LA 


« Monographie & k Table & Claude » 


Par MONFALCON 


A mort récente du regretté J.-J. Grisard, rap- 
pelle au public lettré son Odyssée de là Table de 
Claude, histoire de sa découverte et de ses péri- 

urinations avant d’avoir trouvé asile dans le vestibule du 

Muse archéologique, péripéties qu’il a relatées dans les 

fascicules x1Ix et xx de la Revne du Lyonnais, année 1895. 

Il s’agit dans la présente notice de la monographie de ce 

précieux monument, éditée en 1851, aux frais de la ville 

de Lvon, M. Reveil, maire, par les soins de Monfalcon, 
bibliothécaire de la Ville, et principalement de sa préface. 

Cette belle publication, tirée à 100 exemplaires, offrait 
l’avantage de donner pour la première fois, dans ses dimen- 
sions et sans fautes, le texte intégral du monument dont 
notre ville est fière. L'édition ne devait pas ètre mise dans 


192 NOTICE SUR LA PRÉFACE DE LA MONOGRAPHIE 


L 


le commerce, mais répartie entre les bibliothèques, les 
sociétés savantes, les principales villes de France et de 
l'Etranger, et enfin les savants avec lesquels l’auteur entre- 
tenait des relations. Nous en ferons connaître plus loin 
l'attribution. 

Disons, pour le moment (et nous en expliquerons le 
pourquoi), qu'un certain nombre de ces exemplaires sont 
précédés d'une préface, sous forme de lettre ouverte à 
M. Lenormant, alors que d’autres ne la possèdent pas. Ce 
fait constitue une curiosité bibliographique sur laquelle 
personne n'avait attiré l'attention. 

Monfalcon avait à se plaindre des attaques de M. Lenor- 
mant ; le savant membre de l’Académie des Inscriptions et 
Belles-lettres aurait, prétendait-il, excédé ses droits de cri- 
tique, et l’aurait calomnié... M. Lenormant en présentant 
à l’Académie l'édition officielle de la Table de Claude, avait 
prononcé les paroles suivantes : « M. de Boissieu est le 
« premier qui ait fait voir que Claude en prononçant dans 
« le Sénat l'étrange discours dont la table de Lyon conte- 
« nait la reproduction authentique, n'avait point prétendu 
« faire conférer à sa ville ratale un droit, dont en qualité 
« de colonie romaine, elle jouissait depuis sa fondation, 
« mais que 1 faveur impériale dont le monument nous 
« est parvenu, devait dans l'intention du fils de Drusus 
« s'étendre aux cités de la Gaule chevelue. Cette circons- 
« tance, qui nous semble inattaquable et qui rend plus 
« général l’intérêt qu'offre la Table de Claude, doit rester 
« comme une conquête de M. de Boissieu. » 

Ce n'était pas l'avis de Monfalcon, qui s’attribuait [a 
paternité de cette opinion et qui se croyait bien armé contre 
des affirmations de cette nature. Malheureusement pour 
lui, M. Lenormant avait, en connaissance de cause, dépar- 


DE LA TABLE DE CLAUDE 193 


tagé les titres de priorité et se prononçait pour son rival. 
L'auteur était calomnié, cela est clair. Que le distingué 
bibliothécaire fût froissé, nous le comprenons, mais ce 
n'était pas une raison pour faire servir la publicité donnée 
par la ville aux Tables Claudiennes, à la satisfaction de ses 
rancunes. 

Il le fait cependant en écrivant la préface qu’il se propose 
de placer en tête de la monographie, et dans laquelle il dit 
les plus dures vérités (il le croit du moins) à M. Lenormant. 

L’assentiment du maire à cette manœuvre était douteux, 
aussi s’arrange-t-il de manière à lui forcer la main. 

Le $ octobre 1851, sous le mème pli, il lui adresse 
l’épreuve d’imprimerie de sa préface et la lettre suivante : 


« Monsieur le Maire, 


« Voici la lettre-prétace que j'ai l'intention de réunir à 
« la monographie de la Table de Claude; je ne pouvais 
« rester sous le coup des paroles plus qu'inconsidérées de 
«€ M. Lenormant; permettez-moi de me charger des frais, 
« c'est peu de chose. Il s'agit d’une affaire qui m'est per- 
« sonnelle. Or, je ne mettrai certainement pas à la charge 
« de la Ville les dépenses auxquelles nos démèlés littéraires 
« peuvent donner lieu. » 


Le Maire se trouvait en présence d’un fait accompli; 
néanmoins, le 7, il lui répond : 


« J'ai lu, avec l'intérêt que commande tout ce que vous 
« écrivez, votre lettre à M. Lenormant. Permettez-moi, 
«au prix mème de la contrariété que je puis vous causer 
« (et j'éprouve de la peine à le faire), permettez-moi de 
« vous dire que votre réponse quelque péremptoire qu'elle 


N° 3. — Septembre 18). 1; 


194 NOTICE SUR LA PRÉFACE DE LA MONOGRAPHIE 


« 


« 


soit, ne doit pas trouver sa place en tête de votre mono- 
graphie. Votre œuvre va faire le tour de l’Europe, elle 
va traverser les siècles. Qui donc, dans les siècles, aura 
connaissance ou connaîtra les critiques de M. Lenor- 
mant? Laissez intact l’éloquent et savant complément 
des tables de Claude, et ne prenez pas à tâche de porter 
à la postérité le nom du critique. » 


Sages paroles, dont Monfalcon eût dû tenir compte. 


L'avis était net.'« Cette réponse ne doit pas trouver sa 
place en tête de votre monographie. » Mais, pour tirer 
profit de ce conseil désintéressé, il eût fallu moins se 
presser. Le bon à tirer était déjà donné, la préface imprimée 
et à sa place en tête de l'ouvrage, moins treize exemplaires, 
dans lesquels elle manque. Le 8 octobre, il adressait au 
maire une seconde lettre. 


« Monsieur le Maire, voici les treize exemplaires de la 
Monographie de la Table de Claude que vous avez 
demandés, la préface n’y est pas; mais cette préface 
subsiste, elle ira à son adresse, des membres de l’Institut 
et de quelques autres académies. Je n'ai pas eu l’intention 
de lui donner plus de publicité. S'il y avait eu des 
critiques dans le peu de mots que m'a consacrés M. Le- 
normand, j'y aurais répondu, comme je fais d'ordinaire 
en tâchant d'en profiter, mais M. Lenormand ne me 
critique pas du tout, il me calomnie d’une manière 
absurde : au fond, je ne suis pas si en colère que j'en ai 
l'air, Je me suis servi de l’occasion, en exagérant quelque 
peu mon grief, pour dire des choses que je désirais qu’on 
sût, par exemple la ténacité de’ mes efforts depuis trente 
ans pour écrire une histoire de Lyon passable. Veuillez 
agréer, etc, » 


DE LA TABLE DE CLAUDE : 195 


Telles sont les pièces du procès qui nous permettent 
de ‘publier trois autographes intéressants. En jugeant 
froidement, nous estimons que Monfalcon à eu le tort 
grave de placer sa lettre-préface, qui contient elle-même 
des imputations calomnieuses, en tête de l’édition officielle 
de la ville. Il comprend, trop tard, qu’il a outrepassé son 
droit, puisque dans les treize exemplaires qu’il remet au 
maire, la préface n’y est pas, ce qui donne à ces exemplaires 
l'attrait de la rareté. | 

La Table de Claude fut répartie entre les autorités civiles 
et militaires de Lyon, les savants, les bibliothèques de 
Paris, les académies, les principales villes de France et les 
nations étrangères; treize exemplaires sont distribués par 
Monfalcon à MM. Lajard, Vitet, Lebas, Raoul Rochette, 
Mérimée, Mignet, A. Bernard, abbé Christophe, abbé 
Jolibois, Caïlhava, de Polinière,.de Chaponay, Charles 
Zell. — Les anciens maires, MM. de Lacroix-Laval, Martin, 
Laforest, Prunelle, en reçoivent chacun un; de même 
MM. Sériziat, Boué, Yemeniz, d’Aigueperse, Menoux, 
Fulchiron, ancien député, Grégoire, Chamboz, typographe, 
Perrin, imprimeur. | | 

Les villes de Bordeaux, Marseille, Nantes, Rouen, Lille, 
Dijon, Grenoble, Toulouse, Strasbourg, Pau, Montpellier 
et les puissances suivantes : L’Angleterre, la Russie, 
l'Autriche, la Prusse, le Danemark, la Bavière, la Toscane, 
la Suède, la Sardaigne, les Deux-Siciles, les Etats Romains, 
l'Espagne, la Belgique, furent favorisées par l'envoi de Îa 
monographie. | 

On remarquera, sans s'en étonner, que le nom d’Al- 
phonse de Boissieu ne figure pas sur la liste des destina- 
taires, le savant auteur des Inscriptions antiques de Lyon ne 
dut pas s'en émouvoir; depuis longtemps, il était fixé sur 
les procédés de Monfalcon à son égard. 


196 NOTICE SUR LA PRÉFACE DE LA MONOGRAPHIE 


Il subsiste de leur animosité réciproque un curieux auto- 


graphe; c'est une lettre adressée au PACHA, proprié- 
taire de la Bibliothèque (Voir Annales de la Ville-de Lyon, 
1849, p. 313, en note), lettre qui froissa tellement l’auteur 
de l'Histoire de Lyon, qu’au lieu de la jeter au panier, il la 
transmit avec plainte motivée au Maire, dans les termes 
suivants : | 


« 


« 


{€ 


Lyon, 27 novembre 1849. 


Monsieur le Maire, 


« Les emprunteurs de livres sont toujours mon fléau. 
M. de Boissieu s’est fait autoriser par M. Fraisse, alors 
second adjoint, à emporter chez lui quelques ouvrages ; 
on lui a donné tout ce qu’il a voulu, le prêt a été limité 
comme pour tout le monde à huit jours, j'ai attendu 
huit mois. 

« Après un temps si long il fallait cependant faire rentrer 
les livres; un employé est allé cinq fois les réclamer; il 
est parvenu cependant à les arracher ce matin, mais avec 
l'accompagnement du billet honnête que voici : 

« Je vous prie d’avoir la bonté de ne jamais accorder 
d'autorisation à M. de Boissieu que j'ai rayé, et pour 
cause, de la liste des emprunteurs ; il faut faire un 
exemple. 


« Veuillez agréer, etc. 
« MOXFALCON. » 


Voici la lettre de M. de Boissieu 


À M. Monfalcon, propriétaire de la bibliothèque 
publique. 

« J'envoie à l'aimable pacha de la bibliothèque les livres 

qu'on l’a forcé de me prêter. Si je n’avais pas très bien 


DE LA TABLE DE CLAUDE 197 


« compris que sa continuelle persécution pour les ravoir 
« n'était qu’une manière gentille de me faire sentir sa 
«_ petite tyrannie, j'aurais cru qu’il me prenait pour un de 
« ces hommes, comme ïil doit en connaitre, qui en 
« dépouillant les ouvrages, pensent pouvoir ensuite se les 
« approprier. » 


La lettre de M: de Boissieu est une leçon qui paraît un 
peu corsée et on est surpris d’une pareille vivacité de 
plume chez un homme d’une aussi parfaite correction. Mais 
l’éminent épigraphiste, le savant qui a honoré notre ville 
par d’inoubliables travaux, avait bien lieu de se montrer 
blessé des procédés de Monfalcon. 

M. de Boissieu avait gardé des livres plus longtemps que 
ne l’autorisait le règlement. Mais en semblable cas, un 
bibliothécaire éclairé et intelligent n’hésitera jamais à accor- 
der quelques adoucissements à la règle, à faire quelques 
concessions à un personnage dont les travaux sont, en 
somme, des services d’utilité publique. | 


D: RÉVEIL, 


EE LAC LOS 


44 RE Fe 


Causerie d’un Bibliophile 


ENDANT ces deux derniers mois de juillet et août, 
alors que les bibliophiles citadins s’ébattent à la 
montagne, aux eaux, à la mer, une véritable 

floraison de livres lyonnais est venue s'épanouir pour le 
plus grand bonheur de nos frères infortunés, que leurs 
occupations retenaient sur l'asphalte de la ville surchauffée. 
A mon retour d’exil d’un affreux trou de la Savoie, où 
certes je n'avais pas été villégiaturer pour mon plaisir, je 
trouve ma table encombrée de volumes de tous les formats, 
mais non de tous les genres, et se tenant en général dans 
la note grave. Par suite de la fréquentation journalière 
des commensaux obligés de table d’hôte, j'étais revenu 
avec l’intellect tant soit peu déprimé. La besogne qui 
s’offrait était la bienvenue. En aussi bonne compagnie, 
je n'ai pas tardé à reprendre mon aplomb, et me voici tout 
disposé à vous faire connaître les nouveaux venus. 


* 
+ * 


M. l'abbé Pourrat, qui a professé avec distinction la 
philosophie au petit séminaire de Saint-Jean, avait employé 


CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 199 


plusieurs années à réunir des matériaux pour une histoire 
de Millery. C’est le résultat de ces recherches que nous 
offre le beau volume qui vient de paraître (1). 

Je l’ai dit maintes fois, les monographies de nos villages 
sont des travaux utiles, intéressants et qu’il est bon d’encou- 
rager. Pour les environs de Lyon, il y a encore beaucoup à 
faire; nos voisins Foréziens nous ont devancés sensiblement 
dans ces sortes d’études. Le livre de M. Pourrat mérite 
donc un accueil empressé ; il est très sérieusement docu- 
menté, il embrasse toute Fhistoire du petit bourg de 
Millery et ne laisse aucun point dans l’ombre. 

Cependant, l’auteur voudra bien me permettre une cri- 
tique qui ne touche en rien au fond de l’ouvrage et n’atté- 
nue nullement la valeur des recherches. M. Pourrat est 
tombé dans le même écueil que plusieurs de ses devanciers. 
Il n’a pu résister au désir bien naturel de s'étendre un peu 
trop longuement sur des détails touchant des choses et des 
faits qui lui sont familiers et dont son enfance a été ber- 
cée. Le sujet traité ne comportait pas un semblable déve- 
loppement; nous trouvons aussi trop d'histoire générale 
mêlée à Flhistoire particulière de Millery. L'ensemble 
demandait à être plus condensé. M. Pourrat me pardonnera 
cette remarque, mais une œuvre de cette valeur doit être 
analysée sans arrière-pensée (2). 


(1) EÆEssai historique sur le villace de Millerv et la baronnie de 
Montagny (Rhône), par l'abbé Pourrat, licencié ès lettres, Lyon, 1899, 
in-8 de 523 pages, figures. (En vente à la librairie Brun, rue du Plat. 
Prix: 10 francs.) 

(2) Un érudit de mes amis me communique la note suivante : 

« Il est fâcheux que, sur l'autorité plus que mince d'Ogier, dans la 
France par cantons, M. Pourrat ait laissé subsister la confusion entre 
Grignv, du département du Rhône et les monastères portant un nom 


200 CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 


Le plan de l'ouvrage, divisé en quinze chapitres, est 
bon. Toutefois, on regrettera l'absence d’une table alphabé- 
tique des noms cités. On néglige trop souvent cet appen- 
dice indispensable à tout ouvrage documenté. Voici d’abord 
la topographie de la commune, ses confins, quelques mots 
sur les communes limitrophes. Sur le rôle de Millerv 
pendant l'antiquité, on ne peut que passer très rapidement, 
pour arriver au moyen âge, époque où commencent les 
rapports du bourg avec les chanoines-comtes de Lyon, qui 
en étaient curés primitifs; les barons de Montagnv étant 
seigneurs suzerains. M. Pourrat publie plusieurs documents 
très curieux sur les droits de ces seigneurs vis-à-vis des 
habitants de Millery, entre autres une pièce de 1448 rela- 
tive au droit de péage qui se levait à l’occasion des foires 
et, en dernier lieu, un acte de foi et hommage au roi, du 
8 novembre 1780, de Claude Ravel, seigneur de Monta- 


identique, fondés dans le diocèse de Vienne : #onasteria Grinincensia. Les 
documents abondent cependant pour l'empècher et le texte seul de 
Mabillon, dont quelques lignes sont citées dans l'ouvrage, est assez clair 
pour enlever toute hésitation. La légende de saint Clair (Bolland., 
ie janvier), les lettres de Sidoine Apollinaire, la description de saint 
Avit dans sa chronique sont encore plus explicites. En diplomatique, on 
peut encore invoquer deux'’chartes de Léger, archevêque de Vienne, 
des années 1036 et 1037 (Martène.: ÆAmmplissima collect. T.1, p. 402). 
Or, il n’v a nulle trace de monastère au xie siècle, dans la paroisse 
limitrophe de Millerv. Une simple réflexion suppléerait du reste aux 
documents, si les documents ‘n'étaient pas d'une clarté parfaite. Com- 
ment des archevèques de Viènne auraient-ils fondé une abbave sur un 
territoire étranger et comment v auraient-ils exercé leur juridiction : 
Grignv, à aucune époque, n'a cessé d'appartenir au diocèse de Lvon. 

« Cette inadvertance était à signaler, car elle tend à se communiquer 
et nous la constations, il v à quelques jours, sous la plume d’un des 


rédacteurs officiels de la Semaine Reliciense. » 


CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 201 


gny, qui nous donne exactement et minutieusement l'état 
du pays à cette époque. 

Nous trouvons ensuite la nomenclature des fiefs qui 
dépendaient de Montagny, l'historique de l’église de 
Millery, la liste des curés et celle des œuvres de piété et de 
bienfaisance, la relation des principaux événements dont 
Millery fut le théâtre. Parmi ces derniers, un émouvant 
épisode de la terreur blanche est rapporté avec une rare im- 
partialité. - 

De nos jours, l’histoire des anciennes familles occupe 
beaucoup de chercheurs. L'auteur paye un large tribut à la 
généalogie par de nombreuses notes, puisées sur des actes 
originaux et intéressant quantité de familles Ivonnaises 
possessionnées à Millery. Citons au hasard les de Vauzelles, 
de Grolée, Ollivier de Sénozan, Faye d’Epeisses, Parent, 
T'homé, Dervieu de Goifñeu, de Sève, de Bocsozel, Pianelli 
de la Valette, Huvet, de Villars, Ferrus, Fournillon de 
Butery, de Verna, de Moulceau, etc., etc. 

Le dernier chapitre nous présente la vie journalière de 
Millery, et le fonctionnement des diverses administrations 
de la commune. A la fin, l’auteur a eu l’idée très originale, 
pour nous initier au dialecte vulgaire, de publier deux 
pièces en patois : Un dîner le jour de la vogue et l'Ecole 
buissonnière. 

Comme on le voit, depuis les temps les plus anciens, 
jusqu'à cette fin de siècle, le tableau de Millery, est esquissé 
plein de mouvement, de lumière et de variété. 


* 
* * 


Les lecteurs de la Revue du Lyonnais ont été tenus au 
courant des fêtes célébrées dernièrement au petit séminaire 


202 CAUSFRIE D'UN B!BLIOPHILE 


et à l’église de Saint-Jean en l'honneur du onzième cente- 
naire de l’école de Leidrat. A cette occasion, il a été publié 
une fort jolie plaquette (1) destinée à perpétuer le souvenir 
de cette fondation et de la maison d’éducation qui continue 
tant de bonnes et nobles traditions. 

Cette notice, dont le texte a été confié à M. l'abbé 
Pourrat, ancien professeur à Saint-Jean, n'est qu’un exposé 
sommaire des annales de l’ancienne Manécanterie et du 
petit séminaire, dont l’histoire, on le sait, a ‘été traitée 
magistralement par M. Forest, supérieur des Missionnaires 
diocésains. Mais les éditeurs, par les nombreuses images 
dont ils ont enrichi cet opuscule, en ont fait un recueil très 
curieusement documenté au point de vue iconographique. 
On ne compte pas moins de 8 planches hors texte et de 57 
figures dans le texte. Parmi les hors texte, je signalerai 
plusieurs reproductions des très intéressantes et fort rares 
lithographies, exécutées au commencement de ce siècle, 
vers 1825 environ, sous la direction de l'abbé Marduel, le 
fameux collectionneur (2). Elles représentent les anciennes 
cérémonies de Saint-Jean. La suite de ces lithographies 
n'existe, dit-on, nulle part complète. Le grand séminaire 
en possède une certaine partie, mais plusieurs pièces sont 
assez endommagées. Il y a quelques années, on résolut de 
photographier cette collection pour en assurer la conser- 
vation. On arriva à grand’peine à réunir les 20 ou 2$ pièces 
qui la composent. Il a été tiré de cette suite photographiée 
un nombre restreint d'exemplaires; elle est devenue, elle- 


(1) L'Antique École de Levdrale ; Onzième centenaire de sa fondation, 
par l'abbé Pourrat. Lyon, Emm. Vitte, éditeur. 1899, in-8, de 132 
pages, figures. | 

(2) Deux de ces pièces avaient déjà été reproduites par M, Forest. 


CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 203 


mème, assez rare. On ne peut donc que féliciter les édi- 
teurs d’avoir tiré quelques-unes de ces pièces de l'oubli. 
Parmi les figures dans le texte, on remarque de nombreux 
écussons armoriés, entre autres tous ceux des archevèques 
de Lyon depuis le cardinal Fesch jusqu'au cardinal Coullié. 
Un très beau portrait de ce dernier archevèque orne le fron- 
tispice du livre; on aurait aimé y trouver également le 
portrait du cardinal Fesch, l’insigne bienfaiteur du diocèse 
de Lyon, beaucoup trop oublié aujourd’hui. 

La notice de M. Pourrat a été complétée par la lettre de 
Leïdrat à Charlemagne sur la réorganisation du clergé de 
Lvon et la restauration des églises de cette ville. Cette 
lettre est publiée d'après la transcription de M. Félix 
Desvernay. À la suite, on lit une savante bibliographie de 
Leidrat, par M. l'abbé Martin. 

Pourquoi faut-il que cette élégante plaquette, intéres- 
sant recueil de sérieux documents, soit gâtée par l'adjonc- 
tion d’une composition funambulesque. Sous le titre : 
« Fig. LVIL L'Ecole de Leidrade an XX° siècle », une des 
figures hors texte représente la place Saint-Jean, telle que 
la souhaite, pour le siècle prochain, l’imagination désordon- 
née d’un disciple de Robida. À gauche, s'élève la Primatiale, 
dont les tours de la façade sont surmontées de petites tours 
Eiffel, qui veulent être des flèches; en face, apparait une 
énorme bâtisse, sorte de caravansérail américain : brasserie, 
musée, hôtel des postes, club, fabrique de jambons, ce que 
vous voudrez! Là, tous les styles possibles se meuvent 
dans la plus réjouissante confraternité. 

. Je ne.vois là, bien entendu, qu’une fantaisie d'artiste, de 
jeune artiste. En somme, son Ecole de Leidrade n’est pas 
plus mal qu'autre chose. Il serait mème à désirer que nous 
fussions favorisés de quelques édifices semblables dans les 


204 GAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 


nouveaux quartiers de la rive gauche du Rhône, où s'étale 
en pleine lumière la vulgarité bourgeoise des maisons 
d'entrepreneurs. 

Mais ce que je ne puis laisser passer, sans protester hau- 
tement, avec ma conscience de vieux Lyonnais, c'est l'inser- 
tion d'une composition aussi fantaisiste, que d’aucuns 
peuvent prendre pour un projet sérieux, dans un ouvrage 
qui traite des plus anciens souvenirs de l’illustre Eglise de 
Lvon. | 

% 
2 *% 

In multa patientia, telle était la devise célèbre de l’un de 
nos derniers archevêques qui, lui, s’est rendu surtout 
célèbre par la manière dont il la mettait en pratique. Hélas, 
ce n'est point la mienne! Les flèches de Saint-Jean et la 
nouvelle Ecole de Leidrade m’ont laissé dans une telle effer- 
vescence, que j'ai été obligé, pour reprendre le fil de cette 
causerie, de faire appel à l’intercession du respectable arche- 
vêque défunt. J'ai été bien servi. Le sujet qui s'offre sous 
ma plume est de ceux qui produisent l’apaisement, nous 
rappelant à la charité chrétienne. 

Parini les institutions dont s’honore le diocèse de 
Lyon, il faut citer la maison de retraite de Vernai- 
son. Ce n’est qu'au siècle passé, vers 1737, que l'on 
songea à l’hospitalisation des prêtres âgés ou infirmes. Sur 
l'initiative de quelques ecclésiastiques et avec lassentiment 
de François de Châteauneuf de Rochebonne, archevèque de 
Lyon, il fut fondé une msison de retraite établie d’abord 
à la Croix-Rousse sous la désignation de séminaire de Saint- 
Pothin. (De là, vient le nom de la rue actuelle de Saint- 
Pothin.) Plus tard, elle fut transférée à l’Ile-Barbe ; dans 
des locaux délaissés de l’ancienne abbaye. La maison n'avait 


CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 20; 


que de modiques ressources et s’administrait difhcilement. 
L’archevèque Malvin de Montazet, aussi peu attaché à son 
chapitre qu’à son clergé, et qui le premier porta atteinte à 
l’antique liturgie de Saint-Jean, supprima purement et sim- 
plement le séminaire Saint-Pothin, par ordonnance du 
28 août 1782. | 

Après la Révolution, le projet fut repris. En 1806, 
Mile de la Barmondière, qui distribuait en charitables libé- 
ralités les revenus de son immense fortune, fit construire à 
Fourvière des bâtiments destinés à hospitaliser des prètres 
âgés ou infirmes. D'où provenaient les ressources néces- 
saires à l'entretien de cet établissement ? On l’ignore. En 
1824, Mor de Pins jeta les premiers fondements d’une 
administration régulière. Il adressa une circulaire au 
clergé, réclamant aux fabriques, d’après le décret du 
er août 1805, le sixième des revenus des chaises pour 
l’entretien des prêtres infirmes. L'œuvre était définitive- 
ment fondée. Le cardinal de Bonald, à peine installé à 
: Lyon, se préoccupa vivement du sort de ses vieux prêtres. 
Le 18 mars 1843, il acquit à Vernaison une superbe pro- 
priété de près de quinze hectares et la fit aménager pour 
une vaste maison de retraite. Quelques années après, il en 
faisait don au diocèse de Lyon; parc, bâtiments anciens et 
nouveaux, mobilier étaient estimés plus de 500.000 francs. 
Le généreux cardinal, peu de temps après cette donation, 
avait adressé au clergé un pressant appel, sollicitant 
des offrandes pour la nouvelle institution. Des dons .nom- 
breux, formant une somme importante, servirent de base 
à un capital dont les revenus devaient être attribués à 
l'entretien de l’œuvre. | 

La maison de Vernaison est administrée, d’après une 
ordonnance ministérielle, par un conseil nommé pour trois 


206 CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 


ans, par les suffrages du clergé; l’archevèque en est le pré- 
sident de droit. L'œuvre se nomme : Caisse de secours pour 
les prêtres âgés on infirmes du diocèse de Lyon. Le budget actuel 
est de 56.000 francs environ, alimenté par les redevances 
des fabriques, les souscriptions du clergé, les pensions de 
quelques prêtres retirés et non assistés et les produits de la 
propriété. 

Tel est le résumé de la notice (1) que vient de publier, 
sous le voile trop modeste de l’anonyine, le supérieur actuel 
de Vernaison, M. le chanoine Barbier. Ces pages lui ont 
été dictées par son amour et son dévouement pour l’œuvre 
dont il a été établi le directeur, pour cette maison, dont il 
est le gardien fidèle, pour les malheureux et les infirmes, 
dont il se montre le consolateur et le père. Ce modeste 
petit volume, qui n’est pas destiné à une grande publicité, 
fera connaitre cette institution si utile, rappellera la géné- 
rosité de ses fondateurs et prendra place honorablement 
dans la collection d'histoire religieuse de Lyon. 


æ * 


Le Beaujolais, délaissé pendant longtemps par les histo- 
riens et les archéologues, semble depuis quelques années 
ètre l'objet de nouvelles recherches. Les travaux de 
MM. Longin, Alexandre et Georges Poidebard, Irénée 
Morel de Voleine, ont attiré l'attention sur cette petite 
province, riche en souvenirs historiques. Bientôt paraîtra 
la grande histoire du Beaujolais de Louvet, dont le texte 
entièrement imprimé, n'attend plus qu’une préface. Et voilà 


Ce ee de — à ne << en 


(1) Notes hustoriques sur la maïson de retraite des prètres du diocèse de 
Lyon. Lvon, Emm. Vitte, éditeur, 1899, in-8 de 247 pages. 


CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 207 


qu'il nous arrive un bien intéressant ouvrage qui, par l’éru- 
dition et le talent d'écrivain de son auteur, se place au pre- 
mier rang des publications beaujolaises (1). 

= Le Beaujolais préhistorique de M. Savoye est une merveil- 
leuse introduction à toutes les études historiques sur le 
Beaujolais. C'est le résultat de nombreuses fouilles, de : 
savantes recherches, exposé avec autant de clarté que de 
précision. Le lecteur suit avec émotion et curiosité l’aimable 
érudit dans ses heureuses trouvailles de gisements. Il entre- 
voit les tâtonnements de cet embryon de civilisation qui 
se manifeste d’abord par des haches, des couteaux, des 
pointes de flèches en pierre taillée, plus tard, par de gros- 
sières poteries et enfin par des armes, des instruments, des 
bijoux de bronze et de fer. De nombreuses figures repré- 
sentant les objets exhumés rendent cette étude facile et 
attrayante. 

A la fin du volume, en des pages charmantes, pleines de 
poésie et de fraicheur, M. Savove nous fait connaître le 
folk-lore (traditions populaires) du Beaujolais. Les anciennes 
légendes de fées, de lutins, de sorcières, de fontaines guéris- 
santes, les vieilles coutumes pour les baptèmes et les 
mariages viennent animer un sujet quelque peu aus- 
tère. 

Félicitons M. Savoye de son excellent livre, et souhaitons 
qu'il n’en reste pas là. Le champ des études beaujolaises 
s'offre encore bien large à ses intéressantes recherches. 


(1) Le Braujolais préhistorique, par Claudius Savove, instituteur à 
Odenas. Lyon, A. Rev et Cie, 1899, in-8, avec 7ofigures dans le texte, 
Une carte et 4 planches hors texte. (Ouvrage publié avec le concours de 
J'Assoctation française pour l'avancement des sciences.) 


208 CAUSERIE D'UN BIBLIOPHILE 


À: 
+ 


Les uénéalogistes me permettront de leur signaler une 
petite brochure dans laquelle ils trouveront sans doute à 
glaner : Notes historiques sur les Jubin (1). 

Si les Jubin ne remontent pas exactement à saint Jubin, 
archevêque de Lyon au onzième siècle, l’auteur présume 
qu'ils tirent leur nom de ce saint prélat. Les Jubin, 
répandus dans plusieurs paroisses du Lyonnais, sont fort 
nombreux ; plusieurs familles se composaient de neuf, douze 
et treize enfants. Les renseignements, avec dates, ne remon- 
tent pas trop au-delà du milieu du dix-septième siècle. 

L'auteur a donné une large envergure à son sujet par un 
abrégé de la vie de saint Jubin et des notes historiques sur 
les localités habitées par les Jubin. 

Nous possédions déjà de très curieuses publications 
uénéalogiques, devenues rares pour la plupart, et que les 
amateurs conservent avec un soin jaloux. L’opustule Les 
Jubin aura une place bien méritée dans cette collection. 


Montribloud, 1°" septembre 1899. 


Léon GaLLE. 


(1) Notes historiques sur les Jubin et sur les endroits en Lyonnais qu'ils 
ont babités ; Le lieu @ le Jubin » el les paroisses de Saint-Julien-sur-Bibost, 
Besseuav, Brullioles et Brussieux, XVHS, XViIS el XIXe siècles. Lvon, 
imprimerie Lavaissière, 1899, in-8 de 58 pp. (Pour se procurer cette 


brochure, s'adresser à la librairie Brun, rue du Plat.) 


SOCIÉTÉS SAVANTES 


AVACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE LYON. — 
ÉD Scance du 7 mars 1899. — Présidence de M. Gilardin. — 
M. Perrin, trésorier, présente un rapport sur les finances de l’Aca- 


démic. — M. Gabriel Roux communique un compte rendu au sujet de 
la fièvre t'phoïde, qui a régné à Lvon pendant l'été de 1898. La 
fièvre tvphoïde, dit l'orateur, est à l’état endémique à Lvon, avec 
recrudescence pendant l’été. Mais on a observé que généralement la 
mortalité, due à cette cause, est allée en décroissant depuis l’année 
1872 jusqu’en 1897. Aussi fut-on surpris, avec juste raison, de la recru- 
descence qui s’est produite de juillet à octobre 1898, et on a pensé 
daturellement qu’elle était due à des causes peu ordinaires, tout en 
observant que les arrondissements, où cette maladie a fait le plus de 
victimes, sont ceux où existent le plus de puits. Et ce sont ces causes 
que la Commission s'attacha à rechercher. Or, si l’eau des puits ren- 
ferme une quantité plus ou moins considérable de micro-organisme, on 
h'avait, jusqu’à ce moment, jamais trouvé dans l’eau de la Compagnie, 
le coli-bacille de la fièvre trphoïde, sauf en temps de crue. Mais, au 
moment où régnait, avec le plus de force, l'épidémie de 1898, on v 
Constata, dans tous Îles quartiers, l'existence d'un coli-bacille très viru- 
lent. Cette observation, qui causa un vif étonnement, a provoqué une 
enquête ct on a été amenté ainsi à constater, que, depuis quelques 
années, le service des Ponts et Chaussées a construit sur le Rhône, en 
face de Vassieux, une digue qui rejette le courant sur la rive gauche. 
Ce fait a été aggravé encore par l'établissement d’un perré artificiel, au 
moment où furent creusés les puits filtrants. Or, le courant étant sup- 
primé sur la rive droite, il s’est formé, par suite, le long de cette rive, 
Ne 3. — Septembre 1809. 14 


210 SOCIETES SAVANTES 


une sorte de bassin d'eau croupie et stagnante, où l'on retrouve jusqu'à 
35-000 microbes par centimètre cube. Telle a êté la première cause de 
l'épidémie. La seconde résulte de ce que, dans le but de fournir de 
j'eau aux étages supérieurs des maisons, on à eu recours à une aspira- 
tion plus considérable de ces eaux contaminées. Une troisième cause 
tient enfin aux terrains qui avoisinent les galeries et sont livrés à la 
culture maraïîchère, qui emploie une grande quantité d'engrais. A la 
suite de cet exposé des trois causes de l'épidémie de 1898, l'orateur fait 
connaître que la Commission d'hygiène à émis les vœux suivants : 
10 que les puits soient supprimés à Lvon ; 2° que des travaux soient 
effectués pour ramener le courant d’eau pure sur la rive droite du 
Rhône; 3° que la ville entre, au plus tôt, en possession des terrains 
acquis des Hospices et avoisinant les puits de filtration de la Compagnie : 
4° que Lvon s'entende avec la commune de Caluire, pour qu'il soit 
interdit de déverser des vidanges, dans le ruisseau de cette dernière 
localité ; et 50 enfin que des instructions soient données aux emplovès 
de la Compagnie des caux, pour éviter l'aspiration des eaux stagnantes 


et contaminées. 


Séance du 14 mars 1899. — Présidence de M. Gilardin. — M. Gabriel 
Roux explique que le perré et les puits de filtrage, dont il a parlé dans 
la dernière séance, sont ceux qui sont situés en amont. — M. Locard 
revenant sur cette question, fait observer qu'à l'origine, l’eau distribuée 
par la Compagnie était puisée directement dans le Rhône. Aujourd’hui elle 
passe par les puits de filtration, situés en face de l’ancienne gare de Saint- 
Clair, réservée actuellement aux marchandises, à 150 métres de l’axe du 
chemin de fer et au pied de la balme de la rive droite. Mais toute eau 
de puits peut, suivant les circonstances, devenir mauvaise. Ici, par suite 
d’un changement de pression, il peut se produire des fissures et les 
filtres peuvent se déplacer. L'eau de ces puits peut recevoir ainsi des 
matières impures, soit par le Rhône lui-mème, soit par l’infiltration de 
l’eau pluviale à travers le plateau bressan, soit à cause de voisinage des 
écuries des chevaux de la gare de marchandises. Sur le Rhône, une 
digue circulaire force, malheureusement, le fleuve à s'éloigner des puits; 
peut-être J'a-t-on fait dans l’intérèt de la navigation ; mais l'intérêt de 
la santé publique doit être assurément préféré. Dans tous les cas, il arrive 
que les puits de filtration sont alimentés avec des eaux croupissantes et 
contaminécs. Or, deux remèdes sont à emplover : L'un, tout provisoire, 


SOCIÈTÉS SAVANTES 211 


consiste à supprimer la digue de la rive droite, et à en construire une autre 
sur la rive opposée pour ramener le courant sur la rive droite et l’on 
aura ainsi une eau renouvelée sans cesse. Une autre solution consiste à 
séparer l’eau servant à l’alimentation de celle qui sert au nettoyage de 
la ville et aux fontaines. Pour ces dernières, il n’y à pas besoin d’eau 
pure, on peut donc garder, pour cet usage, le régime actuel. Mais pour 
les usages domestiques, il faut revenir au projet Michaud, consistant 
dans une dérivation de l'Ain, avec une canalisation spéciale. — 
M. Tavernier présente, à son tour, quelques observations sur le mode 
d'alimentation des galeries de filtration de Saint-Clair. Il v a quinze 
ans que les galeries de filtration, établies à l’origine, étant devenues in- 
suffisantes, de nouveaux puits furent construits. La digue, construite 
depuis, a produit des effets regrettables, sans doute; mais il est difh- 
cile de revenir sur ce qui a été fait, çar les puits creusès sur. la rive 
gauche, près du Grand Camp, en souffriraient. — M. Locard répond 
qu’il n’y a rien à redouter de ce côté; car ces puits sont alimentés non 
seulement par l’eau du Rhône, mais aussi par les eaux de la nappe sou- 
terraine. — M. Roux pense que les puits sont alimentés par le Rhône 
souterrain. C’est pourquoi on devrait préférer de faire passer le courant 
sur la rive droite. Car contrairement à l'avis de M. Duclaux, il estime 
que la plus grande partie des eaux alimentant les puits de filtration 
vient du Rhône lui-même et que l’eau souterraine n'y pénètre qu'en 
faible quantité. Aussi pense-t-il qu'on peut ramener le courant sur la 
rive droite, sans nuire aux puits de la rive gauche. — M. Delore rap- 
pelle que le projet Michaud, qui date de 1886, proposait de fournir à 
Lvon 350.000 mètres cubes, par jour, d’eau provenant de la rivière d’Ain 
au moven d’un barrage établi vers l'embouchure du ruisseau du Riez, 
affluent de cette rivière, et que le projet, rectifié par une Commission 
technique, n’exigeait qu’une dépense de 30 millions. 


Séance du 21 murs 18y9. — Présidence de M. Gilardin. — M. Michel, 
membre émérite, présente l’analvse d’un travail intitulé : Contribution 
à l'histoire de Saint-Maurice en Valais. Dans une première partie, l'au- 
teur démontre que les pierres employées dans les constructions romaines 
de Saint-Maurice et notamment dans les tombeaux qui v ont été retrou- 
vés, proviennent de carrières situées près de Neufchitel Il en est de 
même, d’ailleurs, du revètement de la base de la cathédrale de Lausanne. 


La deuxième partie renferme un tableau des malheurs subis par ce monas- 


212 SOCIÈTÉS SAVANTES 


tère depuis Je ve siècle et notamment à l’époque des invasions. L'auteur 
présente, à ce sujet, quelques détails sur une inscription du xie siècle, 
retrouvée dans l’ancienne église de Saint-Maurice, à 1 m. 20 au-dessous 
du sol, et portant le nom de Vultcherius, qui, d'après M. de Lastevrie, 
est une transformation du nom primitif de Vulcarius, abbé de Saint- 
Maurice au vite siècle. — M. Michel présente aussi un travail intitulé : 
Les assurances contre la vieillesse et le projet de loi sur une Caisse nationale 
de retraite en France, dont il fait aussi un résumé. — M. Beaune offre 
aussi à l’Académie un travail intitulé: La liberté d'enseignement devant 
le Parlement. — M. Bleton fait hommage d'une publication récente : 
Au delà des Pyrénées. Notes et impressions. — M. Lacassagne fait hommage 
du volume qu'il vient de publier sous le titre de: Vacher Feventreur et 
les crimes sadiques. Cet ouvrage renferme surtout un examen approfondi 
du vagabondage. considéré comme source de la criminalité. Le nombre 
des crimes, dus à des auteurs inconnus, augmente de jour en jour avec 
celui des vagabonds. Dans le sud-est notamment, on peut signaler 
de nombreux crimes, dont les auteurs n’ont jamais pu être arrètés. 
C'est pourquoi les pouvoirs publics devraient s'attacher, avec un soin 
particulier, à réprimer le vagabondage. Et pour diminuer le nombre 
des crimes, dont les auteurs demeurent inconnus, il faudrait notam- 
ment que tous les dossiers de ces crimes soient envovés à la Chancellerie, 
qui parviendrait souvent, en les comparant, à découvrir leurs auteurs, 
comme l'a démontré la méthode pratiquée par M. Fourquet, juge d'ins- 
truction à Bellev, en se faisant adresser, de divers côtés, les dossiers de 
crimes commis dans des circonstances semblables. 


Séance du 11 avril 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Hommage 
fait à l'Académie: Nouveaux fragments de droit et d'histoire, par 
M.Beaunce.— M.Tcissier présente une liste des principaux travaux publiés 
récemment, sous son inspiration, par plusieurs de ses élèves : 
MM. Levautre, Cordonnier, Cardenat, Fuzier, de Lignerolles et 
Régnaud, Comme une sorte de corollaire au tratail de ce dernier : Le 
cœur des tuberculeux,M. Teissier expose l’ensemble de ses recherches sur 
l'Influence de Paltitude, par rapport aux variations de la pression artérielle, 
en concluant ainsi : 1° L'altitude élève sensiblement la pression artt- 
rielle; 2° mais une altitude de 3.000 mètres n’élève guère plus la 
pression qu'une altitude de 300 (tour Eiffel) ou de 600 (fort des Quatre- 
Seigneurs sur Uriage); 30 chez les enfants l'élévation de la pression est 


SOCIÈTÉS SAVANTES 213 


très faible; 49 cette élévation de la pression artérielle n’est pas durable, 
et au bout de quelques heures la pression tend à retomber à la normale 
pour remonter ensuite; 5° un exercice un peu violent, un effort soutenu 
donne rapidement le maximum de pression réalisé au cours de route ; 
6 la brusquerie du déplacement agit plus que la hauteur atteinte, si 
l'ascension a été très lente et s’est faite sans fatigue (funiculaire, ou 
course de voiture). Ces données sont intéressantes pour le choix d'un 
séjour de montagne, suivant que les malades sont ou non disposés à 
l'hypertension, L’altitude, au contraire, convient aux sujets présentant de 
l'hypotension, Peut-être même joue-t-lle un rôle important dans la cure 
de la tuberculose dans les climats de montagne, en élevant la pression 
artérielle. Dans tous les cas, les observations qui précèdent suffisent pour 
établir qu'une altitude moyenne est suffisante pour un sanatorium, 
puisqu'elles démontrent que les grandes altitudes ne modifient guère 
plus la pression que les hauteurs moyennes. —= M. Rougier présente un 
raÿport sur un document communiqué par M. Traversier, et consistant 
dans la copie d’un mémoire de M. Partarieu-Lafosse, ancien député à 
la Constituante et gouverneur du Sénégal, qui fut envové, en 1802, 
avec un autre délégué, nommé Letellier, par la Chambre de commerce 
de Bordeaux, auprès du premier consul, alors à Lvon. Ce dernier les 
interrogea d’abord sur la reprise du commerce à Bordeaux, puis sur les 
avantages que pouvaient présenter les Compagnies coloniales, comparées 
au commerce libre. Les deux délégués ne cachèrent pas leurs sym- 
pathies pour la liberté commerciale, attendu, dirent-ils, que si les 
Compagnies importent davantage, ciles exportent moins que le com- 
merce libre. Le premier consul le reconnut, mais en observant, à son 
tour, que les puissantes Compaynies peuvent donner au commerce un 
essor plus étendu, comme le démontre l'exemple de la Compagnie des 
Indes. L'opinion, émise par Napoléon, dans cette circonstance, achève 
de démontrer la pénétration de son esprit. 


Séance du 18 avril 1898. — Présidence de M. Gilardin. — M. le 
Président adresse quelques paroles de bienvenue à M. Edouard Avnard, 
membre titulaire, qui assiste pour la première fois aux séances de Ja 
Compagnie, — Hommages faits à l’Académie : 19 par M. Bleton, 
Histoire populaire de Lyon, 2e édition. — 20 par M. Vachez : Les pein- 
tures murales de l'ancienne Chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez (Loire). — 
M, Delore communique un travail intitulé : Des étapes de l'hermaphro- 


214 SOCIÈTÉS SAVANTES 


dise, Dès les temps les plus reculés, les anciens se sont occupés de 
l'hermaphrodisme, pour lui consacrer un culte, que l'on retrouve dans 
toutes les religions des peuples asiatiques. De là, ce culte avait passé en 
Grèce, et même, mais à un moindre degré, dans la religion romaine. Les 
philosophes comme Platon, les poètes, comme Martial, Ovide et Ausone, 
en cherchent l’origine. De mème, les artistes de l'antiquité reproduisent 
le tvpe d'Hermaphrodite sous les formes les plus diverses. Mais dans les 
temps modernes on s’en occupe seulement au point de vue scientifique 
et depuis longtemps les idées se sont complétement transformées à ce 
sujet. Au licu d’être considéré comme un progrès, comme le pensaient 
les anciens, l’hermaphrodisme est considéré, de nos jours, comme un 
défaut et une dérogation regrettable aux lois de la nature. 


Séance du 2ÿ avril 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Hommage 
fait à l’Académie : Les Coguilles marines au large des côtes de France, 
par M. A. Locard. — M. le Président fait connaitre les bases du pro- 
gramme arrêté, la veille, par la Commission du Centenaire de lAca- 
démie. — M. Caillemer donne lecture d'une notice sur M. Loir, ancien 
président de l’Académie et ancien doven de la Faculté des Sciences, 
décédé à Paris, le 24 février 1899. M. Loir était né à Paris, le 18 juil- 
let 18:6. En 1861, il avait succédé à Bineau, dans la chaire de chimie, 
à la Faculté des Sciences. En 1879, il fut nommé doyen, en remplace- 
ment de M. Faivre, et il prit sa retraite seulement en 1883. L'orateur 
termine en faisant ressortir sa bonté, sa droiture et son obligeance. — 
M. Lafon fait ensuite une communication sur le calendrier celtique 
trouvé à Colignv, au mois de novembre 1897. Il le compare avec le 
calendrier romain, et fait observer qu'il est établi par années, composées 
de mois lunaires. Le mois lunaire étant de 29 jours et demi, il en 
résultait qu'au bout d'un certain temps, il fallait recourir à un mois 
intercalaire et qu'on arrivait ainsi à avoir des années de 384 ou 
385 jours. L'orateur explique ensuite comment se faisait cette interca- 
lation, et il arrive à conclure que ce calendrier celtique, dont plusieurs 
termes sont encore inexpliqués, était une copie de celui des Grecs. 
Puis il termine en faisant connaitre comment la fète de Piques peut 
tomber le 24 avril et la Fète-Dieu, le 24 juin, ce qui donne lieu à la 
féte du Grand Jubilé de Saint-Jean, qui a eu lieu en 1886, et ne se 
présentera de nouveau qu'en 1943. 


Chronique d'août 1899 


Chaleur torride, — Lron en 1534. — Les morts du mois. — L'affaire 
de Rennes. — Drames ct faits divers. — A la Chambre de Com- 
merce de Lyon. — Les vendanges et la chasse. — Au Conseil 
Général du Rhône. — Un livre de M. G. Guigue. — La Commis- 
sion du Vieux Lvon. — MM. George, Vermare, Tonv Garnier, 
Jean Patricot, les Prix de Rome. — Notes d'art et de théitre. 


NCORE un mois de chaleurs torrides, un mois de 

canicule, où le temps se passe à s'éponger et à 

saluer ses amis de ces mots absurdes dans leur 
monotonie : « Qu'il fait chaud, mon cher! Qu'il fait 
chaud! Je crois que nous n'avons jamais eu pareille cha- 
leur ! » On sait ce qu'il faut retenir de ces exclamations 
hyperboliques ! Rubys nous raconte qu’en 1534 « le 
Lyonnoys fut assailli d’une si ardente chaleur et seiche- 
resse, qu’il ne pleut point tout le long de l'Esté, ny une 
bonne partie du Printemps, qui donna occasion aux bonnes 
gens des villages voisins de la ville de recourir à Dieu et à 
sa glorieuse mère, par ces processions que l’on appelle vul- 
gairement les processions blanches, où l’on ne voyoit que 
hommes, femmes et petits enfants tout nuds et seulement 
affeublez d’un linge blanc, qui alloyent criants avec voix 


216 * CHRONIQUE D'AOÛT 1899 


pitoyable et la larme à l'œil, en leur gavot (patois) : 
«Santa Maria, d'aiguy, d'aiguy ! » 

Heureusement n’en sommes-nous pas encore réduits à 
cette terrible extrémité. Un bolide en a profité pour visiter 
notre atmosphère le 12 août, et pour déposer sa carte de 
visite, en passant, à l'Observatoire de Lyon. 

Mais les chaleurs ont une influence désastreuse sur les 
tempéraments et les décès sont nombreux pendant cette 
période. ne 

Le 2 août nous apporte la nouvelle de la mort, à Néroud, 
de Mme la générale Rolland, veuve du général Rolland qui 
commanda longtemps la division de Lyon. 

Le ÿ août, meurt dans sa propriété de Briennon, sur la 
Loire, à l’âge de 72 ans, M. Ernest Damour, ancien avoué 
à Lyon, où il fut mêlé pendant plus de 40 ans à toutes les 
causes judiciaires importantes et principalement aux tristes 
événements du lamentable krach de 1882. 

Le 8 août, M. Paul-Edouard Archinard, ingénieur, 
ancien professeur à l'Ecole centrale et à l’Ecole de commerce 
de Lyon, meurt à Lausanne. Le 17 août, décès, à Boze, de 
M. Léo Clozel de Lestrange, allié aux plus anciennes 
familles de l’Ardèche; le même jour s’éteignait au château 
d'Aoste, dans l'Isère, Mme la comtesse de la Forest-Divonne. 
C’est encore dans l'Isère, à Nivolas, que meurt, le 23 août, 
Mme la vicomtesse de Rivoire de la Bâtie, née de Coligny. 
On sait que la famille de la Bâtie possédait encore, il y à 
quelques années, le magnifique château de Richemond, près 
de Chalamont, dans l'Ain, fondé au xn° siècle, par Pierre de 
la Palud et si bien restauré par M. Baussand. 

Mais les morts ne doivent pas nous faire oublier les 
vivants et nous sommes heureux de noter, le 26 août, les 
noces d’or de M. et Mme Charles Payen, les dovens de cette 


CHRONIQUE D'AOUT 1899 217 


belle famille lyonnaise qui occupe une si large place à la fois 
dans le milieu des affaires et dans le domaine de la charité 
et des œuvres de bienfaisance de Lyon. 


* 
* * 


Passons aux menus faits du mois qui sont comme le 
condiment nécessaire de la vie. 

Le 2 août, un déplorable événement sème la désolation 
dans une famille très estimée à Lyon. Un sieur S..., bien 
connu dans le monde des sports et des coulisses, est arrêté 
comme chef d’une bande d’écumeurs des magasins de 
soieries de Lyon et comme intermédiaire entre les voleurs 
et leurs entrepôts de Zurich. 

Le 7 août, s'ouvrent enfin les débats de cette épouvantable 
affaire Dreyfus qui agite si teriiblement la France depuis 
deux ans. Un Lyonnais, M. Villon, boyaudier à Vaise, 
dépose à Rennes contre le traitre et établit contre lui des 
faits écrasants dans un aveu surpris à Berlin, dans un hôtel. 
Attendons avec confiance l’arrèt du Conseil de guerre. 
Mais comme il serait grand temps que le calme revint dans 
les esprits pour que la France puisse enfin se reprendre ! 

Je signalerais bien, le 12 août, la création des petites 
« mougeottes », nouveau modèle de boites aux lettres par- 
ticulières qui nous permettra de voir notre courrier levé à 
notre porte par de braves facteurs dont on augmentera 
Sans regret la tâche, sans augmenter assurément les 
émoluments. Mais, le 12 août, des événements plus graves 
occupaient tous les esprits et l’on voyait le Gouvernement 
ordonner, sans autre forme de procès, l'arrestation de plus 
de quarante personnes qui n'ont commis d’autre crime 
que de désapprouver ses tendances révolutionnaires. 

Guérin proteste çontre cette atteinte inqualifiable aux 


218 CHRONIQUE D AOUT 1899 


droits des citovens et s’enferme avec ses amis au fort 
Chabrol, dont le Gouvernement devra faire le siège en 
regle. 

Le 15 août, terrible drame à Perrache : un instituteur 
laïque nommé Baron, résidant à Alixan, dans la Drôn, 
vient assassiner, rue Mazard, trois personnes, peu recom- 
mandables il est vrai, et se fait arrêter dix jours après à 
Bourg-de-Péage, sur la dénonciation de son père indigné ! 

Et les événements se succèdent sans interruption. Le 
17 août nous apporte la nouvelle de cet épouvantable 
drame du Soudan où trouvent la mort le lieutenant-colonel 
Klobb et le lieutenant Meunier. Un des assassins serait le 
capitaine Voulet, qui habita longtemps dans le Rhône, à 
Lamure, où son père exerçait la médecine. Mais l’Afrique 
nous réservait aussi des consolations et des occasions de 
légitime orgueil. Le jour mème où nous apprenions ces 
tristes nouvelles, sir George Goldie, un des membres direc- 
teurs de la Compagnic royale du Niger, dans un grand dis- 
cours prononcé à Londres, faisait l’éloge le plus grand du 
R. P. Rousselet, de la Société des Missions africaines de 
Lvon, qui, en mission en Afrique, y déploya, pendant une 
insurrection, un courage admirable, au milieu des plus 
grands dangers et arrêta par son héroïque obstination Île 
développement de la révolte. | 

Et tandis que l'Angleterre rend un si éclatant hommage 
aux missionnaires catholiques, la tourbe révolutionnaire de 
Paris met à sac, le 20 août, l’église Saint-Joseph et se livre, 
en toute tranquillité, aux plus hideux excès. 

Le même jour, à Lyon, réunion du Comice agricole de 
Lyon, à Villeurbanne, sous la présidence de M. Joannard. 
Trois jours avant, la Chambre de Commerce de Lvon se 
rendait par bateau à Villefranche, à Mâcon et à Chalon- 


CHRONIQUE D'AOÛT 1899 219 


sur-Saône, pour répondre à aimable invitation des 
Chambres de Commerce de ces trois villes. On n’a pas oublié 
l'initiative admirable prise par la Chambre de Commerce 
de Lyon, il y a trois mois, quand elle conviait à un congrès 
toutes les Chambres de Commerce de la région, pour v 
discuter en commun les graves questions de tarifs, de 
transports, de navigation qui intéressent à un si haut 
point notre commerce et notre industrie. 

C'était la première fois que pareil congrès était tenu. 
Il était présidé par M. Isaac, entouré de MM. Avnard, 
Coignet, Guérin et de tous les présidents des Chambres 
de Commerce adhérentes. Les résultats de ce premier 
congrès furent considérables. Le 17 août, les Chambres de 
Commerce, citées plus haut, rendaient à celle de Lyon son 
aimable invitation et échangeaient avec elle ces coquetteries, 
préludes de travaux féconds. | 

Le mois se termine par l'appel au ban de vendanges et par 
l1 sonnerie des trompes de Saint-Hubert, conviant les chas- 
seurs, le 27 août, aux exploits accoutumés. Hélas! la chaleur 
était accablante ; les chiens restaient sans nez et le gibier 
dans les fourrés, et nos Nemrod Ivonnais ont dû, à défaut 
de ces lièvres à la broche, mangés « avec une poivrade 
épaisse, bien liée au sang », comme le disait avec tant de 
saveur et d'esprit ce bon Puitspelu dans ses Propos de 
Gueule, se contenter « des becfis fins, au cul de graisse, 
sautés dans une casserole de terre »; ces becfis que notre 
excellent écrivain prisait si fort quand il disait : « hélas! 
la saison des becfis est encore plus courte que Île printemps 
des femmes! » 

Ma chronique serait incomplète si jJ’omettais de consigner 
mes notes d’art. Scrais-je moins soucieux des arts que ne le 


220 CHRONIQUE D'AOUT 1899 


fut notre Conseil général qui, après avoir élu, le 21 août, 
pour son président, l’aimable et si spirituel M. Lagrange, 
adoptait, le 28, son budget des Beaux-Arts porté cette année 
à 4.500, après l'acquisition pour la Préfecture d’une toile de 
José Frappa et de la belle composition de Mlle Guérin, 
Cerises et Roses, très remarquée au dernier salon. Le même 
jour, le Conseil général du Rhône votait une annuité de 
1.500 francs pour l'organisation de l’enseignement de 
l’histoire de Lyon et de la région lyonnaise à la Faculté 
des lettres. On sait que la Société des Amis de l’Université 
a, la première, promis une libéralité pour cet objet. Cette 
chaire manquait à notre Université et était, depuis long- 
temps, réclamée par tous les amis du Vieux Lyon. Ce 
n’est pas le lieu de discuter ici les divers modes de confé- 
rences que cet enseignement pourra comporter. Le cours 
sera-t-il professé par un seul maitre ès-histoire lyonnaise ? 
Ce mode donnera peut-être lieu à des critiques suivant le 
titulaire de la chaire, ses connaissances spéciales, ses origines 
ou ses tendances. Nommera-t-on, au contraire, plusieurs 
conférenciers chargés de traiter différentes périodes de 
notre histoire locale ? Ces questions sont à l’étude. Espé- 
rons qu'elles seront résolues à la satisfaction de tous les 
amis de notre histoire. | 

Après un juste hommage rendu par le Conseil général à 
notre excellent archiviste, M. G. Guigue, qui, dans un 
rapport très substantiel, nous montre quel travail incessant 
de classement se fait dans nos archives et quelles heureuses 
réintégrations ont été faites cette année dans nos collections, 
le Conseil apprend avec plaisir la prochaine publication, 
sous la surveillance intelligente de M. Guigue, des « Prorés- 
verbaux des séances de la Commission populaire républicaine et 
de salut public du département du Rhônc-et-Loire », complé- 


CHRONIQUE D'AOÛT 1899 221 


ment heureux des publications faites déjà sur la période 
révolutionnaire à Lyon. 

Le Conseil général se sépare après un vote repoussant le 
vœu si anti-libéral du Conseil d'arrondissement tendant à 
l’abrogation de la loi Falloux. Toutes nos félicitations à 
la majorité du Conseil général du Rhône! 

Mais je n'aperçois que je parle politique et que je m’écarte 
sensiblement des notes d'art. J'y reviens en rappelant la 
proposition de M. le Maire de Lyon qui tend à inscrire au 
budget de 1900 un crédit de 2.000 francs au profit des 
travaux de reproduction photographique de la Commis- 
sion du « Vieux Lvon ». Cette Comimission est composée, 
chacun le sait, de nos plus éminents archéologues ; l’un 
d'eux, M. George, architecte, obtenait, le 7 août, de l’Aca- 
démie des Beaux-Arts, sur le rapport de la Section d’archi- 
tecture, le prix Bordin, récompensant un mémoire très inté- 
ressant dont la Revue du Lyonnais aura bientôt la primeur ; 
« De l'influence de l'étude de Parchéologie en général et des 
avantages ou inconvénients qui peuvent, au point de vue de 
l'architecture, étre tirés des connaissances que procure cette science. 
Rechercher et indiquer les conséquences qu'elle a pu asvir, en 
France, sur les œuvres d'architecture, depuis le commencement du 
XIXS siécle. » | 

Le même jour, 7 août, M. Tony Garnier obtient, pour 
l'architecture, le prix de Rome, que M. Vermare venait 
de remporter dans la section de sculpture. Voilà donc deux 
élèves de notre Ecole des Beaux-Arts devenus à la fois 
pensionnaires de la villi Médicis. 

Jamais Lyon, depuis Jean Patricot, graveur au burin, en 
1886, n'avait pu s'enorgueillir d’un prix de Rome. Il en 
compte deux cette année. Les « Romains » précédents étaient 
Lemot, Hippolyte Flandrin, Bonnassieux, Berlioz. 


222 CHRONIQUE D'AOÛT 1899 


Vermare a obtenu le prix de Rome avec un groupe 
splendide de composition et de modelé : Adam et Eve 
pleurant sur le corps d’ Abel. Avec Tony Garnier le voilà sur 
le chemin de la gloire ; ils y entrent quand leur devancier 
Patricot, semble toucher le but. Il reçoit en effet, le 
14 août, la croix de la Légion d’honneur, dont ses grands 
travaux d'art, comme gravure et comme peiriture, l'avaient 
depuis longtemps rendu digne. | 

Rien à dire des découvertes, encore non classées, faites 
le 2 août par des terrassiers vers l’ancien puits Saint-Michel, 
dans une tranchée ouverte au milieu de la rue Sainte- 
Colombe, près de la place Saint-Michel. Le 4 août, expo- 
sition dans le hall de la Vie Française d’un beau panneau 
peint par Mile Cornillac pour l’église de Villevocance 
(Ardèche), l’Adoration de la Vierge. L'artiste s'est heureu- 
sement inspirée du grand maître Puvis de Chavannes qui, 
lui-même, coïncidence curieuse, a un tableau très remarqué 
dans cette même petite église de Villevocance dont la 
restauration s'achève aujourd’hui. 

Enfin, n'oublions pas l’érection, dans les jardins de la 
Préfecture du Rhône, des deux statues du général Duphot 
ct du poëte de Laprade, qui attendaient cet heureux jour 
depuis si longtemps dans leurs enveloppes de sapin noirci. 

Tout le monde connaît l’œuvre admirable de Laprade. 

On ignore davantage ce que fut le général Duphot, mort 
à Rome, à l’âge de 28 ans, après une vie pleine de courage 
ct d’héroïsme, terminée misérablement par la balle d’un 
soldat pontifical, vers la porte Septimiane, au moment où 
Duphot essayait, par un coup de main hardi, de faire 
proclamer, au mépris des droits et des engagements, la 
déchéance de la Papauté et la République romaine. 

Curieux rapprochement : Duphot est élevé sur son socle, 


CHRONIQUE D'AOÛT 1899 2: 


à la Préfecture, le jour mème où l’on célébre à Valence le 
centenaire de l1 mort du vénéré pontife Pie VI, qui para 
la mort de Duphot de sa liberté et de sa vie. 

* 

* * 

Pendant ces chaleurs torrides, la chronique des théâtres 
est pauvre; et cependant Lyon semble privilégié cette année, 
et désigné plus particulièrement par les bonnes tournées 
artistiques que Paris déverse chaque année, à cette époque, 
sur la province. 

Le 10 août, l'élicia Mallet donne, aux Célestins, une 
représentation de cette jolie pantomime de Michel Carré, 
l'Enfant prodigue. Du 12 au. 17, nos bons félibres méri- 
dionaux de Paris, plus félibres que les Provençaux eux- 
mêmes, traversent Lvon, pour faire flotter à Valence, à 
Marseille, à Orange, pendant les représentations, sur le 
théâtre antique, d’Aceste et d’Athalie, la bannière du 

Félibrige. 

Le 18 août, notre ancien baryton du Grand-Théâtre, 
M. Noté, aujourd’hui pensionnaire de l'Opéra, reçoit pour 
acte de dévouement et de courageux sauvetage, la croix 
de la Légion d’honneur. 

Le 2$ août, Mme Jane Hading, donne aux Célestins, 
avec MM. Dieudonné, Lenormant etc., la Princesse de 
Pagdad. Le mème jour, réouverture du Casino. 

Le 26, la Duse, la Sarah Bernhardt italienne, est attendue 
au Grand-Théître, où elle doit jouer la Dame aux Camélias. 
Mais la grande tragédienne fausse compagnie aux Lyonnais. 
Pourquoi cette fugue? A-t-elle cru les Lyonnais si inaccessi- 
bles aux beautés de la langue italienne, qu’elle à préféré la 
faire déguster aux Genevois ? Ce serait vraiment peu flatteur 
pour nous. Je crois plutôt qu’elle à craint, avec raison, de 


224 CHRONIQUE D'AOÛT 1899 


ne pas faire salle comble au Grand-Théâtre, avec ces cha- 
leurs insupportables. 

Le 27, Mme Jeanne Granier donne aux Célestins, 
Amants, l'œuvre exquise de Maurice Donnay. 

Enfin, le 30 août, l'excellente tournée Barret nous régale 
d'un programme charmant: L'anglais tel qu’on le parle, de 
Tristan Bernard et Le gendarme est sans pitié, farce molié- 
resque désopilante de Georges Courteline, agrémentés 
d’intermèdes de notre aimable compatriote Xavier Privas, 
« le prince des chansonniers ». | 

N'y avait-il pas avec cela de quoi passer la plus délicieuse 
soirée | | 

| Pierre ViREs 


Le Gérant : P. BERTHET. 


Lvon, Imp. Mougin-Rusand, Waltener et Cie suc", rue Stella, 3. 


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UN LYONNAIS DIGNE DE MÉMOIRE 


Joannon de Saint-Laurent 


PHILOSOPHE, NATURALISTE, ARCHÉOLOGUE 


(1714-1783) 


HI 


L est peu de problèmes d'archéologie qui 
aient autant passionné les savants que celui 
de l'origine et de la nature de ces fameux 
vases murrhins si célèbres dans l’histoire du luxe chez 
les Romains. Faute d’avoir su interpréter les textes 
de Pline qui s'y rapportent les opinions les plus sin- 
gulières ont été soutenues à leur sujet. Il faudrait pres- 


(1) Voir la Revue du Lyonnais de septembre 1899. 
N°< 4. — Octobre 1899. | 15 


226 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


que un volume pour résumer tout ce. qu on a écrit sur ces 


vases (1). D. >. 


Suivant le grand naturaliste r romain, cé fut Pompée qui 


. apporta à Rome les premiers vases murrhins. Ils faisaient 


partie du butin enlevé à Mithridate, roi de Pont, l’un des 
plus grands collectionneurs d’objets d’art de l'antiquité. Le 
général vainqueur, ajoute Pline, consacra à Jupiter Capito- 
lin les pierres et les coupes de cette matière qui avaient 
figuré à son triomphe (2). 

Bientôt cette substance précieuse entra dans le commerce. 
On en fit des vases de toutes sortes, voire même de petites 
tables ou guéridons, abaci, qui attcignirent bientôt des prix 
exorbitants. C'était une véritable frénésie et l’auteur déjà 
cité parle d’un personnage consulaire qui, dans sa passion 
pour une coupe qu’il avait payée 70 talents, soit 344,400 fr. 

de notre monnaie, en avait rongé les bords. 
7 Ce détail nous permet d'établir, dès à présent, que ces 
vases n'étaient ni en verre, ni en porcelaine. Le poète saty- 
rique Pétrone, condamné par Néron, brisa avant de mourir 


(1) De murrhinis sive de iis quæ murrbino nomine exprimuntur opuscula 
varia. Romx, MDCCLII. Typis et sumptibus N'icolai et Marci Palcarini, 
Superiorum facultate. Ce volume contient les deux dissertation suivantes : 

Assertio de murrhinis sive de iis quæ murrbino nomine exprimuntur.…., 
N'icolao Guiberto Lotharingo doctore medico, auctore. — De murrhinis 
velerum disquisitio, auctore Frederico Ebrgot saxio eppendorpio misnico. 

(2) Appien rapporte qu’à Talaura, ville des états de Mithridate, 
province de l'empire des Parthes, aujourd'hui le Mekran, ancienne 
satrapie de l'empire des Achéménides situce à l'est du golfe Persique, 
on prit entre autres richesses à ce prince deux mille tasses d’onvx 
enchâsstes d’or. Appien. Bell. Mithrid., 115. Sur Mithridate collection- 
neur, voir dans Théodore Reinach, Mithridate Eupator, roi du Pont, 
Paris, 1890, in-8, pige 285. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 227 


un splendide vase murrhin qui lui avait coûté 300 talents, 
1,476,000 francs; mais Néron pour ne point paraître 

surpassé acheta immédiatement une tasse à deux anses 
qu’il paya un prix proportionnel. 

Les pierres murrhines, ajoute encore Pline, viennent de 
de l'Orient. Elles s’v trouvent en plusieurs endroits peu 
connus, nec insignibus, surtout du royaume des Parthes. 
Cependant les plus belles proviennent de la Carmanie. 
On croit que c’est une substance liquide, humorem, qui 
s’épaissit sous terre par la chaleur, car on retire des mêmes 
terrains les murrhins et le cristal de roche. Les objets 
fabriqués avec cette substance ne dépassaient pas la grandeur 
des petits abaci dont j'ai parlé : ils avaient une très faible 
épaisseur. Ils n'avaient qu’une très imparfaite translucidité, 
splendor sine viribus, et leur éclat était plus remarquable que 
leur transparence. « Les vases murrhins prenaient une grande 
valeur par la variété des couleurs lorsqu'elles se présentaient 
en taches successives et contournées, mélangées de pourpre 
et de blanc ainsi que d’une troisième couleur de feu qui 
servait à la fusion des deux autres, de manière que le 
pourpre pâlit et le blanc rougit. On estimait beaucoup 
aussi certaines teintes comparables à celles du sang coagulé 
ou aux reflets de l'azur. » 

De plus, la matière murrhine présentait parfois des taches 
opaques et des verrucosités qui en augmentaient beaucoup 
le prix. Enfin, ïils répandaient soit À froid, soit sous 
l'influence de la chaleur, une odeur agréable qui donnait au 
vin une saveur particulière analogue à celle de la myrrhe 
« Les mots murrhinus, murrbeus, myrrhinus, mvrrheus dési- 
. gnant à la fois la nature de ces vases et la myrrhe, résine 
odoriférante avec laquel on parfumait le vin, les murrhins 
auraient ainsi été nommés parce qu'ils exhalaient un parfum 


228 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


semblable à celui de la myrrhe. » Tels sont les renseigne- 
ments fournis par Pline qui plaident en faveur d’une origine 
minérale (1). Cependant certains textes fournis par quelques 
écrivains de la même époque paraissent en contradiction 
avec ces descriptions pourtant si claires. Quoiqu'ils soient 
en petit nombre, il est nécessaire de les discuter. Ainsi 
Martial dit que les murrhins ne sont pas transparents et 
qu’ils sont peints. Lampride a soin de les différencier avec 
les onyx. Properce laisse entendre que les Parthes les 
confectionnent à l’aide du feu : 


Murrhiaque in Parthis pocula cocta focis. 


C'est en groupant ces affirmations contradictoires que 
quelques auteurs ont cru pouvoir soutenir que les murrhins 
étaient des vases de porcelaine de la Chine. Cette asser- 
tion nous paraît tout à fait erronée. D'abord, ce que Pline 
nous dit de la couleur des vases murrhins n'indique pas 
qu'ils fussent peints : bien plus, il nous parle de contre- 
façons qu’on faisait avec du verre, qui nécessairement 
devait être recouvert de couleurs. 

D'autre part, le vers de Properce date d’une époque bien 
antérieure à celle où écrivait Pline, alors qu'on n'était pas 
encore fixé sur l’origine de da précieuse substance. Contre 
l'opinion de ceux qui voient dans les vases murrhins de 
la porcelaine de Chine, nous ferons valoir encore ce fait 
que jamais on n’en a trouvé aucun débris ni à Rome ni 
ailleurs. Par contre, Paul Saint-Olive, l’éruditlyonnais bien 


(1) Pline, Histoire naturelle, Livre XXXVIH, C. nt. — Je me suis servi 
du texte et de la traduction de Guéroult. Morceaux extraits de l'Histoire 
naturelle de Pline, Paris 1785, p. 529 et suiv. | 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 229 


connu, auquel nous empruntons unè partie de ces détails 
d'archéologie et d'histoire, prétend avoir recueilli à Rome 
un fragment de vase murrhin présentant les verrucosités 
signalées par Pline mais sans l’odeur caractéristique dont 
il avait parlé (1). 

Sur cette question si délicate de l’origine des murrhins, 
le dernier mot devait être dit par la science, et c’est à un miné- 
ralogiste de notre ville, le savant Fournet, qu'était réservé le 
mérite de clore le débat (2). Après avoir posé les éléments 
du problème à l’aide des données précédentes, Fournet, se 
reportant à l'étude méthodique des minéraux, est d’avis 
« que, d’après les couleurs (mentionnées par les anciens), 
la substance murrhine peut être rapprochée de l’agate onyx 
et du spath fluor, et de certains albâtres gypseux. Mais la 
possibilité d’être entamée par la dent fait éliminer les 
agates comme les silicates en général ainsi que le spath 
fluor, qui non seulement est assez dur pour rayer la chaux 
 carbonatée mais de plus trop dur pour être entamé par la 
dent . Restent donc la chaux carbonatée et le gypse, que 
l’ongle suffit pour rayer. Tous deux possèdent un grain 
souvent très fin, acquièrent un beau poli, sont souvent 
translucides, peuvent prendre de belles couleurs, et le gypse 
en particulier est parfois d’un rouge très vif. On pourrait 
donc accepter une variété accidentelle de celui-ci comme 
étant la matière cherchée. » Le fragment trouvé par Saint- 


(1) Paul Saint-Olive. Mélanges historiques et littéraires, Lyon, 1868, 
— Les vases murrhins, page 56-57. 

(2) J. Fournet. De l'influence du mineur sur les progrès de la civilisation, 
d'après les données actuelles de Parclwologie et de la géologie, in Mémoires 
de P Académie des Sciences Belles-Lettres et Arts de Lyon, 1862, t. XII, 
pages 173, 174 et suivantes. 


230 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


Olive à Rome remplit parfaitement ces conditions. Quant 
à l’odeur de myrrhe dont parlent les anciens, ce n’est ni 
une imagination ni une fable, comme on pourrait le croire. 
Suivant le même savant, aujourd’hui que l’on connait 
mieux le rôle des matières colorantes et odorantes conte- 
nues dans les pierres, on a reconnu que plusieurs d’entre 
elles n'étaient pas absolument dépourvues de senteurs. 
Chez quelques-unes les effluves parfumées se manifestent 
par la friction, le chauffement, la simple insufflation. Les 
qualités de ces émanations sont, bien entendu, variées. Ainsi 
il en est qui ont une odeur de myrrhe. Suivant Lédelius, 
l’iolithe provenant des environs des bains d’Hirseberg a 
l’odeur de la violette et embaume les boîtes où on en 
renferme des échantillons. 

Il en est qui, au contraire, ont une odeur fétide, comme 
la baryte sulfatée du filon de Brandes, en Oisans (r). 
D'autre part les singulières propriétés du caméléon organica- 
minéral, dont Fournet à fait la découverte dans les argiles 
de Vichy, et d'Oum-Teboul en Algérie (2) expliquent 
très bien, certaines colorations qui sont modifiées de 
diverses manières et sous de faibles influences. Mais si l’on 
ajoute à ces données le fait de l'évaporation plus ou moins 
facile de ces corps à la fois tinctoriaux et odorants, qui ne 
sont point combinés avecles pierres, mais disséminés dans 


(1) Sur la géologie de la partie des Alpes comprise entre le Valais et 
l'Oisans, Annales Soc. agric. de Lvon, t. TV, p. 105$ et 483, 1841 et 
18.42. Echo du monde savant, t. IX, p. 226. E. Chantre, Nofice histo- 
rique sur la vie et les travaux de J. T. Fournel, 1870, p. 41. 

(2) Note sur le caméléon organico-minéral contenu daus les arviles 
schisteux, de Keef-oum-Teboul, province de Constantine, Annales des sciences 
industrielles de Lvon, 186j, t. III, p. 186. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 231 


ses pores, on est autorisé à admettre que les murrhins 
pouvaient fort bien, à un moment donné, perdre leur odeur 
caractéristique : j'ajouterai même en partie leurs couleurs. Et 
comme conclusion l’éminent géologue déclare « qu’un temps 
viendra où on trouvera dans la Caramanie (lisez Carmanie) 
le cristal incolore, l’améthyste purpurescente, avec la chaux 
carbonatée, pourprée, veinée de blanc et de la couleur du 
feu, car toutes ces matières minérales peuvent se trouver 
parfaitement associées ensemble dans un seul et même 
filon. » La discussion nous semble close et les écrivains 
contemporains les plus autorisés ont adopté ces conclusions. 
Or, il est intéressant de remarquer qu'il y a bien près 
d’un siècle et demi, Joannon de Saint-Laurent, après avoir 
employé la même méthode, était arrivé à des conclusions 
approchant beaucoup de ces dernières. Chez lui, le savant 
était doublé d’un archéologue de premier ordre. L'auteur 
de la Description des camées antiques et de la Collection 
des minéraux de Baillou était certes plus à même que les 
compilateurs d’alors de nous bien éclairer sur ces questions 
obscures. Du premier coup il aborde le problème avec une 
grande sagacité, serrant de près son même adversaire, qui 
s’obstine à considérer la matière murrhine comme de Îa 
porcelaine peinte, il oppose à son hypothèse des faits rigou- 
reux, observés par le grand naturaliste romain dont 
Mariette torture comme à plaisir le sens dans ses traduc- 
tions fantaisistes. 
_ La matière murrhine est une sorte de minéral qui se 
trouve dans les profondeurs du sol : c’est là un fait établi. 
Au livre consacré à l'étude des terres cuites et des vases de 
toutes sortes, Pline ne dit pas un mot des murrhins. Les 
mots sub terrd colore densari qu'il leur applique ne signifient 
donc pas la coction, mais l’effet de la chaleur centrale que 


232 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


les anciens connaissaient très bien, d'autant plus qu'au 
paragraphe où il traite de la cuisson du verre et des argiles 
Pline se sert de tout autres expressions, fornaces, cameræ, 
ignes, pour désigner la manière’ dont elle se fait. De plus 
les renseignements que nous fournit l'écrivain latin sur la 
couleur des murrhins, en dépit de tous les artifices de tra- 
duction, n'ont trait qu’à des co'orations naturelles, fortuites 
si je puis ainsi dire et n'évoquent aucuriement l’idée d’un 
travail artistique quelconque, dû à la main de l’homme. 
Cette distribution de couleurs est la caractéristique de l’onyx 
et de la sardoine, dont se rapproche aussi l’agate sardonique 
et dont les reflets azurés, analogues à ceux de l’iris et de 
l’opale, ne peuvent être obtenus artificiellement dans la 
porcelaine. Joannon de Saint-Laurent, lui aussi, possédait 
un fragment ancien qui répondait à ces descriptions et il ne 
doutait pas qu’il provint d’un vase murrhin (1). En ce qui 
concerne les verrucosités dont nous avons parlé, il déclare que 
les mots maculæ pingues ne peuvent s'appliquer en aucune 
manière aux ornements de la porcelaine. Ce sont les taches 
de couleur propre à chacune d’elles qu’on trouve dans 
toutes les pierres fines comme les serpentines, les jaspes, 
plusieurs agates et calcédoines, caractère qui se remarque 
aussi dans l’agate sardonique. Mariette veut encore que 
certaines de ces verrues soient simplement des défauts de 
la porcelaine, mais Joannon lui objecte victorieusement 
qu'un grand nombre de pierres précieuses en présentent soit 
à l'extérieur, soit à l’intérieur de leur substance verucæ 
non eminentes, des points épaissis dans la masse, comme 


(1) Nicolas Guibert (op. c.) donne aussi la figure d’un fragment de 
vase murrhin qui répond à nos descriptions : mais sa restitution du vase 


entier est absolument défectueuse. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT | 233 


on voit des nodules et des rondeurs dans les vraies calcé- 
doines. Au surplus, s’il s'agissait de défauts de facture de 
la porcelaine, pourquoi les vases qui en présentaient 
étaient-ils si particulièrement recherchés ? | 

Et comme conclusion de tout ce débat, notre savant 
Joannon de Saint-Laurent admet que la matière murrhine 
tient à la fois de l’agate, de la calcédoine, de la cornaline 
et de l’onyx (l’onyx et la cornaline étant des espèces de cal- 
cédoine). | 

Pour lui l’agate sardonique était la véritable matière 
des vases murrhins. Elle répond en tous points à la des- 
cription de Pline, sauf en ce qui concerne la dureté. L’agate, 
on le sait, est fort dure, tandis qu’il est spécifié que la 
matière des murrhins ne l'était pas et pouvait être attaquée 
par les dents. 

Quoi qu’il en soit de cette dernière objection, il n’était 
pas possible au xvi* siècle de serrer de plus près la vérité 
et la découverte par Fournet d’une substance ayant les 
mêmes apparences extérieures que l’agate sardonique et en 
plus une moindre dureté en même temps que des effluves 
odorantes, éclaire définitivement la science sur la nature 
véritable des précieux vases murrhins. 


: IV 


Nous venons de résumer en ces quelques pages les ouvra- 
ges les plus importants de notre savant compatriote. Il nous 
reste maintenant à dire quelques mots d’autres travaux 
moins considérables, il est vrai, mais également aussi fort 
intéressants. 


234 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


Malgré l’insuccès de ses démarches auprès de l’Académie 
de Lyon däns sa querelle avec Mariette, Joannon de Saint- 
Laurent ne lui en tint pas rigueur. Nommé associé (corres- 
pondant) (r}), il ne cessa pendant sa longue existence 
d'adresser à la savante compagnie le résumé de ses travaux 
dans une série de notes. qui ont été conservées dans les 
archives de la compagnie. Elles ont trait à des sujets assez 
variés de physique et d'histoire naturelle. Nous avons 
pensé qu’il était inutile aujourd’hui d'analyser en détail ces 
divers mémoires. 

Depuis un siècle et demi les sciences naturelles ont mar- 
ché d’un pas si rapide qu’il serait puéril d’attirer l'attention 
sur ces premiers essais. Toutefois nous avons cru devoir 
en donner au moins la liste raisonnée afin de montrer la 
méthode suivie par un esprit vraiment scientifique dans 
des recherches dont nous venons de voir plus haut les appli- 
cations. Dans l’ordre des sciences naturelles, les théories 
sont destinées à disparaître le plus souvent, mais les faits 
bien observés demeurent définitivement acquis. À ce point 
de vue Joannon de Saint-Laurent peut être considéré 
comme ayant été en possession de la vraie méthode. 

Les tributs académiques de Joannon de Saint-Laurent 
ont trait à des sujets très variés, concernant les sciences 
physiques et naturelles. Dans les extraits que nous en don- 
nons le lecteur trouvera à nouveau la preuve de la multi- 
plicité de ses connaissances et de son ardeur pour le travail. Il 
est à remarquer que dans les découvertes scientifiques il 


(1) Les Almanachs de Lyon qui renferment les noms des membres 
associés (on appelait ainsi nos correspondants actuels) nous le montrent 
habitant Florence en 1759, où il est désigné déjà comme membre de 
l'Académie florentine ; en 1775, il est à Ferrare: en 1779, à Mantoue... 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 235 


cherche toujours les déductions pratiques à en tirer, les 
applications qu'on peut en faire aux arts et à l'industrie. 
C’est en quelque sorte, la note dominante de cet esprit à 
la fois investigateur et érudit: singulier mélange de deux 
tendances qui de prime-abord paraissent s’exclure. 

J'ai dit plus haut que Joannon de Saint-Laurent était 
membre associé de l’Académie de Lyon. Voici de quelle 
manière il entra dans cette docte compagnie. En 1713 les 
Lyonnais amateurs des beaux-arts et surtout de la musique 
s'étaient remis dans un local du quai St-Clair pour y for- 
mer une société nouvelle. On y donnait des concerts suivis 
de conférences sur des sujets relatifs à la musique, à la 
peinture, au dessin et aux mathématiques. 

Telle fut l’origine de la Société des Beaux-Arts dont 
l’existence fut reconnue officiellement par lettres patentes 
du mois d’août 1724 (1). En 1750, cette Société des Beaux- 
Arts se réunit à l’Académie des Sciences et Lettres et les 
deux compagnies fusionnées portèrent le nom d’Aca- 
démie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon. Depuis 
longtemps Joannon faisait partie de la première, il deve- 
nait donc de droit académicien. Mais comme il résidait 
alors en Italie, on lui donna le titre d’associé. Pendant la 
durée de son séjour à Lyon il paraît avoir été très assidu à 
la Société des Beaux-Arts et y fit plusieurs communications 
sur les applications de la physique à la musique, dont les 
manuscrits ont été conservés et analysés dans le catalogue 
des manuscrits de la grande bibliothèque de Lyon (2). Dans 


(1) Clapasson. Histoire et description de la Ville de Lyon, de ses anti- 
quités, de ses monuments et de son commerce, etc. Lvon, Bruvset, 1761, p. 75. 
(2) Delandine. Manuscrits de la Bibliothèque de Lyon, 1812, t. II, 
p. 296. Registres de la Société des Beaux-Arts et de l’Académie de Lvon: 


236 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


un mémoire sur la nature et la formation de l'écho il étudie 
tout particulièrement ce phénomène, détermine les prin- 
cipes de géométrie qui président à sa formation, branche 
nouvelle de la physique à laquelle on a donné le nom 
d'Ecometra (1}).. Les pères Mersenne, Kircher, Gaspard 
Schott les ont étudiés en même temps qu’ils ont cherché 
les moyens de les rendre plus sonores. Dans le salon du 
château de Neuville, près Lyon, Joannon 2 fait l'expérience 
qu’une syllabe répétée vingt fois dans un angle, restait 
douze secondes pour être entendue de même vingt fois à 
l’angle opposé, éloigné du premier de trente-huit pieds six 
pouces. . | 

Peu après, à l’aide de ces connaissances nouvelles, il fait 
la critique des conditions acoustiques que présente la salle 
du concert de la Ville. Le monument qui la renfermait fut 
construit, en 1724, sur un terrain cédé par la Ville, et 
qui faisait partie de la place des Cordeliers. C'était une 
sorte de petit édicule fort élégant, qui existait encore dans 
mon enfance et fut détruit à l’époque de la construction du 
palais de la Bourse. La façade, assez joliment décorée, mais 
trop chargée d’ornements pour son étendue, n’en était pas 
moins d’un aspect des plus agréables. La grande salle, 
éclairée par huit fenêtres cintrées et voûtées en arcs sur- 
baissés, avait la forme d’un parallélogramme de cinquante- 
huit pieds de longueur sur trente et un de largeur (2). 


25 v. in-folio. — Règlements et délibératrons de l'Académie de Lyon, 
in-folio. Manusc. acad., p. 298. 

(1) Memoire sur la nature et la formation de l'écho. Manuscrits de la 
Bibliothèque de Lyon, par Delandine, t. I, page 173, n° 874, Manusc. 
académiques. 

(2) Apphcation des principes physiques sur l'écho de la salle du concert de 
a Ville de Lyon. Delandine, t. IT, p. 264. | 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 237 


Avec ses tribunes et ses balcons, formant galerie dés deux 
côtés, elle était peu sonore. En appliquant les principes de 
physique sur l'écho à ce problème d’acoustique, Laurent 
Joannon reconnut que les balcons et les tribunes-rompaient 
les ondes (rayons) sonores et détruisaient un seizième du 
son produit. Il formulait le vœu qu’on remplaçät le pla- 
fond par une voûte qui offrirait une matière compacte 
unie et peu poreuse, et qu'on abattit la corniche qui le 
supporte. Les principes qu’il développa à cette occasion sur 
l’échométrie peuvent s'appliquer à la forme de toutes les 
salles de spectacle et de concert. nn 

Dans un Discours sur l'Harmonie, dissertation pleine 
d’érudition et de traits piquants, Joannon, après avoir fait 
connaitre les travaux antérieurs de Zarlino de’ Chioggia, 
cherche la notation du chant du rossignol, celui du coq 
qui est une loure, celui de la poule chantant un mouve- 
ment à quatre temps, ceux de la caille à trois temps et du 
coucou à deux temps graves. Puis il entre dans des détails 
de technique sur la production des tonalités harmoniques. 
Se trouvant à table avec quelques amis, et la séance se 
prolongeant, l’ennui fit porter à l’auteur le doigt sur le bord 
de son verre ; il en tira des sons plus ou moins aigus, sui- 
vant que le verre fut plus ou moins plein, et ayant réfléchi 
sur cet effet : « J’ai trouvé, dit-il, dans la même proportion 
de la corde de Rameau, tout le système de l'harmonie 
dans mon verre (1) ». Cette phrase, dit le savant Delan- 
dine, auquel nous empruntons ces extraits, a été écrite vers 
l’année 1739, et on sait que l'invention de l'harmonica est 


(1) Discours sur l'harmonie, t. 1}, p. 474. Monuments sur la musique. 


no 96;. 


238 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


très postérieure, à cette époque. Enfin, dans une suite au 
discours précédent, le savant physicien offrait quelques 
réflexions sur les intervalles que les progressions ont établis 
pour consonnances et dissonnances et une méthode pour 
trouver par le rapport des nombres ces intervalles. 

Toujours en quête des perfectionnements que la science 
_ pure peut apporter à l’industrie, Joannon consacre à l’art 
de la coutellerie un intéressant article (1). Il examine suc- 
cessivement les outils nécessaires à la fabrication des 
ouvrages, et surtout la roue propre aux couteliers, dont il 
a étudié, à un autre point de vue, le fonctionnement dans 
l'art de la gravure des pierres précieuses, puis les objets 
qui sortent des fabriques, enfin les moyens de porter la 
coutellerie à un plus haut degré de perfection, soit en 
faisant de meilleurs outils, soit en améliorant la trempe. 
À cette époque, la meilleure coutellerie se faisait en France, 
dans les villes de Paris, de Caen et de Moulins. 

Le Mémoire sur la fabrique des porcelaines, dont nous 
avons déjà parlé, présente un grand intérêt. L'auteur exa- 
mine quelle est le point de perfection des porcelaines de la 
Chine, comment cette fabrique a été apportée en Europe, 
dans quel état elle se trouvait en France .en l’année 1737, 
comment on pourrait la perfectionner. La porcelaine 
chinoise est un mélange de terre choisie, de sable et de 
cailloux pilés et réduits en poudre. On en fabrique de 
toutes couleurs, en blanc, en bleu, en violet, en noir, 
mêlé de parcelles d’or. La jaune est la moins estimée. La 
blanche peinte avec des fleurs ou des compartiments en 


(1) Memoire sur la coutellerie, t. Il, p. $o02, n° 977. Mélanges sur 
bs arts mécaniques. (Manusc. acad.) 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 239 


bleu est la plus commune. Les Hollandais sont les premiers 
qui ont apporté la porcelaine en Europe (1). 

Comme nous l'avons vu plus haut, de telles études pré- 
liminaires devaient singulièrement faciliter à l’auteur ses 
recherches sur la. céramique antique et la structure des 
vases murrhins.. 

Enfin, Joannon. s'était aussi occupé du thermomètre 
comme le témoignent les lettres que lui adressait en 1740, 
M. Christin au sujet de l’envoi d’un thermomètre de 
Réaumur (2). 

En ce qui concerne l’histoire naturelle proprement dite 
nous signalerons d’abord : Une note des objets d’histoire 
naturelle envoyés à l’Académie en 1753. Ce sont des 
coquilles, des tuyaux de vers marins (sic), des lithophytes, 
des polypiers, des coraux. Une lettre sur plusieurs polypes 
d’eau ‘douce. L'auteur a réuni le dessin de cés polypes à 
ses descriptions (3). Un recueil de la Bibliothèque de Lyon, 
qui ne paraît pas appartenir au fonds académique, contient 
cinq lettres de Joannon de Saint-Laurent (4) sur la colo- 
risation (sic) des fleurs et des papillons. Après avoir parlé 
des plus belles collections de l’époque, il cherche quelle est 


(1) Mémoire sur la fabrique des porcelaines, t. II, p. 500, n° 977, 
Mélanges sur les arts mcaniques. 

(2) Des thermomètres. Lettre à M. Joannon sur l'envoi d'un thermo- 
mètre de Réaumur par M. Christin, 1740. Delandine, ibid. II, 179, 
no 875. Observations métorologiques. 

(3) Note des objets d'histoire naturelle envovés à l’Académie de Lyon, 
par M. Joannon de Saint-Laurent en 1753. Lettre du même sur plu- 
sieurs polypes d’eau douce (avec dessin). Jbid., t. II, p. 214. Manüs- 
crits académiques. Productions marines. 

(4) Delandine, oc. cit., t. I], page 216, no 884. Lettres sur la colo- 
risation (sic) des fleurs et des papillons. 


240 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


la cause de la symétrie et de l’étonnante variété des couleurs 
des plantes et des fleurs. Il l’attribue à une sorte de fermen- 
tation des sucs qui circulent dans les trachées. Il étudie 
également la nature des sucs, l’influence du soleil, et des 
_ insectes imperceptibles que recèlent leurs cahces. Il indique 
enfin les fleurs dont on peut extraire les parties colorantes 
pour les appliquer à la teinture. | 


Comme on le voit par cette modeste esquisse, l'esprit si 
original de Joannon de Saint-Laurent se prêtait merveil- 
leusement à la compréhension et à l'exposition des plus 
abstraites des sciences humaines. Tour à tour philosophe, 
physicien, naturaliste, minéralogiste, critique d’art, archéo- 
logue, notre compatriote nous apparaît comme une belle 
figure de savant, comme un écrivain laborieux et fécond. 
I m'a paru juste de rappeler sa mémoire, de donner un 
«perçu de ses œuvres. 

Quelque incomplète que puisse paraitre cette notice, 
j ose espérer qu’elle remplira le but pour lequel elle a été 
écrite ; mettre à son rang, dans les annales littéraires de 
notre cité, le nom d’un Lyonnais qui, par ses talents et 
ses travaux, ne devait pas rester oublié. 


D Humbert MoLLiÈRe. 


BIBLIOGRAPHIE 


La bibliographie raisonnée des publications de Joannon de 
Saint-Laurent, est due à lextréme obliseance de M. Julien 
Baudrier qui, pendant un voyage en Tialie, a bien voulu mettre 
au service de son ami, le docteur Mollière, toutes les ressources 
de son érudition et de son expérience en matière bibliographique, 
bour ces recherches longues et difficiles. 


MÉDITATIONS PHILOSOPHIQUES, Lucques, 1746, in-12. 


Description |j abregée 1! du fameux I] cabinet I! de 1! M. le 
chevalier || de Baillou, i! pour servir à l'histoire naturelle || 
des li pierres précieuses, I! métaux, minéraux, I} et autres 
fossiles. y par Joannon de S. Laurent. | A Luques, 
MDCCXLVI. || chez Sauveur de Jean-Dominique Marces- 
candoli. || Avec permission des Supérieurs. 

In-4 de 1 f. pour le titre, vin pp. pour l’épitre au chevalier 
de Baillou et 156 pp. | 

La table des chapitres occupe la p. 156. 

Florence, Bibliothèque Nationale, 5. Z. $. 55. 
» .» Riccardi, HH. IT. 13536. 


Description et explication ]| d’un camée de lapis-lazuli || 
fait en dernier lieu | par M. Louis SiriesIl artiste françois, 
orfevre du roi de France let emploïé dans la galerie 1] de 
Florence. I! ou lettres de deux amis !! sur diverses produc- 

N° 4. — Octobre 1899. 16 


242 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


tions |] de l’art, || Avec des Notes curieuses & intéressantes. 
j On à joint à la fin du livre] la description Il d’un camée en 
onyce I! travaillé fort singulierement. || Le tout avec des 
Figures de très-bonne main. || Par Joannon de Saint- 
Laurent. || À Florence mpccxLvu. || De l'imprimerie à 
l’Enseigne d’Apollon. || Avec aprobation (sic) et permis- 
sion. 

In-4° de x pp. 1 p. blanche, 203 pp. et 1 p. blanche, 
2 fig. gr. sur cuivre (titre rouge et noir). 

Le verso du titre est blanc, les XII1 pages sont occupées par le Discours 
préliminaire. La Table occupe les pp. 193-203. 

La première planche se déplie et représente le crucifix de lapis-lazuli 
et sa monture. Plus le camée en trois grandeurs (grandeur naturelle, plus 
grand et au trait pour l'explication et enfin en très grand). Cette 
planche est signée : Joseph Zocchi delineavit et sculpsit. 

La seconde planche représente le camce en onvce ou nicolo de trois 
couleurs, lequel représente le portrait de S. M. T. C. Louis XV, roi de 
France et Navarre an milieu des 12 signes du zodiaque. Cette figure est 
signée : Caroli Gregorij sculpsit. 

À la fin du volume on a relié : Articolo delle Norvelle Letterarie di 
Firenze 19 gennaio 1748, numéro 3, 2 pages à 2 col. 

C'est un compte rendu en italien de l'ouvrage ci-dessus. 

Florence, Bibl. Marucelli, T. K. XI. 317. 
» Bibl. Riccardi, II. TT. 13747. 
» Bibl. Nationale. 


Memorie || di |} varia erudizione || della || societa Colom- 
baria!fiorentina|| volume. [In Firenze MpccxL. vi 1 (1747) 
nella Stamperia all’insegna d’Apollo in Piazza di S. M. I. 

In-4°, pages 231-234. 

Lettre i de M Joannon | de S' Laurent | à M. le 
chevalier de Baillou 1 En lui faisant présenter le Livre qui 
contient |} la Description abregée de son Cabinet |} d'Histoire 


naturelle. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 243 


La lettre est datée : À Luques ce 7° septembre 1746. 

Ce volume contient aussi : 

Lettera del proposto Anton Francesco Gori al signor 
cavaliere de Baillou... datée du r9 septembre 1746 (pages 
155-159). 

Riposta del signor cavaliere de Baillou alla Lettera 
antecedente del Proposto Anton Francesco Gori... datée 
du 22 septembre 1746 (pages 161-164). 

Mémoire présenté à la Société Colombaria par Mr le 
chevalier de Baillou à l’occasion du Livre qui donne la 
Description abrégée de son Cabinet (p. 165-230). 

Ces deux lettres et ce mémoire sont relatifs à l'ouvrage de Joannon 


de Saint-Laurent qui a soulevé une polémique assez vive. 


Florence, Bibl. Marucelli, I. KK. IV. I. 


Joannon de Saint Laurent. Lettera a Gio. Lami sul suo 
articolo n° 22, delle novelle Letterarie, 1749, in cui da 
Giudizio del libro di Marcello Venuti sulla scoperta della 
cita d’Escolasio. Roma, 1748. 

Cette lettre est indiquée sous la cote 19. — 3. 195 du catalogue de 
la Nationale de Florence. J'ai demandé le volume et j'ai constaté que 
sous cette cote il n'existe que l'ouvrage de Marcello Venuti. Les 
recherches faites par les bibliothécaires ont été vaines. Je pense que 
cela doit être une simple feuille comme celle que je signale après 
la Description et explication d'un came de lapis-lazuli. 


Saggi 11 di || dissertazioni || accademiche |] publicamente 
lette |} nella j nobile accademia etrusca 11 dell” antichissima 
citta di Cortona, tomo V. || In Roma mpcezt. || Nella || 
stamperia di Pallade 

In-4. 

De la p. 1 àlap. 76. 

Dissertazione I. 1! Di M' Joannon de S. Laurent.]| sopra || 


244 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


le pietre preziose degli antichi, || e sopro il modo col quale 
Jurono lavorate. 
INTRODUZIONE 

I. Delle Pietre preziose in generale. II. Delle Pietre 
preziose antiche. IT. De Marmi in quanto appartengono 
alla scienza delle Iscrizioni, ed alla Statuaria. IV. Degl’ 
Intaglj. V. Delle Gioje antiche. VI. Delle Paste antiche. 
VII. Dell’'utile, che da tutto cio ridonda alla Istoria civile. 
VII. Di alcune osservazioni attenenti alla Pisica ricavate 
dell istesso argomento. IX. Dell ogvetto del presente 
discorso, il quale à un preliminare ad un comento di Plinio 
in tal particolare. X. Delle testimonianze afavore di Plinio, 
del suo carattere di Autore grave, e della sua autorità in 
risuardo delle cose, di cuifu Testimonio-di veduta. XI. Di 
una singolarissima osservazione di Plinio intorno alla 
Cattotrica degli Antichi. XII. Di un’ altra osservazione 
del! istesso sul particolare del Disegno, e delle proporzioni 
dell antica Pittura. XIIT. Di diverse altre osservazioni del 
medesimo concernenti la statuaria. XIV. Dello stroardi- 
nario lusso delle Pietre preziose nel tempo di Plinio, e della 
conoscenza che ebbe di querte. XV. Della somma autorita 
di questo Naturalista in tal materia, il che è tutto il fon- 
damento di questo Trattato. 

Sagoi |... même titre qu'au tome V. 

Tomo VI. | In Roma mpcczi. |} Nella stamperia di 
Pallade… | 

De la p. 41 à la p. 74. 

Dissertazione III. 1} Di Mr Joannon de S. Laurent || sopra 
le pietre preziose degli antichi. || e sopra il modo col quale 
furono lavorate. || Parte II. || Come, e con quali strumenti 
fecero gli antichi, si le loro gioje, 1! che i si forprendenti 
lors Intaglj, e Cammei. 


JOANNON DE SAINT-LAURENT 245 


LXXVIIL. Delle diverse arti che hanno rapporto all 
intaglio delle gemme. LXXIX. Capitolo I. Dell’ Arte del 
Torno, edi alcani Tornitori piü celebri. LXXX. Delle opere 
che gli Antichi hanno fatte al Torno. LXXXI. Capitolo II. 
De vasi detti Toriumata, e se furono fatti al Torno. LXXXII. 
Della Torentice e di diversi Scultori, come Fidia, Policleto, 
Lissipo, etc. LXXXITIT. Capitolo IT. Esame del! opere di 
Fidia inventore de’ Toreumati. LXXXIV. Perche Fidia 
su detto Autore della Torentica. LXXXV. Della natura del 
Basso relievo. LXXXVI. Del carattere dell” opere di Fidia, 
e della di lui Minerva. LXXXVII. Del giove Olimpio,e 
dell’ occasione del medesimo. LXXXVIIT. Delle sue figure : 
colossali. LXXXIX. Capitolo IV. Di Policleto imitatore di 
Fidia, della sua Giunone, e perchi il detto fosse perfeziona- 
tore della Torentica. XC. Capitolo V. I Vasi detti Toreu- 
mati non furono opere del Torno. XCI. De’ Vasi Toreu- 
mati di oro e di argento. XCII. De’ vasi Toreumati di 
vetro, e di terra di Sorrento. XCIIT. Capitolo VI. Di 
alcune pietre che presso gli antiche sono state tornite. 
XCIV. Delle opere di Alabastro, il quale si riconosce essere 
stato lavorato, al Torno. XCV. Capitolo VII. Dell Arte di 
segare i Marmi, etc. XCVI. Come questo comprende il 
principio fondamentale delle arte dei Giojellieri. XCVII. 
Esposizione del detto principio. XCVIII. Di un altro prin- 
cipio dell” istessa arte, cioè quello di diversificare le polveri, 
secondo la qualità delle Pietre preziose che si vanno 
tagliando. XCIX. Del fondamento del detto principio nel 
antichita. 

Se compose de CXXVI divisions et XVI chapitres. 

Florence Riccardi, HH. V. 13598-602. 
»  B. Nationale. 


246 JOANNON DE SAINT-LAURENT 


Memorie |! die | varia erudizione || della 1} Societa Colom- 
baria || Fiorentina. || Volume IL. || In Livorno mpccLu. || 
Nella stamperia di Gio. Paolo Fantechi e Compagni. 1! Con 
Licenza de superiori. 

In 4°. 

À la page 244 du volume II. 

Dissertazione VIIL. |] Della caprificazione 1! Recitata nella 
Nobile Accademia Etrusca di 1! Cortona il 20. Otto- 
bre 1752. || Del signore |] Joannon di Saint Laurent || Acca- 
demico etrusco || e socio colombario. 

* Cette dissertation occupe les pp. 243-270 et se termine par : Corollario 
di nuove osservazioni fatte sopra le stesso argomento. 


Florence, Bibl. Marucelli, I. KK. IV. I. 


: DE L'INFLUENCE 


L'ÉTUDE DE L'ARCHÉOLOGIE 


au point de vue de l'Architecture 


CONCOURS POUR LE PRIX BORDIN 
De l’Institut (1899) 


* 


PROGRAMME DONNÉE PAR L'ACADÈMIE DES BEAUX-ARTS 


De l'influence de l'étude de larchéologie en général, 


Et des avantages ou inconvénients qui peuvent, au point 
de vue de l’architecture, être tirés des connaissances 
que procure cette scicnce. 

Rechercher et indiquer, par des exemples, les conséquences 
qu’elle a pu avoir, en France, sur les œuvres d’ar- 
chitecture depuis le commencement du xiIx° siècle. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


2 


+ 


Si nous nous reportons à plus d’un demi-siècle en 
arrière, vers les années 1830 à 1840, par exemple, nous 
voyons l'architecture française, comme lasse de se servir de 
formules vieillies et impropres désormais à rendre fidèle- 
ment sa pensée, s'appliquer avec ardeur à la recherche d’un 
principe vital et fécond qui pût lui ouvrir une voie 
nouvelle tout en tenant compte des traditions du passé. 

Quelle ne devait pas être, toutefois, à ce moment, 
l'hésitation de l’artiste, à la recherche d’une semblable solu- 
tion, alors que trois écoles distinctes étaient en possession 
de se partager les goûts. 

Trois, car à l’école des Classiques et des Romantiques, 
déjà en lutte dans les arts comme dans la littérature, venait 
de s'ajouter encore celle des archéologues qui, formée 
depuis peu d’années seulement, voyait déjà grossir considé- 
rablement le nombre de ses adeptes et envahissait d’un zèle 
quelque peu exagéré une si large part dans les publications 
périodiques. Et, se joignant à ce courant, les voyages, les 
monographies, la photographie contribuërent à créer alors 
une manière d'architecture complexe. 

Jetons un coup d'œil sur ces trois écoles afin d’avoir un 
point de départ plus précis pour nos appréciations. 

La première, celle de l'architecture dite Classique, ne fut 
point chez nous le résultat d'essais, de recherches, d’études. 
Notre caractère national, nes mœurs, nos matériaux ne lui 
ont pas donné naissance. | 

Elle est arrivée toute créée, importée vers les commence- 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 249 


ments de notre ère par les Romains, nos conquérants, et 
adoptée par les Gallo-Francs sans contrôle. 

Ce fut certainement un bienfait pour la Gaule, une 
sorte de compensation à son asservissement que la dotation 
par les Césars de tous les somptueux édifices qui faisaient 
jouir notre patrie des mêmes avantages que ceux don 
jouissait Rome elle-même. 

Mais c'était là une civilisation se substituant à une autre 
et non un véritable progrès. Le génie propre de nos 
ancètres avait été étouffé et quand leur appui allait leur 
manquer, les ténèbres devaient se faire ; et ce ne pouvait 
être qu'après bien des siècles de tâtonnements et d'essais 
qu'ils devaient, abandonnant cette architecture d'emprunt, 
se créer la leur propre. 

Aussi, du deuxième au dixième siècle, à travers les 
phases trop souvent obscures et militantes de leur civilis:- 
tion, les architectes français font leur éducation nationale, 
pour entrer ensuite dans la période dénommée du Moyen 
Age, s'étendant du onzième au quinzième siècle, et sur 
laquelle nous aurons à revenir. 

La Renaissance, qu’elle soit bien ou mal nommée, a été 
plus tard, vers la fin du quinzième siècle, le retour de 
cette architecture romaine abandonnée depuis dix siècles, 
mais reprise alors sous l’influence de nos mœurs et revêtue 
d’un cachet propre et particulier qui en fit une architec- 
ture nationale, laquelle brilla en France d’un vif éclat et 
dont de grands maîtres nous ont laissé de si remarquables 
exemples. 

Après une phase brillante, cette architecture, par suite 
de transformations successives rentrant dans l'histoire 
générale de notre art, s’est encore perdue, bien que non 
sans grâce, dans les mœurs de la Régence. 


250 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


En vain l’Empire prétendit-il, dans ses rêves de gloire, 
s'approprier, en la régénérant cette forme de construction 
des Césars. | 

Ce ne fut plus qu'un pastiche sans principe vital qui put 
la soutenir et en faire un art vraiment national ; aussi les 
années qui suivirent n'offrirent-elles plus, dans leur archi- 
tecture qu’une espèce de formule conventionnelle dont il 
ne fallait ni approfondir ni discuter la valeur, et qui pou- 
vait se prêter à tous nos monuments, sans qu’il fût besoin 
d'en modifier sensiblement la forme. 


Ce fut là la plus triste phase de cette architecture clas- 
sique. C'est à elle que nous devons les nombreux monu- 
ments sans inspiration personnelle, sans expression déter- 
minée et qui ont longtemps servi de modèle à nos jeunes 
architectes, dans le premier quart de ce siècle. 


Faire la critique de cette architecture, c’est justifier ou 
tout au moins expliquer l'impulsion qui poussa alors les 
architectes à chercher une expression plus juste, plus 
rationnelle, plus vivace. 


On a appelé cette architecture ou plutôt cette tendance 
d'architecture nouvelle : Romantique. 


Pourquoi ce nom ? simplement par assimilation au nom 
appliqué à l’école nouvelle qui s'était formée en littérature 
avec Victor Hugo pour chef et en peinture avec Eugène 
Delacroix pour porte-drapeau et qui, à son point de 
départ, réagissait contre tout ce qui avait caractérisé le 
dix-huitième siècle. 

Quoi qu’il en soit de la justesse du non, démodé 
actuellement, donné à cette jeune architecture, ses ten- 
dances étaient justifiées ; et d'habiles maitres, parmi 
lesquels des hommes tels que Caristie, Hittorff, Duban, 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 251 


Labrouste, Vaudoyer, Gilbert, lui imprimèrent sa direction, 
en excitant comme un réveil et une vive émulation. 

Cette direction deviendra-t-elle féconde et dans quelle 
mesure ? C’est ce que l’avenir montrera. Nous ne sommes 
pas au point de vue et à distance pour en juger. 

Dans tous les cas rappelons-nous qu'aucune architecture 
n'a été créée tout d’une pièce. L'idée trouvée et entrevue 
par l'artiste doit être mürie et fécondée par d’autres pour 
arriver ensuite à se traduire dans un monument avec toute 
sa netteté et sa vigueur. 

Si donc les tentatives de l’Ecole nouvelle, faussées quel- 
quefois par la hâte et l’exagération de quelques disciples, 
n’ont pas été exemptes de défauts, ce n’est point à dire, non 
plus, qu’il n’y ait pour l'avenir et avec le talent souple et 
éclairé de nos vaillants architectes actuels, -une ère brillante 
à en attendre. 

De nombreux exemples présents à l'esprit de tous en 
sont déjà le présage et la preuve. 


I 


Mais entre l'architecture romaine implantée d’abord 
comme droit de conquête, en France, et l'architecture de 
la Renaissance qui en fut plus tard le brillant ressouvenir, 
en s’adaptant aux besoins de notre civilisation, ou plutôt, 
entre le douzième siècle, fin de la période intermédiaire, dite 
romane, et le seizième siècle, siècle de Léon X en Italie et 
de François I«" en France, il y eut une autre architecture 
pleine de sève, d'originalité et de vie qui prit racine chez 
nous, s'y développa, s’y répandit à l'exclusion de toute 


252 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


autre, grandit, grandit démesurément et jeta un éclat 
inoubliable. 

Ce fut l'architecture ogivale, plus tard dénommée gothi- 
que et qui, du douzième au quinzième siècle, parut se 
manifester comme l'expression de notre première architec- 
ture nationale. 

Celle-là prit bien, en effet, l'ampleur et le développe- 
ment d’une architecture nationale, ayant sa raison d’être, 
ses principes, ses conséquences, prenant ses racines dans 
l’état de civilisation de l’époque et ne craignant pas de 
poursuivre l'application de ses principes jusque dans ses 
développements les plus extrêmes. 

C’est cette architecture qui imprima aux châteaux féo- 
daux cet aspect mi-civil, mi-militaire qui les caractérise 
si fortement, et-qui sut donner à la cathédrale ces propor- 
tions gigantesques, cet air si extraordinairement grandiose 
et inspiré qui ne laisse froid, devant elles, aucun de nous. 

Et cependant, c’est là, aussi, cette architecture qui, 
entrainée à son tour par la marche de la civilisation, en 
même temps que détournée par ses propres excès, ne 
tarda pas à disparaître sous le souffle de la Renaissance, 
pour devenir même bientôt l’objet d’un dédain excessif 
qui l'avait fait à peu près complètement délaisser depuis 
près de quatre cents ans, jusqu’à notre dix-neuvième siècle. 

La réaction devait se faire et elle s’est fait vive, entrai- 
nante, passionnée, et j'ose le dire (car il n’y a qu'un pas 
de la passion à l’exastration), exagérée bientôt dans un 
autre sens. 

Un mouvement littéraire et artistique très accentué se 
produisit, prenant son origine vers 1830 et ayant à sa tête 
des hommes tels que Victor Hugo, prenant Notre-Dame de 
Paris pour sujet de son chef-d'œuvre en prose ; 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE " 253 


Didron, poursuivant avec ardeur le vandalisme des 
démolisseurs dns ses nombreux écrits ; 

De Caumont, se faisant le propagateur infatigable des 
idées nouvelles ; 

Vitet, Mérimée, multipliant leurs voyages et leurs rap- 
ports sur la conservation de nos édifices nationaux. 

Un tel mouvement, dis-je, remit en honneur nos vieux 
monuments du Moyen Age encore si nombreux sur notre 
sol, appela l’attention des pouvoirs publics sur leur protec- 
tion et répandit le goût, je pourrais dire en me reportant 
à l’époque, la mode de ce retour aux choses anciennes. 

Des comités se formèrent, des enseignements spéciaux se 
créèrent jusque dans les séminaires, et des publications de 
toute espèce classèrent méthodiquement et avec des classi- 
fications minutieuses toutes les transformations en four- 
nissant à l’envi jusqu'aux moindres détails gothiques. 

C’est de là qu'est venue cette troisième école dont nous 
parlions en commençant, celle des Archéologues. 

Notons que le mouvement n’est pas venu des architec- 
tectes; ceux-ci ne s’y sont associés que plus tard et non 
sans indécision. Ce fut surtout de 1839 à 1847 que l’archi- 
tecture du Moyen Age devint l’objet d’études passionnées 
(Daly, 1863). 

Lassus en fut le premier champion ardent et convaincu, 
bien que pas toujours heureux et peu après Viollet-le-Duc, 
son collègue, puis son continuateur, vint par ses ouvrages 
et ses travaux remarquables donner à ces recherches archéo- 
logiques relatives au Moyen Âge, une précision et un inté- 
rêt considérables. 

À remarquer que cet intérêt n’empêcha pas qu’il n’y eût 
de la part des « indépendants » une vive cpposition contre 
ces tendances, et l’on put même voir, à un certain moment, 


254 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


comme une lutte entre l’architecture et l'archéologie, alors 
qu'il semblerait si naturel que cette dernière ne fût que 
l’auxiliaire de l’architecture. 


NoTA. — Quelques-unes de ces idées avaient déjà été 
exprimées dans une lettre de l’auteur publiée en 1885, à 
l’époque où se produisait ce mouvement archéologique. 


IT 


Voyons donc le rôle de cette science de l'archéologie 
dans ses rapports avec l'architecture, son but utilitaire, les 
services et avantages qu'on peut en retirer. 

L’archéologie est une science plus ancienne qu'on ne le 
dit généralement, mais seulement au point de vue histo- 
rique et descriptif. 

Son nom définit sa mission : 

« Etude des choses anciennes », et elle a pour base l’anti- 
quité figurée. | 

Pausanias, au deuxième siècle de notre ère, recherchait 
et signalait, dans son voyage historique de la Grèce, les 
monuments déjà disparus, de son temps en grande partie. 

Au seizième siècle, les Médicis, entourés de savants, : 
créèrent à Florence un enseignement public qui n’était 
autre que l'archéologie, maïs plutôt littéraire que scienti- 
fique. 

Au dix-septième siècle et au commencement du dix- 
huitième, elle fut surtout un objet d’érudition et de curio- 
sité avec les Peiresc, Spon, Montfaucon. 

Enfin, Winkelmann publie en 1764 son Histoire de l’art 
chez les anciens et marche à la tête des savants qui font dès 
lors de l’archéologie une science positive. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 255 


C’est dans leurs rangs que s’illustrèrent les Caylus, 
E. Q. Visconti, Millin, A. Lenoir, Champollion, A. de La 
Borde, Letronne, etc., qui, chacun dans leur genre, ont 
ouvert une large et féconde voie aux recherches et aux 
investigations, depuis la première moitié du dix-huitième 
siècle jusqu’au milieu du dix-neuvième. 

Enfin, c’est plus près de nous encore, en plein dix- 
neuvième siècle, presque de nos jours, que, ne se bornant 
pas à des recherches théoriques, des missions importantes, 
sous les auspices du Gouvernement, furent accomplies avec 
tant de succès par M. Mariette, en Egvpte, découvrant le 
Sérapeum de Memphis, et par MM. Botta, Oppert, Place, 
Thomas, fouillant les ruines et découvrant les antiques 
villes de la Babylonie. | 

Les recherches archéologiques prenaient là un dévelop- 
pement inattendu et du plus haut intérêt, car elles n'avaient 
plus seulement pour objet des discussions hypothétiques de 
textes, mais pour but et résultat les exhumations des 
monuments eux-mêmes. 

Dans le même temps et parallèlement à ces explorations 
lointaines pour des civilisations depuis longtemps disparues, 
il se manifestait en France même un mouvement très 
prononcé en faveur de notre ancienne architecture nationale 
du douzième au quinzième siècle, et cet entraînement fut 
si grand que l'appellation d’archéologie, perdant son sens 
général d'étude des choses anciennes, prit bientôt une 
signification plus restreinte, s'appliquant plus spécialement 
et presque exclusivement à l'étude des monuments du 
Moyen Age, non plus comme spéculation esthétique et 
théorique, mais bien comme tentative de résurrection 
pratique, sous l'impulsion des architectes éminents dont je 
rappelais les noms tout à l'heure, Lassus et Viollet-le-Duc, 


_ 


256 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


suivis de disciples savants et consciencieux ‘dont les noms 
seraient sous ma plume si je ne m’imposais de me borner 
dans la désignation de nos contemporains. 

Et l’on put voir cette chose inouïe jusqu'alors dans les 
arts, un essai de rétrogradation de quatre ou cinq siècles 
en arrière ; car cette fois les architectes s'étaient réunis à la 
phalange des archéologues en lui apportant l'appui de la 
science pratique, la réalisation après le rêve. 

Indépendamment de nombreux travaux de restauration 
sous le contrôle du comité des Arts et Monuments et de 
la Commission des Monuments historiques, on vit s'élever 
dans le style ogival pur, comme disaient alors les amateurs 
plusieurs églises modernes parmi lesquelles Sainte-Clotilde, 
à Paris, et la cathédrale de Moulins ont tenu un rang 
important. 

Un second grand prix fut décerné par l’Académie des 
Beaux-Arts à un projet d'église gothique, et en 1885, un 
concours s’ouvrait à Lille pour la construction d'une 
cathédrale dans le style imposé de la première moitié du 
treizième siècle. 

Quarante et un projets, comprenant cinq cents dessins 
grand-aigle, parvinrent au jury ; le premier prix fut accordé à 
deux Anglais, mais la construction confiée à un architecte 
de la localité, bien que l'édification soit en définitive le 
résultat ambitionné par les concurrents. 

Sans avoir à examiner en elle-même cette œuvre impor- 

tante, je ne puis que regretter qu’on n’ait pas profité d’une 
si splendide circonstance pour donner un programme plus 
ample, en laissant aux architectes concurrents toute liberté 
d'imagination, sans imposer, comme aussi sans exclure le 
style gothique. | | | 

C'était une occasion pour juger ce que l’art et la science 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 257 


auraient pu produire, et si faute d'inspiration géniale pour 
une œuvre de notre époque, il valait mieux en revenir 
au Moyen Age. 

Le président du jurv, directeur général de l’administration 
_des cultes, reconnut bien, dans son discours, que c'était là 
surtout un concours archéologique. 

Certes, il faut reconnaitre que l'application de ce style, 
dans un édifice religieux moderne, nous paraît d’abord fort 
explicable. 

Là, indépendamment de lentrainement dû à de magni- 
fiques exemples, la tradition peut être invoquée; les usages, 
le cérémonial, les chants, la liturgie, ne se sont guère 
modifiés, malgré ce long intervalle d'années et une copie 
est infiniment moins un contre sens qu'elle ne le serait 
dans tout édifice civil. 

Toutefois, n'oublions pas que, le plus souvent, nous 
nous substituons avec nos impressions aux œuvres que 
nous jugeons et qu'en bien des matières chaque époque 
représente une série d’idées et de jugements très différents 
les uns des autres. 

Le Moyen Age n’a pas créé les conditions dans lesquelles 
il s’est formé; il les a reçues (Littré). La vie était alors 
comme enveloppée par la religion. Vouloir qu'à notre 
époque l’art redevienne spécialement religieux, serait une 
entreprise vaine et irréalisable. 


IV 


L'architecture ogivale est, certes, une des gloires de 
notre art français. Elle est magnifique de pensée et d’ex- 
N° 4. — Octobre 1899. 17 


258 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


pression. Mais elle n’est point parfaite. Ses nombreuses et 
successives modifications le montrent bien. 

Disons plus : eût-elle été parfaite dans son temps que ce 
ne serait point une raison pour que nous dussions l’adopter 
telle quelle. Les hardis et puissants contreforts, par 
exemple, et les curieuses gargouilles, qui sont des éléments 
si caractéristiques de cette architecture, ne laissent-ils rien 
à désirer sous le rapport de la commodité ? Et irons-nous 
nous exposer à lutter contre les lois de voirie et d'hygiène, 
ou à ne faire de ces éléments de construction qu’un décor 
à effet, alors que la sincérité est une des conditions essen- 
tielles dans les arts et tout spécialement dans l’architec- 
ture. ? 

Et puis, considérons les choses sous un autre point de 
vue. | 

L'architecture est, en définitive, un art collectif, qui 
exige l'intervention, la coopération de nombreux intermé- 
diaires. 

N'oublions pas que, au’ Moyen Age, des corporations 
puissantes s'étaient formées, jalouses de leurs plans et de 
leurs procédés, et que pendant un assez long temps des 
clercs, abbés, moines affiliés aux établissements ecclésias- 
tiques, ont composé des confréries (fraternitates), prenant 
le titre de francs-maçons, secondés par des privilèges et 
jouissant même de certaines indulgences. 

Qu'’est devenue leur méthode de travail ? 

Admettons que, aujourd’hui l'architecte très entendu en 
archéologie soit assez habile pour reproduire avec fidélité 
et sentiment le monument qu'il a voulu prendre pour type. 
Mais, remarquez-le bien, c’est toujours en dessin : il n’exé- 
cute pas son œuvre ; il lui faut des intermédiaires ; ce sont 
les tailleurs de pierres, les sculpteurs, les peintres. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 259 


Or, peut-on supposer que les praticiens et les artistes 
auront eux-mêmes assez étudié l’archéologie pour que 
l'exécution ait précisément le caractère et la physionomie 
de l'époque à reproduire ? 

On peut affirmer que non. Et y a-t-il grand mal à cela ? 

Faudrait-il pour être conséquent dans l’imitation de 
l’époque choisie, celle du douzième au treizième siècle, par 
exemple faire de l’imaigerie, de la sculpture ou dela peinture 
avec une naïveté puérile qui ne serait qu’un caprice d’ar- 
chaïsme. | 

« L'homme n'est ni bête, ni ange » a dit Pascal, «et le 
malheur, ajoute-t-il, est que lorsqu'il veut faire l’ange il 
fait la bête. » 

Il faut donc rester soi-même vrai et sincère. Faire de la 
naïveté imitée, quelquefois, comme de la maladresse à 
dessein, n’est-ce pas simplement absurde ? 

Pour l'architecture civile, on rencontrerait bien d’autres 
difficultés devenant mème des impossibilités si l’on vou- 
lait arriver à une imitation exacte. 

Et dans quel but tous ces efforts ? 

Nous ne pouvons avoir la téméraire pensée de tromper 
les générations futures. 

. Quoi que vous fassiez, n'y aura-t-1l pas toujours et for- 
cément quelque détail, ne serait-ce que d'ameublement, 
d'éclairage qui trahira ainsi l’époque et montrera l’anachro- 
nisme ? 

L’archéologie peut devenir complice de grandes bévues. 
Ainsi nous pouvons rappeler ce qui se passa au Parlement 
anglais en 1852, lors de l'inauguration de la salle des Com- 
munes si splendidement bîtie dans ce stvle gothique parti- 
culier à l'Angleterre. 

Lé président ne se gèna pas pour dire que la ventilation 


260 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


était détestable et qu’en fait de lampes, on en était resté au 
Moyen Age, comme si l'éclairage n'avait pas fait de progrès 
depuis ce temps ; qu'il était dur de payer trente-sept mil- 
lions et demi pour une salle où l’on étouffe et où l’on ne 
voit pas clair. 

« Quant aux vitraux, ajouta-t-il, je ne sais pas où l’on à 
été pêcher des monstruosités comme les figures qu’on v 
remarque. » 

« On rit», indique entre guillemets le procès-verbal. 
Faites donc de l'archéologie à outrance ! 

L'architecte ne crée point une œuvre simplement au 
point de vue de la forme, il traduit en les satisfaisant les 
besoins de la société, c’est une règle de tous les temps. 

L'architecte, pour être libre, n’est cependant point indé- 
pendant. C’est la-civilisation qui l’entraine et lui impose 
les dispositions et les formes applicables aux besoins de 
l'époque sans pour cela que la tradition soit rompue, sans 
quoi le présent ne sait plus ce qu'il est, ni où il va. 

Il y a toujours deux principes en présence : soumission 
et indépendance. C’est une lutte à continuer (Viollet-le- 
Duc, Entretiens). 

Comme le rappelait, il y a quelque temps un de nos 
confrères : Il y à 1.900 ans que Ovide s’écriait déjà : 
Laudamus veleres, sed nostris utimur annis et c'est la 
devise que nous avons prise pour épigraphe. 


V 


Est-ce à dire que l’archtologie ne doive être considérée 
par l'architecte que comme une science abstraite ou de 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 261 


curiosité, sans application pratique, et qu’elle doive être 
laissée dans le domaine spécial des amateurs qui, en défi- 
nitive, ne peuvent que soulever ou effleurer les questions 
qui s’y rattachent. 

Certes, non; et je dis sans hésiter que l’architecte doit 
être versé dans l'archéologie; je dis même que cette science 
lui est indispensable et ce n’est pas sans juste raison que 
M. Courajod faisait, dans une conférence de décembre 1888, 
un chaleureux appel au concours des architectes, consi- 
dérant les connaissances techniques comme indispensables 
à la plupart des problèmes qui se posent à l’archéologue 
devant une œuvre d’art et notamment d’architecture. 

Les connaissances archéologiques n’ont-elles pas trouvé, 
en effet, leur application la plus naturelle, la mieux justifiée 
et la plus utile dans les travaux de restauration et de 
restitution où la science et la pratique s'allient si étroite- 
ment ? | 

C’est ainsi que grâce à l’érudition et à l’habileté de grands 
maitres de notre époque nous pouvons mentionner hau- 
tement comme exemple, indépendamment d’un très grand 
nombre d’édifices religieux : 


Les restaurations du chîteau de Blois, 


» » du château de Pierrefonds, 
» » de lhôtel de Jacques-Cœur à Bourges 
e » de la ville vieile et des remparts de 


Carcassonne, etc., etc. ; 

Et tout récemment même du Palais de Justice de Gre- 
noble. 

C'est une chose qui nous semble bien naturelle actuel- 
lement, que celle d'établir ou compléter les édifices dans le 
style et l'esprit de leur création. 


262 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


Et pourtant, cette idée qui nous parait-si simple, n'était 
pas celle de nos prédécesseurs. 

On peut même être frappé d’une chose, c’est que jusqu’à 
nos jours, où ne voit aucune époque se préoccuper de 
reproduire une époque antérieure. 

La Renaissance 2-t-elle été une copie de l'Antiquité ? Pas 
du tout. Elle y a puisé des inspirations, mais en créant avec 
ses éléments une architecture bien nouvelle, bien natio- 
nale, si bien que les maitres italiens appelés en France à 
cette époque ont dû se soumettre à nos usages. 

Où trouverez-vous un palais, une maison antique 
ressemblant même d'assez loin soit à une maison du 
seizième soit à une du dix-septième siècle ? 

La Renaissance tenait moins compte encore du style qui 
l'avait immédiatement précédée, c’est-à-dire de celui du 
Moyen Age bien vite délaissé à ce point que l’artiste de 
l’époque de la Renaissance ayant à compléter un édifice 
ogival ne se mettait même point en peine d’en faire revivre 
les formes premières. 

Il faisait comme ïl sentait, restant bien dans son 
milieu social et ne se faisant point archéologue construc- 
teur. 

Nous voyons, par exemple, Philibert de l’Horme, 
chargé de faire, à Lyon, une façade ou plutôt un frontispice 
à l’église de Saint-Nizier ; il fait franchement ce frontispice 
en style de la Renaissance, bien que l’église soit ogivale 
du quinzième siècle. 

A-t-il bien fait ? Je ne me prononce pas sur cefait mais, 
puisque l'architecture gothique était non seulement aban- 
donnée, mais dédaignée à son époque il est probable 
qu'avec tout son talent Philibert de l'Horme n'aurait fait 
en reproduisant son style qu'une œuvre manquée. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE, 263 


Donc, jusque vers le commencement de notre dix- 
neuvième siècle, pas d’application directe et pratique, en 
France, de l’archéologie à l'architecture. 


(A suivre) G. GEORGE. 


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UN ENGAGEMENT D'ARTISTE 


au théâtre de Lyon en 1710 


a" document suivant, tiré des Archives départe- 
mentales du Rhône, nous donne un curieux 

aperçu sur les appointements d’artistes drama- 
tiques au commencement du dix-huitième siècle. 

Les directeurs actuels se plaignent amèrement des pré- 
tentions toujours croissantes des éfoiles. Mais ils subissent 
leurs exigences, quitte à se rattraper sur les seconds rôles 
et les comparses, fort médiocrement rétribués en général. 

Il semble qu’autrefois les choses se passaient plus équi- 
tablement et que chacun pouvait gagner honnêtement sa 
vie. 

Nous voyons, par le contrat ci-joint, qu'une jeune 
artiste remplissant l’emploi modeste de Colombine, et 
joignant à cela des aptitudes de chanteuse et de danseuse, 
était engagée à Lyon, en 1710, pour la somme de 
300 livres par mois. Si l'on tient compte de la valeur de 
l'argent, calculée d’après le prix des denrées, des loyers, et 
de toutes choses nécessaires à la vie, cette somme de 


UN ENGAGEMENT D ARTISTE 265. 


300 livres représenterait aujourd’hui plus de 800 francs. 

Je suis peu versé dans les questions théâtrales, mais Je 
doute que le directeur des Célestins engage ses soubrettes 
sur le pied de 800 francs par mois. 

Le bon vieux temps, malgré ses détracteurs, plus nom- 
breux de jour en jour, avait du bon, même pour les demoi- 
selles de théâtre. Il faut dire, par contre, que sous le règne 
de Louis XIV et de Mm° de Maintenon, elles n'étaient 
point favorisées des palmes académiques. 


L. G. 


PIERRE DE MASsso, chevalier, seigneur de La Ferrière de 
Lissieu et du Plantin, séneschal de Lyon et de la province 
du Lyonnais, sçavoir faisons que par devant les conseillers 
du Roi, notaires à Lyon soussignés furent présents sieur 
Louis Nivellon, danseur ordinaire de Monseigneur et l’un 
des chefs de la troupe de la Comédie Italienne, demeurant 
ordinairement à Paris, de présent en cette ville de Lyon, 
faisant tant pour luÿ que pour ses associéz absents, d'une 
part et damoiselle Jeanne Tortority, femme de sieur Pierre 
Biancollely, dit Dominique, aussi l’un des chefs de ladite 
Comédie, d’autre part, lesquels sont convenus de ce qui 
suit : sçavoir que ladite damoiselle Tortority s’oblige de 
représenter tous les rolles de Colombine dans les pièces qui 
seront jouées par ladite trouppe tant dans cette ville que 
dans celles de Chambéry et Grenoble, tout autant de temps 
que ledit sieur Nivellon fera jouer ladite-comédie dans les- 
dites villes, de même que de danser dans les ballets et 
chanter s'il y échoït, et ce moyennant trois cent livres par 
mois payables de jour en jour, à raison de dix livres tous les 


e 


266 UN ENGAGEMENT D’ARTISTE 


soirs et sur ce pied lorsque le mois se trouvera de trente un 
jours, il sera payé une pistolle de plus à ladite damoiselle 
et lesdits payements à commancer des jours que ladite 
damoiselle commancera à jouer dans lesdites villes, jusques 
au jour que lesdites représentations finiront dans lesdites 
villes, soit que l’on y joue ou non, pourvu que l’on ait une 
fois commancé, sans que ladite damoiselle puisse prétendre 
aucuns frais de voyage à Pexception de la voiture de ses 
hardes que le sieur Nivellon sera tenu de payer, et à défaut 
de payement sera permis à ladite damoiselle de se retirer, 
ce faisant les présentes demeureront de nul effet. Comme 
aussy sont les parties convenues qu’au cas que ladite 
damoiselle Dominique vint à avoir quelques maladies qui 
durassent plus de huit jours, ledit sieur Nivellon ne lui 
payera plus lesdites dix livres par jour, si ce n’est ses 
aliments et sera tenue ladite damoiselle Dominique de 
venir aux répétitions desdites comédies. Promesses, obliga- 
tions et biens soumissions renonciations et clauses; fait 
et passé à Lyon ès étude, le vingt un novembre mil sept 
cent dix, après midy. Et ont signé à la minute controllée 
demeurée à Delhorme l’un des notaires. 


Signé : ROUSSET, DELHORME. 


Fin d'Automne 


L'Automne étend sa rouille aux vertes frondaisons ; 
Le cep est dépouillé, le vin est mis en cave ; 

Voici bientôt la fin des clémentes saisons ; 

Le vieil Hiver s'avance, il est frileux et grave. 


Les brumes du matin voilent les horizons ; 

Le Soleil a perdu ses rayons, fluide lave ; 

Le nuage l'étreint, le roi devient esclave, 

Car les nimbus obscurs pour lui sont des prisons. 


Les bois n’entendront plus les chants et les bruits d'ailes 
De leurs gais habitants, pinsons et tourterelles ; 
Voici que le frimas s’y retrouvera seul, 


Et jusqu'au renouveau, qui lui rendra la vie, 
La bise et les corbeaux chanteront l'agonie 
De la Terre engourdie en son neigeux linceul. 


Crépuscule 


Le Soleil a passé derrière la colline, 

Et le fond du vallon s'estompe dans le gris; 

. Tout se tait. sauf là-bas un pasteur qui chemine 
Excitant de la voix ses chiens sur ses brebis. 


Bientôt un roulement sur la route domine: 

Char brisant les cailloux parmi le cliquetis 
Des chaînes et des fers d’un coursier très rassis, 
Fouetté par un roulier que plus d’un broc avine. 


Il passe... Le fracas n'est déjà plus qu'un bruit, 
Cependant que tout près l'ombre devient la nuit, 
Lentement, comme un flot qui s’'éband en silence : 


Elle couvre bientôt les pentes du vallon, 
Où se plaint la rainette et chante le grillon, 
Dans le frisson des bois, fatidique romance. 


Tableau Flamand 


Trapus et rubiconds, ils devisent cn groupe 
Au devant d'un bouchon, les joyeux paysans ; 
Ils prennent du soleil les rayons bienfaisants, 
Et regardent danser des gens à forte croupe. 


Ils sautent en criant, tapage qu’entrecoupe 

Un air de cornemuse aux accords très bruyants, 

Ces rustauds pleins de bière, aux entrechats pesants, 
Avec leur veste rouge et leurs cheveux d’étoupe. 


Un seul musicien, debout sur un tonneau, 
Du pied bat la mesure, et ce n’est point de l’eau 
Que lui porte en un broc cette grosse commere. 


Le paysage plat s'éloigne à l'horizon, 
Et l’on voit vers la droite une pauvre maison 
Kéveuse sur les bords d’une lente riviere. 


5); 


Ivoire Ancien 


D'un art trés curieux, cette Vierge d'ivoire, 
Le front couronné d'or, porte l'Enfant divin ; 
Elle est comme un bijou dans. un soyeux écrin 
Damasquiné d'argent, fait de cuir et de moire. 


Elle penche la téte et sourit au bambin, 

Qui tient en sa main droite un merveilleux ciboire, 
Creusé dans un saphir du travail le plus fin, 

Que son geste paraît donner en.offertoire. 


Ob! qu'elle est belle ainsi, de céleste candeur, 
La Mère de Jésus, simple sous la splendeur 
D'un mant:au constellé de pierres précieuses ; 


Elle rayonne en l’écrin aux tissus obscurs : 
A des astres pareils, combien sont vifs et purs 
Ses yeux en diamants aux tailles radieuses. 


Francisque GREPPO. 


NOTES & SOUVENIRS 


E MOINS CHER DES JOURNAUX (1).— Lorsqu’en 1863 
se fonda le Petit Journal, ce fut presque un événe- 
ment, tant le public fut surpris de ne payer que 

18 francs pour l'abonnement. Personne apparemment ne 
discuta l'appréciation ; et pourtant !..….. Depuis quinze ans, 
la France possédait un périodique dont la « souscription 
pour un an était de deux sous ». 

La chose a paru assez extraordinaire pour mériter non 
pas une histoire, dont les matériaux seraient sans doute 
aujourd’hui fort difficiles à réunir, au moins l’honneur 
d’une courte note. Ce que nous en pouvons dire est 
emprunté aux données que fournissent quelques numéros 
qui nous sont tombés entre les mains. 

C’est à Lyon, en 1848, que commença cette publication 
qui s'appelait elle-même non un journal ou .une revue, 


(1) Nous empruntons au Bulletin du Bibliophile, livraison du 15 septem- 
bre 18g9, cette intéressante étude sur une publication .yonnaise. 


272 | NOTES ET SOUVENIRS 


mais un feuilleton, dans l’acception très étymologique mais 
inusitée de « petit feuillet », ce que le charmant parler de 
Henri Estienne eût qualifié un superdiminutif. * 

Chaque numéro débutait par une croix entourée de 
rayons qui surmontait ces trois lignes de titre : 


Union catholique 
RECUEIL DE RÉFLECTIONS 
Philosophie et Religion 


Il se composait de quatre pages in-18 encadrées (130 mil- 
lim. X 86), à trente-six lignes par page et cinquante let- 
tres en moyenne par ligne. L’impression, faite par la maison 
Périsse, était nette et fort convenable, bien supérieure à 
celle de certains classiques qui ont laissé de maussades 
souvenirs dans plusieurs générations d’'écoliers. J'en parle 
presque par expérience. 

La spéculation n’entrait certes pour rien dans l’entre- 
prise mais, ainsi que l'explique le prospectus, la reconnais- 
sance d’avoir échappé aux catastrophes du 24 février avait 
inspiré à plusieurs Lyonnais ledésir d'aller porter par lemonde 
quelques bonnes pensées. Et pour se conformer scrupuleu- 
sement aux règlements ecclésiastiques sur la matière, le 
milieu des marges des pages in-4 portait dans le sens de la 
hauteur, en caractères microscopiques, le visa d’un vicaire 
général. | 

Les plus honorables encouragements ne firent pas défaut 
à ce journalisme minuscule : des évêques, des’ cardinaux 
même (par exemple Mgr Wiseman) multiplièrent les 
éloges, auxquels s’unit la grande voix de Lacordaire et que 
couronna la lettre pontificale du r$ septembre 1858. 

Si inaperçue que dût passer cette mince publication, elle 


NOTES ET SOUVENIRS 273 


afirma dès le début son espoir de ne point se borner à 
une utilité simplement éphémère, au sens grec du mot. 
Cinq années devaient former un volume, pour lequel 
serait imprimé un frontispice avec une table des matières. 
Chaque volume renfermait deux cent quarante pages au 
moins, parfois accrues d’un supplément. 

L'Union catholique fit si bien son chemin qu’en 1861 
elle tirait « à près de cent quatre-vingt mille exemplaires 
pour la France », et qu'on dut r‘imprimer les premiers 
numéros de la collection. 

Lyon fut toujours son centre d'action; mais, en se déve- 
loppant, elle se constitua en deux provinces, celle de Lyon 
et celle de Paris. 

En 1867, elle édita un ÆA/manach de 32 pages ; il en fut 
de mème l’année suivante. 

Malgré l’envahissement des grands journaux, les quatre 
humbles pages mensuelles ont joui d’une étonnante vitalité. 
Le dernier numéro que nous ayons vu (imprimé chez 
Vrayet, à Lons-le-Saunier), porte en vedette : « tome VIII, 
459° livraison », et on lit au visa : « Lyon, 1°" juil- 
let 1887. » 

Nous sommes assez porté à croire qu'il ne faudrait pas 
se hasarder à parler du chétif feuilleton comme d'un défunt. 
Qui sait même s’il ne fait pas les délices assidues de quelques- 
uns de nos lecteurs ? 

L'abbé A. Toucarn. 


Nous serions reconnaissants à ceux des lecteurs de la Revue 
du Lyonnais qui voudraient bien répondre à l'interrogation de 
M. Tougard. — L.G. 


N° 4. — Octobre 1899, 18 


L 2 
hemunul 


: 
: 


EsSsat HISTORIQUE SUR VILLEFRANCHE PENDANT LES GUERRES 
RELIGIEUSES LU XVIe SIÈCLE, par E. LONGIN, avec deux fac-similé, Un 
vol. in-8 ; à Beaujeu, chez l’auteur. — Villefranche : Noël Garnier, 
rue Nationale, 190. — Lyon : Louis Brun, rue du Plat, 13. 


Poursuivant le cours de ses investigations sur l’histoire de son cher 


Beaujolais, M. l'abbé Longin publie aujourd’hui une nouvelle étude qui, 


autant que ses devancières, sera appréciée de tous ceux qu'intéressent 
les anciens souvenirs de nos provinces. 

Les éléments de ce travail sont empruntés surtout aux procès-verbaux 
inédits des délibérations des échevins de Villefranche. C'est dire que, 
suivant son habitude et toujours fidèle à une méthode que réclame 
aujourd'hui toute critique éclairée, l’auteur a recouru directement aux 
sources, sans se rebuter des difficultés incessantes que présentait la 
lecture des textes originaux. 

Après le départ des religionnaires de Villefranche, aucun combat 
entre catholiques et protestants n'eut lieu en Beaujolais dans la période 
qu'embrasse le volume : 1567-1586, c’est-à-dire jusqu’à la formation de 
la Ligue. Mais les malheurs de ces tristes temps v eurent quand même 
leur contre-coup. 

C'étaient des alertes sans cesse renaissantes, causées par les entre- 
p:ises des huguenots dans les pays voisins, alertes qui ont laissé des 
traces profondes dans les délibérations du corps de ville. De là, des 
mesures de défense dont l’activité répondait aux impulsions du moment, 
soit que l’imminence du danger retint les Fourgcois ‘ous les armes, 


BIBLIOGRAPHIE 275 


soit que, les craintes diminuant, on se relâchät des précautions prises, 
jusqu'à ce qu'une injonction du gouverneur de Lvon vint rappeler 
chacun au devoir et stimuler les ardeurs languissantes. 

C'est donc un chapitre sérieux que vient de retracer M. l'abbé Longin 
de l'existence du peuple de Villefranche au cours de cette phase des 
guerres de religion. On y saisit sur le vif les impressions causées dans 
les âmes par les mauvaises nouvelles venues du dehors, et que rendaient 
plus sombres encore l'imagination et la fraveur de tous, comme il arrive 
dans les temps troublés. 

À peine conclue, la paix de 1563 qui avait terminé la première 
guerre civile, laissait prévoir une rupture prochaine. Catholiques cet 
protestants, mécontents pour des motifs divers, engagèrent une lutte 
sourde qui ne pouvait aboutir qu’à une guerre ouverte. 

Vienne, Mäcon et une partie des régions circonvoisines tombent au 
pouvoir des protestants à la fin de 1567. Les habitants de Villefranche, 
catholiques dévoués, pleins encore du récent souvenir du siège de leur 
ville, ne restent pas indifférents. Les notables s’assemblent et entendent 
les propositions du lieutenant général au bailliage de Beaujolais. 

Ici se manifestent, en un caractéristique épisode, les sentiments de 
nos bourgeois des cités franches. Patriotes sans conteste, ils s’ingénient 
néanmoins à concilier les privilèges dont ils sont jaloux, avec les 
exigences d’une situation critique. Le lieutenant émet l'avis que le sieur 
de l'Ecluse soit appelé, en qualité de capitaine, pour organiser la défense, 
conformément, du reste, au désir du gouverneur de Lyon. En cas de 
refus, celui-ci rendait les échevins responsables des conséquences de 
leur acte. 

Désireux de se soustraire à cette lourde responsabilité, les échevins 
soumettent la proposition à l'assemblée plénière. Incontinent, les 
membres ecclésiastiques acceptent la nomination de M. de l’Ecluse, 
déclarant avec raison qu’il ne serait plus temps d’appeler le secours après 
le malheur arrivé. 

Mais les notables opinent en sens contraire, et refusent le concours 
des gens de guerre par la crainte de n'être plus maitres chez eux, une 
fois ces étrangers introduits dans leurs murs. La garde de la ville fut 
donc confiée à une troupe de cinquante de ses habitants que les notables 
se chargeaient de nourrir, tandis que des gens envoyés au dehors les 
tiendraient au courant des événements. 

La suite des faits ne laissa pas toujours aux bourgcois de Villefranche 


276 BIBLIOGRAPHIE 


la mème facilité pour organiser en famille la défense de leur ville. 
Maintes fois durent-ils subir la loi du plus fort et céder aux nécessités 
imposées par les circonstances. La chose arriva peu après, alors que les 
protestants, maîtres de la Dombes, menaçaient directement la capitale 
du Beaujolais après avoir pillé les abbaves de Cluny et de Belleville. 
Une compagnie de soldats fut appelée et adjointe aux habitants jusqu’à 
ce que le duc de Nevers l’eût emmenée au siège de Mâcon. 

Tous veillaient donc à la sûreté de la ville, suivant l’imminence du 
péril et les ordres du gouverneur ou de la Cour. 

Tantôt on travaillait aux réparations des murailles, tantôt on redou- 
blait le service du guet et de la garde, pendant que Îles quantonniers 
exerçaient aux portes leur consigne rigoureuse. Mais ce qui créait au 
corps de ville un perpétuel souci, c'était la question financière toujours 
pressante, soit qu'il fallüt pourvoir aux dépenses courantes, — particu- 
lièrement lourdes à ce moment, — soit qu'il fallût acquitter les imposi- 
tions mises par le Roi. Et le problème se posait d’autant plus obsédant 
que la caisse municipale, en ces temps agités, était constamment vide! 

Ainsi s’écoulèrent ces dix années, dans les perplexités d’une situation 
toujours tendue, malgré les accalmies qu’amenaient parfois l'annonce 
d’une trêve ou la publication d’un édit pacificateur. 

Ecrite avec méthode et en un clair stvle, cette page des annales du 
Beaujolais qui, en plus d’un point, se rattache à notre histoire de Lvon, 
sera lue avec autant d'agrément que de profit. 

M. l'abbc Longin a fait suivre son récit de la reproduction littérale 
des textes qui lui ont servi à le rédiger, tous tirés des archives de 
Villefranche. 

Une feuille de ces textes, reproduite en fac-similé, démontre quelle 
patience l'auteur a dù dépenser pour déchiffrer cette longue calligraphie 
du scribe de l’époque, véritable rébus pour la masse des non initiés. 

Ce sera, pour M. l'abbé Longin, un titre de plus à la gratitude des 
amis de notre histoire provinciale. Avec faveur, ils accueilleront ce 
nouveau volume dans l’intime persuasion que d’autres suivront, ajoutant 
à la reconstitution d’un passé qui ne fut pas sans gloire, et dont l’étude 
passionnera toujours quiconque sait goûter les attraits et le charme 


puissant des anciens souvenirs. 


A. GRAND. 


BIBLIOGRAPHIE 277 


VIE DE ZACHARIE PARET, CURÉ DE SAINT-DENIS, par 
M. l'abbé BAURON, missionnaire apostolique, curé de Saint-Eucher. 
(Un vol. in-12, 352 pp. Lyon, Delhomme-Briguet, 1899.) 


A notre époque, l’oraison funèbre ecclésiastique disparaît devant la 
biographie : nos contemporains, en effet, semblent montrer autant de goût 
pour l'histoire qu’entretenir une défiance croissante contre l’éloquence. 
Les paroles s’envolent, les écrits restent ; le panègyrique n’y perd rien, 
nos bibliothèques et l'édification y gagnent quelque chose. Mgr Besson, 
le regretté évêque de Nimes, a donné, $e crois, les modèles du genre 
dans les deux Vies des cardinaux Mathieu et de Bonnechose ; à Lyon 
nous possédons un volume sur le cardinal Caverot, qui a satisfait tout 
le monde, et un seconi, consacré par le savant prédécesseur de Son 
Eminence Mgr Coullié à la mémoire de Mgr Darbov, l'otage et le 
martyr de la Commune. 

La galerie épiscopale du x1x° siècle sera très complète. M. Bauron a 
pensé que le portrait d’un excellent et modeste curé ne serait pas 
déplacé auprès de ces grandes toiles de maîtres renommés ; une figure 
aussi sympathique, aussi pieuse, que celle du vénéré M. Paret, curé de 
Saint-Denis de la Croix-Rousse, était digne d’ètre admise en cette noble 
compagnie et il a mème tenu à l’auteur de ne pas l’accrocher trop loin 
de la cimaise. Le public lui a donné raison et le succès qu'il lui a fait, 
a couronné son dessein et sa peine. 

Il est vrai que M. le curé de Saint-Eucher, inspiré par une admira- 
tion toute filiale, conçue dès les classes élémentaires de Saint-Jodard, 
pour le supérieur qui présidait à son éducation cléricale, a mis dans son 
œuvre autant de cœur que de talent ; il est parvenu par une fidélité et 
une sincérité émues, exemptes de toute inopportune hvperbole, à 
gagner nos sympathies et à emporter tous nos applaudissements. 

« L'histoire, a dit un ancien, plait toujours, quelle que soit la façon 
dont on la compose. » Cette parole ne me paraît absolument incontes- 
table que dans les grands sujets, pour des événements, où la destinée 
d’un peuple est en jeu, pour les merveilleuses entreprises du génie, de 
la conquête, de la sainteté. Lorsque le récit côtoie le cours paisible 
d'une carrière peu féconde en actions d'éclat, lorqu’il doit s’arrèter à 
des vertus intérieures, dont le mérite a consisté à se dérober aux 


278 BIBLIOGRAPHIE 


regards, apprécier un dévouement dont le champ a été plus restreint que 
les ardeurs, il est nécessaire, pour le bien mener, d’un art peu ordinaire, 
d’un tact consommé et d’une plume longuement exercèe. L’excès de la 
louange sent l'amplification et engendre le dégoût ; une sobrièté trop 
maigre, des couleurs effacées, un style sans relief provoquent au som- 
meil. On est menacé, comme le prévovait le poète latin, pour éviter 
une faute, de courir se jeter dans une autre. Appliquez-vous à n'être 
pas monotone, vous serez exposé à être exagéré et à sacrifier à la 
rhétorique : la froideur et l'ennui naissent promptement d’une exacti- 
tude sans apprêt : 


In vitium ducit culpæ fuga, si caret arte. 
. + + . < . Bretvis esse labora 
Obscurus fio. 


Mais notre vicil ami, M. l'abbé Bauron, est depuis longtemps familier 
avec Horace et chez lui le judicieux critique est doublé du plus fin 
lettré que je connaisse. IT avait prévu les difficultés de son sujet, il a su 
les éviter avec l’habileté professionnelle d’un ouvrier aussi sür de son 
outil que maître de sa matière. 

J.-B. VAXxEL. 


VIE DE M. L’ABBÉ RUIVET, ViCAIRE GÉNÉRAL DE LYON, CURÉ DE 
N.-D. À SAINT-CHAMOND, FONDATEUR DU SÉMINAIRE DE MEXIMIEUX, 
VICAIRE GÉNÉRAL DE BELLEY, par le chanoine THÉLOZ, publiée par 
M. l'abbé Ph. CORDENOR, in-8e illustré de nombreuses phototypies. 
Paris, Tèqui, libraire (3.50). 


Faire revivre, en monographies judicieuses, des hommes de mérite 
vrai, solide et caché, c’est justice, honneur et service précieux. À ces 
divers titres, M. Ruivet méritait de n'être pas oublié. M. le chanoine 
Théloz, ancien supérieur de Meximieux, avait entrepris la tâche d’hono- 
rer sa mémoire. Pour lui, peindre M. Ruivet, c'était écrire, en lumi- 
neuse préface, l’histoire d’un séminaire aimé. Les pages de ce livre 
s’ajoutaient, disséminces en portefeuille. L'auteur nous les indiquait 
aimablement à Fourvière, et au lendemain mème de notre causerie, 


BIBLIOGRAPHIE 279 


la mort le frappait subitement à l'autel de Saint-Pierre de Lyon. L'œuvre 
attendait inachevée. Des retouches et certains compléments s’imposaient. 
M. l'abbé Ph. Cordenod, alors professeur à Meximicux, accepta, comme 
obligation de reconnaissance, la mission de coordonner et de compléter 
ces notes éparses. 

En vérité, auteur et continuateur ont fait chose grandement utile. 
Avec des différences de genre et d’élévation, malgré quelques fautes de 
détail, ils font dérouler sous nos veux soixante et onze années de l’histoire 
religieuse de Lvon et de Bellev (1767-1838). Ce qui est particulière- 
ment attachant, c'est le rôle joué par M. Ruivet pendant la Terreur. Alors 
que l'émigration avait dépeuplé les presbytères, il évangilisa au péril de 
ses jours la Bresse et la Dombes. En maintes circonstances, il fit preuve 
d’un courage héroïque ; avec une singulière audace, non dénuée de pru- 
dence, il sut déjouer les poursuites des sans-culottes. Son ministère, de 
1793 au côncordat, n’est qu'un édifiant apostolat. Le récit des dangers 
anciens servira d'enseignement au milieu des difficultés actuelles. 


IRÉNÉE. 


CEUX DE BELFORT, par Gabriel GERIN. Paris, Ollendorff, 1899, 
un vol. in-12. | 

De braves « moblots » lyonnais, les sous-licutenants Robert et 
d’Alberoche, les soldats Lambolev, Bonnard, Meignot et le vieux 
rengagé Dubois, prennent part à l’admirable résistance de Belfort contre 
l'ennemi. A travers les obus et les bombes, sous la grèle meurtrière 
des balles, ils font leur devoir, car ils appartiennent « à cette forte race 
lyonnaise, fille de la Gaule et de Rome, sobre de gestes et de paroles, 
de cœur chaud et de tempérament froid, à la fois mystique et positive, 
également propre au rêve et à l’action ». 

Et ce roman, qui est de l’histoire, a été écrit par un auteur qui a 
entendu le grondement du canon et le sifflement des projectiles, qui a 
respiré l'air nauséabond des casemates et qui a vécu au milieu des 
misères et des angoisses d’une ville assiégée. Il nous souvient de "N'eu- 


Brisach. Nul mieux que lui ne pouvait donc écrire un épisode de cette 


280 BIBLIOGRAPHIE 


épopée glorieuse dont le souvenir est religieusement conservé dans la 
plupart des familles lvonnaises. 

Documenté comme un archéologue, ému comme un poète, Gabriel 
Gerin a voulu faire un livre qui puisse ètre compris et apprécié par 
tous. Les personnages ont peut-être d’autres noms, des noms que nous 
connaissons, et l'intrigue légère, conduite avec tact et réserve, nous 
laisse cet intérêt douloureux que l'on a lorsqu'on lit une histoire vraie. 

Ce livre est pour ceux qui se souviennent, il est aussi pour les jeune 
qui verront que leurs pères ont pratiqué comme une vertu « cette 
résolution énergique, où il entrait plus de résignation que d’enthou- 
siasme, de lutter désespérément jusqu’au bout, sans espoir aucun, par 
pure obligation morale, par acquit de conscience, pour l'honneur ». 
Voilà une leçon de grandes choses et c’est un livre de prix qu'il faudra 
largement distribuer à nos jeunes rhétoriciens et philosophes. Aussi 
bien ils v verront comment on peut être un patriote tout en étant un 
écrivain de talent. 

En effet, peu d'auteurs se seraient tirés avec autant d’habileté d’une 
tâche aussi délicate que difficile, mais il v a plus que de l’habileté dans 
ces pages vibrantes, dans ces créations de personnages types, dans ces 
paysages rapidement tracés et exactement vus. Aussi, en tournant la 
dernière page, c’est avec une réclle émotion ‘que l’on dit adieu à ceux 
de Belfort, foulant d’un pas hät#f la route du retour. « Et les brins 
d'herbe des talus, les branches bourgeonnées, l'air pur embaumé d’une 
odeur de renouveau, frissonnaient aux souffles des fanfares où vibre 
l'âme alerte et gaie, l'âme immortelle de la RACE. » 


F. BREGHOT du LurT. 


POURTRAICT RACOURCY DU B. H. FRANÇOIS DE SALES, 
EVESQUE DE GENÈVE, tiré par Estienne CAVET, en 1632, 
nouvellement réimprimé par les soins de Léon Galle, de la Société des 
Bibliophiles Lyonnais, x vol., petit in-8o (F. Ducloz, éditeur, Moûtiers, 
Savoie). | 


Un heureux hasard mettait dernièrement entre les mains de M. Ducloz, 
‘éditeur bien connu, un très rare petit volume contenant une Pie de 


BIBLIOGRAPHIE 281 


+ 


saint François de Sales, restée ignorée à la plupart des bibliophiles et 
collectionneurs. 

Ce récit simple et naïf, écrit dix ans seulement après la mort de 
l'illustre Evèque de Genève, a non seulement l'attrait d’une chronique 
vécue, mais encore tout l’intérèt d’un document. 

Aussi, notre imprimeur, dont le dévouement aux gloires savovardes 
s'est manifesté par les plus somptueuses publications, n'a pas hésité à 
sauver de l'oubli cet humble vestige du passé. Rien de ce qui concourt 
à l'édifice historique d’une province ne doit être nègligé. M. Ducloz 
confia la collation du texte à un bibliophile lyonnais, M. Léon Gaille, 
qui est un peu notre compatriote par adoption, et dont les nombreux 
travaux historiques et bibliographiques sont justement estimés. 

Dans une substantielle introduction, M. Galle nous fait connaitre 
l'auteur du Pourtraict racourcy, Etienne Cavet, issu d’une famille de 
bonne noblesse de Chambéry, alliée à la grande famille des Chastillon. 
Etienne Cavet, quoique në à Chambéry, passa la plus grande partie de 
sa vie à Lvon; il était investi d’un canonicat dans l'antique collégiale 
de Saint-Paul. Il dut fréquenter l'Evèque de Genève lors de ses nom- 
breux séjours à Lyon, c’est pourquoi le Pourtraict racourcy nous paraît 
tracé par une main respectueusement fidèle. 

M. Galle a joint à cette étude sur l’auteur des notices bibliogra- 
phiques très complètes sur les Vies de saint François de Sales, antérieures 
à celle écrite par Etienne Cavet. 

Nous sollicitons pour le Pourtraict racourcy du B. H. François de Sales 
un bon accueil auprès des bibliophiles savoyards et Ivonnais. Par le 
sujet qu’il traite, par les notes dont il est enrichi, ce petit livre a droit 
de prendre place dans la collection historique de ces deux provinces de 
Savoie et de Lvonnais. 


Un bibliophile Savovard. 


SOCIÉTÉS SAVANTES 


CADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE LYON. — 
Séance du 2 mai 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Au 
sujet du calendrier de Colignv, M. Lafon ajoute que l'emploi 
de l’année lunaire exigeant l’intercalation d’un mois, à certaines épo- 


ques, revenant périodiquement, pour la faire concorder avec l'année 
solaire, ce calendrier révèle que les Celtes connaissaient ces périodes et 
qu'ils savaient ainsi ramener l’année lunaire à l’année solaire. — M. La- 
cassagne communique un travail intitulé : Cause de la rigidité cadave- 
rique. L'orateur attribue cette cause à la déshydratation de la fibre 
musculaire. Mais il est à observer que l'apparition de la rigidité varie 
suivant le genre de mort et aussi suivant la position du cadavre au 
moment de la mort. 


Séance du 9 mai 1899. — Présidence de M. Gilardin. — M. Guimet, 
membre émérite, fait hommage à l’Académie de deux ouvrages : 
19 Anlinoé, pendant les fouilles de 1898, par M. Gavet, et 20 Plutarque 
et l'Egypte, par M. Guimet. Il présente, en mème temps, un résumé de 
ces deux mémoires. Le premier renferme le compte rendu des fouilles, 
faites, en 1898, à Antinoëé, sous les auspices de la Chambre de 
Commerce de Lyon. Ces fouilles, qui ont mis au jour 2.000 tombes, 
ont fait découvrir des étoffes de soie fort curieuses, dont plusieurs 
spécimens figurent au musée industriel de Lyon. Dans le second 
mémoire, M. Guimet s'occupe surtout des renseignements fournis par 
Plutarque sur le culte d’Isis, renseignements généralement exacts, bien 
qu'il soit démontré que cet auteur n'est jamais allé en Egypte. — Sur 


SOCIÉTÉS SAVANTES 283 


une question poste par M. Pariset, M. Guimet ajoute que le culte 
d'fsis avait réellement pris naissance en Egypte, mais que, plus tard, il 
ce répandit dans tout l'empire romain, où l’on en trouve des traces 
nombreuses. — M. Beaune fait connaître, à cet égard, que les souve- 
nirs du culte d’Isis se retrouvent dans diverses localités de la Bour- 
gogne. Et il signale, notamment, une chapelle de Notre-Dame d’Is, 
où l’on remarque une statuette assez grossièrement sculptée, représen- 
tant Isis. — M. Caillemer termine la séance par la lecture d’un rapport 
présenté, au nom de la Commission des finances, sur la situation bud- 
gétaire de la Compagnie et le chiffre des prix à décerner en 1899. 


Séance du 16 mai 1899. — Présidence de M. Gilardin. — M. Horand 
présente le résumé d’un mémoire sur le Dispensaire de la Ville de Lvon. 
L'orateur fait connaître ainsi que pendant le cours de l'année 1898, le 
Dispensaire a pourvu à l'assistance de 10.000 malades à domicile, ct 
distribué 6.000 bons d& viande. Le service médical est confié aux soins 
de 20 médecins, et depuis dix ans, il a ouvert une école de gardes- 
malades. — M. Léon Malo, délégué de l’Académie à l'inauguration de 
la statue de Lamartine adolescent, à Belley, le 22 mai, donne lecture 
du discours qu'il doit prononcer à cette fête. 


Séance du 23 mai 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Hommage 
fait à l’Académie : Nofice biographique de M. le docteur Bouchacourt, par 
M. le docteur Marduel. — En l'absence de M. Roux, M. Bonnel lit un 
rapport sur la candidature de M. le docteur Crolas, dans la section 
d'histoire naturelle. — M. le docteur Teissier présente, au nom de la 
section des sciences médicales, un rapport sur la candidature de 
MM. Marduel et Vincent. — M. Dubreuil donne lecture du toast, qu'il 
a prononcé au banquet, qui a suivi l’inauguration de la statue de Lamar- 
tine, adolescent, à Bcllev. 


Séance du 30 mar 1899. — Présidence de M. Gilardin. — M. Pariset 
fait hommage, au nom de M. Godart, avocat, de la thèse de doctorat, 
publiée par ce dernier sous ce titre : L’ouvrier en soie. Dans ce travail 
l'auteur présente un tableau historique de la fabrique de soierie à Lvon, 
depuis le Xvie siècle jusqu'à la Révolution, en étudiant la situation de 
l’ouvrier en soie dans notre ville, pendant toute cette période. — 


284 SOCIÉTÉS SAVANTES 


M. Rougier présente un rapport sur la candidature de M. l'abbé Ram- 
baud, au titre de membre associé. L'orateur rappelle notamment 
qu'indépendamment de ses autres titres le candidat a obtenu déjà de 
l’Académie le prix Lombard de Buffières, pour ses méthodes pédago- 
giques, et le prix Livet pour son œuvre hospitalière. — M. Lafon 
fournit quelques nouvelles explications sur le calendrier perpétuel qu'il a 
présenté à l’Académie, dans une précédente séance et sur le concours 
de la Fète-Dieu avec celle de saint Jean Baptiste. Ce concours, qui 
ramène le grand jubilé de Saint-Jean à Lyon, est soumis à certaines 
conditions, tenant à la bissextilité des années. Si ces conditions sont 
remplies, l'intervalle des jubilés est de 57 ans, sinon, il doit s'écouler 
une période de 95 ans. | 


Suance du 6 juin 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Séance 
d'élection. — M. l'abbé Camille Rambaud est élu membre associé. — 
M. le docteur Crolas est élu membre titulaire dans la section des scien- 
ces naturelles. — M. le docteur Marduel est élu membre titulaire dans 
Ja section des sciences médicales. 


S.ance du 13 juin 1889.— Présidence de M. Gilardin. — Hommage : 
Momoires de la Société littéraire, historique et archéologique (années 1896- 
1897). — M. le Président adresse quelques paroles de bienvenue à 
M. lc docteur Crolas, membre titulaire élu dans la dernière séance. — 
M. Bonnel commence la lecture d’une Notice de l'Académie pendant la 
période comprise entre les années 1789 et 1793. À cette époque, 
l’Académie siégeait, depuis 1726, dans une salle de l'Hôtel de Ville, et 
depuis sa fusion avec la Société des Beaux-Arts, en 1758, elle comptait 
40 membres. Trois de ses membres : Millanais, Delandine et Deschamps 
furent élus députés aux Etats-Généraux. L’orateur rappelle encore que 
dans la séance publique du mois de décembre 1789, assistèrent plusieurs 
étrangers de distinction, parmi lesquels figurait la comtesse de Beauhar- 
nais, qui donna lecture d’une pièce de vers, et que l'année suivante, 
Palerne de Savy, directeur de la Compagnie, fut élu maire de Lyon 
par $.500 voix sur 5.900 votants. 


Séance du 20 juin 18y9. — Présidence de M. Gilardin. — Réception 
de M. l'abbé Camille Rambaud et de M. le docteur Marduel, nouveaux 


SOCIÉÈTÉS SAVANTES 28; 


membres titulaires élus dans la séance du 6 juin. — Honimages : 
10 Zimolon Guy-François de Maugiron, notice par M. H. de Terrebasse ; 
20 Le Saint Suaire de Turin est-il un orivinal ou une copie ? par M. l'abbé 
Ulvsse Chevalier. Dans ce travail, l'auteur fait connaître que le Saint 
Suaire conservé à Turin, n’est qu’une simple copie, peinte de main 
d'homme, comme le démontre une bulle du pape Clément VII de 
lan 1390. Cette précieuse relique, conservée d’abord dans l’abbaye de 
Lirey (Aube), qui l'avait reçue, au milieu du xive siècle, de son fonda- 
teur, Geoffrov de Charny, fut donnée, en 1453, par une descendante 
de ce dernier, Marguerite de Charny, à Anne, épouse de Louis de 
Savoie. Et c’est ainsi que, depuis cette époque, elle a été conservée par 
les princes de la Maison de Savoie, soit à Chambérv, soit à Turin, où 
elle figura à l'Exposition de 1898. — M. Gobin communique quelques 
observations faites par lui au cours d’un voyage en Italie. La première 
concerne les fresques de Pompéi, qui sont admirable de conservation 
et de fraicheur, ce qui tient à ce qu’elles sont de véritables fresques et 
non de simples peintures murales à la colle. En second lieu, l’orateur 
traite de la question des tours penchées de Pise et de Bologne. Il est 
certain que celle de Pise, bâtie sur un sol d’alluvion s’inclina naturel- 
lement dès qu’on fut arrivé au 3° étage. Quant aux tours de Bologne, 
il faut distinguer entre la tour Asinelli, qui s’inclina aussi par suite 
d’un tassement du sol. Mais il en est autrement de la Garisende ; il 
paraît bien que son constructeur, par un motif de pur amour-propre, 
voulut donner à cette tour une inclinaison semblable à celle de la 
première. En terminant, M. Gobin fait passer sous les yeux de l’Aca- 
démie des photographies d'une rue de Pompéi, pour signaler notam- 
ment la hauteur des trottoirs qui dominent la chaussée de 50 centi- 
mètres, et les pierres placées, de distance en distance, au travers de la 
rue, pour permettre de traverser d’un trottoir à l’autre. 


Séance du 27 juin 1899. — Présidence de M. Girardin. — A l'occasion 
de la lecture du procès-verbal, M. Gobin ajoute à la communication 
faite par lui à la dernière séance : 1° que la hauteur de la tour penchée 
de Pise est de 54", 5o et son surplomb de 4",32; 20 que la hauteur 
de la tour Asinelli de Bologne est de 97",61, et son surplomb de 
1,23, et 3° que la hauteur de la Garisende est de 49",60, et son sur- 
plomb de 3",04. — M. Bonnel donne lecture de la suite de sa Notice 
de l'Académie, à compter du second semestre de 1790. À ce moment, 


286 SOCIÉTÉS SAVANTES 


Jars à remplacé, comme directeur, Palerne de Savy. Mais à raison des 
troubles de cette époque, on ne put tenir de séance pendant le mois 
d'avril et la bibliothèque de l’Académie dut ètre fermée au public. Pour- 
tant la rentrée, à la suite des vacances, eut lieu sans incidents, et on 
put tenir, en décembre, une séance publique dans la salle Henri IV. 
Vitet, nommé maire de Lyon, reçut les hommages de l’Académie. 
Mais, dès cette époque, l'existence des Socictés savantes était menacte 
et l'inquiétude règne dans les esprits. C’est ainsi qu’en prévision d’un 
déplacement de livres de la bibliothèque et des objets d’art lui appar- 
tenant, l’Académie chargea une Commission d'en dresser l’inventaire. 
Le 6 décembre 1791, la Compagnie tint encore une séance publique. 
Mais le concours, pour les prix, fut prorogt à l’année suivante, ct la 
dernitre séance de l’année qui eut lieu, le 13 décembre, fut consacrée 
exclusivement aux élections. 


SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE, HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DE LYON. — 
Séance du mercredi 15 mars 1899. — Présidence de M. Ernest Richard. 
— Lecture est donnée d’une lettre de M. Dugas, remerciant la Sociétè 
de ses bons offices pour l'obtention de la mission qu’il désire obtenir : 
mission dans le Biré et la Chine centrale. 

Lecture est donnée d’une lettre relative à l'emplacement nécessaire à la 
Société à l'Exposition de 1900. M. le Président est autorisé à s'entendre, 
à cet égard, avec le Comité départemental. 

M. Gabut continue la lecture de son travail sur les formes affectées 
par les sommets des montagnes du Lyonnais. 

M. Léon Mavet lit une étude physiologique : Les Demoiselles de 
MIA USIN ‘ 

M. François Collet présente six sonnets : Ætude philosophique, à 
M. Melsuzay, professeur au Lvcée de Lyon, — L’Exposition Italienne 
de Turin (1884), — La Fète des Vignerons, Vevey (1889), — L'Influenza 
(1892), — Episode du Carnaval de Nice (1892), — Les Progrès de la 
chirurgie moderne (1899). 

M. Beyssac communique la suite de ses recherches sur les comtes 
de Villars, chanoines d'honneur de l'Eglise de Lyon. 


SOCIÉTÉS SAVANTES 287 


Suance du 29 mars 1899. — Présidence de M. F. Desvernav, vice- 
président. — En réponse à une demande d’échange de mémoires faite 
par l’Académie de Stockholm, la réunion décide de lui envover les 
volumes de ses Mémoires parus depuis 1891. | 

M. Joseph Berger fait hommage à la Société de son volume : Un 
Prince à Sury-le-Comtal, — M. Gabut de sa brochure : Les Villes, Mas 
et Villages Gallo-Romains. — M. Auguste Bleton de ses impressions de 
voyage : Au-delà des Pyrénées et de son Histoire populaire de Lyon. 

Des remerciements sont votés pour ces divers dons. 

M. Desvernay, au nom de la Société, présente ses condoléances à 
M. E. Richard, président, qui vient d'’ètre frappé par un deuil de 
famille. 

M. Emmanuel Vingtriner lit un chapitre intitulé : Le premier épisode 
de la Revolution à Lyon. | 

M. Antoine Grand donne lecture d’un travail intitulé : Pérévrinations 
forcées de M. Nicolas de Lange au temps de la Livue. À Ja suite de cette 
lecture, M. Desvernay parle des Villars, alliés aux Lange et d’une autre 
famille, Villars-Thoire. Le nom de cette famille amène l'entretien sur 
la découverte faite à Villars-en-Dombes, par MM. Collet, agent-vover 
de Villars et Joseph Buche, professeur agrégé de l’Université, d'une 
poype contenant un château fort du xi* siècle, lequel appartenait à cette 
époque à la famille Villars-Thoire. 


Scance du mercredi 19 avril 1899. — Présidence de M. F. Desvernay, 
vice-président. — M. le Président adresse les félicitations de la Compa- 
gnie à M. Giriat, pour sa nomination d’officier d’Académie. 

M. Beyssac communique la fin de son Étude sur Pattribution du 
litre de chanoine d'honneur de Saint-Jean aux princes de Savoie comme 
élant seigneurs de Villars. 

Sous le titre « La comtesse Zixzette chez le maréchal de Castellane ». 
M. Joseph Vingtrinier fait le récit d’une piquante mystification dont 
fut l'objet une vieille demoiselle du quartier Saint-François, à l'occasion 
de la naissance du prince impérial. 


Séance du mercredi 3 mai 1899. — Présidence de M. Sully-Pru- 
dhomme, membre d'honneur de la Société. — M. F. Collet donne 
lecture d’un sonnet intitulé : L'Araionée. — M. Vindrvy lit une poésie 


288 SOCIÉTÉS SAVANTES 


ayant pour titre : /uvenilia. — M. Joseph Berger lit une poësie : La 
Lyre, dédiée à M. Sully-Prudhomme. — M. Giriat présente un sonnet : 
À Pierre Dupont ! sonnet composé pour l'Inauguration du monument 
élevé à Lyon au poète et chansonnier lyonnais. — M. Tricou fait 
connaître un travail sur la Corporation des Notaires de Lyon, au 
XVI siècle. — M. Maurice Richard lit une ode : En Phonneur du bon 
poite. — M. l'abbé Martin communique de nombreuses et intéressantes 
photographies prises à l’église d’Ainav. 

Avant de lever la séance, M. Sully-Prudhomme remercie la Société 
littéraire de l'honneur qu'elle lui a fait en l'appelant à présider une de 
ses séances et déclare qu'il est vivement touché de l'accueil qu'il a 
reçu, 


Suauce du mercredi 17 mai. — Présidence de M. F. Desvernay, vice- 
président. — En ouvrant Ja séance, M. le Président adresse à 
MM. Auguste Bleton et Léon Mavet des félicitations pour les distinc- 
tions académiques qui leur ont été récemment conférées. — Lecture 
est donnée d'une lettre adressée à M. Joseph Berger par M. Sullr- 
Prudhomme, lettre dans laquelle l'éminent académicien remercie à 
nouveau la Société littéraire de l'accueil qu’elle lui a fait. 

M. Justin Godart fait hommage à la Société de son ouvrage : L'Ouvrier 
en soie, monographie du tisseur lyonnais, étude historique, économique 
ct sociale; première partie : Réglementation du travail. 

M. l'abbé Martin présente un travail très complet sar les galeries 
creusées dans la colline de Fourvière, galeries datant de l'époque 
romaine et du moven âge. 

M. Gabut communique d’intéressantes observations sur le mème 
sajet. 

M. A. Sallès reprend la lecture de son étude sur « Le Mouvement 
musical à Lyon »; le chapitre est relatif aux concerts populaires créts 
par M. Aimé Gros. 


Séance du mercredi 31 mai 1899. — Présidence de M. Desvernay, 
vice-président. — M. le Président présente à M. Joseph Bourgeot, les 
condoltances de la Société à l'occasion du deuil qui vient de le frapper. 

M. l'abbé Bauron lit les premières pages d’un travail sur le Chanoine 
Zacharie Paret, ancien curé de Saint-Denis à la Croix-Rousse. Diverses 


SOCIÈTÉS SAVANTES 289 


observations sont présentées à ce sujet, par MM. Desvernay, F. Collet 
et Georges. 

M. Lentillon lit un article sur le chansonnier Pierre Dupont, titre : 
Le Chantre de la Nature. | 


Stance du mercredi 21 juin 1899. — Présidence de M. F. Desvernay, 
vice-président. — M. l'abbé Bauron reprend la lecture de sa notice 
biographique sur Je chanoine Zacharie Paret. 

M. de Saint-Victor entretient la compagnie d’une tradition encore 
existante à Chamousset, d’après laquelle le roi Henri IV aurait séjourné 
au château. Comme aucun document ne mentionne ce passage de 
Henri IV à Chamousset et que, d'autre part, il est certain que 
François Ier v a séjourné, puisque plusieurs de ses ordonnances sont 
datées de cette localité, l'écrivain se demande s'il n’v a pas confusion 
de personnes dans la tradition dont il s'agit. 

Cette communication donne lieu à d’intéressantes observations présen- 
tées par MM. A. Poidebard et Desvernay. 

M. Desvernay termine la séance par la lecture de Nofes historiques et 
descriptives sur l’ancien quartier de la Pécherie. 


S'ance du mércredi $ juillet 1899. — Présidence de M. Ernest 
Richard. — M. le Président fait part du décès de M. Larrivé, membre 
titulaire, et se fait l’interprète des regrets de la Société littéraire. 

La Société académique d'Architecture ayant fait présent à la Société 
littéraire de ses Annales, il est décidé qu’en échange les deux volumes 
de Mémoires en cours de publication lui seront envovés. 

M. l'abbé Pourrat fait hommage d'une brochure dont il est l’auteur ; 
titre : L’antique école de Leidrade; XIe Centenaire de sa fondation. 

M. l'abbé Bauron continue la lecture de sa Notice biographique sur le 
chanoine Zacharie Paret. — M. À. Sallés lit la suite de son étude sur /e 
Mouvement musical à Lyon. Ce chapitre comprend l'historique de ka 
Société de Sainte-Cécile, fondée en mars 1871; celui de la Société des 
Vendredis classiques, qui lui succéda; enfin celui de la Socité de musique 
classique, fondée cinq ans plus tard. 

M. Emmanuel Vingtrinier communique une Étude sur Joseph-Marie 
Cusset, dit le « Pacha de Thionville », envové comme député à la 
Convention, en 1791, par le département de Rhônc-et-Loire. 


N° 4. — Octobre 1899. | 19 


290 SOCIÉTÉS SAVANTES 


Séance du mercredi 19 juillet 1899. — Présidence de M. Ernest 
Richard. — Lecture est donnée d’une circulaire de M. le Ministre de 
l'Instruction publique au sujet de la prochaine réunion des Sociétés 
savantes à la Sorbonne en 1900. 

M. le Président lit une notice historique sur la Société, notice qui 
figurera dans un rapport général sur les corps savants de Lvon qui 
doivent prendre part à l'Exposition universelle de 1900. 

M. Joseph Vingtrinier communique un récit du Séjour du lieutenant 
Napoléon Bonaparte à Montribloud en 1786. La maison de Montribloud 
appartient aujourd'hui à M. Charles Galle, frère de notre confrère 
M. Léon Galle, et dans la chambre dite de Bonaparte se voit toujours 
l'inscription placée par un précédent proprictaire en souvenir du séjour 
qu'y fit le futur empereur. 

M. Gabut donne lecture d'une Étude sur d'antiques vestiges du culte 
mégalithique à St-Laurent-d'Agnv, vestiges analogues à ceux dont il à 
pu constater l'existence sur d'autres sommets de la règion lyonnaise. 

À ce propos M. Gabut fait remarquer les rapports de tradition qui 
semblent relier le culte du Soleil et du Feu, très répandu chez les 
Celtes et autres peuples primitifs, qui en célébraient la fète principale 
au solstice d’été, avec les dévotions populaires à saint Jean et à saint 

* Pierre, dont la fête se rencontre au mème moment de l’année et les 
pratiques du feu de la Saint-Jean, générales autrefois, encore en 
vigueur aujourd'hui dans de nombreuses localités. 


Chronique de septembre 1899 


SOMMAIRE : Les vendanges. — Après l'Affaire. — Les grèves. — Le 
8 septembre; le pilerinage des vignerons. — Menus faits du mois. 
— Les morts de septembre. — M. Francisque Bouillier. — Les 
livres du mois. — Napoléon à Autun. — L'entrée de François Ier à 
Lvon, en 1515. — Le docteur Humbert Mollitre, sa vie et ses 
œuvres. — La réouverture des Célestins. — Crvrrano de Bergerac 
et le Vieux Marcheur. 


ous sommes en plein mois de vendanges et pour- 

tant combien ce mois est triste! Ah! qu’il est 

loin, le temps où nous suivions les sentiers de 

vignes à la suite des bandes joyeuses des coupeurs et en 
quête de la grisemote oubliée! Le siècle vous prend dans 
son tourbillon et vous roule comme tige de roseau. Elles 
ont été abondantes, nousdit-on, cette année, les vendanges 
en Beaujolais. Dieu soit loué ! Il y aura donc quelque coin 
où la joie éclairera le foyer. Car tout est bien triste autour 
de nous. Nous n'avions pas assez de cette maudite Affaire, 
qui paralyse toutes les autres; il faut à nos gouvernants un 
nouveau champ à leur inquiétante activité. Le $ septembre, 
ne va-t-on pas perquisitionner, à Lvon, chez les plus hono- 


292 CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 


rables de nos compatriotes, — où naturellement la police 
ne découvre rien, — sous prétexte de complot panaché pour 
lequel on murmure déjà le mot de Haute-Cour. Le mur- 
mure va grandissant ; ilse fait bruit, puis réalité. La Haute- 
Cour est réunie. 

Et le pays qui espérait respirer enfin après le verdict de 
Rennes! Le verdict est rendu le 9 ; Dreyfus est condamné 
à nouveau par le Conseil de guerre... et la crise est plus 
aiguë que jamais. Le 20, Dreyfus est gracié et le fameux 
fort Chabrol, — de burlesque mémoire, — se rend avec ses 
défenseurs. 

Pendant ce temps le Transvaal arme ses volontaires contre 
les Anglais ; la grève générale éclate au Creusot. Le 26, les 
employés del’ F.-O.-L., pris du même vertige, abandonnent 
la ligne de Vaugneray. 

Qu'on nous dise que la vie devient monotone et que 
nous n'avons pas de piture pour les gazettes ! 

On sème la division partout ; on soulève les haines; on 
appelle les représailles, alors que la France a plus besoin 
que jamais de paix, d'union, de concorde, pour se ressaisir 
et fermer tant de plaies. 

Jetons un voile sur ce sombre tableau et laissons Îles 
grands événements suivre un cours qu'il ne nous appartient 
pas d’enrayer, pour nous occuper des menus faits de la 
région lyonnaise. 

Voici la belle et touchante fète du 8 septembre qui 
appelle sur nos quais, sous la bénédiction de leur vénéré 
Prélat, les Lyonnais fidèles à leurs vieilles traditions de 
reconnaissance envers la Protectrice de la Cité, continuant 
le vœu des échevins qui consacrait Lyon à la Vierge de 
Fourvière. 

Le même jour, les vignerons du Beaujolais vont en foule 


CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 293 


présenter la plus belle grappe de leur récolte à la Vierge de 
Brouillv, joyeux pèlerinage qui s’égrène en troupes rieuses 
tout le long des flancs de la jolie colline que domine la 
chapelle consacrée. 

Le 14 septembre, l'Exposition horticole ouvre les portes 
de son jardin improvisé du cours du Midi, pour nous faire 
admirer les plus beaux spécimens de la flore d’automne. 

Le 17 septembre, des officiers espagnols qui ont suivi les 
manœuvres de montagnes de nos Alpins viennent à Lyon 
recevoir, des mains du général Zédé, la croix de la Légion 
d'honneur. Ils ont été acclamés pendant tout leur séjour 
au milieu des troupes alpines. Le même jour, Chalon-sur- . 
. Saône inaugure le monument élevé à la mémoire de 
François - Joseph Chabas, un égyptologue de grand 
mérite. 

Le 24 septembre, ouverture à Rive-de-Gier d’une splen- 
dide exposition de photographie, où nos amateurs lyon- 
nais se couvrent de lauriers au gélatino-bromure. 

Pendant ce temps nous apprenons la nomination comme 
chef d'état-major général de l’armée du général Delanne, 
un compatriote, né en 1844, à Romenay, dans la Haute- 
Bresse. 

On sait ce que disait Napoléon des Bressans : « Quand 
ils ont cassé leurs sabots, ces diables-là, rien n'’égale leur 
courage | » | 

Enfin le 30, revient à Lyon le bataillon du 98°, retour 
de Tunisie. Le 105° le suivra de près. Ainsi se poursuit 
lentement mais sûrement l’œuvre consistant à défaire ce 
qui avait été fait, à remettre nos colonies dans l’état 
lamentable où elles se trouvaient avant Faschoda. 

Pendant ce temps « la classe » part: Vive la classe! 

Les classes s'ouvrent : Coquin de bahut ! 


294 CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 


C’est le sort. Tout finit et tout recommence. Ainsi le 
. veut la vie. Que ne peut-elle nous ramener aussi les morts 
perdus pour nous! | 

C’est ainsi que, le 7 septembre, meurt subitement à Gap, 
à la tête de sa compagnie, le capitaine Gillon, du 112° régi- 
ment territorial, secrétaire de la Direction de l’Asile de 
Bron, frappé en pleine période d'instruction militaire. 

Le 8 septembre, mort de M. Pascal Hugounenq, père de 
l’éminent professeur à la Faculté de Lyon, membre corres- 
pondant de l’Académie de médecine. 

Le 10, nous perdons en Dauphiné, un écrivain de talent, 
M. Léon de la Brière, qui porta un instant la soutane au 
Grand-Séminaire de Lyon, puis s’engagea dans les zouaves 
de Charrette, aux jours sombres de l’année terrible. Le 
gouvernement du maréchal de Mac-Mahon le nomma sous- 
préfet de Vitré. Il démissionna après le 16 mai et collabora 
à l'Union, à la Gaïette de France, au Clairon, au Figaro. On 
lui doit entre autres ouvrages Les heures de Gaston de Foix, 
l'Ordre de Malte, etc. Ilavait épousé Mile Champollion- 
Figeac. 

Le 12, nôus apporte la nouvelle de la mort de M. Bon- 
valot, père de M. Gabriel Bonvalot, le vaillant explorateur, 
notre compatriote. 

Le 1$, meurt à Verdun le général Revérony, qui appar- 
tenait à une des plus anciennes familles consulaires de 
Lyon. 

Le 25, s'éteint à St-Martin-Lestra, M. le baron de Brosse ; 
le même jour, mourait à Lyon, M. l'abbé Berjon, cha- 


CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 295 


noine titulaire de la Primatiale, ancien curé de St-Georges, 
tandis qu'une triste nouvelle venait affecter le monde des 
lettres et plonger dans le deuil la vieille famille de la Revue 
du Lyonnais. M. Francisque Bouillier, ancien doyen de la 
Faculté de Lyon, ancien directeur de l'Ecole Normale 
supérieure, ancien conseiller municipal de Lyon, membre 
de l’Institut, un des lettrés les plus délicats, un des colla- 
borateurs les plus estimés de la Revue, venait de mourir à 
Simandres, dans l'Isère, où il était allé chercher un repos 
bien mérité. 

Ce que fut M. Francisque Bouillier, une plume plus autori- 
sée que la mienne le dira un jour dans la Revue du Lyonnais. 
Disons cependant aujourd’hui que peu de vies furent mieux 
remplies que la sienne. 

M. Bouillier était né à Lyon, en 1813, et termina 
au lycée de notre ville de brillantes études commen- 
cées au collège Stanislas. A sa sortie de l’école normale, il 
fut nommé professeur à Orléans, puis professeur à la Faculté 
des lettres de Lyon. 

De 1846 à 1848, M. Francisque Bouillier fait partie du 
Conseil municipal de Lyon. Doyen de la Faculté depuis la 
fin de 1848, il devint, en 1856, président de l’Académie 
impériale de sa ville natale. En 1867, il était nommé direc- 
teur de l’Ecole normale supérieure, poste qu'il quitta 
en 1872 pour devenir inspecteur général de l’enseignement 
secondaire. 

M. Bouillier était membre de l’Académie des Sciences 
morales et politiques et officier de la Légion d'honneur. 

Il a laissé des ouvrages de philosophie d’une grande 
valeur qui, à l'époque, ont été très remarqués. 

Au moment du ministère Ferry, M. Francisque Bouillier 
fit une vigoureuse campagne, en compagnie de Jules Simon, 


296 CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 


pour la liberté d'enseignement. Révoqué brutalement de 
ses fonctions, M. Bouillier se retira à Simandres, oùil conti- 
nua de s’adonner aux œuvres sociales. Il y fonda un syndicat 
agricole, et lui, un vieil universitaire, eut l’idée de créer 
une école libre à Simandres. 

Voilà l’homme que nous pleurons; voilà la haute intelli- 
gence, le grand cœur que la mort vient de nous ravir. 

Quelle fut la collaboration de M. Francisque Bouillier à 
la Revue du Lyonnais ? Cette collaboration ne se démentit 
pas un instant de 1839 à 1862. 

Voici, par ordre de date, les principales études signées de 
M. Francisque Bouillier ; 

Discours d'ouverture du cours de philosophie, 1839. 

Descartes, sa vie, son rôle philosophique et son influence 
sur les lettres, 1842. 

Du caractère religieux de la philosophie enseignée dans 
l'Université, 1843. 

Théorie de la raison impersonnelle, 1844. 

Des limites de la perfectibilité humaine, 1850. 

Influence de la philosophie cartésienne sur le xvu siècle, 
1854. 

Platon et Saint Augustin, 1855. 

De l'unité de l’âme pensante et du principe vital, 1858. 

Vieux souvenirs académiques lyonnais, 1892. 

L'abbé Rambaud et la cité des vieillards, 1895. 

Nous attendons avec impatience la notice historique que 
notre recueil va publier sur ce grand penseur, sur cet 
homme de bien, sur cet écrivain de premier ordre. 


CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 297 


J'ai dit combien le monde des lettres regretterait cet 
excellent écrivain, un autre incident vient de le mettre en 
émoi, il ne s’agit de rien moins que de reporter à 3 francs 
le prix des livres que les libraires nous offraient dernière- 
ment encore à 2 fr. 75. 

Est-ce à nous de réclamer ? Les écrivains peuvent-ils s’en 
plaindre ? Non certes ; ils sont déjà suffisamment taxés par 
MM. les éditeurs pour se réjouir de cette petite révolution 
qui ajoutera peut-être quelques centimes aux bénéfices qu’on 
daigne leur octroyer sur la vente de ces ouvrages, produits 
de leurs labeurs et sur lesquels ils trouvent à peine de quoi 
vivre. | 

Un bibliomane avait cependant tenté le mois dernier de 
faire une révolution plus radicale en librairie. Jaloux des 
lauriers de Libri — un nom prédestiné — et comptant sans 
doute trouver, lui aussi, son Eptateuque, n’avait-il pas ima- 
giné de déménager livre à livre la bibliothèque du Palais 
Saint-Pierre, que sans doute il trouvait reléguée dans un 
local indigne d'elle, pour la transporter chez les bouquinistes 
qui lui payaient ces épaves à bon prix. 

On l’a arrêté, — c’est un nommé Coronnet, dessinateur- 
mécanicien, rue de la Fromagerie, $, — le 15 septembre, 
au milieu de ce déménagement. Avis aux bibliophiles en 
quête de déménageurs. | 

Quant aux productions littéraires du mois, elles sont inté- 
.ressantes et méritent d’être signalées aux amateurs du livre. 

C'est d’abord une étude très curieuse de M. de Beaure- 


298 CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 


gard, Parthénon, Pyramides, Saint-Sépulcre, écrite par un 
historien pénétrant, un fin lettré, un catholique ému en 
face de ces grandes œuvres. 

Quel charme de parcourir, avec M. de Beauregard, ces 
terres illustres, ces villes fameuses et de revivre avec lui 
depuis les siècles des Pharaons jusqu’à l'épopée de Bona- 
parte ! 

J'ai parlé de Bonaparte ; Ÿ Amateur d’autographes vient de 
publier une lettre très curieuse de l’abbé Chardon, qui 
réunit en 1823 ses souvenirs sur Joseph .et Lucien 
Bonaparte, qui firent, avec leur aîné, leurs classes au collège 
d'Autun. Ils y arrivèrent au début de 1779. Napoléon qui 
n’avait que neuf ans et demi, ne fut que pendant trois mois 
l’élève de l'abbé Chardon, temps qui lui suffit pour 
apprendre le français de façon à converser convenablement 
dans cette langue. 

« Il avait beaucoup de dispositions, dit l'abbé Chardon, 
comprenait et apprenait facilement. Quand je lui donnais 
une leçon, il fixait sur moi ses regards avec la bouche 
béante. Cherchais-je à récapituler ce que je venais de lui 
dire, il n’écoutait plus ; lui en faisais-je des reproches, il 
me répondait d’un ton impérieux : « Monsieur, je le sais. » 
Ne reconnaît-on pas à ce trait le caractère de l'Empereur ? 

Joseph était aussi fort intelligent, mais assez paresseux. 
Bon garçon au surplus, complaisant et honnête, et capable 
de travailler pour faire plaisir à ses maîtres. « Son caractère 
était doux, prévenant, reconnaissant. Aimant ses camarades, 
protégeant ceux que l’on cherchait à contrarier, jamais je 
n'ai vu en lui de germes d’ambition ; son naturel gai, mais 
tranquille, n'annonçait aucune disposition pour le genre de 
vie auquel on l’a destiné. Et c’est ce qui me fait soupçonner 
qu'on l’a fait roi malgré lui. » 


CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 299 


Napoléon, au contraire, était sombre, pensif et impérieux. 
_ Il écoutait ses camarades d’un air flegmatique et froid. Il ne 
s’'amusait pas et se promenait seul. Il était dévoré par 
l'ambition de devenir aussi grand général que Paoli. 

Îl y aurait à signaler encore plusieurs ouvrages qui intéres- 
sent nos amis. | | 

M. Léon Galle, dans sa Causerie d’un bibliophile, nous 
annonçait, le mois dernier, l’apparition de l'excellente 
étude de M. Savoye, modeste instituteur d'Odenas, sur le 
Beaujolais préhistorique, ouvrage du plus haut intérêt et 
d'un charme captivant. Notre savant ami eût pu nous 
annoncer ayssi, qu’en attendant la publication de la splendide 
histoire du Beaujolais, que nous espérons, il allait, de 
concert avec notre éminent archiviste, M. Georges Guigue, 
nous donner l’Entrée de François Ie à Lyon en 1$15, 
volume du plus haut intérêt, avec des héliogravures mer- 
veilleuses, que les bibliophiles se disputeront, — car il 
sera rarissime, — et qui sera dans le monde du livre 
lyonnais le grand événement de l’année. 

Pendant ce temps, et comme pour calmer notre attente, 
la Société des bibliophiles lyonnais nous offre une petite 
plaquette très intéressante, très documentée, due à un de 
nos excellents écrivains, M. H. de Terrebasse, et tirée à un 
nombre excessivement restreint d'exemplaires qui ne verront 
certainement pas le soleil des vitrines : Le docteur Humbert 
Mollière, sa vie et ses œuvres. 

C’est, avec une nomenclature très précieuse et analyste 
avec soin des œuvres du savant et lettré docteur, une étude 
biographique qui captivera tous ceux qui, à Lyon, s’occu- 
pent des lettres et des arts. | 

Dirai-je, pour achever cette chronique qu’on va créer à 
Lyon une chaire de chinois ? Pourquoi pas ? Lyon est 


. 300 CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 


tout désigné pour cette création nouvelle. Il ne suffit pas 
de dire à nos jeunes élèves des Ecoles de commerce : 
« Allez à l'étranger », il faut avant tout les y préparer 
d'une manière efficace et pratique. Mais je doute que les 
cours soient suivis par des milliers d’auditeurs. 


* 
+ + 


Il me restera à signaler la réouverture traditionnelle des 
Célestins avec la nouvelle direction Tournié, le 20 septembre. 

Mais déjà, malgré une chaleur suffocante, les Célestins 
nous avaient entr'ouvert leurs portes pour nous faire assister 
aux représentations de Cyrano de Bergerac, le 4 septembre, 
avec Coquelin ainé, dans ce rôle écrasant forgé par 
Edmond Rostand. 

Nous avons pu goûter ainsi, dans toute sa beauté, le vers 
du jeune et déjà grand poète. Toute la soirée n’a été pour 
Coquelin qu’une longue ovation. 

Le 20, le Vieux Marcheur servait de première sensation- 
nelle pour la réouverture. La comédie anacréontique de 
Lavedan obtenait un succès bien mérité avec Mme Lody- 
Vizentini et M. Narball, un excellent « marcheur » à qui 
ilne manquait ni le chapeau de feutre gris, ni le monoxle, 
ni les guêtres blanches d’un « marcheur » bien connu et de 
haute allure. 

Le 23, la troupe de drame nous donnaitle Chevalier de 
Maison-Rouge, vieux mélo où se pâment les titis du 
paradis. 

Le 28, au Grand Théâtre, l’Hamlet, d'Alexandre Dumas 
et de Paul Meurice, traduction qui diffère quelque peu de la 
traduction en prose de MM. Eugène Moraud et Marcel 


CHRONIQUE DE SEPTEMBRE 301 


Schwob, où Sarah Bernhardt s’essaya récemment. Mounet- 
Sully s’y montre splendide. 

Le 30, l'excellent artiste nous donne Othello où il soulève 
dans la ‘salle des applaudissements frénétiques. 

J'arrèterais là cette chronique à bâtons rompus, si je ne 
brûlais d'envie de vous offrir ce spécimen incohérent de la 
littérature fin de siècle. Une Revue parisienne que l'affaire 
Dreyfus a enthousiasmée et que le verdict de Rennes à 
plongée dans le deuil, apprécie ainsi cette solution : 

« Sensation vive et douloureuse d’inadéquation au milieu 
ambiant, inquiétude qui précède l'établissement proche et 
violent d’un équilibre. Cet équilibre, dans quel sens va-t-il se 
produire ? Est-ce les militaires qui vont imposer à l'ambiance 
l'intégrité de leur structure mentale ? Remarquons tout de 
suite qu'en ce cas, leur victoire, pour représenter nécessai- 
rement la ruine de l’esprit d’examen sous l’action du pur 
esprit théocratique, ne pouvait revêtir qu’une seule forme, 
celle du coup de force. Or, ce n’est point dans ce sens que 
s’est produit l’équilibre, en vertu de ce principe universel 
qui veut que jamais ce ne soit l'élément interne qui force 
l’externe à s'adapter à lui. » 

Après la lecture de ce « charabia » funambulesque, nous 
n'avons plus qu’à tirer l'échelle. 


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Revue de la Presse 


Bulletin municipal officiel de la ville de Lyon. — 2,9, 
16, 23, 30 juillet ; 6, 13, 20, 27 août ; 3, 10, 17, 24 septembre 1899. — 
D. libérations des corps municipaux de la ville de Lvon pendant la période 
révolutionnaire. —- Conseil général 29 septembre ; 16, 20, 28 octobre ; 
$, 16, 18, 27 novembre ; 11, 14, 18, 23 décembre 1790. — Conseil 
municipal 1, 2, 4, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 1, 18, 19, 21, 22, 23, 25, 29, 
30 octobre ; 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 18, 19, 23, 24, 25, 26, 
29, 30 novembre ; 1, 4, 6,7, 12, 13, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 23 décem- 
bre 1790. | 


L'Express. — 1er août 1899 : Bonaparte à Montribloud. — 
3 août : Jean Sigaux, Les Derniers Jansénistes. — 7 août : Emmanuel 
Vingtrinier, Livres lvonnais; L'Erreur d'Hermane. — 16 août : Emma- 
nucl Vingtrinier, Livres lyonnais ; Clusrin d'aimer. — 28 août : 
Emmanuel Vingtrinier, La Fabrique lyonnaise. — 30 août : Franc- 
douaire, Nos archives départementales. — 8 septembre : Francdouaire, 
Duphot et l'aprade. 


Lyon Républicain (supplément littéraire) : Suite des études 
lvonnaises de M. Josse. — 3 août 1899 : Samuel Chapuzeau. — 
10 août : Marquise de Gorles. — 17 août : Legendre-Hérald. — 24 août : 
Vincent de Montpetit. — 27 août : L'ouvrier en soie (d'après le récent 
livre de M. Justin Godart). — 31 août : Françoise Pascal. — 7 septem- 
bre : Benoit du Troncy. — 10 et 17 septembre: Anciennes corporalions ; 


REVUE DE LA PRESSE 303 


serruriers. — 21 septembre : Le ginéral Sériziat. — 28 septembre : Pierre 
Adamoli. 

Dans le mème journal, 17 septembre : Philibert Audebrand, 
Mlle Raclxl, chanteuse des rues à Lyon. | 


Nouvelliste. — 7 août : Une paroisse du Lyonnais : Ecully. 


Progrès illustré. — 9 juillet 1899 : Le nouveau pont d'Ainay, 
dessins de Girrane. — 30 juillet et 13 août : Les vacances scolaires, la 
colonie de Serverin, dessins de Girrane. — 6 août : Félix Desvernay, 
La rue Vieille-Monnaie, dessins de Girrane. — 20 août : Félix 
Desvernay, La place Croix-Päquet, dessins de Girrane. — 10 septembre : 
Félix Desvernay, Le quai de la Charité, dessins de Girrane. — 17 sep- 
tembre : Au parc de la Téte-d’'Or, dessins de Girrane. — 24 septembre : 
Les grottes de la Balme, 1, dessins de Girrane. 


Salut Public. — 9 septembre : Henri Rojeas, La place des. 


Célestins. 


Revue Forézienne. — Septembre 1899 : L'œuvre de Léon 
Ducaruge, par F. de la Guëérinière ; La France nouvelle (suite), par 
Paul Gourmand ; Une officine de chirurgiens-apothicaires en Forez au 
xvan siècle (suite et fin), par Charles Guilhaume ; Études historiques sur 
le Forez ; la baronnie de Cornillon, par J. Prajoux ; Chronique littéraire, 
Chronique musicale, Chronique de la Bourse, Comptes rendus ; Carnet mon- 
dain, etc., etc. 

— Octobre 1899 : Eugène Müller, par J. Manin ; La France nouvelle 
(suite), par Paul Gourmand ; La baronnie de Cornillon (fin), par J. Pra- 
joux ; Le pessimisme de Sully-Prudbomme (fin), par Th. Morel; La 
littérature des téles couronnées, par Ch. Fuster ; Chronique musicale, 
Revue des livres, Carnet de la bourse, Carnel mondain, etc. 


Revue Dauphinoise. — Août 1899 : Hector Reynaud, Pé&e VI à 
Valence. — J. Roman, La colonne des Français à Ravenne. — Henri 
Second, A une Sœur de charité. — Maurice Champavier, Pour Part danu- 
Phinoïs, — Henri Second, Tourites d'autrefoi:, 11. — A.-G. Faure, 4 


304 REVUE DE LA PRESSE 


une Grenobloise. — Georges du Ledo, Le Génépi. — Etienne Mellier, Le 
Vercors ; les forèts de Lente et du Vercors. — Georges Mauri, Le Castel- 
bin de la Frette. — Septembre 1899 : Humbert de Terrebasse, La reine 
Catherine de Médicis et Laurent de Maugiron. — Marius Léty, Petits 
grands hommes de la Drôme : Paulin Gagne. — Henri Second, Touristes 
d'autrefois, III. — Cyprien Tardif, Hantise. — Etienne Mellier, Le 
Vercors (suite). — Bibliographie. 

La livraison d'août de notre élégante voisine contient de très curieuses 
reproductions d'anciennes gravures sur le séjour et la mort de Pie VI 
en Dauphiné. La livraison de septembre contient des fac-simile d'auto- 
graphes de Catherine de Médicis. provenant de la riche bibliothèque du 
château de Terrebasse. 


Revue du Siècle. — Juin et juillet 1899 : Claudius Barriot, 
p.intre lyonnais, par H. Petit. — Essai d’un Folk-lore lyonnais, par Aimé 
Vingtrinier. — Les émigrants de l'Ain, par J. Corcelle. — Les poètes 
étrangers, par Achille Millien. — Le mont Pila, par Gabut. — De 
l'amour considéré comme principe du monde, par Ch. Poisson. — Echos 
scandinaves, par Paul Gourmand. — À un intime, par F. Fertiault. — 
Poésies, par Emmanuel des Essarts, J. Désormaux, Gaston de la Source, 
Ch. Dornier, Alphonse Baudouin, Gilbert-Morcau. — Bibliozraphie, 
par Mme Antonia Bossu, Claudius Prost, etc. 

Planches hors texte : Portrait de M. Claudius Barriot; portrait de 
femme, par M. Claudius Barriot. 


Le Gérant : P. BERTHET. 


Lvon, Imp. Mougin-Rusand, Waltener et C'e suc", rue Stella, 3. 


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LE BIENHEUREUX 


LOUIS ALLEMAND 


© Chanoine et custode de l'Eglise, Comte de Lyon 
A bbé de Sa'nt-Pierre-la- Tour 
Chanoine ct fréceiteur ce l'Eglise de Narbonne 
Evéque de Mazuelonne 
Cardinal du titre de Sainte-Cécile, Archevèque d'Arles 


qu nom d’Allemand (Alamanus, Almannus, Ala- 
22 a été très répandu au moyen âge, soit 

dans le midi de la France, soit en Italie. Cette 
diffusion a fort gêné les généalogistes, et pour la période 
antérieure au x siècle aucun d’eux, du moins à notre 
connaissance, n’a réussi soit à différencier, soit à grouper 
en des familles particulières les divers personnages de ce 
nom. Nous nous bornerons don: à noter l’ancienreté en 
N°6 — Novenbre 19). 20 


306 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


Italie d’une famille Allemand : en avril 810, Teutcarius 
Alaman fit don au monastère de Novalèse de tous les biens 
qu'il possédait à Cuimiana (1). 

Dès le x1° siècle, on trouve des Allemand au Chapitre de 
l'Eglise de Lyon (2). Le 22 juin 1092 l’archevèque Hugues, 
confirmant à l'abbé et aux chanoines de Saint-Ruf la donation 
à eux faite de l’église de Notre-Dame de la Platière et de ses 
dépendances, est assisté du chamarier Allemand (3) (Alman- 
nus). C’est, semble-t-il, le mème personnage qui figure à l’obi- 
tuaire, sous la date du 1 $ décembre, avec le titre de prêtre (pres- 
biter). L’obituaire porte encore au 13 novembre, un Hugues 
Allemand (Alamanz), qui légua à Saint-Etienne sa maison et 
40 sols pour son anniversaire, plus une aumône de 50 sols, 
et aussi 50 sols pour l’œuvre de la grande église. Aucune 
pièce ne subsiste qui permette de dater l'existence de cet 
Allemand : toutefois le même titre de prêtre (sacerdos), qui 
lui est donné par l’obituaire, permet à la fois de le placer 
avant le xu° siècle et de le rattacher au Chapitre (4). Il 
y à lieu de signaler en effet une observation très importante 
pour l’étude de l'obituaire; c’est que, jusqu’à une date 
indécise, mais qui parait proche de la fin du xi° siècle, les 
chanoines n'étaient portés à ce nécrologe ni avec le titre 
ancien de frère de Saint-Etienne, ni avec celui de chanoine 
qui devait lui succéder, mais avec la seule indication de 
l'ordre sacré dont ils étaient revètus, prêtre, diacre ou sous- 


(1) Nicoméde Bianchi, Le Carte degli archivi Piemontesi, Torino, 1881. 

(2) Dansle pseudo-acte de fondation du Chapitre de Lyon par Char- 
lemagne figure un Simon, fils de Julian « Alamannv ». On sait que cette 
pièce n'a aucune valeur. 

(5) M. C. Guigue. Cartulaire lvonnais, Lvon 1885, tome I. 

(1) M. C. Guigue. Obituarium Lusdunensis ecclesier, Lyon, 1867. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND - 307 


diacre. Il ne semble donc pas téméraire de mettre Hugues 
Allemand au nombre des chanoines de Lyon (1). En 1286 
les frères Guillaume et Guichard Allemand firent hommage 
au Chapitre de Lyon de divers biens situés à Condrieu (2). 
En 1897, dans un différend entre les habitants de Condrieu 
et ceux de Saint-Clair au sujet d’une délimitation, un 
Allemand, obéancier de Saint-Clair, fut fait prisonnier et 
amené à Lyon. Mais après le chamarier Allemand, il faut 
laisser s'écouler deux siècles pour retrouver des Allemand 
dans le sein même du Chapitre. 

Le 7 février 1377, le prieur de la Platière, sous-exécuteur 
d’une grâce apostolique accordée à Artaud Allemand pour 
un canonicat, présente les bulles de provision et procès- 
verbal d’icelles. Pour établir sa noblesse, Artaud produit le 
même jour quatre témoins : Guigues de Suire, alias Cor- 
beillon, chevalier, Pierre de Saint-Jeure, chevalier, François 
de Gessant, damoiseau, et Artaud d’Artaud. Il ne dut pas 
néanmoins être mis en possession, puisque, le 18 février 1378, 
une déclaration semblable de provision apostolique en sa 
faveur est faite à nouveau par l’official de Lyon, exécuteur 
de la bulle (3). Les actes capitulaires ne portent aucune 
autre mention d’Artaud Allemand, ce qui permet de sup- 
poser qu'il ne fut jamais reçu. 

On ne reconnaît pas d’une façon certaine la famille 
d’Artaud ; la liste des chanoines-comtes attribuée à Barbier 
de Lescoet, qui est de beaucoup le meilleur des travaux de 


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(1) Un Allemand était prévôt de l'Eglise de Vienne en 1025. Gallia 
Christiana, tome XNT. 

(2) C. Le Laboureur. Les Maiures de P'Abbaiede l'He Barbe, Paris, 
166. 

(3) Arch. Départ. Fonds de Saint-Jean. Actes Capit., vol. 2. 


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LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 309 


ce genre, le rattache à la grande famille des Allemand du 
Dauphiné. De cette tige, une branche s'était détachée vers 
1320, avec Pierre Allemand, qui vint se mettre au service 
d’Edouard, comte de Savoie, et fut la souche des Allemand, 
seigneurs de Coisellet et d’Arbent en Bugey. C’est à cette 
branche, dont Guichenon à publié la généalogie (r), qu’ap- 
partinrent les deux frères Gallois et Louis Allemand et, 
leur neveu, Claude Allemand, tous trois chanoines de 
l'Eglise et comtes de Lypn. 

Le père de Gallois et de Louis, Jean Allemand, avait 
eu de grands rapports avec le Chapitre. Après la bataille 
de Brignais (1362), ce dernier lui conférait, avec le titre 
de courrier d’Anse, le soin de défendre les tours de cette 
ville, soit contre les pillards de la Grande Compagnie, soit 
contre les Anglais, dont des partis avaient été signalés du 
côté de Savigny : le 8 août 1864, on lui payait 80 florins 
d'or pour les frais de cette défense (2) 

Jean Allemand épousa Marie de Chatillon de Michaille, 
le 2 septembre 1374, suivant Guichenon, et en eut quatre 
fils : Pierre, qui continua la lignée, Jean, Gallois et Louis. 

Le ro décembre 1392, Gallois Allemand fit présenter au 
Chapitre, par un procureur, des bulles apostoliques, lui 
conférant le canonicat vacant en suite du décès de Regnaud 
de Thurey, doyen. Bien qu’il fût en différend sur ce cano- 
nicat avec Isembard Marcelle, il fut admis à faire sa preuve, 
et, sa preuve faite (3), reçu imméciatement. Il jouit, du 


(1) Guichenon. Histoire de Bresse et de Bugey, Lyon, 1650, 3° partie. 

(2) Arch. Départ. Fonds de Saint-Jean. Actes Capit., vol. I. 

(5) Plus tard, lorsque Louis Allemand dut faire sa preuve, il invoqua 
celle de Gallois, et eut seulement à établir qu'ils étaient frères. C’est 
donc à l'aide de la preuve de Gallois, qu'a été établi l'arbre généalogique 


310 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


reste, fort peu de temps de sa chanoinie : son décès est 
mentionné dès le 8 septembre 1395 (1). 

Louis Allemand était plus jeune que son frère Gallois. 
La version donnée par l'office de sa fête, qui le fait mourir 
à l’âge de 69 ans, nous paraît préférable à celle de la bulle 
de béatification qui lui en attribue 60 : il serait donc né 
en 1380 ou 1381. Les historiens ont tous placé son berceau 
à Arbent, en Bugey. 

La première indication qu’on retrouve de lui le montre 
déjà en rapport avec notre Église. Dans sa Vie d’Amédée le 
Pacifique, Monod remarque que sa science des choses reli- 
gieuses l'avait placé, à fort juste titre, parmi les savants Îles 
plus illustres de son époque, et, aussi, qu’en considération 
de cette grande valeur le cardinal de Saluces voulut se 
l’attacher et l'emmener avec lui à la Cour pontificale 
d'Avignon (2). On sait le grand rôle joué dans l’Eplise de 
Lyon par Amédée de Saluces, qui en fut pendant quarante 
ans archidiacre, et est compté parmi ses plus généreux bien- 
faiteurs. Sa présence à la Cour d'Avignon indique suffisaum- 
ment quil avait pris parti pour Benoit XII contre 
Boniface IX dans ce grand schisme d'Occident, à l'extinction 
duquel soit lui-même, soit L. Allemand allaient consumer 
leur vie. 

Allemand avait du reste, à la Cour pontificale, un second 
protecteur fort puissant. C'était son oncle François de 
Conzié. Après avoir occupé jusqu'en 1390 le siège 
d'Arles, où Allemand devait monter plus tard, F. de 


ci-contre : les éléments qui faisaient défaut ont été puisés dans les docu- 
ments contemporains. 

(1) Arch. Départ. Fonds de Saint-Jean. Arch. Capit. vol. 5. 

(2) Amedeus Pacificus. Paris, 1626. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 311 


Conzié était alors titulaire de Narbonne et camérier ponti- 
fical-ou camerlingue. Soit pour le seconder dans l'exercice 
de cette fonction alors fort importante, soit pour le sup- 
pléer pendant le cours des diverses légations dont il fut 
chargé dans la suite, il trouva chez Louis Allemand un 
auxiliaire précieux : 1l eut constamment recours à lui, en 
sorte que jusqu'au jour de sa mort leurs vies sont intimé- 
ment liées. On verra plus tard Allemand faire don au 
Chapitre de Lyon d’un parement d’autel sur lequel ses 
armoiries (1) seront accolées à celles de son oncle. 
Comment était établie leur parenté ? Ce point n’a jamais 
été élucidé. Guichenon, qui a publié la généalogie des trois 
familles Allemand, Conzié et Chatillon, l’a prudemment 
passé sous silence. Cette parenté semble pourtant incontes- 
table : à plusieurs reprises, les Actes Capitulaires de Lyon 
indiquent François comme oncle de Louis; lui-même, dans 
son testament du 12 décembre 1491, en l’instituant exécu- 
teur testamentaire, le nomme son neveu. Aussi P. Saxius 
n'a-t-il pas hésité à faire de la mère de Louis la sœur de 
François de Conzié (2), ce qui ne pourrait s'expliquer que 


(1) L. Allemand portait les armes des Allemand de Bugev : « de 
sable au lion grimpant d'argent couronné d’or ». Cc blason se voit 
encore à Bäle avec l'inscription suivante : 

ARMA REVERENDI PATRIS D. LVDOVICI ALAMANDI 
DIOCES. LVGDVNENSIS TITVLO S. CECILIE PRESBITERI 
CARDINALIS CONSILIT PRESIDENTIS AC S. D. N. FELICIS 
P. P. V VICE CANCELLARIL. 

Nous devons à l'extréme oblisgcance de M. H. Morin-Pons la com- 
munication de cette inscription, et aussi, de la médaille, fort rare, à 
l'effigie du cardinal d'Arles, reproduite au cours de ces notes : on 
retrouvera le blason à la partie inférieure de Favers de cette pièce. 

(2) P. Saxii. Poutificium Arelatonse. Aquis Sextiis, 1629. 


312 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


par un premier mariage avec un de Chatillon, dont elle 
aurait gardé le nom (1). La preuve de noblesse de Gallois 
et de Louis Allemand établit d'une manière indiscutable 
qu'ils étaient fils de Marie de Chatillon de Michaille. 

Ce fut vraisemblablement à l1 demande, soit de L. de 
Conzié, soit d'Amédée de Saluces, que, par bulle datée de 
Salon, diocèse d'Arles, aux ides d'octobre, dixième année 
de son pontificat (15 octobre 1403), Benoit XIIT conféra à 
L. Allemand une grâce d’expectative pour le premier 
canonicat et la première dignité vacante dans le Chapitre 
de Lyon. Cette bulle (Dignum arbitramur) était adressée 
au doyen de l’église Saint-Pierre d'Avignon, qui en ordonna 
l'exécution par procès-verbal daté, de sa maison du Doyenné 
à Avignon, le 20 novembre 1405. Présentée au Chapitre 
le 10 décembre suivant par le procureur de L. Allemand, 
Etienne Rigolet, dit Galliars, custode de Sainte-Croix, elle 
fut reçue avec révérence et tenue pour présentée (2). Le 
qualificatif d’expectative donné aux bulles de ce genre 
indique suffisamment ce qu’elles étaient : prévoyant la 
vacance d’une dignité ou d'un bénéfice, elles conféraient le 
droit de recueillir l’une ou l’autre, lorsque la vacance se 
produirait. Pour Allemand l'expectative visait à la fois un 
canonicat et une dignité. Or, la première vacance qui se 


(1) D'après Guichenon, Marie de Chatillon aurait épousé, en premières 
noces, Louis de Luvrieux. Dans la suite un Jean de Conzié, neveu de 
François, épousa une Antoinette de Chatillon, mais celle<i, arrière 
petite-cousine de Marie de Chatillon (Guichenon). Le comte de Foras 
a nommé la seconde femme de Jean Allemand, Marguerite de Conzié, 
dans là généalogie de la maison de Conzié, et Marie de Chatillon, dans 
la généalogie de la maison de Chatillon. Jean Allemand aurait-il été 
mari trois fois ? 

(2) Arch. Départ. Fonds de St-Jean. Actes. Capit., vol. 7. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 313 


produisit au Chapitre de Lyon après l’insinuation de la 
bulle se trouva porter en même temps sur les deux. 

Le 26 juillet 1406, à l'heure des vèpres, mourait Estorgc 
Verd, custode : on l’enterrait, le lendemain, à l'heure de l1 
erand'messe, dans le tombeau de Philippe de Talaru. Le 
surlendemain 20, Etienne Rigolet acceptait au nom de 
L. Allemand le canonicat vacant et la dignité de custode; 
il demandait à être mis en possession. Les seigneurs capitu- 
lants lui firent réponse qu'ils étaient prèts à obéir au 
mandat apostolique, mais que, suivant l’usage de l'Eglise, 
L. Allemand devait, avant d’ètre admis, établir son origine 
et sa noblesse et remplir les autres formalités accoutumées : 
malgré l’opposition du procureur d’Adhémar de Roussillon 
de Velchia, qui prétendait au même canonicat, ils lui 
assignèrent pour faire sa preuve le samedi suivant, 31 juillet. 
Au jour fixé, le procureur se présenta et, pour témoigner 
de la noblesse de Louis Allemand, invoqua la preuve faite 
précédemment par feu son frère Gallois. Pour attester qu'ils 
étaient bien frères, et tous deux fils de Jean Allemand, 
chevalier, et de Marie de Chatillon, il produisit en outre 
cinq témoins : ce fait, fort rare, est à noter, qu'aucun de 
ces témoins n'appartenait à la noblesse : c'étaient Pierre du 
Pré, citoyen de Lyon, Jean Molliard, diacre attaché à 
Péglise Saint-Paul, Pierre de Condes, notaire, Humbert 
Merlet, sergent royal, et Pierre Vanier, bannier. Après 
serment, les témoins affirmèrent que Gallois et Louis 
étaient bien frères, fils tous deux de Jean Allemand et de 
Marie de Chatillon qu'ils avaient vus et connus et dont la 
noblesse était notoire. La preuve ainsi faite est décluée 
suffisante; puis, sur une nouvelle production des bulles et 
procès-verbaux d’exécution par le doyen de Saint-Pierre 
d'Avignon, d'acceptation par Louis Allemand et de provi- 


314 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


sion par le chantre de Saint-Paul, sous-exécuteur de la 
bulle, Louis Allemand, en la personne de son procureur, 
est reçu comme chanoine et frère, sous réserve des droits 
et statuts de l’Église : on lui assigne une stalle à gauche du 
chœur et une place dans la salle capitulaire. A. de Talaru, 
chantre de Lyon, et aussi sous-exécuteur de la grâce apos- 
tolique, le met ensuite en possession à la fois du canonicat 
et de la custoderie. Enfin Rigolet prète serment, et se 
fait délivrer acte du tout : cet acte est dressé en présence de 
de M: Antoine Mathieu, M° Ponin Triennat, Guillaume 
Tacon, Antoine de Suran, Humbert Aquiton, bâtonnier, 
et autres. Le procureur promet de payer la chappe 
due par chaque chanoine au moment de sa réception, et 
oblige tous ses biens pour la garantie de ce paiement ; en 
outre, à la requête du procureur du chapitre, il donne 
comme caution Pierre du Pré et Picrre de Condes. 

Six mois plus tard, le 20 décembre 1406, Allemand 
venait au chapitre et on procédait à sa réception person- 
nelle à la fois au titre de chanoine et à celui de custode. A 
nouveau, on lui assignait une stalle au chœur et une place 
au chapitre et, sur l’ordre des seigneurs capitulants, le 
maître du chœur l’y installait. À son tour, il prètait le 
serment accoutumé en présence d’Etienne Bolliat, procureur 
du roi à Lyon. 

A la date fixée par les statuts, la veille de Noël, il 
commençait sa première résidence, mais, le 30, intervenait 
en sa faveur une décision exceptionnelle. Il était non seule- 
ment dispensé de continuer sa première résidence, en 
faveur de ses études, ce qui était l'usage ordinaire pour les 
jeunes chanoines, mais sa résidence était, dès ce jour, tenue 
pour complète. On le dispensait, en outre, quoique custode, 
de se faire promouvoir à la prètrise. Ces faveurs lui étaient 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 315 


accordées en considération de son oncle le camerlingue, et 
aussi, des services qu’il pouvait rendre dans le différend 
alors existant entre le Chapitre de Lyon et celui de Saint- 
Nizier. Allemand ne profita pas immédiatement de cette 
dispense ; il séjourna à Lyon plusieurs jours encore, assis- 
tant soit aux offices soit aux assemblées capitulaires. Il est 
présent à celles des 14, 15, 18 et 19 janvier 1407. Il quitta 
Lyon le lendemain de cette dernière, 20 janvier; il avait 
pris soin, avant son départ, de constituer Etienne Rigolet 
son procureur pour la gestion de ses revenus et la collation 
des bénéfices lui appartenant soit comme chanoine, soit 
comme custode. 

C’est précisément à l’occasion de la collation d’une charge 
qu’on le voit réapparaître le 22 octobre de la même année, 
Il prend part en personne à une discussion avec Jean Bicieu, 
sacristain de Saint-Etienne, sur la nomination du matricu- 
laire de cette église. Pour établir les droits de chacun, on 
en appelle au témoignage de Ginot, ancien matriculaire, 
mais ce témoignage est peu concluant. Ginot déclare qu'il 
avait été mis en possession de sa fonction à la fois par le 
feu custode Estorge Verd et par Jean Bicieu (1). Aussi le 


(1) Ginot indique, en mème temps, que son prédécesseur lui avait 
livré pour le service de Saint-Etienne un calice, deux burettes, un en- 
censoir et divers autres objets destinés au culte, mais pas de plateau. 
Cette déclaration était amenée par un vol commis à Saint-Etienne, le 
1e" mars 1407 : on avait dérobé dans une armoire un calice, deux 
burettes, un encensoir et deux plateaux d'argent, et comme ces objets 
avaient été prètés par le Chapitre au sacristain de Saint-Etienne, on 
retenait sa responsabilité. Heureusement les voleurs furent arrêtés dix- 
sept mois après, à Angers. Le $ août 1408, à l'annonce de leur incar- 
cération, le Chapitre délégua les frères Nicolas et Amon de Montjeu, 
étudiants à Angers, pour recevoir l'orfévrerie lui appartenant, dont, 
semble-t-il, les malfaiteurs ne s'étaient pas encore défaits. 


316 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


custode consent-il à ce que Bicieu nomime un matriculaire 
qui fasse le service à Saint-Etienne jusqu'au jour où il 
viendra résider à Lyon. Il ne prévoyait pas, du reste, que 
ce jour dût être très prochain, puisque, au même chapitre, 
il se fait accorder licence de résider à Avignon une année 
entière, pendant laquelle il percevra ses revenus au titre 
d'étudiant. Enfin, on lui accorde un délai jusqu’à la 
Noël 1408 pour le paiement de sa chappe. 

Allemand revint à Lyon en septembre 1408. Présent au 
chapitre du 11, il y fit ratifier deux abergements de prés et 
terres, situés à Saint-Etienne-sous-Reyssouse et dépendants 
de la custoderie. Il assiste encore aux chapitres des 17 sep- 
tembre, 12 et 25 octobre. Au dernier, il expose que, par suite 
du petit nombre de calices, des fautes se commettent dans 
l'exercice du service divin à Saint-Etienne, particulièrement 
dans la célébration des messes, et demande en conséquence 
qu'il y soit pourvu. On lui accorde pour le paiement de sa 
chappe un nouveau délai jusqu’à Pâques suivant. Enfin, 
le même jour, sur la demande du camerlingue François 
de Conzié,on lui perinet de se rendre auprès de ce dernier. 
Semblable autorisation est donnée au sacristain Henry de 
Saconay, lui aussi neveu du camerlingue (1). Les deux 
jeunes chanoines partirent aussitôt; l’absence du custode 
devait se prolonger quatre ans. 

Du reste, cette période ne devait pas être inactive pour 
lui. I allait préluder à ce grand rôle de docteur et de paci- 
ficateur si difficile au milieu des multiples difficultés soule- 
vées par le schisme d'Occident. 

I suivit Francois de Conzié à Pise ; il y était avec lui, le 

(1) La mère d'Henri de Saconav était Philiberte de Conzié, sœur du 


camerlingue. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 317 


2$ mars 1409, à l'ouverture du premier concile qui devait 
. travailler à l'extinction du schisme. Son rôle y fut sans 
doute modeste ; du moins aucun decument ne subsiste qui 
permette de le retracer. Toutefois sa présence ne peut-elle 
être mise en doute, lui-même l'ayant plus tard indiquée 
dans un de ses discours au concile de Bâle rapporté par 
Æneas Silvius (1). Du concile même nous noterons seule- 
ment la grande part qu’y prit l'Eglise de Lyon. À côté de 
L. Allemand, à côté du cardinal Nicolas de Brancas, qui pen- 
dant dixans avait fait partie du Chapitre, à côté du cardinal 
Pierre Girard, qui sans être chanoine, était resté de longues 
années attaché à la Primatiale, on y voyait larchevèque 
Philippe de Thurey, l’archidiacre Amédée de Saluces et un 
autre chanoine, le cardinal Pierre de Thurey. Ce fut ce der- 
nier qui ouvrit le concile, en célébrant pontificalement la 
messe à la cathédrale. Le 15 juin, à l’ouverture de la session 
où le nouveau pape devait être élu, la messe du Saint- 
Esprit fut dite par l’archevèque P. de Thurey; enfin, après 
l’élection d'Alexandre V, ce fut le cardinal de Saluces, qui, 
le 7 juillet, procéda au couronnement du nouveau pape. 
En son absence, L. Allemand avait confié à un procureur, 
Jean de Tymorenc le soin de veiller à l'exercice du service 
divin dans l’église Saint-Etienne. Sans doute celui-ci apporte 
quelque négligence dans l’accomplissement de sa mission ; 
le 26 juin r410, le Chapitre le fit appeler, lui adressa de 
sévères remontrances sur les nombreuses fautes commises à 
Saint-Etienne, tant aux messes qu'aux heures de nuit, en 
suite de l’absence des desservants, et lui enjoignit, sous 
peine des statuts, d'assurer un service régulier. Tymorenc 


—————— A né ce 


(1) ÆEncas Silvius. Fa ciculus rerum expetondarunr Ge fusiorerum, nt 


guo prinnm continetur conciliun Baïiliense. Colonix, 1535. 


318 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


s'engagea par serment à faire de son mieux et à remplacer 
les serviteurs manquants. Le Chapitre dut être satisfait de 
sa réponse, puisque le même jour, il lui permettait de 
porter l’habit de l'Eglise, après toutefois que le précenteur 
se serait assuré qu'il était né de légitime mariage, qu'il 
n'était pas marié et « non fuit de religione » : un siècle 
avant Luther, cette expression doit sans doute se com- 
prendre qu'il n'est pas entré en religion (1). 

La même année, 1410, Jean de Pymorenc, au nom de 
L. Allemand, accense et amodie à Guillaume Thomas, curé 
de Saint-Etienne-sous-Reyssouzc les dixmes et servis que le 
custode possède dans ladite paroisse : l’accensement est fait 
pour trois ans, à raison de 30 florins d’or par an, payables 
20 forins à la Saint-André apôtre, et 10 florins à la Saint- 
Hilaire (2). | 

Le canonicat vacant en suite du décès du cardinal Pierre 
de Thurey fut conféré, en 14r1,par le Saint-Siège à un 
neveu du custode, Claude Allemand, fils de son frère Pierre 
et de Jeanne de Grandval. Les bulles apostoliques de pro- 
visions furent présentées au Chapitre le 19 mai 14rr,et les 
produits témoins pour la preuve de noblesse examinés le 28 
du même mois. Mais la preuve fut déclarée insuffisante pour 
le côté maternel; elle fut reprise le 24, 26 mars et 12 avril 
de l’année suivante, et semble avoir été pour L. Allemand 
l'occasion de revenir à Lyon. Présent le 3 avril 1412, qui 
est le jour de Pâques, il assiste le 12, à la réception de son 
neveu et s'oblige en mème temps que son frère Pierre, le 
père du nouveau chanoine, pour le paiement de la chappe 
de ce dernier. 


(1) Arch. Départ. Fonds de St-Jean. Actes Capit. vol. 8 
(2) Arch. Départ. Fonds. de St-Jean. Armoire Daniel, vol. 39, no t. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 319 


Les précautions qu'il prend dans le même chapitre ne 
sont-elles pas un indice qu’il compte faire ensuite une lon- 
gue absence ? Pour son propre compte, il remet à l’œuvre 
de l’église une belle chappe blanche : celle-ci est déposée 
au trésor, et on lui accorde l'autorisation de s’en servir 
lorsqu'il officiera (1). Sur ces entrefaites, et peut-être faut- 
il voir dans cette démarche une marque de l'estime dans 
laquelle le custode était tenu, l’archevèque, Philippe de 
Thurey, entre au Chapitre, et c'est en sa présence qu'à 
l’exemple des autres chanoines L. Allemand fonde une 
livraison de pain et de vin chaque année, le jour de la fête 
de saint Jean devant la Porte-Latine. Pour le service de cette 
livraison, il s’oblige de tous ses biens. Au nom de son 
neveu il fonde ensuite une livraison qu'il fixe au jour de 
Pentecôte : c’est Jean de Pymorenc, qui, en qualité de pro- 
cureur de Claude, s'oblige pour le paiement de celle-ci. 

L. Allemand assiste encore à l'assemblée capitulaire du 
16 avril, puis il disparait. On ne le retrouvera au chapitre 
que 22 ans plus tard, lorsque, pourvu pour la seconde fois 
d’un canonicat, il viendra en prendre possession. 


(1) L'inventaire dressé en 1418, au moment où, en suite du décès 
de Jean de Fontana, alias de Genas, le trésor était remis à Jean Fusilis, 
chanoine de Saint-Just, qui lui succédait dans la charge de trésorier, 
fournit sur la chappe donnée par L. Allemand quelques indications. 
C'est, v est-il dit, une belle chappe de petit or, avec son orfroi, sur 
laquelle sont brodtes lAnnonciation de la Vierge Marie et les armes 
dudit custode et celles du camerlingue. (Act. Capit. vol. 10). 

Elle dut servir assez fréquemment, puisque le 20 juillet 1421 on donne 
ordre à Jean Fusilis, trésorier, de paver, sur le fonds du trésor, à Michel 
de Ges, brodeur de l'église, 4 escus d'or pour réparation et fourrure de 
Ja chappe donnée par l'évêque de Maguelonne, autrefois custode. 


320 LE DIEXHEURECX LOUIS ALLEMAND 


Le service de Saint-Etienne devait nécessairement souf- 
frir de l’absence du custode qui en avait teute la charge. 
Le mardi 15 janvier 1415, les chanoines faisaient compi- 
raitre devant eux Jean Bicieu, sacristain de cette église, et 
s’enquéraient du nombre des prètres et clercs qui la desser- 
vaient. Ce nombre était alors de dix : Jean Corbelle, 
P. Gratct, Etienne Besson, prêtres qui siégeaient à droite 
du chœur, Vincent d’Oncieux, P. Le Blanc, prêtres siégeant 
à gauche, et avec eux cinq clercs. Le custode étant tenu 
d’entretenir douze desservants, et ce nombre n'étant pas 
complet, on assignait Bicieu ct les procureurs du custode 
&u vendredi suivant pour y pourvoir. Au jour dit, et sur 
sa demande, on accordait à Bicieu un nouveau délai de 
huit jours, passé lequel le Chapitre statuerait. Sans doute, 
Picicu se conferma à cette ordonnance, puisqu’au chapitre 
de la Toussaint on trouve parmi les serviteurs du custode 
deux noms nouveaux : Léonard Fabri, prêtre, et Caneyron, 
diacre (Tr). 

Le concile de Constance s'était ouvertle 3 novembre 1414: 
Allemand s’y trouva-t-il dès ce jour ? Le 25 février 1415, 
le Chapitre de Lyon y députait pour le représenter Amédée 
de Talaru, doven, Henri de Saconay, sacristain, et L. Alle- 
mand, custode; il leur donnait en mème temps pouvoir, 
pour subvenir à leurs dépenses, d'emprunter et de recevoir 
en son nom l'argent nécessaire. Dans son discours de Bäle 
déjà cité à propos de sa présence au concile de Pise, Alle- 
mand indiquait plus tard qu’il avait assisté à celui de Cons- 
tance : mais, dans lun comme dans l’autre, son rôle est 
resté ignoré. On sait au contraire la grande part que prit 


Se ———— ee ee ee —_—_—û—— ee 
. 


(1) Arch. Départ., fonds de Saint-Jean. Act. Capit., vol. 9-10. 


LE BIEXHEUREUX ELQUIS ALLEMAND 321 


à l'assemblée de Constance l’archidiacre de Lyon, cardinal 
Amédée de Saluces : le moment venu de procéder à l’élec- 
tion d’un nouveau pape, douze voix se réunirent sur son 
nom. 

Le concile siégeait depuis un an, lorsque l'archevêque de 
Lyon, Philippe de Thurey mourut dans sa ville archiépis- 
copale, le 28 novembre 1415 « à la première heure de la 
nuit», Le lendemain, le Chapitre ordonnait de citer immié- 
diaitement les chanoines pour procéder à l'élection de son 
successeur. Le secrétaire, à qui en incombait le soin, rendant 
compte de sa mission, indiqua que, le custode Ctant absent, 
il avait remis la citation à son procureur Jean, qui adminis- 
trait sa maison « qui regit hospicium et familiam ipsius ». 
Le mème jour, 29 novembre 1415, le doyen Amédée de 
Talaru était élu archevèque ; mais il siégeait précisément à 
Constance ; il y demeura jusqu’au 13 janvier 1417, où il 
revint à Lyon, et ce fut seulement le 29 de ce même 
mois qu'on procéda à l'élection d’un nouveau doven. Le 
bâtonnier, qui, sur les ordres du Chapitre, avait dû assigner 
les chanoines pour cette nomination rapporta « s'être trans- 
porté au domicile de vénérable seigneur monsieur L. Alle- 
mand, custode, et v'avoir trouvé Jean de Prose, son procu- 
reur, à qui il avait remis la citation ». Le doyenné fut 
donné à Geoffroy de Montchenu. 

Quoique n'avant pris part ni à l’une, ni à l’autre de ces 
hominations, Allemand en fut fort heureux. Un mois après 
cette dernière, le 18 février 1417, son frère, Picrre Allemand, 
chevalier, se présentait au Chapitre et remettait aux set- 
gneurs capitulants une missive à eux adressée par le custode : 
celui-ci y faisait connaitre les actions de grâce qu'il avait 
rendues au Très-Haut pour l'élection d'A. de Talaru à larche- 
vèché, et celle de G. de Montchenu au dovenneé. Pierre 

N°56 — Novembre 18)). 21 


322 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


Allemand offrait en même temps à l'Eglise, au nom de son 
frère, pour le service du grand autel, un beau parement en 
velours noir, de la largeur et hauteur du dit autel, semé 
de perles vertes et rouges et brodé tout autour de soie verte, 
avec à droite les armes du custode et à gauche celles du 
camcerlingue, François de Conzié, son oncle (1). 

Les chanoines remercièrent le custode de son don géné- 
reux, et, après en avoir donné décharge à P. Allemand, le 
firent déposer au trésor. On le retrouve dans l'inventaire 
de 1418, déjà cité. 

Le même jour les seigneurs capitulants décidèrent de 
demander aux Pères du concile de Constance confirmation 
de l'élection du nouveau doven; quoique Pindication n'en 
subsiste pas, ce soin fut vraisemblablement confié à L. Alle- 
mand,. 

À cette époque on le trouve abbé séculier de Sant- 
Picrre-la- Tour, aux diocèse et ville du Puy-en-Velay. Le 
1e mars 1417, Pierre de Crote, chanoine de l'église cathé- 
drale de Sainte-Marie, vicaire de vénérable et très circonspect 
sciuncur Louis Allemand, abbé séculier de Saint-Pierre-la- 
Tour, confère à Pierre Juvenis, prêtre, la vicairie des Saints 
Cyr et Julie, dans l'église de Saint-Pierre-la-Tour, et lui 
donne l'autorisation de porter un surplis dans cette église. 
La Gallia, qui fournit cette indication dans sa série des abbcs 
de Saint-Pierre, ÿ donne à L. Allemand le trentième rang, 
entre Jean de Verbois et Jean Massé (2). 

Malgré nos recherches dans les archives religieuses, 
d'ailleurs assez pauvres, du département de la Haute-Loire, 
nous n'avons pu trouver aucune autre trace de son passage 


En  ene eenee te ee me ee 


(rt) Les Conzié portaient d'azur au chef d'or à un lion naissant de gueules. 
(2) Gallia Christiania, t. 1, Ecclesia Aniciensis. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 323 


au Chapitre du Puy. L'abbé de Saint-Pierre était en eflet 
un des dignitaires de ce Chapitre : il y occupait la huitième 
place, entre l'abbé de la Chaise-Dieu et celui de Saint-Vosy. 
Chef de Saint-Pierre-la- Tour, il avait à sa nomination tous 
les prêtres chargés de desservir cette collégiale. Lui-même 
était choisi par l’évèque. Or Elie de l'Estrange, qui occupait 
depuis 1397 (1) le siège épiscopal du Velay, assista précisé- 
ment au concile de Constance. Est-ce là que la science 
déjà renommée de L. Allemand le lui désigna pour la 
dignité d’abbé de Saint-Pierre ? Cette hypothèse serait ten- 
tante, mais il y a lieu de noter que, dès 1410, Amédée de 
Saluces, archidiacre de Lyon, dont nous avons signalé les 
liens avec L. Allemand, était doven du Puy (2). Antérieu- 
rement encore, un Allemand avait appartenu à l'Église du 
Puy : par son testament du 17 novembre 1404, noble Jean 


Allemand, clerc de l'Eglise du Puy, légua au Chapitre de 
ladite Eglise, pour son anniversaire, le produit de la vente 
d’une maison qu'il possédait rue de la Séauve (3). Ce Jean 
Allemand ne serait-il pas le second des frères du custode 
de Lyon ? 


(1) On date généralement la nomination d'Elie de l'Estrange de 1399, 
mais on trouve aux Archives départementales de la Haute-Loire, fonds 
de l'évêché, une procuration donnée par lui en 1397 pour l'administration 
de son diocèse. 

(2) L'Église du Puv avait du reste des rapports fréquents avec celle 
de Lvon. Guillaume de Chalancon, qui succéda en 1418 à Elie de 
l'Estrange, fut sacré en 1419 par l’archevèque Amédée de Talaru. Cette 
mème année, 1419, Amédée de Saluces, étant décédé, eut pour succes- 
seur au dovenné du Puy son neveu, Georges de Saluces, qui devenait 
cinq ans après chanoine de Lvon. Plus tard Guillaume d’Estouteville fut 
archidiacre de Lyon et doven du Puv. 

(3) Archives départementales de la Haute-Loire, fonds du chapitre 
de la cathédrale. 


324 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


Est ce en suite d’une mauvaise traduction de Saint-Pierre- 
la- Tour, « S'-Petrus de Turre », ou d’une fausse attribution, 
qu’on à fait de L. Allemand un abbé régulier de Tournus ? 
Cette erreur a été réfutée par Chiflet (1) de telle sorte 
qu’elle ne semblait pas pouvoir être reproduite ; elle l’a été 
cependant, même de nos jours, et il ÿ a lieu de la signaler. 
L'abbaye de Tournus avait à sa tête, pendant la période où 
on y à placé Louis Allemand, l'abbé Louis de la Palud. 

L'usage des concessions apostoliques nommées expec- 
tatives s’étendait alors non seulement aux canonicats, 
mais à tous les bénéfices ecclésiastiques. Aussi voit-on, le 
4 avril 1418, le Chapitre de Lyon confier au custode et au 
chanoine G. de Roussillon le soin d'intervenir auprès du 
pape Martin V, et de demander que des expectatives soient 
accordées aux serviteurs de l'Eglise. L. Allemand était donc 
encore à Constance. Le 2 juin, la nouvelle de sa nomination 
à l’évêché de Maguelonne parvenait à Lyon, et, suivant 
Pusage, on ordonnait sur-le-champ la division de sa terre, 
c'est-à-dire de sa part dans les revenus de l'Eglise. Cette 
division eut livu le 28 du même mois (2), elle établit que 
son revenu était de 52 livres, 7 sols, 10 deniers, se répar- 
tissant entre les obédiences suivantes : 


à Saint-Germain.............. 38 sols 

dansle grand nombre de Couzon.  $9 sols 6 deniers. 
d ÉCUVs + a 14 sols 7 deniers. 
à Saint-Genis-Laval........... 6 livres 
LOUE POV Suns ehartenu 4 livres 


(1) Pierre-François Chithet. Histoire de l'abbaye royale el de la ville dé 


Torrnus, Dijon, 1664. 
(2) Arch. départ. fonds de Saint-Jean. Agar, vol. 52. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 325 


A 'CINOTS 2: Linie neue s8 sols 

A SOTDIÉTES.. Herr ntin 100 sols 

à Villemontais............... 60 sols 

à Saint-Jean de Thurigneux.... 37 sols 2 deniers. 
à Frans et Chaleins... ....... 40 sols 

a Miserere 100 sols 

à Archieu..... A € 39 sols 7 deniers. 
L'AIR aubaines nan 75 sols 6 deniers. 
à Gourgois.................. 2 sols 

à Boulignieux ............... s9 sols 8 deniers. 
à Parcieu......... eue 2e 63 sols 10 deniers. 


Comme :l en avait été pour lui-même, le Chapitre de 
Lyon ne disposa ni du canonicat, ni de la dignité de Louis 
Allemand : le Souverain Pontife les conféra à Jean de Grolée, 
qui fit présenter ses bulles de provision le 2 novembre 1418. 
Jean de Grolée ne crut-il pas entrer au Chapitre sans faire 
sa preuve de noblesse ? C’était une prétention inouïe. Pen- 
dant 7 ans il eut vainement recours à tous les expédients; 
il dut, pour être reçu au bout de ce temps, obéir à cette loi 


inviolable. 
J. BEyssac. 


(A suivre). 


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DE L'INFLUENCE 


L'ÉTUDE DE L'ARCHÉOLOGIE 


au point de vue de l'Architecture 


suit: (1) 


CONCOURS POUR LE PRIX BORDIN 
De l'Institut (1899) 


VI 


MINSI nous pouvons constater que bien que 


À l'archéologie soit ancienne comme science spé- 
AN culative, ce n'est bien que de nos jours que, 
cessant d’être seulement un objet d'érudition scientifique 
et de recherches intéressantes pour les époques passées, 
elle est devenue une science pratique, en faisant revivre 


(1) Voir la Retue du Lyonnais d'octobre 1899. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 327 


ou tentant de faire revivre, non plus idéalement mais 
matériellement les architectures antérieures. 

Et ce mouvement commencé vers 1830, presque exclu- 
sivement en faveur du Moven Age, s’est ensuite plus hbcra- 
lement étendu aux diverses phases de la Renaissance, pro- 
longées jusqu'aux époques de Louis KIT, Louis XIV, 
Louis XV et mème Louis XVT dans une sorte d'éclectisme 
artistique. 

Au moment où nous sommes arrivés aux dernières 
années du dix-neuvième siècle, les architectes-archéologues 
ne sont plus renferimés dans le culte exclusif du gothique. 
La période batailleuse est finie; le cadre s'est sensiblement 
agrandi et en devenant moins exclusif, on cherche maintenant 
moins des modèles à copier que des inspirations fécondes. 

L’archéologie devient alors un auxiliaire non seulement 
attachant, mais surtout utile pour l'architecture. Elle n’est 
plus abandonnée à là peu près, ou à l'inexpérience des 
amateurs. 

Et ne se limitant plus à une école spéciale, ce qui lui 
donnait une apparence de coterie et constituait un obstacle 
au progrès, elle prend une ampleur, en même temps qu’une 
précision qui lui faisaient défaut dans le début et est en 
harmonie avec la tendance très caractérisée de notre époque 
vers les études critiques et historiques. L'esprit critique 
portänt à s'affranchir de systèmes absolus ; l'esprit histo- 
rique devenant l'art de restaurer les monuments en s’iden- 
tifant avec leurs siècles (Vitet, 1830). 

Comment l'architecte pourrait-il se désintéresser d’une 
science qui fait revivre à ses veux l'art de Ja civilisation 
d'époques antérieures et lui fait goûter le charme et même 
quelquefois jusqu'aux singularités des œuvres de nos 
ancêtres ? 


328 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


N'est-il pas, d’ailleurs, déjà encouragé et initié à ces 
recherches par les travaux imposés aux pensionnaires de 
l'Académie de France à Rome qui n’ont pas seulement 
pour résultat de reproduire tels monuments comme le 
mausolée d’Adrien, le panthéon d’Agrippa, le théâtre de 
Pompéi, ou la villa Tiburtine pour la centième fois, mais 
d'en accompagner les relevés et les dessins de restauration 
de mémoires développés sur leur origine, leurs transformi- 
tions, leurs rôles dans la société dont ils restent les témoi- 
unages précieux. 

C’est là le côté utile, intéressant et profitable de ces études 
de nos lauréats de l'architecture ; et c'est bien déjà l'appli- 
cation de l'archéologie au point de vue théorique et artis- 
tique, ces travaux n'étant point suivis d'exécution cet laissant 
les monuments comme sujets d’études absolument authen- 
tiques. 

Cela peut conduire naturellement à poser cette question : 
si l'étude de l’archéologie devrait précéder l'étude de 
l'architecture, ou si l'étude de l'architecture doit précéder 
celle de l’archéologie ? 

Pas de doute sur la réponse à faire. C’est l'étude de 
l'architecture qui doit précéder et dominer avec ses connais- 
sances générales, son indépendance d'école et ses applica- 
tions variées à tous les besoins. 

L'archéologie vient après comme complément, comme 
étude particulière et spéciale. 

Sans quoi le jeune architecte risquerait de se cantonner, 
malgré lui, dans une voie toute spéciale, pleine d’intérèt 
sans doute, mais qui en l'enfermant dans un cadre trop 
restreint ct en réduisant son rôle et sa mission, l’exposerait, 
dans la pratique, à des contresens choquants. 

M. Muntz à dit justement : 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 329 


« L'archéologie est une science insinuante, source puis- 
« sante d'éducation, mais il faut, pour en profiter, être 
« débarrassé des hésitations primitives. » 

On peut dire que cette connaissance de larchéologie est 
nécessaire à l'architecte comme celle du latin et du grec 
pour l'historien, afin de pouvoir remonter aux sources sans 
risquer les erreurs des traductions. 

C'est surtout, en définitive, une science de comparaison. 


VII 


Il ressort de ces réflexions que l'archéologie, en tant que 
s'appliquant à relier la chaine des traditions, au point de 
vue de l’histoire et en vuc de la conservation des édifices 
anciens, est incontestablement une chose très heureuse et 
qui doit rendre de signalés services, mais que là doit 
s'arrêter sa mission. 

Donner à l'archéologie une importance plus grande, en 
fire un art tout spécial qui prenne parfois le pas sur Parchi- . 
tecture proprement dite, c’est tomber dans l'excès et faire 
fausse route. | 

L'architecture a une mission plus grande à remplir. 
Elle ne cherche pas seulement ses inspirations dans les 
temps passés ; elle s'occupe surtout des temps présents et 
prépare même les voies de l'avenir. 

Et pourquoi retournerions-nous ainsi en arrière ? Pour- 
quoi une telle rétrogradation jusque-là inouïe ? Où serait 
donc le progrès ? Car, enfin la civilisation ne peut marcher 
sans lui, si nous nous donnons pour tâche de reproduire 
détail pour détail, moulure pour moulure, telle ou telle 
phase antérieure de l'architecture. 


330 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


Nous ne croyons pas nous contredire en admirant Île 
style ogival, aussi bien que celui de la Renaissance, tous 
deux faisant partie de notre riche patrimoine architectural, 
et en détournant cependant de l'idée, dans notre civilisation 
actuelle, d’une reproduction fidèle de ces stvles, sauf dans 
les cas de restauration dont nous avons parlé. 

Aucun style n’a été révélé ou créé tout d’une pièce. D'un 
siècle à lautre, d'un demi-siècle à l’autre, ils se sont 
modifiés avec leur temps et ces modifications sont si 
notables que des noms distincts sont devenus nécessaires 
pour les désigner. 

Ainsi pour l'époque ogivale on a inventé les appellations 
conventionnelles de primaire, secondaire, tertiaire, ou 
encore de lancéolé, flamboyant, etc.; et pour l’époque de Ja 
Renaissance, employé les désignations plus simples de 
style de Henri Il, François I‘, Henri IV, etc. 

Et nous n’aurions, nous, que le choix de l’une de ces 
époques, sans y rien ajouter, et sans en rien retrancher, 
quelque contresens qui doive en résulter ! 

Ne serait-ce pas précisément méconnaitre le principe 
rationnel de l'architecture que l’on prétendait ressusciter que 
de la copier à trois cents, quatre cents et même six cents 
ans d'intervalle! 

C'était [à précisément le danger que lon pouvait 
appréhender d’une prépondérance excessive de l’archéologie 
se faisant indépendante et quelquefois rivale de l'architecture. 

Ne faisons pas de l’enthousiisme de convention ct 
sachons nous attacher plus au principe qu'à la forme, 
puisque, aussi bien, cette dernière ne doit être que la con- 
séquence du premier. 

M. Rover Marx disait justement, en 1891 : 

« Si le stvle est l'expression parlante des civilisations, 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 331 


« toute résurrection du passé équivaut à un anachronisme. » 
Pas plus que l’histoire, l’art ne se recommence. 


VII 


Cette question de tendance à préoccupé vivement les 
esprits. 

A la fin de l’année 1895, le journal L’Architecture à eu 
l’idée de provoquer auprès des hommes de lettres et des 
artistes en renom une enquête sur la question : 

« Comment voudriez-vous une architecture nouvelle ? » 

Il semble bien que presque tous ont été assez d’accord 
sur ce que l'architecture devrait être bien de notre époque. 

Mais dans leur soif hâtive de nouveauté, ils oublient trop 
qu'on ne crée pas tout d’un coup (uihil per saltum) et 
qu'on n’a pas d'exemple d’une éclosion spontanée en archi- 
tecture; qu'il ne faut pas que l'innovation, l'originalité 
soient confondues avec l'étrangeté, et que, souvent, le 
meilleur moyen d’être original est de ne pas y penser. 
L'originalité ne consiste pas à n'être influencé par rien; on 
l’est toujours par quelque chose. 

Et puis, singulière et frappante contradiction, ils oublient 
aussi que leur admiration souvent trop exclusive pour tel 
ou tel style antérieur vient précisément arrèter cet élan, et 
que le client, avec ses préférences et parfois ses exigences, 
peut devenir complice des fautes reprochées à l'architecte, 
en lui demandant et en lui imposant le choix d’un style 
déterminé et quelquefois d’un.modéle à copier. 

M. Alphonse Daudet, lui-même, dans la petite enquête 
que nous venons de rappeler sur le vœu pour une archi- 


332 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


tecture nouvelle, n'a-t-il pas répondu : « quelques repré- 
sentations des vieux modèles ». 

Sans doute, cela ne manquerait pas d’intérèt, intérèt 
rétrospectif. Mais c’est un vœu bien vague. 

Est-il bien certain que notre spirituel littérateur n'aurait 
rien à regretter dans un de ces vieux logis de Rouen ou 
d'Orléans, à la physionomie extérieure si pittoresque; qu’il 
ne constaterait pas bien des lacunes dans la distribution, 
pour la satisfaction de nos besoins actuels, et qu’enfin il 
n'en viendrait pas à emprunter bien des choses à nos 
dispositions modernes ? 


IX 


Une autre question du plus haut intérêt s’est poste et 
se débat encore sur les devoirs de l'architecte ct sur les 
limites de archéologie dans les travaux de restauration 
des monuments. 

Lors de la loi de 1837 instituant la Commission des 
Monuments historiques sous la présidence de M. Vatout, 
et avec des hommes distingués comme MM. Vitet, Be Tay- 
lor, Caristie, Duban, Mérimée, Lenormant, on plaça ces 
monuments sous la protection du gouvernement pour 
leur conservation et leur consolidation ; il n’était pas alors 
question de restauration. 

Arrêter leur destruction d'abord, et ensuite pourvoir 
aux consolidations urgentes ; tel était le but de la loi et 
de la Commission. | 

Mais plus tard une scission latente se manifesta entre 
les archéologues, conservateurs par principe et les archi- 
tectes, restaurateurs par état (Corrover). . 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 333 


De nombreuses restaurations furent entreprises et ne 
tardèrent pas à donner lieu à de violentes protestations, 
presque à une croisade contre les restaurations hâtives qui 
conduisaient quelquefois à des enlèvements de certaines 
parties, anciennes cependant, sous prétexte de donner de 
l'unité à l’ensemble et souvent aussi à des grattages et 
retailliges funestes dont la cathédrale de Laon, léglise 
Sainte-Trophine à Arles et même, dans un temps, la 
basilique de Saint-Denis n'ont pas été exemptes. 

M. Georges Hill, en s'élevant contre les dangers des 
restaurations telles qu'elles se faisaient alors, en montra 
les ficheux résultats aussi bien en Allemagne et en Angle- 
terre qu'en France. 

Il y eut même, en 1889, un vœu du Congrès interna- 
tional pour la protection des œuvres d’art et des monu- 
ments demandant qu'on se bornît dans l'avenir à ce qui 
est nécessaire pour les consolider, et, au plus, aux mesures 
qu'exigeraient les usages auxquels ils pourraient conve- 
nir. 

Ce vœu de prudence n'a pas été stérile et déjà des 
maitres consciencieux et habiles s'étaient inspirés de ce 
sentiment. 

Quand il a fallu, par exemple, restaurer le magnifique 
amphithéâtre de Nimes, le temple d'Auguste et de Livie 
à Vienne, etc., on s'est sagement borné aux mesures 
nécessaires de consolidation, en mettant les pierres utiles 
pour cela, sans les compléter par la sculpture, ce qui ne 
laissera plus tard aucun doute pour la reconnaissance des 
parties anciennes et des parties nouvelles. 

Donc, pas de zèle imprudent et dangereux dans les 
travaux de restauration des monuments ; s'en tenir, 
autant que possible, à la conservation et à la consolida- 


334 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


tion et se bornant, dans certains cas aux restitutions 
indispensables. 


X 


Reconnaissons que depuis un demi-siècle les idées et 
les tendances architecturales sous l’influence archéologique 
se sont bien modifiées. 

Après la grande lutte entre Classiques et Romantiques, 
puis l’invasion de l'archéologie se prenant d’un subit et 
exclusif engouement pour le Moyen Age, et en examinant 
maintenant le résultat à distance et de sang-froid, on peut 
constater l’heureuse fin de la période d’exagération et un 
assagissement notable. 

Les élèves du romantisme qui avaient dépassé les vues 
des maitres se sont lassés de leurs profils coupés, de leurs 
gravures en creux, des têtes de lynx et des guirlandes 
semées un peu au hasard, et aussi d’un certain néo-grex, 
sorte de trompe l'œil ou d'à peu près économique sur 
lequel ils s'étaient abusés. 

Pour les Néo-vothiques qui prenaient aussi volontiers 
le nom de rationalistes, ils ont bien marqué leur brillant 
passage, dirigé surtout par Viollet-le-Duc dont les ouvrages 
et les séduisants dessins s'étaient transformés en un code 
sur la matière. 

Mais, depuis, les archéologues, nous lavons déjà dit, 
ont cessé d’être dévoués exclusivement au gothique. L’ar- 
chéologie prenant un rôle plus général, plus historique, 
s'est moins spécialisée et s’est appliquée également aux 
diverses périodes de la Renaissanee, du scizième au dix- 
huitième siècle. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 335 


D'ailleurs, les questions de style, moins discutées actuel- 
lement, cèdent évidemment le pas aux questions d'utilité et 
d’appropriation qui tendent à imprimer à l'architecture 
moderne son caractère propre ; car les styles ne s’impro- 
visent pas : ils sont une résultante, puisqu’en architecture, 
le travail d'imagination se traduit par un fait. 

On a beaucoup parlé aussi de l'influence des matériaux 
et des procédés industriels. Cette influence n’est pas dou- 
teuse ; mais, elle ne s'exerce que dans une certaine mesure. 
La construction est un moyen, mais elle n'est pas un 
principe. 

Le fer, par exemple, dont l'emploi à pris une si grande 
importance, s'applique d’une façon très remarquable aux 
multiples exigences de la construction ; mais il ne peut 
constituer une révolution artistique ; il porte dans ses 
détails la marque typique de l'architecture de notre époque ; 
il ne l’a pas modifiée, il s’est modifié pour elle (Ch. Garnier, 
A travers les arts)). 


XI 


Si nous recherchons maintenant quelques exemples 
propres à marquer l'application et les conséquences de 
l'archéologie à travers les œuvres d'architecture de notre 
siècle, ces exemples ne nous manqueront pas. 

Toutefois, nous devons borner ce coup d’œil d'ensemble 
à un nombre restreint, d'autant plus qu’une longue nomen- 
clature en serait fastidieuse et inutile, en risquant de faire 
perdre de vue le but à atteindre. 

Nous croyons même devoir nous abstenir d’accompa- 
gner ces exemples des noms des auteurs vivants, évitant 


336 ARCHÉOLOGIE ET ALCHITECTURE 


toutes préoccupations de personnalités pour ne voir que la 
tendance et la marche générale. 

L'architecture s’est toujours diviste en deux partes 
principales et distinctes : 

L'architecture religieuse et l'architecture civile. Et c’est 
dans cette division naturelle que nous enfermerons les 
exemples à présenter et auxquels le souvenir de tout 
architecte pourra facilement en joindre tant d’autres. 


MoOXNCMEXNTS RELIGIEUX 


« C’est dans les monuments religieux que l'architecture 
« atteint son plus haut degré ; et si l’on ne peut concevoir 
« de religion sociale sans culte, on n’en peut concevoir, 
« non plus, sans architecture. » (Ces mots sont de Léonce 
Reynaud.) 

Aussi, l'art religieux à été celui qui à constitué la plus 
haute expression du sentiment humain; et c’est, par suite, 
celui surtout dont l'architecture a été l'éloquent inter- 
prète. 

C'est par Parchitecture romance, nous l'avons vu, que 
l'art monumental religieux s’est manifesté en France, dès 
le huitième siècle, d’abord essentiellement monastique, 
avec ses règles sévères ct son type uniforme; puis, du 
onzième au douzième siècle, avec plus de hardiesse et de 
varicté, dont la cathédrale du Puy et quelques églises de 
l'Auvergne nous ont laissé de si remarquables exemples. 

Ensuite, c'est l'architecture ogivale, avec son émanci- 
pation, ses lignes élancées, ses voûtes hardies et sa féconde 
décoration sculpturale. 

Et c'est tout, en France, pour Part religieux, à part 


ARCIIÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 337 


quelques églises qui, plus tard, ont emprunté leur style 
à la Renaissance. 

Aussi, n'est-il nullement étonnant que ce soient ces 
deux types : roman et gothique qui aient servi d’inspira- 
tion à nos architectes modernes, pour les édifices religieux. 


Voici quelques exemples de cette évidente influence 
d'archéologie : 


1° Dans le style roman (ou byzantin) : 


L'église toute moderne de Saint-Martin à Périgueux (vers 
1870). La célèbre basilique de Saint-Front et l'église de la 
Cité qui lui est contemporaine, toutes deux dans la même 
ville, offraient un type trop remarquable de coupoles, sur 
pendentifs pour ne pas servir de modèles dans la région. 

Aussi, les imitations y sont-elles nombreuses, et c'est 
parmi les meilleures que l’on peut peut ranger les coupoles 
de l’église Saint-Martin. 

À noter que l’église de Saint-Front, de la première moitié 
du onzième siècle, avait elle-mème été inspirée de l’église 
des Saints Apôtres, élevée à Byzance au temps de Justinien 
(Corroyer, 1898). 

La cathédrale de la ville d’'Angoulème, qui offre encore 
un type remarquable de ce style à séries de coupoles intro- 
duit dans le sud-ouest de la France, au onzième siècle, 
sous l'influence de Saint-Front de Périgueux, à une magni- 
fique tour à six étages servant de clocher et qu’il avait fallu 
démolir pour cause de sécurité. 

L'architecte Abadie à pris le parti de la faire démonter 
pierre à pierre pour la rétablir. 

C'était là, à coup sûr, de la reconstitution fidèle. 


L'église Saint-Martial de la mème ville et du même auteur, 
N° 5. — Novembre 1899. 22 


338 ARCHÉOLCGIE ET ARCHITECTURE 


construite vers 1872. L'architecte à montré dans cette 
œuvre qu'on peut, sans diminuer son mérite, remonter À 
des sources qui sont, du reste, bien françaises; qu’un sou- 
venir nest pas un plagiat et qu'il reste toujours une large 
marge pour le talent de l'artiste. 

Je note donc l'influence, je ne la critique pas. 

Parmi les exemples d’édifices religieux élevés dans notre 
siècle sous l'influence ou le souvenir de l’art roman (ou 
byzantin), rappelons, sans nous étendre dans des dévelop- 
pements qui seraient inutiles, ‘es églises bien connues 
d'Auteuil, de Saint-Just d’Avrav, de Ménilmontant, de 
Saint-Pierre de Mäcon (1866), une des plus complètes, 
sous ce rapport, de nos départements du centre, de 
Pontarlier (1897). 

La cathédrale nouvelle de Marseille, celle de Monaco 
(architecte français) et de nos jours mêmes, la basilique du : 
Sacré-Cœur de Montinartre, etc., etc. 


2° Dans le style ogival : * 


À la cathédrale de Limoges, la façade Nord, restau- 
ration terminée en 1851. Cette façade moderne compose 
dans le style du quatorzième au quinzième siècle est très 
riche et complétée par une élégante balustrade qui relie deux 
clochetons latéraux. 

Voilà une influence archéologique bien caractérisée et, 
on doit le reconnaitre, toute naturelle dans cette circons- 
tance. 

Un seul inconvénient auquel on ne peut échapper au 
point de vue historique, dans de telles restaurations, 
c'est l’indécision qui pourra en résulter plus tard pour bien 
reconnaitre ct classer l’époque du complément. 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 339 


Quoi qu’il en soit, beaucoup de talent et de goût dans 
cet ensemble, maluré cette immense prolongation d’accolade 
à travers deux grands étages et dont je ne connais pas 
d'exemple aussi hardi. 

La cathédrale de Moulins complétée en 1873, sous Ja 
direction de Viollet-Le-Duc, par une vaste nef et par une 
façade accompagnée de deux magnifiques tours, avec flèches 
en pierre d’une hauteur de 95 mètres. 

La façade nouvelle de la cathédrale de Clermont due au 
mème maitre (1880), en style du treizième siècle. 

Et tant d’autres qui ont cu le style ogival pour inspi- 
ration et modèle. 

Toutes les restaurations ne sont certes pas aussi habiles 
et les réminiscences archéologiques ne vont pas toujours sans 
quelque bévue. 

Ainsi, pour en citer un seul exemple : léglise de 
Saint-Galmier (Loire), parmi quelques restaurations hasar- 
dées, présente des contreforts modernes avec imitation de 
gargouilles composées de simples pierres carrées, plantées 
brutalement sur le contrefort, ne servant et ne pouvant 
servir à rien, car elles ne correspondent à aucun écoule- 
ment d’eau. 

De très nombreux exemples pourraient, on le comprend, 
être cités d'emprunts au style ogival pour nos édifices 
religieux modernes; mais ils sont si connus de tous que 
la longue liste en serait fort inutile. 

Je ne parle pas des monuments religieux de Paris, tels 
que Notre-Dame et la Sainte-Chapelle, où les travaux de 
restauration se perdent dans importance de ces monumnts 
eux-mêmes. 

Et je passe volontiers sous silence les innombrables 
églises de villages ou de communes, où dans beaucoup 


340 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


ut 
d’entre elles le style roman et le style ogival ne sont qu'un 


emprunt banal. 


MONUMENTS CIVILS 


L'influence archéologique est moins sensible dans notre 
architecture civile, plus immédiatement soumise à nos 
besoins actuels. | 

Cependant cette influence se manifeste sinon comme 
_application directe, mais plutôt comme inspiration dans 
un grand nombre d’édifices, quelques-uns avec le style 
ovival, comme dans l’hôtel de ville de Breteuil et dans 
l'hôtel de ville d’Angoulème. 

Pour ce dernier, quel que soit son mérite, surtout pour 
l’époque où il a été construit, on ne se méprendra pas 
dans l'avenir, malgré son aspect général gothique, sur sa 
date d’origine, à la vue d’un mélange bien apparent de 
divers styles et de certaines gravures en creux aux couron- 
nements des ouvertures, type trop commun de l’époque 
(1858 à 1866) auquel l’architecte a payé son tribut. 

Mais, c'est l'influence des divers styles français du 
seizième au dix-huitième siècle, surtout du dix-septième 
au milieu du dix-huitième, qui se montre d’une façon plus 
particulière dans les édifices civils éleyés dans la seconde 
moitié de notre siècle. 

Bornons-nous à citer, car ces exemples sont également 
présents à l'esprit de tous : 

La galerie d’Apollon, au Louvre, restauration si habile 
de Duban (1851); 

Fa nouvelle façade de la Bibliothèque nationale, où 
Labrouste n'a pas hésité à suivre le style de l’époque pri- 


mitive ; 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 341 


Le château de Chantilly, si heureusement mis dans sa 
splendeur par un de nos maitres ; 

Les hôtels de ville de Poitiers, Limoges, du dixième 
arrondissement de Paris, etc; 

Le musée de Nantes (1895); 

Le château de Liancourt ; 

Le Palais du commerce et la Préfecture de Lyon; 

Et de nombreux hôtels particuliers. 

Joignons-y les compositions présentées aux concours 
récents pour les hôtels de ville de Doullens, d'Tvry et autres, 
où se voit, bien caractérisé, le souvenir de notre belle archi- 
tecture nationale, accentué par la préoccupation de rétablir 
la tour du beffroi, ancien caractère de la Municipalité dans 
notre ancienne France. 

Ces différents exemples, qui, on le comprend, pourraient 
être facilement multipliés, montrent suffisamment l'in- 
fluence que, dans beaucoup de cas, les recherches et les 
études archéologiques ont exercée sur l'architecture en 
France pendant notre dix-ncuvième siècle. | 

Et franchement, on n'a pas à le regretter, car, à défaut 
d'un style spécial, qui ne peut être que le résultat de 
modifications successives, ces recherches ont toujours permis 
l'exécution de travaux nombreux et importants qui, sans 
elles, n'auraient pas eu le même résultat. 

À une époque où Parchitecte aurait dédaigné l’étude de 
Parchéologie, aurait-il pu réaliser d'une manière si remar- 
quable ces grandes restaurations au nombre desquelles nous 
pouvons admirer celles du château de Blois, du château de 
Pierrefonds, de l'hôtel Jacques Cœur, à Bourges, etc. ? 

Aurait-on pa rappeler dans nos hôtels de ville et autres 
édifices municipaux le vieil esprit français, et dans un grand 
nombre de châteaux et d'hôtels particuliers le beau souve- 


342 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


nir de nos traditions nationales, de ces œuvres portant 
pour cachet la noblesse et la distinction des formes ? 

Combien ces travaux diffèrent, en effet, de ceux qui ont 
marqué les commencements de notre siècle, compris une 
partie du règne de Louis-Philippe, où les édifices tels que : 
palais de justice, préfectures, hôtels de ville semblaient 
décalqués dans des formes froides et monotones, couvertes 
de l’appellation vague de classiques. 

Et quand là plus grande partie-de notre siècle n’aurait eu 
que ce mérite de nous retremper dans notre vieil esprit 
français, en le faisant mieux apprécier, cela ne lui laisserait- 
il pas sa physionomie, et cette application des études et 
recherches archéologiques ne sera-t-elle pas elle-même une 
caractéristique de notre époque ? 

Toutefois c’est là, je le répète, un état de transition. 
Pendant combien de temps se prolongera-t-il ? On ne peut 
le dire puisque l'architecture est dépendante de la marche 
de Ja civilisation et des progrès de la science qui lui 
impriment sa voie. 

On aurait bien tort, d’ailleurs, de se laisser aller à un 
parti pris de dénigrement pour notre époque présente, 
quand on peut signaler tant d’édifices où nos grands 
artistes, sans préoccupation exclusive d'archéologie et 
s'affranchissant de toute influence qui püt être taxte de 
rétrograde, ont su marquer franchement une marche en 
avant, respectant le passé, mais caractérisant plus spéciale- 
ment notre temps et indiquant même des tendances 
d'avenir. 

Qu'il me suMise, à ce point de vue, de rappeler quelques 
œuvres parmi les plus connues : 

L'Ecole nationale des Beaux-Arts (Duban) ; 

La Colonne de Juillet; — la Cour de cassation (Duc); 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 343 


Le Cirque des Champs-Elysées (Hittorf); 

La Bibliothèque Sainte-Genetviève (Labrouste) ; 

Le Palais de Longchuvp, à Marseille (Espérandien) ; 

L'Opéra (Ch. Garnier). 

Les Halles centrales ; — certaines gares de chemins de 
fer, etc., etc. 


XII 


Le but de l'archéologie, d’où ressort son utilité, a tou- 
jours été et devrait être encore l'étude des choses anciennes 
pour servir d’éclarcissement et de complément à l'histoire 
dans les Arts et dans les Lettres. 

C’est bien ainsi que l’ont entendu nos plus célèbres 
archéologues. C'est aussi dans le même ordre d'idée 
que, par exemple, dans la peinture on étudie et l'on con- 
serve dans les collections et les musées les œuvres ancien- 
nes pour suivre la marche, les progrès et par moment la 
décadence de l’art, pour les connaitre et s’en inspirer 
comme sentiment, sans qu'on ait la pensée, cependant, de 
reproduire la manière des anciens maîtres. 

Il en est de même pour les Lettres et les Sciences. 

Pourquoi, dès lors, larchitecture qui doit surtout rester 
l'interprète des mœurs et des goûts de son époque, ferait- 
elle exception et irait-elle reprendre les édifices d’un autre 
âge non plus comme comparaison et inspiration, mais 
comme fidèle reproduction ? 

On invoquera la tradition. Et l’on doit, en effet, en 
tenir compte, mieux que cela, la respecter. 

Ausst, ne s'agit-il pas de passer subitement d'une manière 
à une autre, ce qui n'a jamais eu lieu, mais de modifier 


344 ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 


l'art architectural, suivant l’état de la civilisation et les 
ressources offertes par les ‘progrès scientifiques et indus- 
triels. 

Qu'on ne se méprenne pas. Il ne saurait être question 
de faire de l’éclectisme, c’est-à-dire de prendre par ci par là 
des éléments empruntés aux époques antérieures et d’en 
faire une soi-disant composition. 

Cet art, si c'en était un, ne serait plus celui de notre 
époque, mais un assemblage, le plus souvent irraisonné, 
des arts précédents. 

Et si, au lieu d’un assemblage, c'est une copie complète, 
nous ne pouvons plus attribuer son style qu'à l’époque 
qui a produit l'original. 


Quelle conclusion à tirer ? 


Elle me parait devoir se déduire tout naturellement. 

Réserver plus spécialement et appliquer les connaissances 
qu’apporte la science de l’archéologie à la restauration et 
à la conservation des monuments anciens. Et, dans les 
édifices modernes, ne pas limiter le champ d'initiative par 
une reproduction ou une copie d'œuvres inspirées et 
exécutées dans un milieu différent du nôtre. 

Dans l’état actuel des choses, et arrivés à la fin du dix- 
neuvième siècle, après une suite de recherches, de tenta- 
tives suivies d’une période d’engouement et même de 
luttes, nous pouvons reconnaitre que ces recherches et ces 
luttes n'auront point été stériles. | 

L'archéologie, qui s’est emparée d'un si grand rôle, sur- 
tout dans le second quart de notre siècle, si elle n’a pas été 
exempte de quelque apparence d’exagération, a, du moins, 
eu ce résultat d’exciter les architectes à une connaissance 
plus approfondie des époques antérieures et non plus exclu- 


ARCHÉOLOGIE ET ARCHITECTURE 345 


sivement de l’art du Moyen Age, mais des diverses phases 
de la Renaissance. 

Et ce sera, en définitive, un des traits bien caractéris- 
tiques de notre époque que ce respect de nos monuments 
nationaux et ce soin jaloux de les conserver et de les com- 
pléter autant que possible dans leur pensée première, tout 
en réservant à l'architecture son rôle supérieur de suivre 
la civilisation, de s’assimiler ses progrès, d’être de son 
époque et de viser à en laisser, dans l’histoire de l'Art, le 
meilleur souvenir. 


G. GEORGE. 


UN 


Manifeste de l'Ecole Traditionnelle 


sur l'origine des Eglises de France 


EU de problèmes auront autant exercé les critiques 
en et partagé l'opinion que Îles origines de nos 
Évlises françaises ; l'unanimité cependant n'est 
pas prochaine, ni l'inconnu prêt à ètre dégagé, quand on en 
juge par la seconde édition de l'ouvrage de Mgr Bellet (1), 
refondue et, malgré de considérables suppressions, grossie de 
plus de 250 pages sur la première, parue deux ans aupara- 
vant. 
Si le distingué prélat à corrigé son texte et remanié la 
table des matières, il n'a rien cédé de ses principes et il n’a 
pas adouci d’un iota sa thèse et ses revendications. L'abbé 


(1) Les origines des Eglises de France et les Fastes épiscopaux par 
Charles-Félix Bellet. — Paris, Alph. Picard, rue Bonaparte, 82, 1898, 
3 vol. in-8, XXVII, 420 pp. 


UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 347 


Duchesne compte toujours en lui un adversaire irréductible. 
Quel est donc le point précis du débat entre l’érudit de 
Valence et l’éminent directeur de notre Ecole de-Rome ? Il 
s'agit de déterminer, le plus approximativement possible, 
l'époque de l'évangclisation des Gaules et de fournir une 
date à l’organisation des diocèses, constitués au moins avec 
les deux éléments essentiels, c’est-à-dire un évêque et un 
troupeau, répandu entre des limites fixes et certaines. 

Mgr Bellet, zélateur et porte-parole considéré de l'école 
qui se nomime elle-même traditionnelle, voit dans nos pre- 
miers missionnaires des disciples immédiats de Jésus-Christ; 
pour les divers sièges qui se réclament de cette haute anti- 
quité, il soutient que leurs fondateurs ont été, la plupart 
au moins, contemporains de la prédication en Galilée, de 
l’Ascension et de l1 Pentecôte. Il accepte de cette sorte 
Maximin pour Aix, Martial pour Limoges, deux des soixante- 
douze ; dans Arles et dans Vienne, il installe Trophime et 
Crescent, compagnons de saint Paul; il place Sergius 
Paulus, le proconsul de Césarée, à Narbonne; Lazare, le 
ressuscité de Béthanie, à Marseille ; Denis, le membre de 
l’Aréopage athénien, à Paris, et quelques autres, honorés 
comme les maitres de leur foi, dans les plus notables des cités 
gallo-romaines, de Toulouse à Besançon, de Nantes à Metz, 
à Bourges et à Clermont. 

Dans l’autre camp, M. Duchesne n’a jamais professé vis- 
à-vis de ce système de conversion de nos aïeux une estime 
aveugle ; si glorieux qu'il ait été pour eux, si utile qu'il soit 
pour notre édification et pour les développements oratoires 
de nos prédicateurs, l’illustre nrembre de l’Institut a, dès la 
première heure, ressenti à son endroit une défiance tenace et 
féconde en épigrammes actrées. La publication des Fastes épis- 
copaux de l'ancienne Gaule, qu’il a entreprise et dont le second 


348 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


volume est sous presse, en révisant et en mettant au point de 
la science actuelle les séries du classique Gallia Christiana, 
rejette dans l'ombre les inventions apocryphes qui ont fait 
de notre pays la terre privilégiée de l'émigration palesti- 
nienne au premier siècle. Pour ce travail d'une importance 
de premier ordre, les catalogues épiscopaux des différents 
diocèses ont été d’un grand profit. De ces divers catalogues, 
après un examen attentif qui succédait aux recherches 
paléographiques de M. Léopold Delisle, complétant et con- 
firmant leurs conclusions, quelques-uns, vingt-quatre, pour 
préciser, surcinquante-neuf, furent reconnus pour véridiques, 
les autres rejetés comme altérés par des remaniements fan- 
taisistes et déconsidérés par de grossières erreurs. Les pre- 
miers, d'état satisfaisant, ont été employés comme des docu- 
ments chronologiques; les additions arbitraires des seconds 
ont été signalées, percées à jour, ramenées à leur auteur res- 
ponsable, ce qui est bien la plus sûre méthode de les réfu- 
ter. Mais il s’est trouvé que partout où la liste était exacte, 
l’origine apostolique s'éÉvanouissait; au contraire, si le nom 
placé en tète tenait au Nouveau Testament ou à son trop 
prochain voisinage, on constatait à la suite des désordres 
imparfaitement dissimulés et des surcharges tout aussi peu 
niables. De ce simple rapprochement les traditions, chères 
au Moven Age, étaient donc fortement ébranlées et les coups, 
qui leur étaient portés d'une main si alerte, n'étaient pas 
commodes à parer. 

C’est toutefois ce que Mer Bellet à tenté : tel est le but 
de son livre et il y a déployé une érudition étendue, une 
argumentation serrée, une souplesse de plume et d’esprit pas 
du tout banale, enfin une ardeur de conviction qui le trans- 
forme en avocat redoutable. 

Voici les sommaires des six chapitres qu’il a écrits et dont 


SUR L ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 349 


les deux premiers nous paraissent de beaucoup les plus 
importants et les plus nouveaux : 


I. — Les listes épiscopales ; 

I. — Les textes d’Eusèbe de Césarée ; 

HT. — Les textes de saint Irénée et de saint Cyprien ; 

IV. — Remarques sur les témoignages de Sulpice Sévère, 
de Grégoire de Tours, d’Adon et sur les origines de neuf 
Évlises particulières. 

V. — Saint Martial, apôtre de Limoges. 

VI. — Conclusions d'ensemble. 

Un appendice considérable sur le Cursus achève le volume. 


Discuter, ou même purement exposer le jugement du 
savant prélat sur chacune de ces matières, nous entrainerait 
évidemment hors des limites d'un compte rendu et des 
usages de la Revue. Nous désirons plus simplement arrèter 
l'attention de nos lecteurs, s'ils n’y répugnent pas trop, sur 
deux questions plus largement traitées du reste que les 
autres ; on comprendra vite qu’elles nous offrent un intérèt 
spécial, lune parce qu'elle est le côté culminant de la thèse, 
l’autre parce qu'elle se rattache immédiatement à notre his- 
toire locale et au premier titre de notre noblesse religieuse. 

Traitons d'abord des listes épiscopales. 

M. l'abbé Duchesne les emploie, les bonnes bien entendu, 
vérifiées à la loupe, comme des documents d’une valeur 
non douteuse ; il s'appuie sur leur témoignage; elles lui 
servent à contrôler d’autres actes, d’autres pièces ; il y voit 
en un mot une source certaine de renseignements séricux. 
Leur comparaison et leur concordance le conduisent à 
reconnaitre qu'avant le milieu du n° siècle, les Gaules, la 
Narbonnaise exceptée, n'étaient dotées que d’un siège épis- 
copal unique, établi à Lugdunum, auquel étaient soumises 


350 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


juridictionnellement les chrétientés disséminées, depuis le 
Rhin jusqu'aux Pyrénées. 

Une telle assertion ruine d’un seul coup tout l’échafau- 
dage des légendaires ; c’est là son impardonnable défaut, son 
vice radical. En réponse Mgr Bellet reproche à ces listes 
d’être insuffisantes pour établir une chronologie : les plus 
irréprochables, dit-il, peuvent être incomplètes, sans qu'on 
le sache, et offrir des lacunes ; elles n’apprennent absolument 
rien sur le nombre d'années, tantôt très longues, tantôt très 
courtes d’un épiscopat ou d’une vacance. Elles ont été rédi- 
gées assez tardivement, les moins jeunes vers l’époque 
carlovingienne; elles reproduisent enfin les dyptiques et ces 
tablettes, destinées à être lues à la messe, n'étaient pas à 
l'abri d’omissions, de surcharges ou d’interversions notoires. 

Lc raisonnement, j'en conviens, ou plutôt le réquisitoire, 
ne se tient pas trop mal debout ; il est bien mené. N'a-t-il 
pas cependant le grave tort de partir d’une hypothèse et 
de se continuer avec des peut-étre, sans invraisemblance 
choquante, mais qui ne sont légitimés par aucune preuve 
réelle. C’est le sophisme par abstraction introduit dans la 
méthode historique ; il est aisé de appliquer à tout, il est 
assez fort pour ruiner toute certitude. Condamner en bloc 
sur des chances probables d’erreur est loin d’être un procédé 
d'une régularité infaillible, et Mgr Bellet embarrasserait 
autrement son contradicteur, en signalant quelques uns de 
ces accidents, qu’il énumère avec complaisance et dont la 
possibilité l’effraie, tandis que leur existence a échappé à ses 
minutieuses investigations. Pour anéantir la valeur de ces 
vieux parchemins, déclarés excellents d’autre part, il suff- 
rait d'y surprendre quelques-unes des fautes qu’on leur 
reproche de ne pas exclure nécessairement. Alors, on cesse- 
rait de les apprécier; on les écarterait immédiatement du 


SUR L'ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 351 


débat ; ils iraient rejoindre les innombrables apocryphes 
dont il n’est déjà que trop surchargé. Jusque-là l'argument 
des Fastes épiscopaux a une portée décisive; on ne la diminue 
pas en lui opposant la question préalable. Il me semble 
préférable de s’en référer à l’avertissement de Tertullien et, 
bien qu’il ait parlé pour un autre motif, d’agréer avec son 
sage conseil l'éloge qu’il fait de la bonne tenue des cata- 
logues : « Edant ergo origines Ecclesiarum suarum ; evolvant 
ordinem Episcoporum suorum, ita per successiones ab initio 
decurrentem, ut primus ille episcopus aliquem ex Apostolis vel 
apostolicis viris, qui lamen cum LApostolis perseveravit, babuerit 
auclorem et antecessorent. » 

Passons sur un terrain plus familier à nos lecteurs et 
arrivons à ce qui est dit de la lettre contenant les actes de 
nos. plus célèbres martyrs. 

Sous la plume de Mgr Bellet, nous retrouvons appuyées 
et développées les prétentions peu nouvelles de l'Eglise de 
Vienne à réclamer une priorité d'existence sur celle de Lyon 
et un empressement significatif à exalter Crescent, nommé 
dans une des épiîtres à Timothée, comme son fondateur, aux 
dépens de la gloire postérieure de saint Pothin, notre pre- 
mier pontife et le sien très probablement. 

Il suffit d'être, même superficiellement, initié aux annales 
de l'antique capitale des Allobroges et l’on est de reste informé 
des querelles que sa jalousie a fréquemment soulevées contre 
sa riche voisine du confluent, une fille ingrate sortie de son 
sein et devenue plus puissante que sa mère. Dans ces divers 
cas, je le crains, la partialité fut aussi évidente que le bon 
droit parut suspect. On se rappelle le mot sévère de Tacite : 
Unde æmulatio et invidia et uno amme discretis connexum odium ? 

La renommée de nos saints confesseurs, suppliciés sous 
Marc-Aurèle, importune ses citoyens; non seulement ils 


352 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


s'enrichissent, afin de n'être tributaires de personne, d’une 
partie de leurs dépouilles et trouvent le Rhône assez com- 
plaisant pour les porter jusque sur leur territoire, mais 
ils inventent en plus une persécution locale, qui leur fut 
réservée, où leur évèque Justus subit la mort avec une 
multitude de néophvtes. Leur vanité n'est encore qu’impar- 
faitement satisfaite. Interrogez le savant Nicoli1s Chorier, 
leur historien le plus considéré ; il vous apprendra qu’Attale, 
Epagathus, Blandine, Pontique, tous Viennois, furenttorturés 
dans l’amphithéâtre bâti au flanc du mont Pipey. La primatie 
est-elle reconnue dans nos murs comme une institution 
consacrée et oMcielle ; aussitôt leur archevêque s'intitule le 
Primat des Primats. Des privilèges sont-ils utiles à ces 
tendances, plutôt naïves qu'ambitieuses, un faussaire les 
fabrique au x1° siècle ; un autre, au XVHI°, tire de son cerveau 
toute une correspondance papale des plus suggestives. 

Ce n'est pas que chez nous on ait été beaucoup plus 
timoré que dans l'entourage et qu’on se soit refusé de vieillir 
nos évangélistes et de les couronner de l’auréole d’envoyés 
immédiats des grands apôtres. Chaque légendaire, à Lyon 
comme ailleurs, renchérit sur ses prédécesseurs ; ils tiennent 
tous à ne pas se répéter, à ne pas rester au-dessous des mer- 
veillesracontécsantérieurement ; ilsne sont d'accord que pour 
abandonner le réel et broder des fictions, si absurdes soient- 
elles. Ainsi, selon les uns, Pothin est parti d’Antioche pour 
les rives du Rhône et la colonie de Plancus, sur les ordres 
de saint Pierre; selon d’autres, qui l’ont lu dans un homi- 
liaire tombant de vétusté de la collégiale de Saint-Just, saint 
Paul avait laissé [rénée pour achever d’instruire les païens 
qui l'avaient hébergé. On remonte mème plus haut et un 
doyen de la cathédrale de Chalon-sur-Saône attribue à Satur- 
nius et à Paradocus, disciples de saint Jean Baptiste, la 


LA 


SUR L ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 353 


connaissance que les Lyonnnais ont eue de Jésus-Christ, pro- 
bablement avant sa passion. L’odyssée de saint Paul, dans 
notre canton, tient encore plus de l’imagination et de l’in- 
vraisemblable (1). Le Docteur des gentils, on l’affirme, fut 
médiocrement enchanté de la réception qui l’accueillit, il 
bâtit néanmoins deux oratoires, le plus magnifique en l’hon- 
neur de la Sainte Vierge, qui vivait encore à Jérusalem. 
Mais n'aboutissant pas aux conversions qu’il désirait, il 
secoua sur la cité la poussière de ses sandales, et courut à 
d’autres conquêtes. Le châtiment ne tarda pas et l’incendie 
qui consuma Lugdunum, en une nuit, expia l’indocilité de 
ses habitants. Paul visita après l’Ile-Barbe, en remontant la 
Saône, et le site lui sembla agréable : il confia à Longin, 
le soldat romain qui avait d’un coup de lance percé la poi- 
trine du Sauveur crucifié, le soin d’y bâtir un monastère; 
il lui remit la garde de précieuses reliques, en particulier le 
corps de sainte Anne et le vase qui avait servi à la const- 
eration de la dernière Cène. Continuant son exploration 
et, séduit par le paysage, il s'arrête à Anse ; sans y dresser 
sa tente, il donne au moins son nom à ce lieu enchanteur; 
Asa Pauli s'honorera d’être sa filleule et sa conquête. On 


(1) M. Stevert n’a peut-être pas oublié une homérique discussion 
qu'il engagea à ce sujet, avec un journaliste dont le tempérament méri- 
dional était insuffisamment servi par une érudition difficile à classer. La 
chose remonte à l'année 1863 et plusieurs numéros de la Revue du Lyon- 
uais conservent les preuves du conflit. M. Adrien Péladan, fondateur 
d'une Semaine religieuse laïque, avait voulu débuter par un coup de 
maitre, en nous révélant des titres que notre insouciance avait laissé 
primer. Il fut repris et ses textes corrigés de maîtresse façon. En réponse, 
à défaut de bonnes raisons, il versa sur la tète de son contradicteur une 
hottée d'injures ; il prit surtout plaisir, crovant l'achever par ce coup, 
à l'appeler « le paléographe ! » 

N° 5. — Novembre 1899. 2? 


354 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


le voit, nos Paradin, nos Champier, nos Rubys, nos Severt 
n'étaient pas plus revèches à la crédulité que leurs contem- 
porains; ils étaient aussi adroits pour mettre la main sur 
des manuscrits curieux, sur des cartulaires au moins 
aussi intéressants que les romans de la Table-Ronde. 
Cependant, je dois l'avouer, leur peine n’a pas été 
récompensée à sa valeur; ils ont obtenu peu de crédit 
et une maigre popularité. La tradition, dans le diocèse 
d'Eucher et de Leidrade, a toujours été fatalement rattachée 
à la lettre aux Églises asiatiques sur les exécutions de 177 
et, pour entrer dans ce cadre formellement historique, elle 
était par avance condamnée à se dbarrasser de tout orne- 
ment étranger ou à perdre de son authenticité. 

En dépouillant cette narration fameuse, dont les frag- 
ments les plus importants ont été conservés par Eustbe, 
notre auteur a cru trouver la preuve que l'Eglise de Vienne 
était alors, comme celle de Lyon, définitivement et hié- 
rarchiquement constituée, que l’une et l’autre étaient indé- 
pendantes, avec un chef distinct, etque danscette hécatombe, 
qui ensanglanta l’amphithéitre du forum de Trajan, la pre- 
mière moissonna au moins autant de couronnes que l1 
seconde. 

Nous approchons évidemment ici d’une discussion, à 
laquelle aucun ami du passé de notre ville ne reste étranger 
ou indifférent. Cette penste nous soutiendra et nous lui 
demanderons le courage de repousser, de la façon la plus 
formelle, les conclusions proposées comme relevant du texte 
d'Eusèbe. On nous permettra d'exposer notre avis, avec 
toute sa sincérité ; de notre côté, nous nous appliquerons 
à n'oublier aucun des égards, qui sont dus à un travailleur 
consciencieux, dont le nom est justement entouré d’une 
considération très légitimement gagnée. 


SUR L'ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 355 


L’exégèse de Mgr Bellet retient trois passages où « les 
noms de la ville et de l'Eglise de Vienne sont mentionnés 
ou directement visés » : la suscription de l’épitre ; les mots 
& xmo Brewrs » à la suite du nom de Sanctus ; la phrase 
qui nous apprend les dernières incarcérations. Ce n’est pas 
beaucoup, il faut en convenir, dans un récit long et minu- 
tieux comme celui-là; mais encore, À sonder de plus près la 
chose, je reste persuadé que le désir de lire ce qu'il était 
prévenu d’y rencontrer à engagé le critique dans une 
interprétation, où la meilleure des bonnes volontés ne suffit 
pas pour le suivre. Il est juste d’en administrer la preuve : 
je ne la retiendrai pas plus longtemps. 

« Les serviteurs du Christ, habitant à Vienne et à Lyon, 
dans la Gaule, à leurs frères d’Asie et de Phrygie. » 

Le rédacteur associe, dans l’envoi des Actes des saints 
confesseurs, les chrétiens viennois et les chrétiens lyonnais : 
est-ce parce qu’ils forment deux groupes officiellement séparés 
et autonomes ? N'est-ce pas plutôt parce qu'ils sont encore 
réunis sous la même houlette, comme deux bergeries dépen- 
dantes d’un seul pasteur ? Duchesne dit oui, Bellet répond 
non. Le sage Salomon aurait peut-être attendu quelques 
nouveaux éclaircissements pour se prononcer sur le cas. 

Qu'Eusèbe, au temps où il composait son Histoire eccli- 
siastique, ait déclaré que ces deux voisines étaient « d’illus- 
tres métropoles, les plus en vue de la contrée, » il vise un 
état de choses existant sous ses yeux. Tout le monde con- 
vient qu’à cette date, le second quart du quatrième siècle, 
soixante-quinze ans après la création de la province vien- 
noise, détachée de la Narbonnaise, la séparation était accom- 
plie depuis de beaux jours ; alors la notoriété politique et 
civile de Vienne était égalée par la vigueur de sa foi et les 
progrès de son christianisme. Le témoignage personnel de 


356 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


l'historien est donc: superflu ; celui du document semble 
trop vague pour ne pas se prêter aux deux interprétations 
et dès lors n’en patronner aucune. | 

En ce qui regarde Sanctus, on est également partagé. En 
effet dans la relation, entre les martyrs qui ont succombé, 
après avoir lassé la cruauté des bourreaux, Sanctus est 
désigné comme diacre de Vienne « Zraxoves 270 Biewvnç ». Se 
douterait-on que cette simple préposition zzcait fait couler 
des flots d’encre ? qu’elle ait occupé et torturé traducteurs et 
commentateurs ? L'expression grecque signifait-elle que le 
noble héros était natif de Vienne ou bien qu'il y exerçait 
les fonctions de son ordre ? Dans ce dernier sens, était-il 
simplement ininistre de son évêque urbain, ou était-il un 
délégué de Pothin, instruisant les néophytes indigènes et 
les groupant pour la prière et pour l’aumône ? Selon la thèse 
qu’on adopte, on incline là ou là. Mais si la grammaire est 
insuffisante pour débrouiller l’énigme, qu’on s’en rapporte 
à Eusèbe lui-même et on apprendra de sa bouche que Sanctus 
était originaire de la ville de Vienne; il le répète précisé- 
ment dans un fragment des Actes des martyrs. C’est net et 
il faut chercher autre part des arguments pour ou contre 
l’existence de deux chrétientés séparées. 

Le dernier des textes allégués a moins de brièveté : on 
décidera s'il est plus suggestif, dans la question, que les 
deux précédents. « On saisissait chaque jour, dit le rédacteur 
« anonyme, des chrétiens dignes de compléter le nombre 
« des premiers, de telle sorte que tous ceux des deux Églises, 
« que distinguait leur zèle et par qui principalement se 
« tenaient debout ensemble les affaires d’ici, se trouvaient 
« réunis en prison. » Nous citons le mot à mot rigoureuse- 
ment rapporté par Mgr Bellet : la fidélité rachète l'élégance 
dont ilest dépourvu. 


SUR L'ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 357 


La mention de deux églises est formelle : c’est même, 
pour le dire en passant, l’unique endroit du document entier 
où elle est précise. Désigne-t-elle une Église à Lyon et une 
Église à Vienne? ou bien existait-il, à Lyon même, deux 
assemblées chrétiennes, convoquées dans deux lieux distincts, 
dans deux maisons privées, comme l’Écriture-Sainte en four- 
nit des exemples, du terme et de la chose, à Ephèse, à 
Corinthe, à Laodicée, etc. ? Le substantif adverbial +4 ev9xôs 
signifie-t-il « les choses d’ici et de là-bas », comme le propose 
Mer Bellet, ou exclusivement, ainsi que l'enseigne le dic- 
tionnaire, « les choses d’ici. » Le nœud de la difficulté n’est 
pas autre part. 

Mgr Bellet le tranche d’après ses idées sur l'existence de 
saint Crescent et sa mission paulinienne et il étend ensuite 
Je fil de la façon suivante: Il y eut, sous Marc-Aurèle, une 
violente persécution générale dans les Gaules ; on poursuivit 
et on s’empara des fidèles « dans les deux villes à la fois », 
Jes autorités locales sévirent avec une cruauté implacable ; 
celles de Vienne amenèrent à Lyon leurs captifs; le même 
cachot et les mêmes tortures réunirent l’élite des deux com- 
munautés. 

Je m'en excuse auprès de l'honorable écrivain, que je 
suis contraint de réfuter, et je le prie de croire à la sincérité 
de mon opinion, comme je lui reconnais le droit de formuler 
la sienne. Mais, de mon côté, je n’aperçois rien ou à peu près 
rien de ce qu'il a vu dans la lettre de nos martyrs. Suis-je 
aveugle? prévenu? A force de le lire et de le relire, ai-je 
perdu le sens de cet émouvant et éloquent procès-verbal ? 
De plus compétents en décideront; toutefois les cominen- 
taires de Mer Bellet m'étonnent et me déroutent. 

Je ne relève d'abord, nulle part, trace d’une persécution 
générale ; il s’agit d’une émeute populaire déchainée contre 


358 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


les sectateurs du Christ ; on les traque, on les insulte, on les 
bafoue; on les poursuit dans la rue, aux thermes, sur les 
marchés: partout où ils passent, on les accable d’injures et de 
projectiles. Le gouverneur est absent ; les magistrats munici- 
paux emprisonnent les innocents, pour calmer les insul- 
teurs; ils seront jugés au retour du proconsul. Il n’existe 
évidemment pas d’édit signé de Marc-Aurèe, puisque le 
légat écrit à l’empereur et lui demande la ligne de conduite 
à tenir. Un décret antérieur, étendu à toutes les provinces, 
l'aurait tiré de son ignorance et de son embarras. 

Les perquisitions, après un premier interrogatoire, 
recommencent : les esclaves sont mis à Ja torture. La 
police opère avec plus d’activité et sur un plan mieux con- 
certé que la première fois. Mais ses arrestations ne s’éten- 
dent pas davantage au dehors de la cité. Le præses et moins 
encore les duumvirs ne jouissent d’aucune autorité sur un 
territoire indépendant de leur juridiction : ils n’ont aucun 
mandat pour Vienne. Vienne et Lyon appartiennent à deux 
provinces différentes, dont le régime administratif n’est 
pas identique, l’une province sénatoriale, l’autre province 
impériale. Les deux cités se seraient-elles soulevées en 
même temps, les délégués se seraient-ils entendus pour se 
saisir des fidèles, chacun des proconsuls a son tribunal, 
ses prisons, ses bourreaux ; les procès des prévenus, surtout 
un procès capital, ne se transfèrent pas d’un prétoire à un 
autre, d'une province dans l’autre. Les Romains étaient 
trop respectueux des usages judiciaires pour bouleverser 
ainsi des attributions légalement définies. Une instruction, 
si elle a été ouverte dans la Narbonnaise, n’aura pas été 
remise à un magistrat siégeant dans la Celtique (1). 


(1) Parmi les fantaisies dont 1 mémoire de nos martyrs a souffert, 
on nous permettra de signaler la suivante, qui s'est glissée, je ne sais vrai- 


SUR L'ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 359 


Si je n'avais déjà abusé de la place qui n’a été concédée, 
j'ajoutcrais que l’évêque lyonnais est regardé par ses com- 
pagnons de chaîne comme leur maitre commun ; on n'a 
pas l'impression qu'autour de lui il se soit glissé des frères 
étrangers. Les païens, qui le confondent avec le Christ, 
considèrent évidemment l’intrépide vieillard comme le chef 
unique de ceux qui l'ont précédés au tribunal ; ils le mal- 
traitent comme la cause responsable de l’impiété locale qu'ils 
sont acharnés à détruire. 

Pourquoi les Viennois sont-ils nommés dans l'adresse 
aux Asiatiques ? Sans doute la naissance de quelques-unes 
d’entre les victimes, la notoriété en particulier du diacre 
Sanctus décidèrent à ne pas séparer, dans l'honneur, ceux 
que l'épreuve avait rapprochés. Peut-être d’autres motifs 
encore, qui nous échappent aujourd’hui, eurent-ils une 
influence ? Quoi qu'il en soit, il ressort, à nos yeux, de 
l’étude de la lettre, qu'il n’y eut qu’un seul théâtre du 
soulèvement et de la persécution, un seul juge, un seul 
évèque, un seul bercail. 

La topographie, si elle était consultée, pourrait apporter 
quelque lumière dans le débat. Il existe, en effet, dans nos 
murs, deux emplacements célèbres, désignés comme le ber- 
ceau du christianisme, je veux dire: Saint-Nizier et Saint- 


ment par quelle distraction dans un ouvrage de valeur, F'Histoire ecclé- 
siastique de Krauss, traduite par les PP. Godet et Verschaffel de l'Oratoire : 
« On immola, en Gaule, saint Pothin, l'évêque nonagénaire de Lvon- 
Vienne, avec ses diacres Sanctus et Attale, l'esclave Blandine avec son 
fils Ponticus, âgé de quinze ans. » Pour être de provenance protestante 
et sorti de l'imagination de Mélanchton et de Cave, le renseignement 
n'était pas meilleur à recueillir. 

Chorier, de son côté, avait fait d’Attale le mari de la maitresse de 
Blandine et leur avait donné Ponticus pour fils. 


360 UN MANIFESTE DE L'ÉCOLE TRADITIONNELLE 


Irénée, ou plutôt pour leur restituer leurs noms primitifs, les 
Saints-Apôtres et Saint-Jean-l’Evangéliste. 

Pour le premier, nous possédons, dans Grégoire de Tours, 
un texte, dont il n’a pas indiqué la source, maïs qui atteste 
un fait de beaucoup antérieur au vi* siècle, que le culte 
officiel et la dévotion populaire avaient consacré. C’est là, 
dit-il, que furent déposées les cendres calcinées de nos mar- 
tyrs, sainte poussière recueillie auprès du bûcher où leurs 
restes avaient été consumés. L'épigraphie recommande le 
second de ces lieux vénérables ; les inscriptions nombreuses, 
trouvées à l’entour, avec ces mots : « AD MARTYRES » ne 
laisseraient subsister aucun doute, quand toute l'antiquité 
ne déposerait pas en sa faveur. 

Il est inutile de développer actuellement toutes nos rai- 
sons. Mais ne parait-il pas vraisemblable à plusieurs que 
ces fidèles, auxquels il est fait allusion dans la relation eust- 
bienne, les plus zélés, les plus dignes, ayant le plus contribué 
à soutenir les affaires religieuses dans la cité : « à wv covetorn 
xe! ta ev)ade » appartenaient à l’une et à l’autre de ces deux 
communautés «ex rüv due exxanmv » ; celle-là située à l'endroit 
même, où les colons et les vétérans romains, chassés de 
Vienne, avaient provisoirement assis leurs tentes de fugitifs; 
celle-ci, comme les catacombes de la voie Appia, dans le 
voisinage des tombeaux, près des routes impériales d’Aqui- 
taine et de Narbonne, afin de se couvrir des privilèges si 
favorables aux corporations funéraires ? 

La composition même de cette chrétienté naissante 
n’avait-elle pas amené ce dédoublement ? Nous savons que 
des émigrés de l’Asie-Mineure, Phrygiens, Smyrniotes et 
autres, en avaient été les assises fondamentales ; bientôt des 
indigènes solllicitèrent à leur tour leur cooptation. Ces 
Ségusiaves, ces Celtes, ces soldats parlaient-ils tous le grec, 


SUR L'ORIGINE DES ÉGLISES DE FRANCE 361 


si répandue que soit cette langue ? L'auteur de la lettre n’a- 
t-il pas agi avec une intention évidente, quand il a relevé 
qu'un des accusés, le diacre Sanctus, fit toutes ses réponses 
_en langue latine. Il n’y aurait donc rien d’étrange À ce que 
les deux groupes, différents d’origine, de condition et 
d’idiôme, n'aient pas tardé à se choisir, chacun, un lieu 
d’assemblée et je verrais là, sans embarras, l’explication du 
@_ ex Tüv Duo exxAnsiov » du récit épistolaire et sa concordance 
avec la locution « rx evôxde ». 

Nous ne pousserons pas plus loin cette aride discussion. 
Pour ne pas adopter tout ce que pense Mgr Bellet, nous 
n'en avons pas moins apprécié, dans son ouvrage, les sérieu- 
ses qualités qui empêcheront de le confondre avec des pro- 
ductions hâtives, sans préparation suffisante, lancées au 
hasard de la polémique ; il nous est particulièrement agréable 
de louer, chez l'écrivain, une bonne foi, un bon goût, une 
modération de langage dont nous aurions souhaité nous- 
même ne pas trop nous écarter. 


J.-B. VANEL. 


Li 


. Notes et Souvenirs 


À PROPOS D'UNE VIEILLE ENSEIGNE 


"Express du 27 octobre 1899 public l’intéressante 
à information suivante : 


Pierre par pierre, notre vieux Lvon s'en va. Voici encore 
un fragment remarquable que la pioche des démolisseurs va faire 
disparaitre. 

C'est une vieille maison placée sur le quai Pierre-Scize, au no 28, 
Solidement assise au pied du massif de l’ancien château de Pierre-en- 
Scize, elle a ceci de remarquable, que depuis sa fondation, c'est-à-dire 
depuis 1582, jusqu’à nos jours, elle a abrité la mème famille, de descen- 
dants en descendants, fabricants ou marchands de poteries et céramiques. 

Ce qui lui donne une valeur archéologique particulière, c’est une 
enseigne en relief, représentant un bonhomme à genoux, offrant à une 
autre personne debout ct coiffée d’un turban, un vase à fleurs placé sur 
son épaule, et une culotte à trois branches que l’on voit dans le fond. 
Sous cette enseigne sont gravés ces mots : « À l’enuie du pot, 1718 ». 

M. Stevert, qui, dans son livre sur Lvon, a reproduit très fidélement 
cette enseigne, a omis d'en donner une explication. Voici celle qui, 
dans la famille Sourd, propriétaire de la maison, s'est transmise de père 
en fils. 


NOTES ET SOUVENIRS 363 


Claude Sourd (1718-1756) était allé, selon une coutume tradition- 
nelle chez les Lvonnais, tenir la foire de Beaucaire. Mais, contrairement 
à ses habitudes, au lieu, la foire une fois terminée, de remonter à Lvon, 
poussé par son esprit aventureux, Sourd chargea ses marchandises sur 
un bateau en partance pour Marseille. À peine en pleine mer, le vais- 
seau fut saisi par une violente tempète, longtemps ballotté, et enfin jeté 
sur les côtes barbaresques. Il allait être pillé par les indigènes, lorsque 
Sourd eut l’idée, pour sauver ses marchandises, d’en offrir quelques 
échantillons choisis au chef de cette horde. Celui-ci flatté de cette 
attention accepta le prèsent, sauva la cargaison, et mème l’acheta tout 
entière. à son propriétaire, qu'il rapatria quelques temps après. Il 
demeura avec Jui et ses descendants en relations commerciales, jus- 
qu'en 1854, date où le chemin de fer amena la ruine de la foire de 
Beaucaire. 

C'est la scène de lhommage rendu par Claude Sourd au chef maure 
que l’enscigne a reproduite et perpètuée. 

Cette enseigne remarquable, les membres de la famille Sourd avaient 
dès longtemps formé l'intention d’en doter le Musée de Lvon. Elle a 
été enlevée tout dernièrement de la façade de la maison qu'elle ornait 
et qu'on est en train de démolir. Nous ignorons si déjà le Muste l'a 
reçue ; mais nous pouvons affirmer que si le don n’en à pas encore êté 
fait, il ne tardera pas à l'être. 

Là, ce vestige d’un vieux commerce local, à l’abri de toutes dégra- 
dations, pourra longtemps encore attirer l'attention des Lronnais. 


La curieuse enseigne qui vient d’être déplacée n’a point 
été recueillie par le Musée. L’Administration, pas plus que 
la Société du Vieux-Lyon n’ont donné signe de vie en cette 
circonstance. On aurait donc eu à regretter la perte de 
cet intéressant vestige, si le nouvel acquéreur de l’immeu- 
ble démoli, M. Bussy, n'avait pris soin de lui assurer un 
asile. Désireux de conserver le souvenir d’une indus- 
trie localisée autrefois dans le quartier, ainsi que les tradi- 
tions laissées par une famille si honorablement connue pen- 
dant près de trois siècles, il a fait encastrer l'enseigne de Ja 
poterie Sourd dans le mur d’une terrasse contiguë au petit 


364 NOTES ET SOUVENIRS 


hôtel qui se construit sur l’emplacement de la vieille bâtisse. 
Les archéologues, les amis des vieilles choses lyonnaises 
n’ont rien à regretter. Puisque l’on ne doit jamais posséder 
de musée historique lyonnais, on ne peut qu'applaudir à 
la conservation, sur leur emplacement primitif, des objets 
ou monuments qui rappellent une date, un fait, un souve- 
nir quelconque (1). 

Outre la reproduction de l'enseigne de Bourgneuf dans 
la Nouvelle histoire de Lyon de M. Steyert, on en trouve 
encore un dessin dans le Magasin pittoresque de l’année 1855, 
faisant partie d’une série d’études sur les enseignes de Lyon, 
dues également à notre distingué historien. C’est d’après 
cette gravure sur bois que nous donnons la reproduction 
ci-dessous. 


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(1) Pourtant, il ne faut désespérer de rien. Peu de jours après que 
j'écrivais ces lignes, le $ novembre, la Société lyonnaise des Beaux- 
Arts donnait son banquet annuel. Au dessert, plusieurs toasts furent 


NOTES ET SOUVENIRS 365 


Puitspelu, dans ses Wüeilles enseignes lyonnaises (1), ne 
publie pas l’image de cette enseigne, qu’il décrit ainsi : 


« À L'ENUIE 
DU . 1718 . POT 


« était inscrit, quai Pierre-Scize, n° 27, sur une enseigne 
grossièrement sculptée, représentant deux hommes se dis- 
putant un énorme pot, qui est d’évidence un pot à fleurs. 
Cette signification est accentuée par un objet voisin, qui a 
l'air d’un énorme champignon ou d’un chou-fleur. Cette 
enseigne devait être celle d’un potier. » 

M. Malaval ajoute en note : 

« Et c’est encore celle d’un potier, Eterlin, fabricant de 
poteries au Pont-d’Alaï, qui à là un magasin. La maison 
est de la même époque que l'enseigne. » 

Cette note n’est point exacte. Le magasin de M. Eterlin 
était situé non à Bourgneuf, mais quai de Bondy, n° 5, à 
l’angle de la rue de l’Ours. Il a disparu depuis quatre ans; 
le local est occupé présentement par un marchand de chaises. 
Quant à la vieille boutique 4 l’Enuie du Pot, elle a été 


prononcés. M. Clavel, consciller municipal, parlant au nom de la 
Municipalité, s'est exprimé ainsi au cours de son allocution : 

« Bientôt, — ct je vous le dis de la part de M. le maire, — un palais 
digne de Lvon, digne des Arts, digne des artistes, digne enfin de la 
seconde ville de France, s'élévera dans le quartier Saint-Paul transformé. 
M. Hirsch le sait mieux que personne, lui qui en a préparé les plans 
avec sa science consommée, Dix-sept millions dorment dans les caves 
de l'Hôtel de Ville. Sovez sûrs, messieurs, qu'une grande part vous en 
sera réservée, pour que vous conduisiez vos enfants, en leur faisant 
entrevoir le Beau, de l'école municipale jusqu’à l'école des Beaux-Arts. » 7 

Nous souhaitons que, dans ce palais, un emplacement soit réservé pour. 
le musée historique, depuis si longtemps réclamé. | 

(1} Coupons d'un atelier Pronnais, Lvon, Storck, 1898, in-8. 


366 NOTES ET SOUVENIRS 


tenue jusqu’à ces derniers temps par M. Labbaye, petit-fils 
du dernier descendant de la famille portant le nom de Sourd. 

Puisque l'occasion s'en présente, je me fais un plaisir 
d'annoncer à nos lecteurs la prochaine apparition d’un 
très beau volume consacré aux enseignes anciennes et 
modernes de Lyon. L'auteur, M. Grand-Carteret, est bien 
connu par de nombreux travaux sur les arts, la gravure 
et l’image. Ce livre, publié par les actifs et intelligents 
éditeurs grenoblois, MM. Falque et Perrin, s’imprime en 
ce moment chez M. Ducloz, à Moûtiers. 

Un dernier mot pour terminer : La maison à l'enseigne 
de l'Enuie du pot n’est pas construite au pied du rocher de 
Pierre-Scize, comme l'indique le correspondant de l'Express. 

On sait que le château de Pierre-Scize était édifié sur 
un énorme rocher, qui se détachait de la colline et arrivait 
jusqu’à la Saône. Or, derrière la maison Sourd, s'étend 
une balme plantée d’arbres qui aurait été impropre à la 
construction d’une citadelle. 

Le château de Pierre-Scize était situé à 150 mètres au 
nord ; son emplacement est indiqué par un petit bastion 
qui surplombe le magasin militaire des fourrages, dont la 
superficie a été conquise sur le rocher. 

Les escaliers de la montée de la Sarra, à gauche des 
bâtiments, figurent assez bien les anciens escaliers qui, de 
la rue de Bourgneuf, montaient au château. 

Du pont de Serin, d’où la vue sur le coteau de Montau- 
ban est si gracieusement pittoresque, le promeneur peut 
reconstituer par la pensée, à l’aide du bastion, le vieux chà- 
teau féodal des archevêques, et l'entrée de Lyon si vantée 
par tous les voyageurs. | 

Léon GaALLE. 


Montribloud, 1% novembre 1899. 


ec mes ON Creer Es 


UN POËTE LYONNAIS 


E n'ai pas la prétention, en commençant cette petite étude, de 

y juger l'œuvre de M. Dellevaux (1), ceci n’est point de ma 
compétence. Je me bornerai simplement à noter mes impressions, 
celles que j'ai ressenties à la lecture de ces pages infiniment délicates et 
parfumées. 

Pour donner la note juste des qualités morales d’un individu, il faut 
s’en référer à ses œuvres, dit un proverbe. Qu'il me soit donc permis de 
constater, après des maîtres tels que F. Coppée, A. Brisson, la 
parfaite sincérité, le técw que notre poëte apporte à tout ce qu’il écrit. 
Déjà, en 1896, peu après la mort d’un frère tendrement aimé, parurent 
les Essais poétiques. Dans ces pages très douces, où s’évoquent les choses 
d'aujourd'hui devenu hier, d’hier devenu le passé, on sent un souffle 
d’infinie tendresse qui est le cachet particulier des œuvres de Dellevaux. 

Dans sa pensée, ces premiers poèmes n'étaient pas destinés à fran- 
chir le cercle familial et intime. L'accès de ce qu’il appelait si justement 
le reliquaire des souvenirs, devait en être défendu au profane. Mais 
dans notre siècle de viles compromissions, de lâchetés, où le culte du 


(1) Tableautins et Médaillons, Lvon, Storck, 1896, in-8. 
Le Sachet d'amour, Paris, Alphonse Lemerre, 1898, in-12. 


368 BIBLIOGRAPHIE 


Beau, du Bien, de l’Idéal est si souvent proscrit, n'est-ce pas faire 
œuvre moralisatrice que d’entr'ouvrir pieusement ce reliquaire pour que 
la suave odeur qui s’en dègage purifie la lourde atmosphère où se 
meuvent nos trop terrestres âmes. 

Lisez les Tableaulins et les Médaillous, tout y est ravissant et tout 
serait à citer. Au hasard, mon choix se fixe sur une pièce d’une réalité 
triste et douce tout à la fois : 


LA MORT DE L’AIEULE 


Grand'méère se mourait, Dans l'urne en porcelaine 
La veilleuse jetait son reflet attriste, 

Rendaut plus morne encor tout ce que cette scène 
Avait de déchirant en sa simplicité. 


Grand'mère se mourait. On perccvait à peine 
De son souffle amoindri, le bruit précipite, 
Et son regard allait du crucifix d'ébène 

A ses petils-enfants. .. Sublime charité 


Qué confondait ainsi, dans la méme tendresse, 
Et le Dieu des mourants, et la tendre jeunesse, 
Et tout ce qu'ici-bas elle avait su chérir ! 


— Au dehors, les oiseaux, enivrés de lumière, 
Disaient, à plein gosier, leur chanson coutumière, 


Pour qu'en nous souriant, PAïeule prit mourir... 


Plus loin, dans Pretà, la douleur affreuse de la mère perdant son fils 
e .. : : 
serre le cœur et rougit les veux. La fin prématurée d'un frère lui avait 


inspiré ces lignes déchirantes. 


[n'est plus, ton Jésus !— Seule, au pied de la croix, 
O loi, dont le cœur est transpercé de sept glaives ! 
Sur tes faibles genoux, tendrement, tn soulves 

Lon Enfant pile et nu, dont les membres sont froids. 


[rest plus, ton Jésus {Et ton regard implore 
Son cadavre que va te prendre le tombeau, 
Son œil clémentet doux que la mort vient de clore 


Et sa plaie au côté, trouant son corps si beau. 


BIBLIOGRAPHIE 369 


— Vierge de Nazareth, Ô femme du Calvaire, 
Je l'aime, avec respect : comme un fils. Je révère 
Une autre Mère en toi, dont les pleurs sont tes pleurs. 


— O seul amour constant ! tendresse maternelle, 
C’est loi qui fais comprendre, el qui rends éternelle 
Notre-Dume des Sept-Douleurs ! 


Il n’en faut pas conclure que notre poète soit exclusivement voué à 
la mélancolie, que seuls les tristes anniversaires, les mucttes douleurs 
hantent son cerveau. Voyez quel ravon de soleil, quelle vibrante jeunesse 
animent ce Sounet d'Avril au chevalier Printemps : 


LE POÈTE 


« Je ne sais pas... mais ce malin, 
Toutes les femmes sont jolies.… 

— Vous, Madame, et toi, gai trotlin, 
Qui vous a, soudain, embellies ? » 


ELLES 


— «€ C’est Monsieur Printemps, libertin 1 
€ Printemps, dicu des tendres folies 

« Elbeau vainqueur, nous a remplies 

« De sa grace à lui, C'est certain... » 


LE POÈTE 


— C'est pourquoi, dames el grisettes, 
Vous cles charmantes, vous étes 
Adorables..…. Je vous le dis : 


Aimez, tandis qu' Avril rouvcoie 1 
Aimez!... Dieu, dans son Paradis, 


Avant la vertu, met la joie ! 


Ces trop courts extraits permettent néanmoins de juger du talent 
souple et de la vie intense qui animent les Médaillons sertis dans les 
Essais poétiques. 

François Dellevaux ne pouvait vraisemblablement s’en tenir là, tout 
faisait espérer qu’il nous réservait d’autres surprises ; et de fait, un clair 
matin de printemps nous apporta le Sachet d'Amour. Ce tut si doux et 

N° 5. — Novemtre 1899. 24 


370 BIBLIOGRAPHIE 


si suave à lire qu'on ne savait plus au juste ce qui embaumait l'âme, 
de la nature en fleurs ou de ces poïmes parfumés de jeunesse ct 
d'espérance. 

Malgré le haut parrainage que F. Coppte voulait bien porter en ces 
termes à cette nouvelle œuvre : « C’est avec grand plaisir, mon cher 
poèle, que j'inscres mon nom en télé de ce recueil où vous avez reuni vos 
jolis vers pleins de gräce juvénile el de parfums, » i se trouva quelques 
esprits assez chagrins pour se choquer de la liberté d'expressions qu'ils 
v ont cru trouver. Pauvres esprits, avouez donc que cette confession à 
Celle qui doit étre un jour ma femme vous a profondément troublés. 
Vous ne pouviez, vous ne vouliez pas croire qu'il existe encore des 
âmes assez hautes pour proclamer sans fausse honte leurs péchés de 
jeunesse. La lumière de la vérité vous aveuglerait-elle ? Le pocte se 
place au-dessus de ces petitesses et vous absout tout en vous plaignant 
de n’avoir pas su conserver l'accent de franchise qui fait tout pardonner. 

A la lecture de cette confession, on se rend compte combien le 
temps est lointain déja où, laissant errer timidement ses doigts sur la 
lvre des sentiments, Dellevaux nous donnait ses premiers feuillets. 
Bien que de facture plus puissante, ces vers ont conservé leur belle 
simplicité, alliée au pur accent du vrai ; cette définition de l’Aten n'en 
est-elle pas la convaincante preuve ? 


La hardiesse de l'aveu fait sa fierté, 

Sans qu'un menagement bypocrite nr'intime 
Une pudeur aisée, en ce volume intime 

Ma franchise instruira ta pure loyauté, etc. 


Le Sachet d'Amour peut être appelé le bréviaire des jeunes époux ; la 
passion, une passion légitime et honnète, y respire d'un bout à l'autre. 
Le pocte nous conduit du premier jour d'hvinen jusqu'à l'apparition 
attendue de lenfant : ce gage vivant de tendresse ; et alors, il chante 


encore pour endormir son jeune trésor : 


Au bois assoupi, dorment les oiselles : 
Au lac assoupi, dorment les roseaux ; 
Les phalèues d'or, l'or des demoiselles 


Ne lutinent plus les cormantes eaux. 


BIBLIOGRAPHIE 371 


Seul, le ruisselet, dont l'herbe s'arrose, 
Dans son lit plaintif sanglote en sursaut, 
Au parc endormi, sommeille la rose ; 

Au bois assoupi, repose Poiscau… 

Vite, sommeillez, car la nuit est close, 
Car vous êtes fleur el petit oiseau. 


Car les Mères-Grands somuolent chez elles, 
Car dort le rouet avec les fuseaux.… 

Au bois assoupi, dorment les oïselles ; 

Au bois assoupi, dorment les oiscaux… 


Souhaitons, en terminant, que notre ami Dellevaux poursuive l’œuvre 
si bien commencée, que d’autres pages douces et vibrantes viennent 
encore communiquer à nos fibres anémiées un peu de ce sang bleu si 
dédaigné de nos jours : le lire et le goûter sera le charme des heures 
tristes de nos existences. ù 


René des PoMEYs. 


EN VIVARAIS. — IMPRESSIONS. — DESCRIPTIONS. — NOTES HISTO- 


RIQUES. — FIGURES ARDÉCHOISES. — GRANDES INDUSTRIES. — 
PRESSE. — PAGES VIVARAISES, par Jean VOLANE, Paris et Nancv, 


1897-99, 2 beaux volumes in-8, illustrés de 90 dessins ardéchois ou 
compositions ornementales (1). 


Notre confrère, M. Jean Volane, directeur de l'Ardèche littéraire, 
publiait il v a deux ans, un charmant volume, le premier d’une série 
d’études destinées à faire connaître le pittoresque pays de Vivarais. Cette 
première partie comprend l'arrondissement de Privas. Il v a quelques 
semaines, à peine, paraissait un second volume sur l'arrondissement de 
l'Argentière, et tout nous fait espérer que, très prochainement, le troi- 


(t) Par une faveur spéciale pour les abonnés de la Revue du Lyonnais, 
le prix de ces deux volumes réunis a été abaissé à 6 fr. jo au licu 
de 8 fr. so. — Adresser les demandes à l’auteur, à PONT D’UCEL 
(Ardèche). ï 


372 BIBLIOGRAPHIE 


sième et dernier, traitant du Haut-Vivarais, viendra clore cette œuvre 
due à un très pur sentiment de patriotisme. 

L'auteur nous promène à travers villes et campagnes. Avec lui nous 
visitons d'antiques manoirs démantelés et de riantes villas ensoleillées ; 
nous gravissons des montagnes tantôt couvertes d’une luxuriante ver- 
dure, tantôt arides et dénudées. Et, tour à tour, M. Volane, nous charme 
par des descriptions pleines de poësie ou des récits historiques drama- 
tisés par les légendes locales. 

Et lorsque, rentré au logis après ces courses vagabondes, le vovageur 
se repose auprès de l’âtre des fatigucs de la route, l’auteur, en compa- 
gnon fidèle, l’entretient des antiques souvenirs et des gloires de sa pro- 
vince. | 

Alors, nous voyons défiler, en une série de portraits, les célébrités 
vivaraises depuis Béranger de la Tour et Olivier de Serres, jusqu'à 
Odilon Barrot et le chirurgien Ollier. Ce sont, parmi les anciens : Clo- 
tilde de Surville, Joseph Gamon, François Valeton, le cardinal de Ber- 
nis, Soulavie ; et parmi les contemporains : Auguste Desportes, le pein- 
tre Duffaud, Ovide de Valgorge, Mazon, Benoît d’Entrevaux, Henry 
Vaschalde, etc. 

Et ainsi, du passé au présent, parmi les hommes et les choses, nous 
passons escortés par une pléïade qui chante, de ce pays aux pavsages 
sévères, les jours écoulés et le renouveau. 


Chanoine LECOQ. 


SOCIÉTÉS SAVANTES 


CADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LEÉTTRES ET ARTS DE LYON. — 


Séance du 4 juillet 1899. — Présidence de M. Gilardin. — A 
raison de l'accroissement considérable des demandes des lauréats aux 
prix de l’Académie, la Compagnie décide qu’à compter de l’année pro- 
chaine la clôture des divers concours sera fixée au 1er juin. — M. Rou- 
gier lit la première partie de son rapport sur les travaux des membres 
de la section de philosophie, morale, jurisprudence et économie poli- 
tique. Cette partie comprend l'histoire de cette section pendant le 
xvuie siècle. L’orateur fait observer que la philosophie tient peu de 
place pendant cette période. Mais il en est autrement de l’économie 
politique et sociale. Il cite, à cet égard, le discours que prononça 
l'avocat général Servan, membre associé, dans la séance publique, où il 
fut reçu, le 10 juillet 1781. 

Séance du 11 juillet 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Commu- 
nication est donnée d'une lettre de M. le Ministre de l'instruction 
publique, annonçant qu'une subvention de 600 francs est accordée à 
 P'Académie pour l'impression du Pentateuque du vue siècle. — Hom- 
magv : Le déluge de No et les races prédiluviennes, par M. de Kirvan. — 
M. Pariset présente un rapport sur les travaux et publications de la 
section d'histoire et antiquités. À ce sujet l’orateur rappelle aussi les 
recherches fécondes, dues au Comité d'histoire et d'archéologie, qui 
forma une sorte d’annexe de l'Académie, de 1860 à 1870. — M. Bon- 
nel donne lecture du résumé des travaux de l'Académie pendant le pre- 
mier trimestre de 1792. 

Séance du 18 juillet 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Commc- 
nication d’une circulaire de M. le Ministre de l'instruction publique 


374 SOCIÉTÉS SAVANTES 


annonçant que le Congrès des Sociétés savantes s'ouvrira à Paris, à la 
Sorbonne, le 7 juin 1900. — M. Berlioux présente un rapport sur 
l'ouvrage de M. de Kirvan: Le déluge de Noé et les populations prédilu- 
aiennes, [] signale notamment les conclusions adoptées par l’auteur au 
sujet de l'ancienneté de l'homme. D'après lui la durée de la race 
humaine ne remonte guère au-delà de 5.000 ans, et M. Berlioux par- 
tage cette opinion. — M. Berlioux signale ensuite les résultats impor- 
tants obtenus par diverses Sociétés anglaises ou américaines, dans leurs 
explorations en Palestine et dans la vallée du Nil. Les observations, 
faites ainsi, sont consignées Surtout dans des publications importantes, 
mais d’un prix inabordable pour de simples travailleurs. — M. Chantre 
partage cet avis. D'un côté, aucunes publications de cette nature n'ont 
été faites en France et, d'autre part, si on veut les consulter, on est 
obligé de se rendre à Paris, dont les grands dépôts les posstdent 
seuls, 


Séance du 25 juillet 1899.— Présidence de M. Gilardin. — Hommage : 
10 Les alômes et les hypothèses dans la géométrie (2° édit.), par M. Bon- 
nel; 20 Le Beaujolais préhistorique. — M. Vachez fait un rapport oral, 
au nom de la Commission du prix Livet, qui propose de décerner la 
somme de 3.000 francs de la manière suivante : à Mlle Debise, 
1,500 fr.; à Mlle Combe, 1.000 fr., et à Mile Duperron, 500 fr. Les 
conclusions de ce rapport, mises aux voix, sont adoptées. — Sur un 
rapport, présenté par M. Bonnel, l'Académie décide que la somme de 
5.000 francs, du prix Lombard de Buffières, sera répartie, par part égale, 
entre les dix lauréats suivants: MM. Cotin, Michel, Garbil, Chometon, 
Praver, Matci; Mmes Périllat et veuve Bernard, et Miles Bloud et 
Mourette. — M. Bonnel communique la fin de sa notice sur l’Acadé- 
mie pendant l’année 1792. L'orateur signale, à ce sujet, un fait rare 
dans les annales de la Compagnie : l’admission au nombre de ses 
membres de Mile Victorine Lallier, jeune artiste, auteur d'un tableau 
représentant Îcare, auquel son père attache des ailes. Elue dans la 
séance du 24 juillet, Mile Lallier fut reçue dans la séance publique du 
30 juillet. Mais cette réunion fut la dernière séance publique que tint 
l'Académie. Quelques jours après, les livres et objets d’art appartenant 
à la Compagnie et conservés à l'Hôtel de Ville, durent être transportés 
au Collège de la Trinité, où fut tenue la séance de rentrée du 20 sep- 
tembre 1792. 


SOCIÉTÉS SAVANTES 375 


Séance di rer août 1899. — Présidence de M. Gilardin. — Sur un 
rapport présenté par M. Bonnel, le prix Ampère-Cheuvreux est décerné 
à M. Jacques Demeure, répétiteur à la Martinière, bachelier ès sciences 
et dicencié en sciences physiques. — L'Académie vote des féli- 
citations à M. Vermare, ancien lauréat des prix Dupasquier et Lombard 
de Bufhères, qui vient d'obtenir le grand prix de Rome pour la sculp- 
ture. — M. Bleton donne lecture d’une étude intitulée : Molière à Lyon. 
C'est à .Lvon, dit l’orateur, que Molière a donné la première de ses 
œuvres dramatiques, lui avant valu une juste célébrité, Mais, jusqu’à 
ce jour, à l'exception de Brouchoud, on n'a guère parlé de son séjour 
dans notre ville, où il vint pour la premiere fois au mois de dé- 
cembre 1652. À cette époque, il n'existait pas de salle de théâtre pro- 
prement dite, mais de simples salles de jeu de paume. L'une d'elles 
était situce dans la rue de F'Angileet Saint-Olive la encore vue en 1817. 
C'est là que, d'après la tradition, Molière joua, pour la première fois, 
l'Etourdi, qui ne fut imprimé que dix ans plus tard. Après avoir rappelé 
les troupes italiennes, qui donnaient des représentations à Lyon à cette 
époque, l'orateur énumère les principaux sujets de la troupe du grand 
comique, parmi lesquels figurent les Béjard et Marquise de Gerla, qui 
épousa René du Parc. À la suite de ces débuts, qui eurent un grand 
succès, Molière se rendit plusieurs fois dans le Languedoc; mais frè- 
quemment aussi il revint à Lvon, où il donna, en 1657 et 1658, des 
représentations en faveur des pauvres. Mais, dès cette dernière année, il 
se fixa définitivement à Paris. L'orateur, examinant ensuite ce qu'il va 
de réel dans le personnage du pharmacien Fleurant, déclare qu’il ne 
voit [à qu'une simple légende. En ce qui concerne les rapports de 
Molière avec la société lvonnaise, l’orateur ajoute que l’existence de ces 
rapports n'est établie d'une manitre certaine qu'avec l'avocat Basset, 
auteur dramatique, et Françoise Pascal, à laquelle sont dues des tragé- 
dies et des comédies. En terminant, M. Bleton exprime le vœu que l’on 
profite des transformations du quartier Saint-Paul pour v élever un 
monument destiné à rappeler le séjour à Lyon de notre grand comique. 
— MM. Lacassagne et Bonnel appuient cette proposition. Ce dernier 
fait observer, à ce sujet, qu'autrefois l'Académie était chargée par Île 
corps consulaire de rédiger les inscriptions à placer sur les monuments 
de la Ville. Aujourd'hui elle n'est plus consultée. Mais il serait peut- 
être bon de saisir cette occasion pour prendre linitiative des projets des 
monuments et de: inscriptions qu'ils doivent recevoir. 


Chronique d'Octobre 1899 


mme mme 28 


SOMMAIRE. — La guerre du Transwal. — M. Loubet à Collonges. 
— Les perquisitions et le grand complot. — Nouveaux timbres et 
nouvelle monnaie. — Fêtes officielles. — Les grands travaux. — Le 
pont d’Ainay. — À Fourvière. — Les morts du mois. — Mgr Fava. 
— Chronique des arts et des lettres. — Les incunables de Grenoble. 
— Nos th'itres. 


dE: mois d’octobre de l’année fin de siècle 1899 sera 
2% à jamais célèbre dans les fastes de la grande his- 
toire; car il marquera le superbe élan d’un petit 
peuple de 300,000 âmes se levant, fort de son droit et 
jaloux de son indépendance, contre le terrible léopard bri- 
tannique et infligeant aux troupes de Sa Gracieuse Majesté 
les plus sanglantes et Les plus honteuses défaites que l’Angle- 
terre ait jamais subics. Quelle dure leçon pour la France! 
Le 12 octobre; le Transvaal et la République d'Orange 
déclarent courageusement la guerre à l'Angleterre et leurs 
troupes envahissent à la fois Natal et la colonie du Cap. 

Les graves préoccupations qu'une pareille situation exté- 
rieure devaient susciter à nos gouvernants et à nos diplo- 
mates n’empèchaient pas M. Emile Loubet de venir passer 
vingt-quatre heures de doux far-niente sous les ombrages de 
la somptueuse propriété de Mme Perret, à Collonges-sur- 


CHRONIQUE D'OCTOBRE 1899 377 


Saône, le $ octobre; tandis que le mème jour, les perquisi- 
tions, en vue d'établir, contre toute évidence, l'existence du 
fameux complot panaché dont connaitra la Haute-Cour, 
recommencent à Lyon, chez M. Pierre de Saint-Victor, che- 
min de Francheville, un lettré lyonnais, un philatéliste 
même, — c'est dire s’il songeait peu à conspirer — d’où les 
policiers reviennent aussi bredouilles qu'un chasseur quêtant 
un lièvre à Vénissieux. 

Mais notre vie n’est pas suspendue aux exploits tracassiers 
de messieurs du Parquet; et le $ octobre n’en apportait pas 
moins aux amis des arts une bonne nouvelle. Un jeune archi- 
tecte, — est-elle assez privilégiée, cette année, l’architec- 
ture! — M. Alexandre Bruel, né à Lyon, le 3 mai 1869, 
élève de MM. Blondel et Sellier de Gisors, recevait de l’Aca- 
démie des Beaux-Arts le prix Chaudesaigues, l’envoyant 
pour deux ans en Italie, comme son collègue, notre compa- 
triote, le nouveau prix de Rome, M. Vermare. 

J'ai parlé de M. Pierre de Saint-Victor, le philatéliste ; il 
a dû tressaillir d’aise, malgré les ennuis de ses perquisitions, 
en apprenant que Luc-Olivier Merson venait d'accepter de 
l'Etat la commande de la nouvelle vignette qui va courir le 
monde sur nos lettres en 1900, le timbre-poste de l’Expo- 
sition. 

Si on songe qu’à la même époque nous aurons les pièces 
de 40 francs et de 100 francs de Chaplain et la grande 
Semeuse de Roty, l1 semeuse de $ francs, que la Convention 
monétaire internationale tient toujours en charte privée, on 
devine la joie qui règnera bientôt dans le monde des collec- 
tionneurs. 

Le 8 octobre, grande fête à Limonest, pour l’inauguration 
des plaques commémoratives des morts de 1870; la même 
nuit, on assassinait à Champagne un pauvre diable dont les 


378 CHRONIQUE D'OCTOBRE 1899 


meurtriers restèrent introuvables comme les assassins de la 
pauvre cabaretière qu'on trouve ésorgée le 22, dans la 
rue Sébastien-Gryphe. C'est à croire que nous n'avons plus 
de police depuis qu’on l’a exilée sur le boulevard de la Part- 
Dieu. 

Le mème jour, 22 octobre, splendide fète offerte par la 
Société de tir de l’armée territoriale à l’occasion de la dis- 
tribution des prix à ses lauréats du concours de 1899, fête 
pleine de patriotisme et d’entrain, à laquelle assistent toutes 
nos autorités. Seul, M. le maire de Lyon manquait à l'appel. 
Etait-il retenu par l'étude du projet de création à Lyon d’une 
école de tannerie, d’où pourrait sortir plus tard un président 
de la République ? Songeait-il au fameux cours de repassage 
qu'on va inaugurer dans nos écoles municipales et dont nos 
ménagères feront bien de profiter? S'occupait-il de l’école 
d'enscignement colonial que la Chambre de commerce va 
inaugurer bientôt ? 


* 
é * 


Non ; M. le Maire songeait aux grands travaux qu'il a rêvés 
depuis. qu’il préside aux destinées de notre ville; et soudain 
son front s’illuminait, il rêvait d’un bon tour à faire à ses 
électeurs récalcitrants du deuxième arrondissement. 

— ÏIls ont réclamé, se disait-il, un pont monumental à 
Ainay, à la place de leur vieux pont branlant ; on l’ouvrira 
au public, sans tambour ni trompette, sans inauguration, 
sans discours. 

Ainsi fut dit, fut fait. Le 1°" octobre, le cantonnier du 
coin enlevait la dernière barrière qui fermait l'accès du pont 
et les piétons stupéfaits s’aventuraient sur cette nouvelle 
vote, se demandant, avec étonnement, s'ils avaient bien le 


CHRONIQUE D'OCTOBRE 1899 : 379 


droit de fouler ainsi une asphalte que le pied de M. Gail- 
leton n'avait pas encore consacréc. 

Et le pont d’Ainay ne sera jamais inauguré. 

Pauvre pont ! Il avait remplacé la passerelle ouverte en 
1821, qui succédait elle-même au pont de bois construit en 
1745-48 par l'architecte de Gérando et emporté par les eaux 
en 1793. Ce fut, je crois, le dernier pont sur lequel le droit 
de péage, prélevé par les Hospices, fut payé. Il fut racheté 
par la ville, le 2 mars 1865. Le nouveau pont a coûté à nos 
finances environ 700.000 francs. 

Mais les travaux importants ne manqueront pas à notre 
bilan du mois d’octobre. 

On commence les travaux d'éclairage électrique de la rue 
de la République. Le $ octobre, le Conseil municipal dé- 
nonce à la Compagnie des Eaux son traité et se substitue à 
elle. Dieu veuille que nous ne payions pas l’eau municipale 
plus cher qu'auparavant ! da 

A la même séance M. le Maire propose la construction 
d’une nouvelle Morgue, dont le besoin se fait, certes, bien 
sentir — sans mauvais calembourg. — Elle serait placée 
derrière la Faculté de Médecine. Cet emplacement vaudrait 
certes mieux que le projet qui consistait à en faire le plus 
bel ornement du futur pont de l’Université. Nos industriels 
ne doutent de rien, vraiment. Enfin, ie 24 octobre, le Conseil 
municipal décidait le prolongement de l'avenue de Saxe, au 
milieu du quartier de la Mouche. Qu'on vienne donc nous 
dire que nos édiles ne peinent pas à la tâche! 

Il est vrai, cependant, que ce ne sont que des projets et 
nous savons, par expérience, en fait de travaux d’édilité, 
combien il y a loin de la coupe aux lèvres. 

À Fourvière aussi, les travaux d'achèvement sont activés 
avec zèle. Nos lecteurs n’ont pas oublié les lances rompues 


380 CHRONIQUE D'OCTOBRE 1899 


par nous pour sauver de la destruction le vieux portail de 
la nef Saint-Thomas. Son sort est aujourd’hui décidé et 
nous sommes heureux de la détermination prise par la Com- 
mission, éclairée par M. Sainte-Marie Perrin ; on remettra 
l’ancienne porte de la nef Saint-Thomas sous le porche qui 
sert d'entrée latérale entre les deux églises, perpendiculai- 
rement à l'emplacement qu'il occupait autrefois ; c’est-à- 
dire qu'il formera l'entrée latérale de l’ancienne chapelle. 
On ne pouvait pas trouver de meilleure solution. 


* 
* + 


Hélas, tout passe ici-bas, laissant derrière lui indifférence 
ou regrets. N'avons-nous pas, en ce mois d'octobre, qui 
confine à la fète des morts, de chers défunts à pleurer! 

Le 4 octobre, meurt, à Villefranche, M. Philippe-Grésoire 
Chatel, ancien zouave pontifical, chevalier de l’ordre de 
Saint-Grégoire-le-Grand, médaillé du Bene-Merenti, prési- 
dent du Conseil de fabrique de l’église Saint-Pierre de Vil- 
lefranche. 

Nous apprenons avec regret, le 13 octobre, la mort, à 
Lyon, de M. Pictet ; c’est une grande figure lyonnaise qui 
vient de disparaitre. 

M. Pictet s'était consacré à l’enseignement ; pendant 
longtemps son institution fut le rendez-vous de toutes les 
notabilités Ironnaises. 

M. Pictet Ctait depuis vingt-trois ans membre du conseil 
central de la Propagation de la Foi. Il portait la rosette de 
commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire. Il avait été éga- 
lement nommé officier d’Académie pour services rendus à 
l’enseignement. 

Le mème jour, on enterrait, à Paris, l'expert Charavav, 
dont le nom a été si souvent prononcé dans l’Affaire à 


CHRONIQUE D'OCTOBRE 1899 381 


propos des discussions que souleva l'écriture du bordereau. 

Il était né à Lyon, le 17 avril 1848. Sorti de l'Ecole des 
Chartes avec le diplôme d’archiviste paléographe, il s'était 
créé une réputation universelle dans le commerce des auto- 
graphes qu’il abandonna en 1892 pour se livrer exclusive- 
ment à des travaux d’érudition, notamment à la publication 
de la correspondance de Carnot et à ses expertises en écri- 
tures. | 

Le 17 octobre, succombe Mgr Armand-Joseph Fava, 
évêque de Grenoble, emporté par les fièvres contractées en 
Afrique au cours de son apostolat. | 

Né à Evin-Malmeuson (Nord), le 10 février 1826, 
Mgr Fava s’embarquait en 1851 pour la Réunion, ou il 
devint vicaire général de Mer Desprez; puis, sur sa demande, 
il fut envoyé, avec les premiers missionnaires catholiques 
sur la côte orientale de l'Afrique et à Zanzibar. Cette partie 
de la carrière apostolique de Mur Fava est trop connue pour 
que nous nous y étendions plus longuement. | 

Evèque de la Martinique en 1871, chevalier de la Légion 
d'honneur le $ mars 1874, évêque de Grenoble enfin, 
Mgr Fava prit possession du siège épiscopal, le 18 novem- 
bre 1875. | | 

Le 30 octobre mourait notre confrère, M. Raymond, 
l'excellent critique d'art du Lyon Républicain. 

Le même jour, on inaugurait, à Pau, la statue de Bour- 
baki, œuvre de M. Millet de Marcilly. Nul n'ignore le pré- 
cieux souvenir que laissa à Lyon l’ancien gouverneur de 
Lyon, et l’ardeur qu’il apporta dans l’organisation de notre 
armée des Vosges, pendant l'Année terrible. 

Mais, arrètons là cette nomenclature aride et qui n'évoque 
en nous que de vains souvenirs et des regrets ; et puisque 
nous parlons des chefs de notre armée, Signalons 1 récente 


382 CHRONIQUE D'OCTOBRE 1899 


nomination, au grade de général de brigade, de trois de nos 
compatriotes : le général Lacoste, né à Lyon, le 30 mars 
1842 ; le général Gillet, de Châlon-sur-Saône, et le général 
Nicolas, .né à Charolles, le 20 mars 1844. 


* 
& * 


Notre chronique d'octobre serait incomplète si nous 
n'accordions pas aux arts la place qu’ils méritent. 

La rentrée solennelle des Tribunaux, le 16 octobre, a été 
pour M. l'avocat général Thévard, chargé de prononcer le 
discours d'usage, après la Messe Rouge traditionnelle, locca- 
sion d’offrir aux lettrés un véritable régal. 

M. Thévard avait pris pour sujet un des événements les 
plus tragiques que nous révèle notre histoire locale au 
Xvine siècle : « Le tumulte du pont de la Guillotière en 1711 
et le procès du sergent Bel-Air ». 

C’est le récit poignant d’un acte .de brigandage commis, 
un jour de fête, par un sergent et sa troupe, qui avaient 
mission de maintenir l’ordre public près du pont de la Guil- 
lotière, sur la rive gauche du Rhône. La foule était serrée 
près de ce pont lorsque Mme de Servient, qui voulait passer, 
fut, à la suite d’un événement resté toujours mystérieux, 
:ctée hors de son carrosse ; celui-ci fut aussitôt renversé et 
une indescriptible mêlée s’ensuivit. 

Les portes du pont furent fermées et les promeneurs 
massacrés et pillés par les soldats. Deux cent dix-sept victi- 
mes jonchèrent le sol de leurs cadavres. Le sergent Bel-Air 
fut seul arrêté, ses hommes purent prendre la fuite. 

Bel-Air, malgré les témoignages accablants, affirma tou- 
Jours son innocence. Le Présidial le condamna néanmoins 
au supplice de la roue, à cinq cents livres d’or d'amende 
envers le roi et à deux cents livres pour les messes à dire en 


CHRONIQUE D OCTOBRE 1899 383 


faveur du repos de l’âme de ses victimes. Ses complices furent 
plus tard jugés par défaut et condamnés à la pendaison. 

M. l'avocat général Thévard s’est défendu de vouloir tirer 
une conclusion de cet épisode d’une grande intensité dra- 
matique. Cette dissertation si intéressante, si puissamment 
écrite, a été très applaudie. C’est du reste, une des rares 
manifestations des lettres, en octobre. 

Nous pourrions citer encore, à l’occasion de l'ouverture des 
hostilités entre le Transvaal et l'Angleterre, une thèse de doc- 
torat en droit qui a précisément pour titre : De la déclaration 
de guerre, sa justification, ses formes extérieures, éditée chez 
Rey, à Lyon, auteur, M. Nicolas Bruyas, lauréat de la 
Faculté de droit et de la Société d'Economie politique. 

Enfin nous signalerons la prochaine apparition du catalogue 
des « incunables » de la bibliothèque de Grenoble, véritable 
travail de bénédictin, terminé par M. Maignien, l'érudit 
conservateur de cette bibliothèque. Il forme un volume 
de 500 pages, orné de nombreuses gravures. 

La collection des livres du xv° siècle de la bibliothèque 
municipale de Grenoble se compose de 614 ouvrages formant 
332 volumes, imprimés de lan 1460 à l'an 1500 inclusive- 
ment. Un inventaire sommaire de cette collection avait été 
rédigé en 1810 par les soins de Jacques-Joseph Champollion- 
Figeac; mais cet inventaire, resté parmiles papiers de l’auteur, 
fut, à la mort de son fils, vendu aux enchères publiques à 
Lvon, en 1898. Après J.-J. Champollion-Figeac, M. Ducoin 
dressa, en 1830, un nouveau catalogue très sommaire qui 
indique 539 numéros. Depuis, la collection s’est accrue de 
64 ouvrages. 

Il importait que ces précieux monuments de l’art typogra- 
phique à son berceau ne fussent pas plus longtemps ignorès 
du public savant. 


384 CHRONIQUE D OCTOBRE 1899 


Le fonds des incunables de la bibliothèque de Grenoble à 
été constitué, en grande partie, à l’aide d'ouvrages tirés de 
la bibliothèque de la Grande-Chartreuse (de 1794 à 1803). 

Nous terminerons cette notice, suivant l'usage, par un 
aperçu rapide sur nos théâtres. 

Les Célestins nous offrent, le 17 octobre, une « pre- 
mière » sans intérêt, La Légion Etrangére, gros mélodrame 
où se mêlent l'intrigue des bas-fonds de Paris et la gouaille- 
rie des lascars de la légion, perdus au milieu des Malgaches. 

Le 20 et le 25, intéressantes reprises de Denise et de 
Nos bons Villageois, par une excellente troupe de comédie. 

Le Grand-Theâtre ouvre ses portes le 10 octobre, avec 
les Huguenots. M. Tournié, qui se trouve maintenant à la 
tête des deux théâtres municipaux, nous présentait plu- 
sicurs nouveaux pensionnaires : M. Scaramberg, un fort 
ténor de véritable talent et qui sera très goûté du public ; 
Mmes Fœdor, Tournié, Walter : MM. Mondeau, baryton; 
Sylvain et Artus, basses; une première danseuse, Mile Cerny, 
qui fera les délices des abonnés des fauteuils; un ballet 
absolument incohérent ; un orchestre plein de bonnes inten- 
tions, très bien conduit par M. Miranne. 

Puis le vieux répertoire défile, l'Africaine, Roméo, Hamlet, 
Faust, Manon, Mireille, Hércdiade, prétextes ordinaires à 
d'interminables débuts. On nous annonce pour cet hiver 
des nouveautés sensationnelles.: Cendrillon, opéra de Mas- 
senet; Tristan et Yseult, de Wagner; Princesse d’ Auberge, 
comédie musicale en trois actes, de B'ocx ; Heusel et Gretc}, 
conte lyrique en trois actes, de Humperdinck ; Jabël, opéra 
en quatre actes, de Coquard. Mais chacun sait que l’anti- 
chambre des directeurs de théâtre est, comme l'enfer, pavé 
de bonnes intentions. Pierre VIRES. 


Le Gérant : P. BERTHET. 


fimprimerie Mougin-Rusand, Waltener et Cie sucrs, rue Stella, 3 


BALTHAZAR-JEAN BARON 


graveur lyonnais 


(1788-1869) 


BALTHAZAR- JEAN BARON 


Graveur lyonnais 


L n'est pas rare que, sous uñe enveloppede commer- 
 çant, habite une âme d'artiste, de même qu’un 
talent d'artiste peut fort bien se trouver doublé 
d'un esprit mercantile ; les exemples ne manquent pas. 

Le négoce lyonnais a fourni bon nombre de ces hommes 
qui donnent à l’art leurs heures de loisir et de dttente. 
Quelque opinion qu'on en ait, l’industrie de la soierie est 
un milieu particulièrement propre à éveiller chez ceux qui 
l’exercent le sens artistique. Il serait facile de citer vingt noms 
de fabricants de soierie qui, non contents du titre d'ami des 
arts, ont tenu avec honneur le pinceau ou le crayon. 

Le burin et la pointe offrent moins d’attrait et ont ren- 
contré moins de fidèles. Aussi ne saurait-on laisser tomber 
en complet oubli le nom de Baron, qui, tout en poursuivant 


sa carrière commerciale, a pratiqué cet art délicat et difhcile 
N° 6. — Décembre 1899. 2; 


396 BALTHAZAR-JEAN BARON 


du graveur, et laissé une œuvre considérable par le nombre 
et la valeur des pièces. 

Balthazar-Jean Baron est né à Lyon, le 14 juillet 1788 ;ilest 
mort à l’âge de quatre-vingt-un ans, le 24 juin 1869. Très 
estimé dans le monde des affaires, il fut élu au Conseil des 
prud'hommes en 1836 et siégea au Tribunal de commerce, 
de 1843 à 1845. Il obtint même, en 1848, dix-sept mille suf- 
frages aux élections pour la représentation nationale. 

Baron avait, dit-on, appris à dessiner sans maitre et se 
disait « élève de la nature ». Ce qui n’est point impossible 
à un sujet bien doué, possédant le sens d'observation et 
s'assujettissant à dessiner scrupuleusement la nature. Mais la 
méthode est dangereuse et l'apprentissage beaucoup plus 
long. 

Si Baron n'eut pas de maitre, il cut au moins un conseil, 
en la personne de Chatelain, secrétaire de l'Ecole vétéri- 
naire et ainateur distingué. C'est lui qui, en vue sans doute 
de réprimer chez le jeune débutant ce lâché inséparable des 
esquisses exécutées sans acquis préalable, l’engagea à dessiner 
à la plume. 

Baron avait été tenté de confier ses premiers cssais à la 
lichographie, alors à ses débuts : on possède de lui deux des- 
sins au crayon (1824), ct deux dessins à la plume sur picrre 
(1825). Mais il devait trouver son véritable instrumentxdans 
ja pointe et ne plus abandonner la gravure à l'eau-forte : 
cent-soixante-dix-neuf pièces de lui attestent la vigueur de 
son talent et une fécondité remarquable chez un homme qui 
ne pouvait donner à l'art que les miettes de son temps. 


L 
+ * 


Ce qui caractérise l’œuvre de Baron, c’est un sentiment 
profond de la nature. Comprendre et aimer soi-même, faire 


BALTHAZAR-JEAN BARON 397 


comprendre et aimer aux autres : c’est tout le secret de l’art. 
Aucune théorie, aucun système ne prévaudra jamais contre 
ce principe. On ne fait bien que ce qu'on fait avec amour, 
eton ne fera bien comprendre que ce qu’on aura d’abord com- 
pris soi-même. 

Encore faut-il que le sentiment de l'artiste soit juste et 
qu'il le raisonne avant de le traduire : sinon, la photogra- 
phie serait le premier des arts. Baron répudiait l’école qui, 
dans la nature, copie tout d’une main servile ou qui, s’arrè- 
tant à l'écorce des choses, se dispense d’en exprimer l’âme. 
À ceux qui disaient devant lui : « Rien n’est beau comme 
le vrai », il ne manquait jamais de répondre : « Dites plutôt 
que rien n'est vrai que le beau. » 

Il excellait à traiter le paysage, mais il y place, d'ordinaire, 
quelques figures qui, pour être d’une facture sommaire, où 
se sent le défaut d’études académiques, sont toujours à point 
pour animer le tableau et en accuser le caractère. 

Sa manière se rattache à celle de Boissieu, surtout dans 
la première partie de son œuvre, et Boissieu lui-même pro- 
cède visiblement de l'Allemand Weiroter. Plus tard, Baron 
subira d’autres influences, mais son dessin ne perd jamais 
ses qualités de netteté et de simplicité, même dans les gra- 
vures les plus poussées. C’est de premier trait, sans retouche, 
sans fignolage. C'est, cependant, très étudié, et nul détail 
n'est livré à l’imprévu . 

Vous devinez l’homme qui a librement choisi ses sujets, 
les a traités avec amour et conscience, et dont on pourrait 
dire que le temps ñe devait pas lui durer, lorsqu'il travail- 
lait. Son œuvre ne trahit ni hâte, ni impatience, ni repentirs. 

Les environs de Lvon et certains coins de l’ancienne ville 
ont fourni à Baron le thème ordinaire de ses gravures. Mais 
1 mettait à profit ses voyages d’affaires, dont il rapportait 


388 BALTHAZAR-JEAN BARON 


souvent de charmants souvenirs. C’est ainsi qu'à chacun de 
ses voyages à Paris, il s’arrangeait à disposer d’un jour pour 
aller à Fontaincbleau faire quelque Ctude d'arbre. 

L'arbre! voilà son sujet favori. Baron lui souffle la vie, 
lui donne une personnalité, exprime ses sensations de. 
plante par le mouvement des branches et du feuillage, et 
nuance d’une touche sûre Îles diverses colorations des ver- 
dures. C’est la nature, mais avec ce quelque chose en plus, 
que l'artiste tire de son propre fonds, qui ne se peut définir 
et qui fait de lui un véritable créateur. 

Ses compositions sont bien ordonnées. Savoir composer 
est une des qualités de l’esprit lyonnais dans ses produc- 
tions. Mais Baron possédait, d’instinct, l'entente des eflets 
de lumière et il avait assez vite acquis la science des plans 
qu'il rendait sans jamais recourir à des moyens violents. Des 
amateurs pourraient lui reprocher ses ciels, souvent blancs 
et manquant de certaines teintes qui font valoir le paysage. 
Ï faut y voir une marque de sincérité. Les ciels à effet sont 
presque toujours composés, par l'artiste, après coup et 
agencés pour les besoins du sujet. 

Aquafortiste travaillant toujours d’après nature, Baron n'a 
jamais dû envicr le talent des graveurs, dont le burin est 
voué à la reproduction des œuvres d'autrui. Il partageait, 
pour sûr, l'opinion d'About, qui a porté sur eux ce juge- 
ment irrévérencieux : « des artistes qui mettent trois ans 
à copier un tableau que l’auteur a fait en trois mois ». 


* 

* * 
Un trait commun à tous les Léonnais qui appartiennent 
aux affaires et cultivent, aux heures de loisir, les arts ou 
les lettres, c'est d'aimer les Muses pour elles-mèmes et pour 


BALTHAZAR-JEAN BARON 389 


les joies qu’elles leur donnent. Ils évitent de se produire 
au dehors; lors mème qu'ils arrivent à la possession d'un 
véritable talent, ils ne visent jamais, suivant le mot consa- 
cré, « à une gloire qui dépasse l'octroi ». 

Notre graveur n’y faillit point. L’aquafortiste Bléry fut 
peut-être le seul artiste parisien avec qui Baron à noué des 
rapports. Et encore était-ce pour en tirer des conseils et non 
pour se ménager un patronage dans le monde des arts, à 
Paris. Toutefois, par Bléry, sans doute, il fut présenté au 
duc de Luynes, qui suivait avec intérèt les travaux du gra- 
veur lyonnais. 

Jl était nécessairement lié avec tout ce que Lyon comp- 
tait d'artistes et d'écrivains. Une notice, parue au lendemain 
de sa mort (1), fait de lui un membre de cette spirituelle et 
joyeuse compagnie, qui s'intitulait plaisimment la Société 
des Intellivences. En réalité, le nom de Baron ne figure point 
dans la liste des trente titulaires, ct il n’a pu qu'être l'hôte 
des agapes mensuelles qui sc tenaient au pavillon Nicolas ct 
qui avaient laissé naguère de si aimables souvenirs. 

De l'esprit? sans doute il y aurait injustice à dire que 
notre temps en cest dépourvu. Mais la joie est le propre des 
individus et des sociétés bien portantes. Aussi, n'est-ce 
point un des symptômes les moins alarmants de l'heure 
présente, de constater que le franc rire et la belle humeur 
nous ont momentanément quittés. 

Baron, nous apprend la mème notice, fut un des fondateurs 
de la Societé des Amis des Arts. Encore une institution dis- 
parue! Créée en 1836, elle a dû se dissoudre au bout d’un 
demi-siècle, après avoir versé un million et demi dans la 


ere me 


(1) Roue du Lvennuais, juin 1860. 


390 BALTHAZAR-JEAN EARON 


poche des artistes. Que ses fautes, — si clle en a commises, 
— que ses fautes lui soient légères! 

Membre de la Commission des Musées, Baron était étroi- 
tement lié avec le peintre Thierriat, conservateur. Celui-ci 
prisait très haut le talent de son ami le graveur, trop haut 
peut-être : car, dans une lettre que j'ai sous les yeux, il 
n'hésite pas à l’égaler à Rembrandt. Tant il est vrai qu'il 
est difficile de rester dans la mesure lorsqu'on veut compli- 
menter un artiste! 

Les témoins de sa vie disent que Baron Ctait d’un carac- 
tère vif et enjoué et que sa conversation, toujours intéres- 
sante, était recherchée. 

« M. Baron était très bon », ajoute une aimable femme 
qui, dans sa jeunesse, l’a connu et qui garde à sa mémoire 
un véritable culte : Mie Céline Giraud, héritière d’un nom 
qui figure avec honneur dans-la liste des imprimeurs lyon- 
nais d’estampes. C’est chez son père que Baron, présenté 
par Paul Saint-Olive, a fait tirer un grand nombre de ses 
planches. Mis Giraud possède plusieurs des dessins originaux 
de son vieil ami. | 

Certes, il devait être bon, de cette bonté qui gagne les 
cœurs ct se les attache. C’est le témoignage que lui ont 
rendu tous ceux qui ont parlé de lui, et un exemple, 
emprunté à sa vie intime, sufhrait à le démontrer. 

Sa fille aînée avait épousé Lecocq, professeur à l'Ecole 
vétérinaire, plus tard directeur. La jeune femme mourut à 
la naissance d’un premier enfant. Le gendre ne cessa de 
porter une aflection filiale à son beau-père, affection bien 
désintéresste, car Baron, trompé par l'associé qu'il s’était 
donné dans sa maison de commerce, dut subir une liquida- 
tion désastreuse. 

Lorsque l'époux, veufde Mile Baron, voulut convoler en 


BALTHAZAR-JEAN BARON 391 


de secondes noces, il ne le fit qu'avec l'agrément du père 
de sa première femme. Le nouveau ménage l'entoura d'affec- 
tion, leurs enfants lui donnaient le nom de grand-père, et 
quand Jean Baron succomba, en 1869, à une attaque d'apo- 
plexie, Lecocq était accouru des premiers à son chevet. 

L'artiste laissait un fils, Stéphane Baron, qui a fourni 
comme peintre, une carrière honorable. Il a beaucoup pro- 
duit et fut, pendant un temps, un exposant fidèle de la 
Société des Amis des Arts. Il traitait surtout Îcs sujets 
héroïques et les sujets de genre, avec costumes archaïques. 
On trouve de ses œuvres chez beaucoup d'amateurs lyon- 
nais. Nos Mustes possèdent un de ses tableaux, acquis par 
l'Etat et envoyé en 186$ : L'enfance de Jupiter. Cette toile 
de vastes dimensions, était jadis appendue dans le grand 
escalier. 

* 
* * 

La Bibliothèque du Palais des Arts à recu de Jean Baron 
lui-même une collection complète de ses œuvres, formant 
un bel album de cent soixante-dix-neuf pièces. Les premières 
portent la dite de 1826; les trois dernières ont été remises 
le 17 septembre 1868, quelques mois avant sa fin. 

Cette œuvre, espacte sur une péricde de plus de qui- 
rante années, offre un caractère d’unité assez remarquable. 
Non que l’auteur, ainsi que je lai indiqué plus haut, n'ait 
point subi quelques influences, ne se soit point essavé 
à divers procédés : vernis mou, effets de pointe sèche. Mais 
la même main se sent d’un bout à l'autre, et d’ailleurs, 
vous reconnaissez toujours l'artiste à ses arbres, qui restent 
pour Jui le motif par excellence. 

La description en a été entreprise par un de ses amis, 
Chatelain, qui la poussée jusqu'au numéro 122 et l'a consi- 


392 BALTHAZAR-JEAN BARON 


unée dans un album manuscrit. Il ne semble pas y avoir une 
exacte concordance entre la description et les numéros de 
classement de la collection du Palais des Arts. 

Au surplus, toutes ces épreuves ne sont pas d’un égal 
intérêt. Renvoyant les artistes et les amateurs à la collection 
complète, je vais essayer une courte description d’une 
quinzaine de pièces, les plus marquantes entre toutes. 


N° 9. — Un Charretier causant (1828). — Au premier 
plan, à droite, un arbre planté au bord d’un chemin, sur 
lequel est arrêté un charretier qui cause avec un piéton vu 
de dos. Au fond, un corps de bâtiment à tourelles. Cctte 
partie, trop faiblement mordue à l’eau-forte, a été reprise à 
la pointe sèche. Il semble, au premier coup d'œil, qu'il y 
ait quelque chose de voulu et que lartiste ait cherché à 
rendre un effet de matin. 

Norr. — Le Chevrier (1828). — Paysage avec rivière 
formant plusieurs coudes et fuyant dans le lointain. Harmo- 
nie dans la disposition et grande entente des plans. 

N° 24. -— L’Ile-Barb: (1831). — Vue prise du bas de 
Caluire ; dans le fond, on aperçoit le plan de Vaise. Jolie 
pièce, gravée d’une pointe fine et serrée. 

N° 28. — Le Chemin tournant (1831). — Gravure sur 
étain, qui se ressent du choix du métal. Il est, néanmoins, 
remarquable que le groupe d'arbres qui occupe le centre, 
s’enlève avec une légèreté que l’écrasement du trait n'arrive 
point à compromettre. 


N° 32. — Les deux Marchands forains (1833). — Une 
des pièces les plus parfaites de la collection. Un chemin 
partant, droit et hardiment, du premier plan et passant 
entre un rocher couvert de broussailles, à gauche, et un bel 
arbre à droite. Un coup de lumière sur la partie lointaine 


BALTHAZAR-JEAN BARON 393 


du chemin, un château en ruines dans le fond. Tout dans 
cette œuvre, est satisfaisant. 


N° 40. — Portrait de Mlle Baron (1834). — Prise de 
profil, avec le grand col blanc et le bonnet linge des pen- 
sionnaires de l’époque. C’est bien vu et simplement rendu. 


N° 46. — Les Joueurs (1834). — Une des belles pièces de 
la collection. Un chemin qui part, au premier plan, de 
gauche à droite, puis se coude pour s’enfoncer entre deux 
roches à pic. Deux joueurs sur un tronc d’arbre couché; 
deux cavaliers dans le chemin ; au fond, les trois arches d’un 
pont; dans le lointain, un coteau que blondit la lumière. 
Arrangement très bien étudié. 


N° 54. — Le Piveonnier de Rochecardon. — Motif qui a 
sollicité le crayon de nombre d’artistes lyonnais. Le croquis 
de Baron cest savamment arrangé; des plantes folles, au 
premier plan, dont la silhouette vigoureuse fait repoussoir 
à la butte que surmonte la tourelle. 


N° 79. — Chaponost (1840). — D:: : "Tres, feuillés et 
fouillés à merveille, forment le sujet prince) lle la planche. 
Dans le fond, à gauche, une ligne d’ag :* «cs. 


N° 95. -— Restes d’un édifice antique (1844). — Planche 
gravée sur vernis mou, à l’aide du crayon. Il y a quelques 
retouches à la pointe. Premier plan en lumière, contraire- 
ment au parti ordinaire de l’artiste. Les ruines qui donnent 
son nom à cette gravure sont indiquées à gauche. 


N° 107. — Chataigniers à I<eron (1846). — Encore un 
premier-plan clair. L'ombre même que projettent les arbres 
est tempéréc par unc lumière qui se joue dans les frondai- 
sons. 


N° 108. — Maison du village de Nauc (Jura) (1846). — 


394 BALTHAZAR-JEAN BARON 


Maison à escalier extérieur, comme dans la campagne lyon- 
naise. Une mare, un troupeau, une futaille, une échelle : un 
vrai Boissieu. 

N° 111. — Routed'Iseron (1847). — La planche est coupée 
en biais, de gauche à droite, à mi-hauteur, par une route 
ensoleillée. Au delà, un groupe de châtaisniers superbement 
dessinés; au loin, sur la hauteur, l'église de Châteauvieux. 

C’est de ce morceau que Thierriat écrivait à Baron : 
« Cette planche fait la barbe à tous les aquafortistes de Paris ; 
c'est un vrai chef-d'œuvre. » (23 janvier 1866). 

N° 122. — Vue de Franchville (1849). — Conçuc dans 
le mème esprit que le chemin d’'Tzeron. Mème fini, mème 
charme. Cette planche est une de celles que l’auteur prisait 
entre toutes ses œuvres ; son fils partageait ce sentiment. 


N° 123. — Chemin de la Grande-Chartreuse (1849). — 
Au millicu, l'entrée noire et béante d’une grotte, dans lequel 
va s’engouffrer le chemin; deux religieux encapuchonnés. 

N° 165. — La Croix des champs(1858). — Cette estampe, 
où commence à se montrer le déclin de l'artiste, a inspiré 
un poète, Mile Sophie Manéglier, de Reims. Elle adressait 
à l'auteur, le $ avril 1859, une pièce qu'une main amie 
m'a communiquée et dont voici un passage : 

Que j'aime, au picd de la croix du village, 
M'agenouiller et contempler le ciel ! 

Le monument a pour dôme un nuage, 

Pour luminaire un rayon de soleil. 

La fleur des champs qui couronne sa téte 
Vaut micux que l'or de la croix des cités, - 
Et le doux cant de la jeune fauvette 

Qui, volelant, vient l'effleurer au faite, 

À bien aussi ses saintes voluplés. 


BALTHAZAR-JEAN BARON | 395 


Dans la période comprise entre les dates des deux der- 
nières œuvres citées, 1849 et 1858, Baron a gravé une 
dizaine de vues dont Lyon a fourni le motif : le coteau des 
Carmes, la maison Paladio, Saint-Georges, Fourvière, 
l'entrée de Lyon par Saint-Clair, par les Etroits, par Vaise, etc. 
Ce sont d’intéressants morceaux, fidèles comme documents 
cet bien exprimés. Mais on sent que le talent de l'artiste se 
meut à l’étroit dans ces intérieurs de ville : il lui faut, pour 
prendre sa libre envolte, des horizons champêtres, sur 
lesquels se profilent les ramures harmonieuses des arbres. 


Auguste BLETON. 


Recherches Préhistoriques 


DANS 


LES MONTS DU LYONNAIS 


ORSQUE nous parcourions les flancs des collines 
et des monts du Lyonnais, pour repérer sur la 


VE 
LS 
Carte du dépar temcCnt les points visibles du canal 


d’aqueduc de la Brevenne, qui captait les eaux des ruis- 
seaux tributaires, rive droite, de cette rivière, les paysans 
nous disaient : 

D'abord à Courzieu : Vous qui cherchez les vieux murs, 
ce n'est pas ce fragment de Sarrazin (1) qu'il faut voir, 
c'est là-haut sur le faite de la montagne du Chitelard qu'il 
fautaller, là vous verrez des débris d’un château qui couvrait 
la montagne tout entière, on voit encore les restes du don- 
jon sur la pointe du sommet. C'était le plus grand château 


(1) C'est ainsi qu'on appelle le canal d'aqueduc. 


RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 397 


qu on puisse voir, il avait autant de fenêtres qu'il y 2 de jours 
dans l’année. 

A Chevinav, on nous disait : Ce morceau de mur 
romain ? Ce n'est rien, c'est l-haut qu'il faut monter, au 
cret de la Tour ou du Châtel, on voit sur le sommet de la 
montagne les vestiges d’un grand château, la ruine du don- 
jon est très visible, sous les décombres il y a encore la cré- 
maillère du château, elle était en or massif! Mais celui qui 
la trouverait ne pourrait l'emporter! 

À Vaugneray, on nous disait : C’est au cret Pellerou 
qu'il faut aller, c’est là qu'était le primitif village de Vau- 
gneray, on y voit les matériaux de sa démolition. Il y 
avait non pas une simple église, mais une cathédrale, ses 
ruines sont encore amoncelécs au sommet de la montagne, 
le cimetière était en face, au bas des bois des Fonts-Verne. 

À côté, dans la combe de la Prouty, on voit sur 
soo mètres de longueur, les débris d’une ville écroulée au 
temps du déluge. 

Il est résulté de nos recherches et constatations sur place, 
que jamais il n’y avait eu de château au cret Châtelard, ni 
au cret de la Tour ou Chatel sur Chevinay, pas plus qu'il 
n'y avait eu de cathédrale au mont Pellerou, ni de ville 
dans la combe de la Prouty. 

À dater de ce moment, et pendant huit années, nous 
avons exploré, non les campagnes mais la pointe des monts 
du Lyonnais, au milieu des bois et des épines ; nous avons 
constaté alors qu'il y avait un fonds de vérité dans ce qui 
nous avait été dit par les paysans. Nous avions sous les 
yeux les vestiges et les débris, informes, rudimentaires et 
souvent sauvages, d’une civilisation primitive, inconnue, 
morte, aujourd'hui diMicilement restituable, car cette civi- 
lisation qui à duré de nombreux siècles sur les sommets 


398 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


des horts et vorlands (1), n’a laissé que des vestiges telle- 
ment informes, sauf quelques-uns cependant, que l’on est 
tenté de confondre ces ouvrages avec l’œuvre de la nature. 

Il est résulté de nos recherches provoquées par des cir- 
constances indépendantes de notre volonté, une étude à 
laquelle nous étions mal préparé, étude condensée dans un 
volumineux manuscrit. 

Voici lestitres des chapitres qu’on pourrait donner à cette 
étude, accompagnés de quelques éclaircissements sur chaque 
titre. 

Nous demandons l’indulgence du lecteur, car la nomen- 
clature qui va suivre n'est souvent qu'une répétition de 
choses similaires. 


LA GRANDE VOIRIE 


Ce chapitre est simple dans sa conception, mais d’une 
compréhension difficile. 

Comment faire admettre par la génération actuelle, que 
la grande route Nationale de la France suivait la ligne géné- 
rale de partage des eaux en contournant les sources de la 
Saône, de la Seine, de la Loire, pour aller par la montagne 
Noire, se souder aux petites Pyrénées près de Quillan (Aude) 
Que des routes secondaires suivaient également les lignes 
de partage des eaux, entre les rivières petites et grandes ? 

Ces routes sont les chemins de crêtes pratiqués et créés 


(1) Points stables qui ont résisté aux dérnicrs mouvements orogéniques 
et geologiques. 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 399 


par les premiers habitants de notre pays, suivis pendant de 
longs siècles et jusqu’à la fin du Moyen Age. 

Il en était ainsi, même sous la domination romaine, 
puisque les grandes routes construites par les conquérants 
étaient surtout aflectées aux services administratifs. Sou- 
vent en plein bois, ces chemins de crète sont bordurés par 
de gros quartiers de roches, entassés ou piqués debout dans 
la terre, la chaussée large de 1" à 1"20 est pavée par places 
en gros blocs de granit. 

Spécimens : Châtellet, cret de la Yenne, (Yzeron) ; cret 
de la Bote, au mont Pila; col de la Fosse ; mont Pellerou, 
sur Vaugneray. 

Cette grande ligne de partage des eaux à travers la France, 
est appelée en termes de géologie et de théorie des trem- 
blements de terre, un Ær! ou 1wrland, c’est-à-dire une ligne 
stable, les tremblements de terre se propageant rarement 
du bassin d'un fleuve dans celui du fleuve voisin. 

C'est le long de cette grande route et sur les routes secon- 
daires, entre les bassins des rivières que s’agitaient la vie 
intense et la civilisation relatives de ces époques lointaines. 


LES MONTS À FORME MAMELLAIRE 


À la suite de nos recherches et de nos constatations, nous 
avons classé les sommets des monts en deux catégories : 


MONTS À FORME MAMELLAIRE OÙ EN CALOTTE SPHÉRIQUE 


— 


C’est sur ces monts que l’on trouve les travaux les plus 
beaux et les plus compliqués érigés par les philolithes, ce 


400 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


sont les temples sauvages du mégalithisme, les baalats de 
la Bible. 

Nous comparons ces monts à la mamelle d’une gigan- 
tesque Cérès étendue sur son dos. 

Ce sont des mamelles terrestres avec le bouton lithique 
au sommet en guise du bouton lactifère. 

Les types les plus accentués dans nos contrées, sont le 
cret de Mercruy et son congénère le cret Montchal tous 
deux sur Lentilly, mais le sommet du cret Montchal est 
à grande section ct à culotte très surbaissée. 


LES MONTS SURBAISSÉS 


Ces monts n'ont pas la forme de la calotte sphérique, ils 
sont ordinairement allongés et leur faite se compose de 
deux ou trois bot ‘ons ou mamelons plus ou moins prononcés 
et surbaissés eux- 1êmes. 

Les travaux des philolithes y sont modestes, quelques- 
uns affectent de !:: recherche dans l’exécution, de la mignar- 
dise, si l’on peut s'exprimer ainsi en parlant de ces grossiers 
ouvrages. 


LES COURONNES EN QUARTIERS DE ROCHES, GRANDES COURONNES AUX 


CULMENS, COURONNES MOINDRES SUR LES FLANCS DES MONTS 


Les grandes couronnes ou cercles en quartiers de roches 
sont toujours aux sommets des culmens des monts à forme 
mamellaire. 

Châtelard, sur Courzieu, 70 mètres de diamètre intérieur, 
vaste temple à incinération non seulement à l’intérieur de 
sa couronne mais encore à l’extéricur. 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 4OI 


Mont Bourchany ou Château Bélize, sur Pélussin et 
Pavezin (Loire), 70 mètres de diamètre intérieur. 
Saint-Sabin, près la Versanne (Loire), 50 mètres environ. 


COURONNES MOINDRES, FORME MAMELLAIRE MOINS ACCENTUÉE 


Châtelard, sur Thurins; Saint-Clair, Rochas, sur Yzeron. 

Les petites couronnes, tumulus effondrés, annelets ou 
petits cercles sont très nombreux sur les croupes surbaisstes 
et sur les pentes des monts, surtout le long des chemins de 
crête et des chemins d'accès des culmens. 


BOUTONS LITHIQUES NATURELS FORMANT CUILMENS, ENTOURES 


DE PLATES-FORMES AVEC CERCLES DE PIERRES PIQUÉES DEBOUT 


Les boutons lithiques en roches fixes naturelles sont 
nombreux sur les sommets des monts, ils sont presque 
toujours entourés d’une plate-forme arrangée de main 
d'homme, souvent des quartiers de roche sont simplement 
piqués debout en forme de couronne ou de cercle autour 
du bouton naturel. | 

Les plus beaux types sont au mont Chitellet, sur Yzeron; 
à Montmain, près Brullioles; au Châtelard, sur Thurins ; 
au Chitelard, sur Aveize. 


ue md 


TUMULUS EN QUARTIERS DE ROCHES SANS PLATE-FORMÉÈ 


MAIS AVEC MURGERS 


T'ous les sommets des monts de forme mamellaire ou de 


forme surbaissée, qu'ils soient granitiques ou de roches 
N° 6. — Decembre 1899. 26 


402 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


calcaire, sont, sans exception, surmontés au culmen d’un 
bouton lithique, qu’il soit naturel ou artificiel. Si ce bouton 
n’est pas naturel, c’est un tumulus en quartiers de roches 
qui le remplace ; ce tumulus est en forme de calotte sphé- 
rique, quelquefois il est effondré au centre et a l'apparence 
d'une couronne. 

Tous les tumulus élevés de main d'homme, aux culmens, 
sont accompagnés de murs ou murgers, de petits chirats, en 
roches rapportées, se dirigeant en lignes droites, curvili- 
ones ou brisées, dans des directions variables sur le som- 
met ou les pentes du mont. 

Monts : Sud-ouest du château de Saint-Bonnet-le-Froid ; 
mamelon est de Pied-Froid, Rochas, Bramont sur Yzeron ; 
Courtine sur Avelze. 


TUMULUS EN QUARTIERS DE ROCHES AUX CULMENS, 
AVEC PLATES-FORMES CONCENTRIQUES 


Ces ouvrages sont notnbreux, le tumulus est en forme 
de calotte sphérique ou effondré au centre, la plate-forme 
n'entoure jamais complétement le tumulus dont la pente 
se confond, le plus souvent au nord, avec la pente du talus 
de la plate-forme. 

La plus grande largeur de la plate-forme dépasse rarement 
s mètres et paraît avoir un symbolisme avec les phases de 
la lune. 

Types du genre : Cret de la Tour, Chevinay ; cret des 
Fayes, Duerne; Rochas, Chîtellet, Yzeron; et tant d’autres 
monts. 

À Pied-Froid (Yzeron) l’auréole existe au nord d’un 
bouton de gros quartiers de roches juxtaposés formant 
<ône aigu. 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 403 


TUMULUS EN QUARTIERS DE ROCHES AUX CULMENS, AVEC OÙ SANS 
PLATES-FORMES, MAIS AVEC COLLIER, MURGER CIRCULAIRE OU 
ELLIPTIQUE ET TRANCHÉE DANS LA ROCHE. 


Ces travaux sont peu nombreux, ce sont des ouvrages 
d’une sauvagerie quasi artistique, il faut les voir, sur place, 
pour se rendre bien compte de leur conception. 

Le cret des Fayes, sur Duerne, est le type du genre, 
c'est le plus grand et le plus singulier de tous les baalats. 
Puis Le Châtel, sur Saint-André-la-Côte ; le château Pizev, 
sur Larajasse, près l’Aubépin. 

Au cret des Fayes, un vaste collier, en forme de chape- 
let, entoure à assez grande distance, le tumulus du culmen, 
lequel est très beau, très sauvage et très bien conservé ; 
belle plate-forme, haut talus à 45 degrés. 


TUMULUS EN TERRE SUR LES ROCHES GRANITIQUES 


Nous n’avons trouvé que deux tumulus en terre, élevés 
sur des monts granitiques ; vus de la plaine ou du plateau, 
ces monts affectent la forme conique plutôt que la forme 
mamellaire. 

Celui de Saint-Romain-de-Popey, près l’Arbresle ; celui 
de la Poipe, sur Saint-Martin-en-Haut, entre Yzeron et 
Saint-Martin ; la terre au sommet de chaque bouton est 
incinérée. 

Au sud, et tout contre le tumulus de Popey existait un 
édicule gallo-romain. 

À l’est de celui de la Poipe existait un abri contre roche. 


404 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


TABLES DE ROCHES AUX CULMENS 


Ces tables (grands quartiers de roches), ordinairement 
carrées, mesurent de 1", $o à 2 mètres et plus de côté. 

Le plus beau type est la table sur le culmen surbaissé, en 
plein bois, au nord-est du col de la Luëre. Sur cette table, 
un dessin fruste en creux représente un calice, un flambeau 
ou un v;elle est calée d’aplomb et le sol autour parait 
incinéré. 

Celle dû cret du signal de Cassini, ou Pila Lyonnais, 
entre Sant-Martin-en-Haut et Sauint-André-l1-Côte, sur 
laquelle cest dessinée, en creux, une croix grecque, par 
quatre lignes rectilignes qui se croisent au centre. 

Celle du cret du Miroir, sur Vaugneray, à face visant le 
sud-est; une croix, dont l’un des bras est peu prononcé, 
est également gravée sur cette roche. 

Celle du mamelon surbaissé dit le Péché, sur Duerne, 
quel Péché ? 

J'outes en plein bois. 


CorNEs ou ROCHE: FIXES A BASSINS, CUVETTES, CUPULES, LITS 


DE REPOS, SIÈGES OU FAUTEUILS 


Ces cornes ou roches saillantes de gnciss granulique 
sont abondantes dans les monts du Lyonnais. 

Les roches aux sommets, ou culmens, ont rarement des 
cuvettes creusées à leur superficie et celles qu'on ÿ trouve 
sont des ouvrages frustes ct grossiers. 

Les cupules sont,’ le plus souvent, sur des roches à 
basse altitude. 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 40$ 


Les grands bassins, cuvettes, lits de repos et sièses sont 
ordinairement sur des cornes à altitude moyenne. 

Types : Roche ou Maison du Diable sur Thurins, près le 
cret du Châtellet; lieu dit En belle vue, sur Vaugneray, 
en se dirigeant du hameau Chatanay vers le cret du Chà- 
tellet ; Roches Taconnas, sur Saint-Laurent-de-Vaux, ici on 
est en vue du mamelon le Regard, sur lequel existe, non 
pas un dolmen, mais une allée couverte, effondrée dans sa 
moitié; Pierre Jetée, au sud et aval du dolmen; Roche 
Mabert, sur Yzeron; Roches Pierres-Feu, sur Duerne; 
Roches Bertaud et Grandes Roches, sur Pollionnay ; ici, 
au bas du cret Berthet, sur deux roches ou tables plates, on 
voit deux grandes croix creusées sur le plat de la roche. 

Un bon nombre de cuvettes et bassins gardent l'eau 
jusqu'à leur bord supérieur. 

Le plus grand nombre de ces bassins et cuvettes ont une 
rigole de déversement, quelque fois aussi large que la 
cuvette elle-même. 

Au cret de la Tour, sur Chevinay, la grande cuvette a la 
forme d’un écu héraldique. 

Presque toutes ces roches ont un siège ou fauteuil naturel 
ou creusé de main d'homme, visant un bel horizon, les 
uns larges, les autres étroits et obliquant vers la pente du 
mont ; le plus bezu de ces fauteuils est à la Pierre-Souve- 
raine, propricté Laboré, sur Saint-Genis-Laval, un autre 
est sur une corne près le hameau La-Roche-sur-Pélissin 
(Loire). 

Nous n'avons trouvé que deux lits de repos à forme plus 
ou moins humaine, l’un de petite dimension à la Roche ou 
Maison du Diable près le cret Châitellet, sur Thurins; c'est 
le lit du diable, où il vient coucher chaque nuit; l’autre 
sur le côté sud de la Grande-Ro:ïhe, à l'amont et au sud de 


406 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


l'alignement de cornes dites Roches de Taconnas, sur Saint- 
Laurent-de-Vaux, il est complètement inconnu; le scmmet 
de cette roche est peu accessible. 

Bassins, cuvettes, fauteuils, lits, sont des ouvrages 
ritueliques du culte mégalithique, tous ont une signification 
symbolique ou de religiosité. 


CORNES OU ROCHES FIXES A BASSINS, CUVETTES, CUPULES SUR LES 


PENTES INFÉRIEURES ET DANS LES BAS-FONDS 


Ces ouvrages sont ordinairement maniérés, c’est la 
mignardise sauvage, ils sont sur des roches à altitude 
relativement basse. Les cupules sont très rapprochées les 
unes des autres. Les bassins et cuvettes sont compliqués ; 
à la Roche, sur Duerne, près d’une source ferrugineuse, la 
figure en forme de cœur est reproduite ; au bois des Fonts 
Verne, sur Vaugneray, et souvent ailleurs, on voit la forme 
en losange, blason de l'organe sexuel de la femme ; aux 
Roches ou Pierres-Feu, sur Duerne, on croit voir un phallus 
humain grossièrement gravé; à la Roche du Diable, sur 
Brindas, près d’un moulin, à basse altitude, les ouvrages 
sont compliqués. 


ROCHES A TABERNACLES 


… Ces tabernacles sont peu nombreux et de petite dimen- 
sion, un beau spécimen se voit aux Pierres-Feu, sur Duerne, 
c'est une demi-voûte creuste sur la pente verticale d’une 
roche fixe. D’autres sont visibles au Rat, sur Thurins, à la 
Reche du Diable, sur Brindas ; à la Garenne sur Rontalon, 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 407 


Ces voûtes ou tabernacles existent sur des roches volca- 
niques, à cupules et bassins, près Pontgibaud (Puy-de- 


Dôme). 


TALUS EN QUARTIERS DE ROCHES. RECTILIGNES 


Ces sortes de talus sont très nombreux, un des plus beaux 
spécimens se voit au cret Fuchet, au-dessus du hameau 
Jubin, près Brullioles ; ils rachètent la pente de la colline 
au bas d'une terre close, cu devant ce que nous st ppôsons 
avoir été une habitation des Philolithes, ou encore devant 
un petit autel du mégalithisme. 


TALUS EN QUARTIERS DE ROCHES DEMI-CIRCULAIRES 


OU EN ARC DE CERCLE 


Ces sortes de talus, assez nombreux, accompagnent de 
l'est à l’ouest : des tumulus, des trous ou mardelles, des 
emplacements de huttes, des cancels, des réduits ou atris, 
avons-nous supposé, de prêtres de l'époque du mégalithisme. 


— 


BOURRELETS EN ARC DE CERCLE 


Ce sont des chirats à ligne courbe, en arc de cercle, l’un 

est visible au nord-est du mont Pottut, sur Brullioles; 
l’autre, très long, très large, très épais, est situé au bas du 
cret Vicinal, entre ce cret et celui de la Perdrix (massif du 
mont Pila), leur formation est difficile à expliquer, les 
gtologues croient que ce sont les ruines de sommets plus 
élevés. 


408 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


ABRIS, CASES, Murs 


Les abris ou refuges sont difhciles à constater, cette 
constatation ne peut guère reposer que sur des déductions 
et la pratique des recherches; cependant, nous avons 
trouvé en plein bois, deux grands murs montés en pierres 
sèches, de 2 mètres de hauteur, au cret des chevreaux sur 
Vaugneray ; deux cases ou abris en quartiers de roches, au 
flanc sud du cret Berthet, sur Pollionnay ; des cases de petites 
dimensions en lauses ou pierres plates, avec joints en terre 
naturelle, au nord du mont Bourchany ou Château Bélize, 
sur Pélussin, et plusieurs cases semblables à l’intérieur de 
l'enceinte dite Château Pizey, près Laubépin, sur Larajasse, 


ABRIS CONTRE ROCHE 


Ces abris ont dû être pratiqués contre un bon nombre 
de cornes ou grandes roches fixes; des débris de poteries 
sont souvent trouvés même à un mètre de profondeur dans 
des fouilles faites au pied de ces roches pour la chasse aux 
lapins, au sud et à l'est des cornes fixes, souvent aussi on 
voit une sorte de cour à côté de ces cornes, notamment 
au sud et à l’est. 

La roche Mabert, sur Yzeron, près la route descendant 
vers Thurins, nous parait être le modèle type, elle a des 
bassins sur sa plate-forme, la paroi verticale de la roche 
surplombe l'abri sis au sud, une source à débit constant 
sourd à l’ouest de la petite plate-forme abritée par la roche 
en surplomb. 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 409 


MARDELLES DANS LES TERRAINS CALCAIRES ET LES ROCHES 


GRANITOÏDES 


Les mardelles sont de longues tranchées ou des trous 
coniques dans lesquels l’homme aurait séjourné sous une 
toiture rudimentaire, ces ouvrages sont nombreux sur les 
roches calcaires et même granitiques, on les trouve partout: 
dans les plaines, sur les plateaux et sur les coteaux. 

Types: Larina près Hyères, Roche-Bracon près Crémieu 
(Isère), Culles (Saône-et-Loire), cret des Murs, sur Saint- 
Martin-en-Haut, entre cret Bayard ct cret de la Poipe. 
Le marquis de Nadaillac (1) a fait des fouilles probantes 
dans des mardelles près Joigny (Yonne). 


TERRES CLOSES 


Les terres closes sont assez fréquentes, ce sont des clai- 
rières au milieu des bois, purgées de pierres et de roches, 
lesquelles ont été rejetées en murgers, ou talus sur les côtés 
et au bas des terres closes; quelques-unes de ces clairières 
sont encore cultivées aujourd'hui. 

Les tumulus, couronnes ou cercles sont fréquents près 
de ces terres. 

Des chemins spéciaux, des avenues même y conduisent ; 
chemins et avenues sont souvent bordurés de roches, un 
talus en pierre rachète la pente et maintient l'aplomb de la 
chaussée. Ces chemins se détachent ordinairement des voies 
secondaires et des chemins de crète. 


Q@) Maœurs el Monuments dei peuple; pr'hitoriques, 1884, page 107. 


410 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


Types : Rutisses, sur Saint-Pierre-la-Palud ; cret des 
Chevreaux, sur Vaugneray ; cret Berthet, sur Pollionnay ; 
cret Malatray, sur Sourcieu ; cret Montmain, sur Brul- 
lioles. 


GRANDES AVENUES ABOUTISSANT AUX CULMENS 


Ces allées ou avenues sont intéressantes et d'aspect poéti- 
‘que, elles disparaissent chaque jour envahies par les cultures 
et l'extension de la végétation des forèts, elles se détachent 
ordinairement des cols et se terminent presque toujours 
par une demi-circonférence contre le bouton lithique ou 
entassement de roches qui surmontent le culmen des 
monts. 

Types : au Colombier, sur Yzeron, impressionnant nar- 
thex qui aboutit à l’entassement cahotique de roches du 
mamelon Rochas ; la magistrale avenue du cret Châtelard, 
versant ouest, sur Courzieu; au cret Saint-Clair, versant 
ouest, sur Yzeron ; au cret des Chevreaux, sur Courzieu ; 
au mont Bourchany, sur Pélussin. 


ESPLANADES RELIANT LES CULMENS ENTRE EUX, OU RELIANT UNE VOIE 


A UNE TERRE CLOSE 


Ces esplanades sont également jolies et poétiques. 

Types : Au-dessus du Jubin, lieu dit Montmainet Fuchet, 
près Brullioles ; au lieu dit Faves et le Mont, sur Duerne ; 
entre le mont Chatoux et le mont Pérelle, dans le massif 
des monts Chatoux, entre Villefranche et Lamure. 

Et tant d’autres, envahies par les cultures, sauf cepen- 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 4II 


dant Ja belle place publique au col du Colombier, entre les 
crets Rochas et Pied-Froid, sur Yzeron. 


CHIRATS. — TRAVAUX D'HOMMES AU MILIEU 


Les chirats sont des sortes de coulées de quartiers de 
roches épandues sur les pentes ctaux sommets des monts ; 
ce sont des ruines, des débris de monts plus élevés, disent 
les géologues ; on les voit au mont Pila; à Pied-Froid, sur 
Yzeron ; au Chitelard, sur Courzieu ; au cret des Chevreaux 
versant est ; à la Prouty, sur Vaugneray ; au Chatoux, sur 
Rivollet. | 

Au cret des Chevreaux et à la Prouty, on constate dans 
ces chirats des travaux de main d'homme ; au centre du 
chirat de la Prouty, on voit un sentier pavé. 

Des terres closes existent dans le chirat le long du che- 
min qui, du hameau la Vernay, monte au col de Malval, 
versant est du cret des Chevreaux ; des roches sont piquées 
debout en plein bois, de chaque côté du chemin, notam- 
ment le long du chirat. 


— 


LES FONTAINES ET MARÉCAGES 


Les sources, les fontaines, les marécages étaient des 
temples, des déités secondaires des Gaulois, les avis sont à 
peu près unanimes à ce sujet. | 

Au flanc est de .la montagne des Chevreaux, nous avons 
vu un clos marécageux entouré de murs ou murgers, à 
l'est de ce clos, un petit réduit, avec murs et talus en belle 
vue, et cela au-dessus des terres closes, c'était sans doute 
la logette d'un prêtre ou cénobite des temps mégalithiques, 


412 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


Sur la pente sud du cret de l1 Yenne (Yzeron), on voit 
à l'ouest et contre le chemin une source marécigeuse 
remplie de vase, au bas se trouve un talus formé par 
21 quartiers de roches piquès debout, était-ce la station 
d'une Korrigan ou prêtresse ? Plus bas on voit un chemin 
creux, en plein bois, pavé, borduré de roches, large d’un 
mètre. 

Le marais de Mélicieu, entre le cret Châitelard et celui 
des Chevreaux, est d'une conception manitrée, avec son 
talus en terre et en demi-circonférence au nord, ses murs 
et muruers, ses chemins et senticrs pavés ct bordurés de 
roches, à l’est et à l’ouest. 

Citons encore le marais des Flaches, sur Pollionnav, avec 
son talus au nord et à l’ouest, supporté par des roches 
piquées debout, et un chirat ou mardelle au nord-est. 


VOIRIE DES CULMENS 


Cette voirie spéciale aux culmens des monts surtout 
à forme mamellaire, est très curicuse à étudier. 

Les voies se détachent d’un col par une avenue ou espla- 
nade, soit du chemin de crête ou route jadis nationale. 

Les unes sont à pente rapide, d’autres à pente douce et 
à lignes gracicuses contournant le sommet du mont. 

D'autres chemins aboutissent à des terres closes, ils sont 
soutenus par des talus rachetant la pente de la colline, 
beaucoup sont pavés ; ici ct là, des roches posées en vedette 
le long du chemin de crète, indiquent qu'on approche d'un 
chemin secondaire. Des quartiers de roches marquent de 
chaque côté l'entrée d'un chemin; il en est de mème quel- 
quefois pour un simple sentier. 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 413 


Les plus beaux types de cette voirie des culmens sont : 
Pied-Froid, sur Yzeron ; Châtelard et cret des Chevreaux, 
sur Courzicu ; cret d’Arjoux, près Savigny ; mont Pellerou, 
sur Vaugncray ; cret Bramont, sur Courzicu. 

La végétation des forêts, les cultures surtout, ravagent 
ces jolis chemins mystérieux et ombragés, conduisant jadis 
aux temples du mégalithisme surmontant les crêtes des 
monts. 

Voir surtout sur Yzeron, Rochas et Colombier à l’est de 
Pied-Froid, le narthex en plein air de Rochas dominant la 
petite ferme du Colombier, et aussi le mamelon du Péché, 
sur Duerne. 


ROCHES EN VEDETTE, AVERTISSEURS D'UNE ROCHE, D'UNE TABLE, 
D'UNE TERRE CLOSE, D'UN MARAIS, D'UNE COURONNE, D'UN 


OUVRAGE IMPORTANT DU MÉGALITHISME. 


Outre les roches en vedette qui signalent l’entrée d'un 
chemin secondaire, chaque ouvrage, chaque lieu important 
du mégalithisme est indiqué par des quartiers de roches, 
plus ou moins volumineux, posés en vedette le long des 
chemins de crête, quelquefois même un peu en dehors du 
chemin, dans le bois. C’est ainsi qu’un gros bloc de quartz 
blanc, jeté sur le gazon, en plein bois, nous a fait pousser 
cette exclamation : Attention, qu'allons-nous trouver ? 

C'était la table qui surmonte le mamelon surbaissé près 
du col de la Luère sur laquelle se trouve la singulière 
figure dont nous avons parlé, flambeau, calice ou y. 

I n'est peut-être pas un seul ouvrage, un seul endroit 
important du mégalithisme, une seule station des philo- 
lithes, qui ne nous ait été signalé par des roches en vedettes, 


414 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


même au lieu dit Bracon, sur Villemoirieu, près Cré- 
mieu (Isère), et cela dans un vallon de roche calcaire et à 
basse altitude. 


Les ROCHES DITES BRANLANTES MAIS CALÉES SUR SUPPORTS 


Nous connaissons deux de ces roches dans les monts du 
Lyonnais; l’une sur Craponne, au lieu dit Roche-Bran- 
lante, dominant le vallon où coule le ruisseau de Saint- 
Genis-les-Ollières, c’est un bloc d’un volume considérable 
posé et monté sur une corne fixe, il est calé par-dessous au 
moyen d’un éclat de roche, sans cela il aurait sans doute 
glissé et tombé de son support. 

L'autre est un gros bloc appelé roche Samson, situé le 
long du chemin aval du mamelon le Péché, sur Duerne, il 
est calé par-dessous au moyen de pierres posées én tasseaux. 

L'imagination et la raison humaine, aux temps actuels, 
n'admettent pas que ces roches soient arrangées de main 
d'homme. 

Les paysans disent au contraire : « Que la nature ne peut 
travailler ainsi, la main de l’homme a passé par là. » 

A la roche Bracon, près Crémieu, une roche plate est 
posée en équilibre stable sur son support, le tout en roche 
calcaire. 


ROCHES INCLINÉES 


a 


Elles sont très fréquentes et souvent nombreuses sur un 
même culmen, elles sont informes, mais plates; le plus 
souvent, le pied est incliné vers le nord, le faite vers le sud, 
quelquefois l’inclinaison vise l’est. Presque sur tous les monts 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS AT 


on voit de ces roches, la raison se refuse également à admettre 
l’action de l’homme dans cet arrangement. 

Entre’ autre types : Mont surbaissé dit Château-Curvais 
(Pollionnay), singulier arrangement du bouton lithique, 
avec cuvette fruste et cadran ou méridien très bien 
sculpté sur une roche plate; cret Montmain, près Château- 
Cuvais, sur Sourcieu ; Pied-Froid, sur Yzeron; et tant d’autres 
dont la nomenclature serait trop longue. 

Souvent on donne le nom de demi-dolmen, soit une 
dénomination impropre, à des arrangements qui sont simple- 
ment des roches calées ou inclinées. 


LE TRIANGLE ÉQUILATÉRAL 


Ici nous tombonsen plein mystirisme, et le doute s’accen- 
tue, plus encore peut-être qu’en ce qui concerne les roches 
dites branlantes et les roches calées. 

Au milieu des entassements colossaux et cahotiques des 
énormes quartiers de roches qui surmontent certains cul- 
mens, on voit parmi ces débris ruiniformes de monts plus 
élevés, des espaces, entre les quartiers de roches qui pré- 
sentent la forme quelquefois assez réoulière du triangle 
équilatéral dont le sommet vise le zénith, notamment : à 
Pied-Froid et à Rochas, sur Yzeron ; au cret Berthet en vue 
de Pollionnay ; dans la couronne lithique, côté nord-ouest, 
du Château-Bélize, sur Pelussin ; au bas de la roche calcaire, 
faisant partie du bloc qui supporte une table de pierre 
fruste à la roche Bracon, près Crémieu. 

Au cret Berthet, un annelet en quartiers de roches se 
trouve au nord du culmen et du triangle équilatéral, c’est 


416 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


une des plus gracieuses et mystérieuses couronnes des monts 
du Lyonnais, son entrée est au nord. 


SYMBOLISME 


Nous avons signalé les enceintes, couronnes, anneaux, 
annelets, soit le cercle, ligne sans commencement ni fin, 
symbolisme de l'infini, le triangle, symbole trinitaire; ce 
sont là les deux plus hautes expressions graphiques, tra- 
duisant encore de nos jours la conception terrestre de la 
divinité ; les roches inclinées paraissant symboliser le culte 
du soleil, soit la manifestatien tangible de la puissance 
divine; les roches à bassins, autels sur lesquels nos 
paysans croient d’une manière invariable qu’on sacrifiait 
des hommes; les caux, les sources et les marais, temples 
mystérieux de déités inconnues. 

Les crismes gravés sur les roches sont très nombreux, 
l’un des bras de la croix est fruste ou peu prononcé ; aux 
grandes roches sur Pollionnay, l’un des crismes avec sa 
cuvette creusée sur l’un des bras, ressemble plutôt à un 
Thau à anneau de suspension qu’à une croix, cela parait 
prouver l’ancienneté de la tradition, c’est le Thau hindou, 
importé primitivement par les premiers Philolithes, avant 
sa transformation en swastika, forme compliquée et 
maniérée de la croix. 


LES EGLISES 


Trois endroits nous ont cté signalés sous le nom d’églises 
@ des temps bien anciens où l’on célébrait la messe telle qu'on 
« la disait alors » : l’un à la Courtine, entre Aveize et 


DANS LES MONTS DU LYONNA:S 417 


et Duerne, probablement aux Roches ou Pierres-Feu; le 
second au cret Pellerou, sur Vaugneray ; le troisième à la 
roche Bracon, sur Villemoirieu près Crémieu. Ici on 
précisait, le prêtre était à la roche Bracon, les assistants 
étaient en bas dans le vallon. 

Ces ouvrages, ces lieux mystérieux, étaient certaine- 
ment des temples, où l’homme primitif glorifiait le cré:- 
teur de toutes choses, tel qu'il le concevait alors. 

C’est dans ces lieux, sur ces ouvrages, assis sur un 
rocher au sommet des monts, seul au milieu des bois, loin 
des bruits du monde, que nous avons demandé à Dieu de 
nous inspirer, et toujours, il nous semblait qu’il inspirait 
la réponse que nous faisions à nos propres questions, à 
savoir : la religiosité est innée au cœur de l’homme ; aux 
temps primitifs il adorait Dieu dans des temples sauvages, 
inconnus et ignorés de la génération actuelle. 

Qu'importe! l'hommage était rendu au Dieu incréé, 
infini, créateur et maitre de toutes choses. 


APPENDICE 


Jusqu’à ce jout les archéologues se sont occupé des grands 
monuments mégalithiques notamment de ceux des deux 
Bretagnes, française et anglaise, ils ont décrit les dolmens, 
les menhirs, les tumulus, les cromlechs, les alignements, 
les allées couvertes, les temples (Stonehenge, Abury, en 
Angleterre). 

Les archéologues ont parlé des enceintes en pierre ou en 
terre, ils ont recherché la destination et le symbolisme de 
ces divers monuments de l’époque mégalithique, ils ont 


classé les objets trouvés dans les galgals gisant sous Îles 
No 6. — Décembre 18»). 27 


418 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


tertres ou tumulus, et ceux trouvés dans diverses fouilles ; 
en un mot ils ont élevé un monument écrit et parlé à côté 
des monuments muets et aujourd’hui incompris du mégali- 
thisme. | 

Toutefois, ils ne paraissent pas avoir suffisamment étu- 
dié par une vue et une comparaison d’ensemble, tous les 
divers ouvrages créès par les Philolithes sur les sommets des 
monts à altitude moyenne, notamment sur les monts gra- 
nitoïdes, roche qui nous paraît être la roche sacrée et con- 
sacrée du mégalithisme. Ils n’ont pas groupé et mis en 
parallèle tous les ouvrages, souvent peu apparents et tou- 
jours sauvages, que l’observateur attentif groupe forcément 
dans un tout inséparable, et dont nous avons donné les 
titres des chapitres dans la nomenclature qui précède. En 
résumé, ils n’ont pas vu dans ces ouvrages l’œuvre d’une 
société humaine relativement civilisée obéissant à un culte 
que nous appelons le « mégalithisme », culte qui a dominé 
cette société pendant une longue strie de siècles. 


Parmi les livres qui nous sont tombés sous la main et trai- 
tant de la question qui nous occupe, nous citerons par ordre 
de date. 

David de Saint-Georges, Histoire des Druides et recherches 
archéologiques sur les antiquités celtiques et romaines des 
arrondissements de Poligny et de Saint-Claude, Arbois, 1845. 
Il rapporte tout au druidisme, tandis qu'en réalité des 
ouvrages similaires à ceux dont il parle, existent dans des 
contrées où le druidisme n'a jamais pénétré, donc notre 
appellation « mégalithisme » nous parait vraie. 

Revue Forézienne, tome IT, année 1868, pages de 9 à 15. 
Le fort vitriñié de Chitelux par le D' EF. Noclas. 

Des tuiles à rebords de l’époque gallo-romaine, auraient 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 419 


été trouvées incrustées dans la pâte vitrifiée, donc ce fort 
vitrifié ne serait nullement préromain, ainsi que le croit 
Bleicher, dont nous parlerons plus loin, concernant un fort 
similaire signalé par lui dans les Vosges. 

Revue Forézienne, tome ITT, page 26, Notice historique et 
archéologique sur la chapelle de la Madeleine et sur la 
montagne de ce nom, près Roanne (Loire), par F. Noelas. 
Il signale la couronne de monts surmontés de chätelards, 
cars ou cercles de pierres et par le fort vitrifié de Chatelux; 
il parle de « ces vieux sentiers creux que l'on retrouve sur 
« les hauteurs et ces routes abandonnées qui rayonnent 
« vers la montagne. » Tout cela confine au mégalithisme 
et corrobore notre système. 

M. J.-G. Bulliot, Mémoires de la Société Eduenne, La 
mission et le culte de saint Martin, années 1888, 1889, 1890. 
Ici, nous sommes en concordance parfaite avec le vénéré 
M. Bulliot quant aux descriptions des ouvrages, aux che- 
mins, aux tas de pierres, aux roches à cuvettes, aux lits de 
repos, etc. On croirait deux associés opérant : l’un dans les 
montagnes de l’Autunois, l’autre dans le Lyonnais, et 
cependant nous ne connaissons pas M. Bulliot, et son étude 
n’a été lue par nous qu’à l’époque où nous avions réuni tous 
nos matériaux, et, où notre œuvre de recherches sur le 
terrain se trouvait naturellement et forcément close, en rai- 
son de l'éloignement des contïées qu’il aurait fallu explorer 
pour établir une comparaison avec les ouvrages des monts 
du Lyonnais. 

Dans les monts de l’Autunois, le vieux culte du mégali= 
thisme, que M. Bulliot ne sépare pas du druidisme, paraît 
avoir soutenu contre le paganisme et le christianisme une 
lutte longuc et acharnée, qui s’est prolongée jusqu’au-delà 
du temps où vivait saint Martin. Dans certaines contrées 


420 RECHERCHES PRÉHISTORIQUES 


de l’Autunois les coutumes antiques seraient encore obser- 
vées même de nos jours. 

M. Bleicher, Les Vosges, le sol et les habitants, Paris, 1890, 
signale un nombre considérable d'ouvrages du mégalithisme : 
cromlechs, pierres branlantes, menhirs, dolmens, bassins, 
cuvettes, croix gravées sur des roches (swastikas non 
gammés), murs, camps retranchés, fort vitrifié, etc. Tout 
cela sur les sammets et les flancs des monts granitiques, ou 
sur les contreforts de grès vosgien, rochz également, à notre 
point de vue, sacrée et consacrée du mégalithisme. Mais : 
M. Bleicher ne donne nulle dimension de ces ouvrages et 
ne repère pas leurs détails secondaires, il n’a ni sétré ni 
orienté ces détails. 

Dans le supplément du Tour du monde, n° 36, du 
4 septembre 1897, pages 281 à 284, et n° 26, février 1898, 
pages 65 à 68, un écrivain qui signe Gabriel G.....R, publie 
une étude sur les monuments et ouvrages mégalithiques 
dans les environs de Noirétable et dans le Haut-Bourbonnais 
et l'Auvergne. L'auteur cite un nombre considérable de 
monuments et d'ouvrages dont la nomenclature se rap- 
proche beaucoup dela nôtre. Là de même que dans 
l’Autunois, le mégalithisme, le druidisme, le paganisine, 
le christianisme paraissent avoir été en lutte ardente et 
prolongée. L'auteur établit une connexité entre ces ouvrages 
symboliques et les cultes venus de l'orient, la reliogisité 
domine tous ces travaux, sauvages et grandioses, toutefois, 
il oublie, de même que tant d’autres, de se repérer à un 
point central et d'orienter ensuite au moyen de la boussole 
ses descriptions secondaires. 

Il n’en reste pas moins acquis que partout sur les som- 
mets et les pentes des monts granitiques et sur les grés 
qui souvent les accompagnent, et cela non seulement en 


DANS LES MONTS DU LYONNAIS 421 


France, en Europe, mais, sans doute aussi dans tout l’uni- 
vers, sur les mêmes formations géologiques, on trouve des 
ouvrages du mégalithisme similaires de ceux que nous . 
avons vus sur les monts du [Lvonnais, sauf quelques 
variantes dans les détails. 

Au point de vue qui nous occupe : similitude et groupe- 
ment d'ensemble de tous les ouvrages du mégalithisme et 
des Philolithes, il y a un champ d'études très vaste, 
très passionnant, très laborieux, écrasant mème à explo- 
rer, pour projeter quelque lumière dans les ténèbres 
qui entourent l'histoire et la vie de nos primitifs ancè:res. 
Nous ne sommes point partisan de la centralisation à 
outrance exercée par Paris sur la Province, et cependant, 
nous souhaitons ardemment qu'un membre de cet aréopage 
parisien centralise le plus tôt possible les nombreuses études 
faites en Province sur la vie mégalithique; nous souhai- 
tons surtout, qu'il examine de visu et sur place, un certain 
nombre des monuments et travaux des Philolithes, et 
qu'il fasse entrevoir ce vieux monde inconnu. Nous adres- 
sons notre vœu À l’aréopage parisien, convaincu que nous 
n'avons rien à espérer des universités provinciales. 

Ce qui précède était écrit, alors qu’apparut, en août 1899, 
Lyon, imprimerie Rey, l'œuvre de M. Claudius SAVOYE, 
instituteur à Odenas, le Beaujolais préhistorique, cette œuvre 
laborieuse et consciencieuse est en parfaite concordance 
avec nos idées et nos constatations. 


F: GaBUT 


pal FLE DR EL LAURTEED EDEN ER LEL PCA DH AOL 


LE BIENHEUREUX 


LOUIS ALLEMAND 


Chanoine et custode de l'Eglise, Comte de Lyon 
Abbé de Sa:ut-Picrre-la-Tour 
Chanoine et précenteur de l'Eglise de Narbonne 
Evique de Maguclonne 
Cardinal du titre de Sainte-Cécile, Archcvéque d'Arles 


suite (1) 


LLEMAND succédait sur le siège de Maguelonne (2) 
{ à Pierre VI d’Adhémar de Grignan de Monteil, 
Y décidé dans les premiers mois de 1418. D’après 
k Gallia (3), la bulle de Martin V qui l'y appelait serait 
datée de Genève, le 10 des calendes de juillet, première année 
de son pontificat (22 juin 1418). N'y a-t-il pas une ano- 


—— 
e 


(1) Voir la Revue du Lyonnais de novembre 1899. 

(2) Une confusion, semblable à celle qui avait fait L. Allemand abbé 
de Tournus, alors qu'il était de Saint-Pierre-la-Tour, a conduit quelques 
auteurs à lui attribuer l'évêché de Saint-Malo, au lieu de celui de Mague- 
lonne. 


(5) Gallia Christiana, t. VI, 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 423 


malie, au moins apparente, entre cette date et celle du 
2 juin où la nomination fut connue à Lyon ? Allemand était 
alors docteur en décrets; aux titres de chanoine et cus- 
tode de Lyon et d’abbé de Saint-Pierre-la-Tour, il joignait 
celui dechanoine et précenteur de l’Église de Narbonne, qui 
Jui avait été conféré par son oncle, chef de cette Eglise. 

De Genève, où la bulle de nomination avait été signée, 
le Souverain Pontife gagna Mantoue, puis Florence : il 
séjourna presque deux ans dans cette dernière ville. François 
de Conzié étant retenu outre-mer par une lévation, L. Alle- 
mand, qui le suppléait dans ses fonctions de camerlingue, 
dut résider tout ce temps avec la Cour pontificale. Dès cette 
époque, il portait le titre de vice-camerlingue, que les auteurs 
Jui attribuent seulement plusieurs années plus tard. 

Son éloignement lui rendait naturellement impossible 
l'administration de son diocèse, et, le 8 mars 1419, il la 
confiait à des vicaires généraux, à la tête desquels était Pierre, 
abbé d’Ananie. De loin, lui-même continuait à s’en occuper, 
dans la mesure du possible, et, le 16 des calendes de jan- 
vier 1422, il obtenait du Souverain Pontife plusieurs privi- 
lèges en faveur de son Eglise, privilèges mentionnés par 
Gariel (1). 

Il résidait alors à Rome, où Martin V était rentré le 
22 septembre 1420, et prenait une part active à l'adminis- 
tration du Saint-Siève. Par bulle, datée de Sainte-Marie- 
Majeur, aux ides d'août, sixième année de son pontificat 
(13 août 1423), le Souverain Pontife, désirant transférer 
à Sienne le concile, alors assemblé à Pavie, confiait à 
l'évèque de Maguelonne le soin de traiter avec les consuls 


(1) P, Gariel, Historia Præsulum Mesalonensium, Tolosa, 1675. 


424 LE PIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


de Sienne, Carolus Anguelinus, Checcus, Bartholomeus, 
Petrucius et Christophorus Andreas, et d'arrêter avec eux 
les mesures nécessaires à assurer la liberté du concile et son 
installation (r). 

Quelques mois plus tard, à une date antérieure au 3 des 
nones de décembre 1423 (2), L. Allemand passait de Mague- 
lonne au siège archiépiscopal d’Arles, que son oncle de 
Conzié avait occupé 25 ans auparavant, et qu'il devait faire 
sien, au point que le nom de cette Eglise se confonde avec 
son propre nom (3). Enfin, le 9 des calendes de juillet 1426, 
il était créé cardinal, du titre de Sainte-Cécile. 

Les auteurs indiquent qu'il fut envoyé à Bologne, soit 
comme légat, soit comme prolégat, et que, de là, ilalla réfor- 
mer la police de Forli et d’Imola, dans la Romagne, maisils 
sont en désaccord sur le temps de cette mission, la plaçant 
tantôt avant, tantôt après son élévation au cardinalat : cette 
dernière version nous semble préférable. 

Quoi qu'il en soit, il était absent de Lyon, lorsque, le 
13 mars 1429, il fut, pour la seconde fois, pourvu d’un 
canonicat dans cette Église (4). Ce jour, à la nouvelle du décès 


(1) Odoricus Raynaldus, Annales ecclesiastici, Romæ, 1659, t. XVIII. 
C'est à cet auteur que nous avons emprunté la plupart des faits, men- 
tionnés dans la suite de cette notice, qui ne nous étaient pas fournis par 
des documents contemporains. Il est, de beaucoup, le plus complet et . 
aussi le plus impartial des historiens de cette époque, et son étude appro- 
fondie est indispensable à qui veut connaitre la vie de L. Allemand. 

(2) Gerson mentionne dans ses œuvres un synode tenu à Lyon, en 
1424, et où on traita de la discipline ecclésiastique, mais L. Allemand 
n’y prit aucune part. 

(3) De son vivant, L. Allemand fut connu sous le nom de cardinal 
d'Arles. Plus tard, le peuple, qui accourait en foule à son tombeau, le 
désigna sous celui de saint Louis d'Arles. 

(4) Arch, départ. Fonds de St-Jean, Act, Cap., vol, XIIT, 


LE BIENHEUREUX LCUIS ALLEMAND ... 425 


d'Amblard de Joinville, les chanoines-comtes, à l'unanimité, 
ananimiler et uno consensu, conférèrent la chanoinie vacante 
en suite de ce décès à révérend père seigneur L. Allemand, 
cardinal, archevèque d'Arles ; le lendemain, ils le mettaient 
en titre de sous-diacre (1). Henri d’Albon s’opposa de suite 
à cette collocation; il soutint que, le nouveau chanoine 
étant cardinal, il devait ètre placé en titre de prêtre, et 
demanda qu’il y soit mis jusqu'à ce que l'examen des statuts 
eût établi l'exactitude de son dire; mais aucune suite ne 
fut, semble-t-il, donnée à cette réclamation. 

Cette nouvelle nomination ne fut pas pour L. Allemand 
le motif d’un voyage à Lyon. Deux années s’écoulèrent 
avant que, le 27 mars 1431, Jean de Grolée, que nous avons 
déjà vu lui succéder comme chanoïne et comme custode, se 
présenta, en son nom, au Chapitre et demanda à être mis 
en possession. À cette demande, les seigneurs capitulants 
répondirent que la réception aurait lieu après Jes fêtes de 
Piques; ils réglèrent en mème temps quelques détails de 
cette réception : on stipula que, conformément au compromis 
passé avec le roi, les ofhciers royaux seraient appelés pour 
assister au serment du nouveau chanoine; en outre, L. Alle- 
mand, ayant établi sa noblesse au moment de sa première 
réception, fut dispensé de faire à nouveau sa preuve. 

Pâques fut cette année-là le 1°" avril. Conformément à 
l'ordonnance précitée, Jean Fusilis, procureur du cardinal 
d'Arles, vint au chapitre le 9 avril, justifia de sa procura- 
tion, fut mis en possession et prêta le serment accoutumé, 
en présence de Jean le Viste, lieutenant du bailli de Mâcon, 


(1) Le titre indiquait les fonctions que le chanoine devait remplir 
dans l'exercice quotidien du service divin; en son absence, il devait se 
faire suppléer par un autre chanoine, 


426 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


et de Denis Becey, grefher royal. Le 14 mai de cette 
même année 1431, on invoquait la preuve de noblesse de 
L. Allemand dans celle de son neveu François de Fitignv, 
indiquant que le père dudit Françoi:, Guillaume de Fitigny, 
était frère de Jean de Fitigny (1) précédemment chanoine, 
et que sa mère était sœur de L. Allemand. François de 
Fitigny succédait dans le Chapitre de Lyon à Claude Alle- 
mand, neveu du cardinal d'Arles, décédé en novembre 1430. 

Le 4 des ides de mars (12 mars) 1431, L. Allemand avait 
souscrit à certains statuts, concernant les cardinaux. Le 
23 juillet s’ouvrait à Bâle ce concile qui devait voir renaitre 
le schisme d'Occident, un moment éteint avec la déposition 
de Clément VII (26 juillet 1429), et se terminer au bout 
de douze ans dans un tacite aveu de lassitude et d’impuis- 
sance. 

Le cardinal d'Arles joua dans la seconde partie de cette 
assemblée un rôle fort important, mais aussi fort difficile à 
juger. Une telle entreprise sortirait du cadre restreint de 
ces notes : nous nous bornerons à indiquer les grandes lignes 
de sa conduite, et, en même temps, à noter quelques faits 
intéressants l'Eglise de Lyon. 

Le 20 novembre 1431, le Chapitre avait demandé au 
sacristain, Henri de Saconay, déjà rencontré au concile de 
Constance, de le représenter à celui de Bâle (2). A l’assem- 
blée qui se tint à Bourges, le 26 février suivant, pour s’op- 
poser au dessein déjà arrêté d'Eugène IV, de dissoudre le 
concile, l'archevèque de Lyon, Amédée de Talaru, fut com- 


(1) Jean de Fitignv avait été chanoine de l'Eglise de Lvon du 
18 octobre 1410 au 25 février 1420; à ce moment il avait été nommé 
évèque de Chartres; il mourut le 25 mars 1432. 

(2) Arch, départ. Fonds de Saint-Jean. Act. capit., vol x1v. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 427 


mis pour aller trouver le Souverain Pontife de la part du roi 
et du clergé de France. Deux lettres de lui, l’une aux Pères 
du concile de Bâle, l’autre à Louis du Marets, évêque de 
Lausanne, qui s’y trouvait, témoignent de la délicatesse qu’il 
apporta dans l’accomplissement de sa tâche (r). 

Le 11 juin, le Chapitre nommait procureurs au concile 
Geoffroy de Montchenu, doyen, Georges de Saluces, archi- 
diacre, Guillaume de Chavirey, précenteur, Aymar de Rous- 
sillon (2) et Jean d'Amanzé ; vraisemblablement H. de 
Saconay avait dû rejeter l'offre du 20 novembre précé- 


dent (3). 


L'archevèque partit seulement en septembre : le 22, le 


——— ES ue une mm © 


(1) P. Labbe, Collectio mayna Conciliorum, Paris, 1672, t. XII. 

(2) Le 15 juillet 1432 on fit remise à À. de Roussillon de ses hôtel- 
leries pendant son séjour au concile. Plus tard, le concile régla lui- 
même cette question des revenus. Le 12 octobre 1434, Pierre d'Amanzé, 
au nom de son frère Jean, présenta au Chapitre un décret du concile 
statuant que les chanoines y assistant percevront intégralement les 
fruits de tous leurs bénéfices, comme s'ils faisaient résidence réelle. 

(3) Le concile de Bile comptait dans ses rangs un autre prélat sorti 
de l'Église de Lvon : c'était le cardinal Jean de Fons, connu sous le 
nom de Jean de Rochetaillée. Au chapitre du 25 juin 1433, il avait fait 
connaitre son intention d'être cnseveli dans l'église de Lvon, s'il décédait 
« en deçà des monts », et On avait commis pour lui écrire à ce sujet 
le custode de Sainte-Croix, Barthélemy Berchier. Huit jours plus tard, 
le 2 juillet, aporenant que Berchier devait aller au concile, on le chargeait 
de voir le cardinal et de s'entendre avec lui. Berchier revenait le 6 août, 
et, sur son rapport, on décidait d'accorder au cardinal l'emplacement 
choisi par lui pour sa sépulture, « dans la grande nef, près les sépul- 
tures de Ro:hefort et de Varennes. » Le mème jour, le custode de 
Sainte-Croix annonça que le concile travaillait à la paix du royaume, 
et une messe du Saint-Esprit fut ordonnée à cette intention. — Jean de 
Rochetaillée mourut à Genève, le 24 mars 1437. 


428 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


chanoine Hugues de Bron, son vicaire-général, restituant 
au trésor deux mitres qui lui avaient été prètées, annonçait 
le départ du prélat pour le concile. 

Le cardinal Allemand n’y arriva que beaucoup plus tard. 
Dans une lettre du 21 juillet 1433, fort curieuse, Philippe, 
duc de Milan, indique qu’à ce momentil se trouvait à Gènes. 

De Gènes il dut vraisemblablement passer à Arles et remon- 
ter à Lyon, où il était le r9 avril 1434. Commeil avait précé- 
demment fait sa preuve, été admis et reçu en la personne 
de son procureur, le Chapitre procéda ce jour à sa réception 
et à s1 mise en possession personnelle. Reçu d'abord, 
c'est-à-dire revêtu de l’habit de l'Eglise, il assista, « d’un 
bout à l’autre », à la grand’messe, puis fut mis en posses- 
sion dans la salle capitulaire : il avait été assisté dans ces di- 
verses cérémonies par l’évêque de Lodève, Pierre de Trilline. 
Le lendemain, sur sa demande, et après délibération, il était 
dispensé de faire sa première résidence, « attendu qu’il 
l'avait déjà faite, étant custode, attendu aussi sa dignité de 
cardinal ». Mais comme il demandait en mème temps que 
son neveu fût dispensé de continuer la première résidence 
commencée par lui à la Noël précédente, on lui répondit que, 
le faisant, on irait à l'encontre des statuts, et que Fitigny 
devait résider en personne pendant le teraps fixé par les 
usages de l'Eglise. 

Le cardinal dut peu séjourner à Lyon ; du moins sa trace 
disparait immédiatement. 

On le retrouve à Bâle en janvier 1437, au moment où le 
concile ouvre sa 17° session. Cette session devait être consa- 
crée à travailler à l’union des Grecs, union déjà entreprise 
sous le pontificat de Martin V. Pour y arriver, on avait 
décidé la convocation d’une assemblée, où se rencontre- 
raient les délégués du concile et ceux des Grecs : une dif- 


LE IIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 429 


ficulté s’éleva de suite sur le choix de la ville où se réuni- 
rait cette assemblée. Les Pères du Concilé de Bâle, préten- 
dant traiter en dehors du pape, opinaient pour qu'elle eût 
lieu à Bâle mème, et à son défaut, à Avignon ou dans quel- 
que autre ville de Savoie. Le Souverain Pontife demaridait 
au contraire Florence, Modane ou une autre ville d’Italie. 
Le différent arriva bientôt à l'état aigu : Constantinople 
vit arriver des ambassadeurs envoyés par le Pape, et d’autres 
représentant les Pères de Bâle; enfin, Eugène IV déclara 
le concile dissout, ou plutôt transféré à Ferrare. Une partie 
des prélats refusèrent d’accepter cette décision ; c'était la 
résurrection du schisme. 

Le cardinal Julien Césarini, qui jusqu'alors avait présidé 
le concile, ayant quitté Bâle pour Ferrare, le $ des ides de 
janvier 1438, les opposants élurent à sa place, comme pré- 
sident, le cardinal Allemand; celui-ci commença à diriger 
les travaux de l'assemblée le 24 janvier, jour où s’ouvrit la 
31° session. 

La deuxième du concile de Ferrare fut tenue le 15 février, 
sous la présidence personnelle du Souverain Pontife. Dans 
cette session, Eugène IV prononçal’excommunication de tous 
les membres du concile de Bâle, et la déchéance des digni- 
taires ecclésiastiques qui persisteraient à y siéger ; cette double 
mesure atteignait évidemment le cardinal d'Arles. Il était 
canoniquement privé et de son archevèché et de sa dignité 
de cardinal. Était-il dès lors nécessaire de prendre contre lui 
une mesure spéciale en ce sens ? Cette mesure fut-elle prise 
effectivement ? La Gallia qui l'indique la fait dater du 
25 juin 1439, c’est-à-dire du même jour où l'assemblée de 
Bile prononça la déposition d’Eugène IV. | 

En tfet, une fois engagée dans la voie de Ja violence, 
cette assemblée devait aller à l'extrême. Dans sa 32° session, 


430 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


tenue le 24 mars 1439, elle avait excommunié les Pères de 
Ferrare; dans sa 33°, à la date indiquée plus haut, elle 
prétendit proclamer la déchéance du Souverain Pontife. 

Le cardinal d’Arles avait pris à ces décisions une grande 
part, nous n'avons pas à la dissimuler. Mais, à côté de ces 
erreurs et de ces fautes, deux faits particuliers de cette 
année sont à retenir à sa louange ; c’est le courage héroïque 
dont il fit preuve au cours de la peste qui éclata à Bâle au 
mois de juillet ; c’est, en second lieu, le décret sur l’Imma- 
culée Conception de la Sainte Vierge, rendu à son instiga- 
tion le 17 septembre, décret qui fixait au huitième jour de 
décembre la célébration universelle d2 cette fête. 

Déjà trois siècles auparavant, le Chapitre de Lyon, conti- 
nuant la tradition de ses pères, saint Irénée, Saint Eucher, 
saint Agobard, avait institué cette fête dans son Église. Cette 
institution lui avait valu une énergique protestation de saint 
Bernard, le pieux abbé de Clairvaux. « Chose étonnante! 
La voix puissante qui avait soulevé l'Occident contre les 
ennemis du Christ, en organisant la troisième croisade, ne 
put rien contre l’entreprise des chanoines de Lyon. » Au 
contraire, la solennité de la fête s'était répandue peu à peu 
dans le monde entier. En l’érigeant canoniquement, L. Alle- 
mand ne faisait donc que confirmer la tradition lyonnaise. 
On sait par quelles fètes inoubliables Lyon célébra, il y a 
un demi-siècle, l'érection de son antique croyance en un 
dogme de l’Eglise universelle. 

Comme conséquence de la déposition d’Eugène IV, 
l'assemblée de Bâle devait nécessairement lui donner un 
successeur. Parmi les douze évêques désignés pour prendre 
part à cette élection, on trouve à côté du cardinal Allemand, 
Georges de Saluces, qui d’archidiacre de Lyon était devenu 
évêque d'Aoste. Après trois scrutins infructueux, Amédée 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 431 


de Savoie fut élu le $ novembre 1439, et prit le nom de 
Félix V (1). Pour arriver à ce résultat, L. Allemand avait 
employé toute son influence. Il continua à la mettre tout 
entière au service d'Amédée. Le 20 décembre il était à la 
tête de la délégation qui arrivait à Ripailles, chargée de lui 
annoncer son élection et d’obtenir son consentement; le 
23, c'était lui qui le bénissait et lui remettait l'anneau du 
pêcheur. Aussi, au commencement de l’année suivante, 
Félix V le créait son légat apostolique; mais les termes des 
lettres de nomination déplurent aux membres de l'assemblée 
de Bâle, qui les désapprouvèrent, les annulèrent et en firent 
dresser d’autres. 

Félix fit son entrée à Bâle le jour de la Saint Jean-Baptiste 
1440 : un mois plus tard, le 2$ juillet, il était sacré 
évêque et couronné pape par le cardinal d'Arles. 

Pour lui, la difficulté était de se faire reconnaitre par les 
peuples : il crut en préparer les voies par la création de 
cardinaux ; huit furent nommés le 1$ octobre, qui étaient 
choisis dans diverses nations, et six le 12 novembre, ces 
derniers tous français, et, parmi eux, l’archevèque de Lyon, 
Amédée de Talaru. Il avait particulièrement espéré sur 
l'appui du roi de France, mais celui-ci, tout en ménageant 
l'assemblée de Bäle, refusa de le reconnaitre. 

Dans le mème but, il envova le cardinal d'Arles, en 
mars 1441, à l'assemblée tenue à Mayence par les princes 
allemands ; il lui avait donné le titre de légat a Jatere. 

Là encore, un échec l’attendait. Les princes refusèrent 


(1) Nous avons noté quelques-uns des rapports de la Maison de 
Savoie avec l'Eglise de Lyon dans la notice sur Les Scisneurs de Fillars, 
chanoines «honneur de l'Eglise de Lvon, Lvon, 1899. 


432 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


de reconnaitre L. Allemand comme légat et ne l’admirent 
même à parler que lorsqu'il eut quitté son costume de car- 
dinal. Il prit ia parole dans ces conditions, le 24 mars : 
malgré ses efforts, les princes, auxquels s'étaient joints les 
ambassadeurs du roi de France et de l’empereur, pronon- 
cèrent que, pour la paix de l’Église, il y avait lieu de con- 
voquer un concile général dans une ville qui ne fût ni Bâle, 
ni Florence : le concile de Ferrare avait été transféré dans 
cette dernière ville en janvier 1439 ; ils décidèrent, en outre, 
la convocation d’une seconde assemblée l’année suivante 
à Francfort. Cette assemblée eut lieu, en effet, en maï 1442; 
l’empereur Frédéric y assista. L. Allemand présidait l'am- 
bassade qui fut envoyée à l’empereur par Félix V ; le 17 juin, 
il assistait à Aix-la-Chapelle à son couronnement, et le 
11 novembre, il l’accompagnait à son entrée à Bâle. Mais, 
tous les efforts pour amener l’empereur à reconnaître Félix V 
étaient demeurés inutiles et, dans la visite qu'il fit à ce der- 
nier, le 13 novembre, Frédéric eut soin, au contraire, de ne 
lui rendre aucun des honneurs réservés au Souverain 
Pontife. 

Cette série d'échecs successifs ne pouvait manquer de 
lasser les membres de l’assemblée de Bâle. Dans leur qua- 
rante-cinquième session, du 19 mai 1443, ils décidèrent de 
tenir, trois ans plus tard, un concile général à Lyon. Cette 
indication cest fournie par Æneas Silvius : l'assemblée 
s'étant, dans la suite, réunie à L:usanne, on à pu croire à 
une confusion entre ces deux villes. L’indication de Lyon 
comme siège d’un futur concile, nous semble devoir être 
maintenue; si, au moment venu, on s’assembla à Lausanne, 
peut-être faut-il en voir le motif dans la présence de Félix V 
en cette ville, peut-être aussi dans l'opposition que le roi 
de France aurait faite à la réunion d’un concile à Lyon. 


LE BIEN'EUREUX LOUIS ALLEMAND . 133 


Cette 45° session fut la dernière du concile de Bâle; bi:n 
qu'il n'eût pas été déclaré dissout, ses membres cessèrent 
de s’assembler. Toutefois L. Allemand continua à résider 
dans cette ville. En 1444, on l’y retrouve à la tête de la 
députation qui se présente au dauphin de France, vainqueur 
des Suisses, pour le prier d’épargner à Bâle Le séjour de son 
armée. 

En septembre 1446, il représente Félix V à une nouvelle 
assemblée des princes allemands à Francfort ; mais le résu!- 
tat de sa mission est moins heureux encore. Les princes 
paraissent abandonner en faveur d’'Eugène IV, auquel ils 
envoient une députation, la neutralité qu’ils avaient con- 
servée jusqu'alors; ils insistent toutefois à nouveau pour la 
convocation d’un concile général. 

La mort d'Eugène IV, survenue le 24 février 1447, modi- 
fia sensiblement le cours des événements. 

Le roi de France avait toujours refusé de reconnaitre 
Félix V ; il n'avait cessé en mème temps de travailler à 
l'extinction du schisme. Dans ce but, il avait convoqué 
l’assemblée de Bourges en 1440, et peut-être la même pen- 
sée n'avait-elle pasété étrangère à la venue, à Bâle, en 1444, 
du dauphin et de l’armée. Prévoyant que la convocation d’un 
nouveau concile pourrait ne rien terminer, et devenir au 
contraire une nouvelle source de divisions, il s’efforçait de 
découvrir une autre solution. Avssitôt l'élection de Nicolas V, 
succédant au pape Eugène, il s’empressa de le reconnaitre, 
et lui envoya une ambassade célèbre, dont Mezeray a conservé 
les détails. 

« Depuis, au mois de juillet ensuivant (1447), ie Roy 
envoya ses Ambassadeurs notables audit lieu de Lyon. Aussi 
y allèrentl'Archevèquede Trèves d’Allemaigne,et les Ambas- 
sadeurs de l’Archevëèque de Coulongne et du duc de Saxogne, 

N° 6. — Di:embre 1F9). 28 


434 . LE PIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


électeur de l'Empire, qui en ce temps estoient venus de vers 
le Roy pour icelles mesmes matières de la paix de l'Eglise : 
vindrent aussi à Lyon le Cardinal d'Arles, le Prévost: de 
Montieu et plusieurs autres tant de par Monseigneur de 
Savoye, comme de par ceux, qui estoient à Basles (1). » 
L'assemblée de Lyon dura jusqu’au mois d'octobre, et, si 
elle ne donna pas de résultats définitifs, du moins les bases 
de l'accord y furent jetées (2). Pour en hâter la conclusion, 
clle envoya une légation à Félix V, alors à Genève, tandis 
que Charles VIT faisait partir ses ambassadeurs pour Rome. 
Enfin, les pourparlers aboutirent : le 9 avril 1449, Félix V 
renonçait au pontificat ct à tous les droits qu'il y pouvait 
prétendre. De son côté, Nicolas V publia 3 bulles : la pre- 
mière, datée de Spolète le 18 juin, annonçait la fin du schisme 
par la cession de Félix et la dissolution du concile de Bäle ; la 
seconde, et c’est pour L. Allemand la plus importante, réta- 
blissait dans leurs dignités tous ceux qui en avaient été pri- 
vés pour avoir suivi Félix V et le concile de Bile ; la troisième 


(1) Chroniques d’'E. de Monstrelet, Paris, 1596, vol. III. 

(2) Sur la foi de Genebrardus, au livre 4 de sa chronologie, tous les 
recueils de conciles placent cette assemblée de Lyon en 1449. Cette 
date est inexacte, il faut bien dire 1447, comme l'indique Monstrelet, 
Les actes capitulaires du Chapitre de l'Eglise de Lyon l'établissent d'une 
manière indiscutable. Au chapitre du 18 septembre 1447, on permet à 
Elie de Pompadour, archidiacre de Carcassonne, et consciller de larche- 
vèque de Reims, actuellement à Lyon pour l'union de notre sainte mère 
l'Eglise, de dire la messe dans une des chapelles de l'église, aussi long- 
temps qu'il stjournera dans la ville, quoiqu'il ne porte pas l'habit de la 
dite eglise. Elie de Pompadour et l'archevèque de Reims, Jacques Juvénal 
des Ursins, étaient précisément les représentants da roi à l'assemblée de 
Lvon. Tous deux firent aussi partie de l'ambassade envovée par le roi à 
Nicolas V, à la suite de cette assemblée. 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 435 


va plus loin encore et déclare nul tout ce qui a été dit et 
écrit contre le mème Félix et les Pères de Bâle. 

Pour L. Allemand, c'était la reconnaissance de sa dignité 
cardinalice. Le Souverain Pontife ne semble pas du reste lui 
avoir tenu rigueur, et Saxius indique qu'il l'aurait envoyé 
l’année suivante, comme légat dans la Basse Allemagne ; il 
donne même sur le voyage du légat des détails fort curieux. 
Il aurait été arrêté en route, son bagage pillé, les gens de 
sa suite et lui-même maltraités. Mais l'existence de cette 
mission n'est pas absolument certaine ; il semble plutôt que 
L. Allemand ait séjourné dans son diocèse d'Arles une partie 
de cette année, qui devait être la dernière de sa vie. Il mourut 
à Salon, le 16 septembre 1450, et son corps fut transporté 
à Arles peu après. L'annonce de son décès parvint au Cha- 
pitre de Lyon le 25, et, le mème jour, son canonicat fut 
conféré à Charles de Car, soufformier (1). 

Comme trace de son passage à Arles, la Gallia (2) 
mentionne qu'il fit achever la cathédrale de Saint-Trophime, 
et aussi quil obtint pour son Eglise de nombreux privilèges 
de Louis IIT, roi de Sicile et comte de Provence. Au cours 
de sa vie si pleine et si mouvementée, il avait dû rarement 
séjourner dans sa ville archiépiscopale, et ces séjours eux- 
mêmes avaient dû être fort courts. Comment expliquer dans 
ces conditions l’ascendant considérable qu’il semble avoir 


(1) Archiv. départ., fonds de Saint-Jean, Actes Capit., vol, 19. — Le 
15 mai 1439, le Chapitre de Lvon avait fait demander au cardinal 
d'Arles, s'il entendait prendre part aux revenus de l'Eglise : sans doute, 
sa réponse fut négative; en tout cas, pendant ce deuxième canonicat, 
il ne perçut aucun fruit. Il nv eut donc pas lieu à sa mort de partaget sa 
terre. 

(2) Gallia Christiana, tome I, 


436 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


exercé sur son peuple ? La province d'Arles toute entière 
accourut à ses funérailles ; le clergé et le peupli de vingt-trois 
villes y envoyèrent des représentants. Immédiatement son 
tombeau devint l’objet d’une vénération particulière et le 
but d’un pèlerinage très fréquenté. La plupart des auteurs se 
bornent à signalir qu’un grand nombre de miracles y furent 
opérés ; mais l’auteur anonyme de l1 Vie du Bienheureux, 
reproduite par les Bollandistes, relate plusieurs de ces mira- 
cles. Au jour mème de ses funérailles, un prètre d'Arles, qui 
y assistait, fut guéri d'une fièvre dont il avait beaucoup souf- 


S. LVDOVICI ALAMANDI CAR. ARELATENSIS 


fert jusqu'alors. Peu après, les habitants de Saint-Amant 
voulant célébrer un office funéraire en son honneur se trou- 
vèrent fort gènés par le manque de la cire nécessaire au lumi- 
naire ; ils durent l’emprunter, en stipulant qu'après l’offce ils 
rendraient la cire restant et payeraient celle qui aurait été 
consumée : or, lu moment du règlement arrivé, et bien que 
la cire eût brûlée pendant tout l’office, son poids, loin d’avoir 
diminué, fut reconnu supérieur à ce qu'il était auparavant. 
C’est | « hôte du Mouton » à Arles, qui, épouvanté par 
les progrès de l'incendie qui dévore son hôtellerie, invoque 
le cardinal et voit les flammes s’éteindre, malgré la violence 
-du vent qui devrait au contraire les activer. Ce sont ensuite 


LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 137 


des lépreux cet des pestiférés qui sont guéris, des paralvti- 
ques auxquels l’usage de leurs membres est rendu. Par 
son intercession, les aveugles recouvrent la vue, les sourds 
l’ouïe, les muets la parole ; les morts mêmé reviennent à la 
vie. 

Ces miracles sont rappelés par Clément VIT dans sa bulle, 
du 9 avril 1527, qui proclamait en même temps bienheu- 
reux Pierre de Luxembourg et Louis Allemand. Le Souve- 
rain Ponti'e indiquait dans ce titre la grande dévotion du 
peuple d'Arles et des contrées environnantes pour son 
ancien pasteur ; il mettait en relicf lhunulité et la sainteté 
de sa vie. 

En vertu d’une autorisation spéciale contenue dans la 
bulle, le corps du Bienheureux, qui avait été déposé au 
côté droit de l'autel, fut exhumé ct transporté dans une 
chapelle qui lui fut spécialement dédiée, et où le peuple 
put satisfaire plus facilement sa dévotion. Plus tard une 


? 


autre chapelle fut aussi érigée en son honneur dans l'abbaye 


d’'Hautecombe, en Savoie. 

Enfin il était bien naturel que le culte du Bienheureux 
füt conservé à Arbent, son pays natal. M. l'abbé Burloud, 
curé actuel de cctte paroisse, a bien voulu nous fournir à 
ce sujet des indications précicuses. D'après la tradition, 
l'église d’Arbent, détruite en grande partie par un incendie, 
en 1635, avait été construite grâce aux libéralités de 
L. Allemand. Le monument actuel date de 1764: dans le 
chœur, une niche, bien que cachée en partie par des 
stalles, laisse apercevoir quelques ornements gothiques 
et un chapeau cardinalice aux trois quarts détruit. Dans 
le fond était placé un portrait peint du bienheureux. Cette 
peinture a été transportée, en 1835, dans une chapelle de 
la mèmç église, précédemment sous le vocable de Saint 


438 LE BIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


Antoine ermite, et qui cette année-là fut dédiée au bien- 
heureux Allemand, à la demande de Mgr Devie, évêque 
de Belley. Ce portrait, œuvre du siècle dernier, ne présente 
aucun caractère d'authenticité. La sacristie de l’église prima- 
tiale d'Arles en possède un beaucoup plus ancien : L. Alle- 
mand y est représenté vêtu de ses vêtements de cardinal. 
Malheureusement, cette toile est en assez mauvais état. À 
côté de ces peintures, nous signalerons trois gravures: la 
plus ancienne a été reproduite, il y a quelques années, 
par les soins de M. Martin Raget, notaire à Arles, c’est 
celle qui est en tête de ces notes; les deux autres appartien- 
nent à la bibliothèque de la ville de Lyon, où clles figurent 
au fonds Coste, sous les n° 13.081 et 13.082. 

Un office particulier fut composé en son honneur au 
lendemain de sa béatification, il figure dans l’ancien bréviaire 
d'Arles, édité en 1547, sous le pontificat de l'archevêque 
Jan Perrier : sa fête y est portée sous le rite semi-double 
d’un confesseur pontife, avec premières et secondes vêpres. 
Omis au xvu siècle dans les livres liturgiques du diocèse 
d'Arles, cet office fut rétabli, le 19 avril 1670, sur les ins- 
tances du Chapitre d’Arles, par l’archevèque François 
d’Adhémar de Monteil de Grignan. La solennité de la fête 
fut fixée au dimanche avant la dédicace de saint Michel 
archange et élevée au rite double. Les leçons de l'office 
fournissent sur la vie du Bicnheurcux quelques indications 
qui sont à retenir; nous en citerons seulement l'oraison : 
« Deus qui merilis et intercessionibus beati Ludovici confessor is 
lui alque pontificts, dignaris mortuos suscitare, cæcos illumi- 
nare, claudis gressum, surdis auditum restilucre, concede propi- 
lus, ul omnes, qui jus implorant auxilium, salutarem 
consequantur effectunr. Per Dominum. » 

Telle que ces notes permettent de l’entrevoir, la figure 


LE BRIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 1439 


du Bienheureux Louis Allemand était assez belle et aussi 
assez curieuse pour tenter les efforts des biographes. Plu- 
sieurs s’y sont cssavés : indépendamment des notices de la 
Gallia, de celles de Saxius, de Guichenon et de Gariel, déjà 
citées, nous signalerons celles de Baillet, dans le Recueil des 
Vies des Saints, d'Albi, dans le Recueil des Cardinaux, de 
L. d’Attichy, dans les Fleurs de l'histoire des cardinaux, de 
Colonia, dans l'Histoire littéraire de Lyon, de Guillet, dans 
le Dictionnaire historique de la Savvie, et surtout celle, très 
documentée, de Stiltingius, dans les Bollandistes. Sa vie a 
été, en outre, au siècle dernier, l’objet de deux publications 
particulières : l’une sans nom d'auteur: Abrévé de la vie du 
bienbeureux L. Allemand, archevéque d'Arles, 1716; l'autre 
de Mami, Della vita et del culto del b. Lodovico Alemanni, 
card. di S. Chiesa, Firenze, 1771. Enfin on trouvera dans 
la Gallia novissima, province d'Arles, de labbé Albanès, 
éditée par l'abbé Ullysse Chevalier, une série fort importante 
de documents inédits sur le cardinal d'Arles. 

Nous avons cherché, pour notre part, à rassembler dans 
ces pages tout ce qui avait trait aux rapports du Bienheureux 
Louis Allemand et de l'Eglise de Lyon, avec la pensée que 
l’historien qui élèvera à sa gloire le monument qui lui est 
dû, ne puisse ignorer quels liens intimes l’unirent pen- 
dant sa vie entière à notre grande Eglise. 


J. Beyssac. 


RECTIFICATION. — Dans les notes sur les Allemand qui ont 
appartenu au Chapitre de L\on avant Louis Allemand, nous 
avons, par erreur, indiqué que le chamaricr Allemand était porté 


440 LE EIENHEUREUX LOUIS ALLEMAND 


à l’obituaire sous la daie du 15 décembre. Le chanoine AHemard ; 
que nous trouvons avec le titre de chamarier en 1092 et 1096, est 
décédé le 20 mai. Quant au chanoine Allemand. porté au 18 de- 
cembre, et non an 15, il faut, semble-t-il, l'identifier avec le 
signataire, en février 949, de l'acte de remise, par l'archevêque 
Lurchard, aux religieux de Cluny, d'un droit de servis. 


J. B. 


VOYAGE À LYON 


DE 


FRANÇOIS VINCHANT 


RANÇOIS Vinchant, né en 1582, mort en 1635, 
a fait de longues recherches sur les annales du 
Hainaut, mais il n'en a pas publié les résultats. 


La perte est médiocre, s'il portait dans l'histoire le même 
esprit critique que dans la narration de son voyage: on ne 
peut rien imaginer de plus naïf et de plus crédule que Île 
bonhomme Vinchant. | 

Le récit de ses pérégrinations (rt), écrit dans une langue 
névligée, quelquefois triviale, et semée de locutions exo- 
tiques, est cependant curieux. Même les fables ramasstes 


(1) Poyvaye de Francois VPinchint en Trance cten Llalie, du 16 set 
tembre 1609 au 18 fevrier 1610. Texte accompagné d'une introduction 
par Félix H:chez, Bruxelles, 1897, in-8", 


442 VOYAGE A LYON DE FRANÇOIS VINCHANT 


par le candide voyageur sont encore des documents à leur 
manière. Vinchant ne les a pas inventées; il a écouté ce 
qui se disait autour de lui, sur les grands chemins et dans 
les auberges, et ces fables deviennent ainsi un témoignage 
de la créance populaire. 

C’est à la fin de l’année 1609 ou au commencement de 
1610 que Vinchant arriva d'Italie par la route de la Savoie 
et du Dauphiné. Avant d’entrer dans notre ville, il eut à 
traverser la « Forest de Lyon », une forèt « fort remplie 
de bois » et très mal famée. J'avoue humblement que je ne 
sais rien de cette forêt, qui aurait en cc temps-là couvert 
la plaine du Dauphiné aux abords de Lyon, non plus que 
de ces parties de chasse que Charles IX y aurait faites pen- 
dant son séjour à.Lyon, en 1564 (1). 

Vinchant ne tente aucune description de la ville; il faut 
encore moins attendre de lui des observations sur la société, 
les mœurs, le commerce. Mais il dit son mot sur l’étymo- 
logie de Lugdunnum. I aime surtout à colliger des lésendes, 
des « faits divers », qui ont ce charme de paraitre 
coupés dans un bôn vieux journal de trois siècles. On ren- 
contre aussi dans son livre des choses qui ne sont pas sans 
intérêt pour l’histoire. 

On remarquera le souvenir donné à Cornélius Agrippa, 
cet homime hors nature, extraordinaire même dans un siècle 
qui a vu tant de génies étranges, grandement suspect 
d'accointances diaboliques, charlatan eflronté ou fanatique 
convaincu. Le vovagcur ne manque pas de rappeler le 


(1) Abel Jouan n'en dit rien dans son Recueil et discours du voyvare du 
Rov Charles IX. Paris, 1566, in-8” (Bibl. de Lvon, Recueil vert, t. 67). 
— Une autre édition a été publiée à Evon la même année par Benoit 
Rigaud. ° 


VOYAGE À LYON DE FRANÇOIS VINCHANT 443 


conte du chien noir d'Agrippa, qu'il semble emprunter 
presque mot pour mot à Paul Jove (1). On ne sait encore 
avec certitude, — je crois du moins, — si le fameux thau- 
maturge est mort à Lyon ou à Grenoble (vers 1535). 
D'après l'assertion très précise de Vinchant, il seräit décédé 
dans une hôtellerie de Lyon. Oh! je sais bien que c’est 
insuffisant pour décider de la question; mais enfin Vinchant 
a rapporté, sans aucun doute, une tradition qui avait cours 
à Lyon. On lui à montré du doigt, près de la Saône, à 
main droite sur la route de Roanne, proballement dans 
la rue de Bourgncuf, l'auberge où Cornélius Agrippa était 
mort. Il me semble que cette tradition, mème recucillie 
par un François Vinchant et soixante-quinze ans après 
l'événement, ne peut pas être absolument négligée. C’est en 
tout cas un appoint à des arguments plus positifs. 

Mais la page la plus intéressante, à mon avis, est celle 
où Vinchant nous entretient de Julienne Morelle, une toute 
jeune Barcelonaise qui étonna le monde par la précocité et 
la variété de ses connaissances ; il est vraisemblable d’ailleurs 
que l'admiration a beaucoup ajouté au savoir de cette fille 
étonnante, « merveille de nostre siècle », comme dit le 
bon Vinchant. Le père, forcé de quitter l'Espagne où il 
avait commis un meurtre, s'était réfugié à Lyon avec sa 
fille. Ils étaient encore dans cette ville quand Vinchant y 
passa, et Julienne v continuait ses études vêtue en corde- 
lière, ou, selon l'expression un peu grossière de notre 
auteur, en « habit de capucin » (2). 


QG) Elosia doctorum virorum, p.223 del'édit. d'Anvers, 1557, in-8".— 
Agrippa est venu plusieurs fois à Lvon; on a de lui des lettres dattes 
de cette ville. 

(2) On peut voir sur Julienne Moreclle : (Andreas Schott}, Hipaniæ 
Bibliotheca, p. 343 ; — Paliniana, p. 106; — Hilarion de Coste, Eloges 


444 VOYAGE A LYON DE FRANÇOIS VINCHANT 


Je laisse maintenant la parole à François Vinchant. On 

a pris seulement la liberté de supprimer quelques passages, 
et de distribuer le texte en petits articles qu'on a distingués 
par une rubrique particulière. 
| REURE. 


LA FORET DE LYON. LE FANTOME FOUETTEUR. -— La 
Forest de Lvon est bien périlleuse, à cause des brigands ct 
meurtriers. Et cette forest est de longue estendue, et en 
aulcuns endroits fort remplie de bois. L’on contoit que du 
temps de Charles 9, roy de France, il y avoit en ceste 
forest un fantosme que l’on appelloit le Foitteur, par tant 
que les femmes qui passoicnt par icelle se trouvoient si 
bien foittées que les marques demeuroient au corps, sans 
que partant elles veissent personne. Et tout incontinent, se 
faisoit par la forest ce cri : Ha, ha, ha! Charles 9, qui 
aimoit tant à chasser dans ceste forest qu'il y fcit eslever 
un bastiment superbe nommé de son rom Charleval, s'estant 
faict sérieusement enquester de cela, trouva que c’estoit 
chose véritable. 


ÉrYMOLOGIE DE LUGDUNUM. — Je vinsà la ville de Lyon, 
dit en latin ZLusgdunum, qui est tiré des mots Lugons et 


etcies des Revues, des princesses el des dames illuitres, +1, p. 102: — 
Bréghot du Lut, Mélanre; et Nouceaux Miélanres, passim :; — Péricaud, 
Notes el documents, à Fannée 1606, etc. — Henri Kornmann, qui avait 
vu Julienne Morelle à Lvon, lui dédia son Zructatus de virgini'ale, 
virgin statu et jure (Francfort, 1610, in-12), et il rappelle encore son 
souvenir dans le chapitre XIV du mème ouvrage. — Selon Abraham 
Golnitz (Ulvses Bel'ico-Gallicus, Lugd. Batav., 1651, p. 537), elle 
habitait près du couvent des Cordeliers, 


VOYAGE A LYON DE FRANÇOIS VINCHANT 445 


Dunum, qui signifient autant que Montaigne de Lugdus, car 
Dunum en viel langaige gaulois signifie Montaigne, et Lugons 
estoit le roy des Celtes qui bastit ceste ville. 


VERTU CURATIVE DES EAUX DE LA SAONE. — Ce 
fleuve coule si doucement qu’il peut rendre garison aux 
coutteux; mais voiez comment. L'an 1589, Guillaume 
Michel, tout goutteux, eut envie d’aller à l'fsle Barbe, ou 
estoit le Pardon. Or, il faut entendre qu’à Lyon les femmes 
passent le Rhosne et poussent la rame bravement. Ce bon 
woutteux va se mettre dans le basteau d’une bonne vieille, 
et tout sa famille quant lui. Elle vous le mesne fort heu- 
reusement. Mais pendant que ces gens de bien prient Dieu 
en l’abbave, ceste vicille s’amuse à boire. Quand les dévo- 
tions furent achevées, voilà mes gens de retour au basteau, 
et la vieille à jouer de l’aviron. Mais comme elle avoit beu 
plus de vin que d’eau, au lieu de saisir l'arche, elle va donner 
contre la pile du pont de Saosne, où elle choqua si brus- 
quement que tout la barquette fut renversée. Ces pauvres 
gens furent très tous versez dans l’eau. Là chacun se voulant 
sauver se noye. Îl n'y eut que ce pauvre goutteux qui estant 
enveloppé dans s1 robe fourée, incontinent se sentant en 
l’eau, donna si bien des pieds et des mains qu'il estendit ses 
membres, et se délivra de l'eau et de la goutte (x). 


JULIENKE MOoRELLE. — Pendant que j'estois à Lyon, 
residoit en icelle ville ceste très docte fille, Julienne Morelle, 
native de Barcelone en Éspaigne, de laquelle on peut dire 


Gr Ici l'auteur parle du Chapitre de Saint-Jean; puis il rappelle, 
Mas sans rien apprendre de nouveau, la belle réception faite par la ville de 
Lvon, à la fin de l'année 1600, à la future reine Marie de Médicis. 


446 VOYAGE A LYON DE FRANÇOIS VINCHANT 


qu'elle emporte l'honneur sur toutes les dames de lettres, 
et à laquelle a souvent envoyé lettres ce grand historien 
Justus Lipssius, quy en a receu d'elle. C’est en fin le mira- 
cle de nostre siècle. Son père qui, sur quelque occasion, 
s'estoyt retiré à Lyon, luy fit faire un habit de capucin 
pour l’exciter à la pitié, et continuer les estudes qu’elle 
avoit de son enfance commencées en Espaigne. Elle sçavoit, 
à l’eage de 12 ans, le latin, le grec et l’hébreu, la philoso- 
phie, puis l’art de discourir. Elle soustint en l’an 1606, le 
16 février, une dispute publique sur la philosophie spécu- 
lative et morale, où se trouvèrent grands prélats et aultres 
gens de lettres, lesquels furent bien estonnés d’ouyr son 
éloquence et ses conclusions. Son père volut que la dispute 
se feit à ce jour qui est dédié à Ste Julienne, parce que 
c'est le jour de sa naissance. De mon temps que j'estoy à 
Lyon, elle estudioit en droit. Je crois qu'en ce temps que 
j'escrit cecy, elle at accomply ceste estude, avec celle de la 
théologie (1). 


LE CHIEN DE CoRNÉLIUS AGRIPPA. — Estant donc party 
de Lyon (2), l’on laisse à main droite, près de la ville, 
l’hostellerie où Henry-Corneille-Agrippa, homme de grand 
estude, estant envoyé par l’empereur en embassade aû Roy 
de France, mourut. Il estoit suspect de Negromancie. Aul- 
cuns disent couvertement quil estoit le plus grand sorcier 
de son eage. Il avoit toujours chez luy un petit chien noir, 
qu'il mesnoit de toute parte; et il le faisoit coucher sur son 
lict. Estant proche de la mort, il osta audit chien un golier 


(1) L'auteur raconte ici une excursion qu'il a faite à Vienne, 
(2) C'est-à-dire : en partant de Lvon, quand on part de Lron, 


VOYAGE À LYON DE FRANÇOIS VINCHANT 447 


tout chargé de cloux d'argent, où se voyoient divers cha- 
ractères, disant : « Va-t-en, beste perdue ; tu m'as du tout 
perdu. » La beste s’alla ruer dedans le fleuve Saosne, duquel 
on ne le veit jamais sortir. Aulcuns estiment que c’estoit 
le diable qu’il mesnoit en forme de chien. 


DE Lyon À ROaANXE. ACCIDENT SUR LA Loire. — Re- 
tornons à nostre voyage. Depuis Lyon jusqu'à Roanne, 
l'on passe la Tour, Bresle, Tarrare, beau bourg, la Montai- 
gne de Tarrare, qui dure deux licues et demye, Capelle, 
Fontaine, St Symphorien, Ste Marguerite (1), la rivière 
de Loire. Puis estant parvenu à Roanne, petite ville, je fist 
provision de vivres, selon la coustume de tous, pour m'em- 
barquer jusqu’à Orléans, avec la compaignie d’aulcuns 
gentilzhommes (2). Or, nous ne fusmes si tost embarquez 
que nous trouvasimes matière à rire ; car plusieurs basteaux 
partoient quant nous, remplis de bœufs. L'un d'iceulx 
s’estant jetté dans la Loire pour quelque umbraige qu'il 
receut, les aultres jusqu’au dernier firent le mesme, sans 
qu on les peut arrester. 


(1) La Chapelle, La Fontaine, Saint-Svphorien-de-Lav, Sainte-Mar- 
gucrite-de-Neaux. 

(2) Vinchant a suivi l'itinéraire habituel des vovageurs qui allaient à 
Paris et dans le nord ou l'ouest de la France. Ils suivaient là grande 
route ju-qu'à Roanne, et là ils prenaient la Loire, si le régime des eaux 


était favorable. Il était très rare au contraire qu'on remontit le fleuve. 


A L'ORDRE DU JOUR 


Souvenir du siège de Belfort 


À droite et à gauche, formez le cercle ! 

C'était le matin du $ novembre 1870, après l'appel. 

À ce commandement, les deux extrémités des rangs de 
chacune des compagnies alignées sur la route qui traverse 
le faubourg des Forges, au nord de Belfort, s'étaient mises 
en mouvement et se rejoignaient, enserrant dans un cercle, 
plus ou moins parfait, les officiers de la compagnie et le 
scrucnt-major. Celui-ci, aussitôt le mouvement terminé, 
lut d'une voix forte le rapport du jour, la décision du 
commandant supérieur de l1 place de Belfort, portant, pour 
s1 belle conduite lors des combats de Roppe et d’Eloye des 
2 et 3 novembre, le premier bataillon du 16° de marche, 
des Mobiles du Rhône, à l'ordre du jour de l'armée. 

Nous écoutions, immobiles, des larmes aux veux, cette 
consécration de gloire attachée à nos premiers faits d’ar- 
mes ; nous pensions à nos parents, à nos amis de Lyon, à 
leur joie quand ils apprendraient de quelle façon leurs 
enfants, lcurs camarades s'étaient conduits à leur baptème 
du feu. 

Lorsque Pauthonnier, le sergent-major de notre compa- 
gnie, cut terminé la lecture du rapport, la voix du sous- 


A L'ORDRE DU JOUR 449 


lieutenant Berruet retentit de nouveau : — À droite et à 
gauche, alignement. Rompez les rangs. March! 

Comme des écoliers à leur sortie du collège, aussitôt 
hors des rangs, les Mobiles s’élancèrent à pleine envolée 
de tous les côtés, criant, chantant, faisant sauter en l'air 
les képis et même les fusils: la joie était intense. Les 
Mobiles du Rhône à l’ordre du jour! c'était la gloire, 
c'était l'admiration de leurs concitoyens, c'étaient les illumi- 
nations qui allaient scintiller aux fenêtres, aux balcons, aux 
croisées des mansardes de cette bonne ville de Lyon. Ah! 
comme on aurait voulu être dans ce cher pays natal, pour 
voir la joie des parents, pour jouir du plaisir des amis! 

Il y en avait bien’ pourtant de ces braves Lyonnais qui 
devaient pleurer; des parents, de pauvres mères qui de- 
vaient maudire cette joie, car il en était resté des cama- 
rades sur les routes et les chemins de Roppe et d’Eloye, sur. 
la mousse des sentiers de la forèt de l’Arsot, couchés immo- 
_biles dans la mort, auréolés de leur sang! Mais qui donc à 
cette heure, dans les rangs des Mobiles du Rhône y son- 
geait ? Qui donc pensait que si la gloire du soldat victo- 
rieux est belle, les gémissements des malheureux blessés, 
les lamentations de la pauvre mère devant le blanc suaire 
de son enfant, les pleurs de la triste fiancée en face de son 
amour à jamais brisé, sont épouvantables? Combien se 
souvenaient du malheur et de la tristesse dans ce jour tout 
d'honneur, d’alléeresse et d’orgueil patriotique ? 

On causait de nos deux journées de éombats ; mais c'était 
uniquement pour se remémorer les faits qui les avaient 
remplies, faits passés inaperçus pour nous, simples soldats, 
au moment de l'action, mais que nous avions appris peu à 
peu, dans la suite, soit par les rapports officiels soit par les 
conversations qué nous avions eues, les uns et les autres, 


N° €. — Decembre 1839. 29 


450 A L'ORDRE DU JOUR 


avec nos officiers et les camarades des diverses compagnies 
du bataillon. 

Nous nous rappelions le combat de Roppe, où deux 
compagnies, celles des capitaines Poupard et Carrey s'étaient 
particulièrement distinguées, les rangs serrés des nombreu- 
ses compagnies de Prussiens et de Badois, le déploiement 
de tous ces escadrons de uhlans qui éssayèrent de nous 
déloger du village et ne purent y parvenir, la retraite des 
Allemands, semant sur les routes leurs morts et leurs bles- 
sés et obligés ce jour-là de suspendre l'investissement. 

Nous savions que malgré notre victoire, l’on nous avait 
fait abandonner Roppe parce que ce village était trop éloigné 
de Belfort et qu'il ne restait dans cette place pas un seul 
canon de campagne en état d’être amené pour soutenir notre 
résistance. 

Nous causions de notre campement pendant une partie 
de la nuit suivante dans les granges et les écuries du village 
d’Offemont, puis de notre départ précipité de cette localité 
pour Eloyé ; de notre marche, avant le jour, dans les sen- 
tiers à peine tracés de Ja forêt de l’Arsot, marche silencieuse, 
sans refrain, sans cri, car il ne fallait pas attirer l'attention 
de l’ennemi ni de ses espions. 

Nous discutions sur les positions que l’on nous avait fait 
prendre à EÉloye et au Valdoie, dans la partie occidentale de 
la forèt de l’Arsot, à cheval sur les routes de Giromagny ct 
de Gros-Magny; nous nous remémorions nos barricades for- 
mées de tout ce qui nous était tombé sous la main, depuis les 
arbres abattus jusqu'aux instruments aratoires des paysans : 
les voitures, les charrues, les herses, les tables, les bancs. 

Pui, c'était l’arrivée des Allemands, vers les dix heures du 
matin, le 3 novembre ; nous revovions cette noire colonne 
venant du côt de Gr s-Magny, que nous forcions à s'arrêter, 


A L'ORDRE DU JOUR 451 


à reculer même, lorsque nous fûmes attaqués du côté opposé 
par une deuxième colonne ennemie, venant de Roppe et 
ayant traversé la forêt de l’Arsot, guidée par l’instituteur 
de Vétrigne; notre combat sur la route, dans les chemins, 
au travers des sentiers, entre les arbres de la forêt, jusqu’à 
ce que nos cartouches fussent épuisées. 

Enfin, notre arrivée aux Forges, où nous trouvions des 
vivres dont nous avions grandement besoin, car depuis deux 
jours nous étions presque à jeun, à part quelques débrouil- 
lards qui avaient pu se procurer des aliments entre les dif- 
férentes phases de ces quarante heures de marches et de 
batailles. Ces excellents fromages de gruyère qui nous étaient 
envoyés par le brave curé d'Offemont ! Ces petites pommes 
de terre cuites à l’eau, disputées aux porcs dans leurs auges ! 

Nous avions appris aussi, qu'aussitôt arrivés aux Forges 
et, munis de nouvelles cartouches, nous devions être repor- 
tés en avant pour reprendre l'offensive, lorsque le com- 
mandant supérieur ayant été mis au courant du mouvement 
de l'ennemi de Roppe sur Vétrigne, sur Eloye et sur le 
Valdoie, avait décidé de faire rentrer à Belfort, puis de les 
envoyer au Mont, près du villige d’Essert, les quatre pre- 
mières compagnies du bataillon et de laisser les quatre der- 
nières aux Forges, sous les ordres du commandant Duringe, 
pour observer le pied de l’Arsot et défendre les routes du 
Valdoie et d'Offemont ; l'absence totale d'artillerie de cam- 
pagne interdisant à Denfert d'engager l’action en dehors des 
villages défendus par le canon de la place. a 

Mais, en vérité, que nous importait bien tout ceci ? 
Nous étions ce jour-là heureux et contents, tout à la joie :. 
le premier bataillon des Mobiles du Rhône était porté à 
l’ordre du jour! 

Joscph BERGER. 


Notes et Souvenirs 


À PROPOS DE LA BIBLIOGRAPHIE DE DU VERDIER. — Un 
catalogue de livres d'occasion contenait récemment cette 
annonce : 

Du Verdier. La Biographie et Prosopographie des roys de 
France : on leurs vies sont briesvement descrites et narrées en 
beaux, graves et élégans vers francoys. Plus y sont figurez et 
pourtrails tous iceux, au plus vif el naïf naturel... Paris, L. 
Cavellat, 1583, pet. in-8, fig. 

C'est un petit volume fort curieux, imprimé partie en 
italiques, partie en caractères de civilité ; les portraits de 
nos rois sont dans des encadrements gravés sur bois. On 
connait une autre édition avec la date de 1586, et j'ai 
même vu chez M. Testenoire-Lafayette, à Saint-Etienne, 
un exemplaire auquel l'éditeur avait ajouté après coup un 
feuillet supplémentaire non chiffré, dont le recto représente 
l’image de « Henri HIT, Roy très chrestien de France et de 
Navarre, regnant a present ». 

L'ouvrage est-il, comme dit le catalouue, de du Verdier, 
c'est-à-dire d'Antoine du Verdier ? Il lui est attribué par 
Lelong, dans la Bibliothèque historique de la France (éd. 


NOTES ET SOUVENIRS 45 3 


Fevret de Fontctte, t. IT, n° 15.746) et par Brunet (Manuel, 
t. Il, col. 927), qui cependant met le nom d’Antoine du 
Verdier entre parenthèses, ce qui prouve qu'il n'était pas 
dans l’exemplaire que le savant bibliographe avait sous les 
Yeux. | | | 

Le nom de l’auteur ne figure en effet ni au titre, ni à la : 
fin du sonnet sur la devise de Charles IX, par lequel s'ouvre 
le volume, ni dans le privilège, du 6 décembre 1582, ni 
quelque part que ce soit. La vérité est qu’il n’y a aucune 
raison sérieuse de le laisser à Antoine du Verdier, et 
M. Reure a cu raison de le passer sous silence dans la 
liste des écrits de du Verdier (Le Fibliographe Antoine du 
Verdier, p. 62 et suiv.). Celui-ci n'aurait pas manqué de 
mettre son nom à un livre qui pouvait servir son ambition 
et lui gagner les bonnes grâces de la Cour; en tout cas, il 
l'aurait mentionné au catalogue de ses propres ouvrages 
qu'on peut lire tout au long dans sa Bibliothèque (éd. de 
1585, p. 80). 

L'erreur s’explique toutefois assez facilement: Antoine du 
Verdier a publié à Lyon, en 1573, la Prosopographie ou des- 
criplion des Personnages insignes. On comprend qu’une cer- 
taine analogie de titres aît pu faire croire que du Verdier 
avait écrit les deux ouvrages. Quoi qu’il en soit, l'attribution 
à Antoine du Verdier de la Biographie et Prosopographie des 
Roys de France est une petite méprise qui doit disparaitre de 
la bibliographie, À moins qu’on ne nous apporte la preuve 
péremptoire que du Verdier en est réellement l’auteur. 


454 NOTES ET SOUVENIRS 


Les Foires DE Lyon. — Un jurisconsulte d’origine lyon- 
naise, Bretonnier (1), dans son Recueil des principales 
questions de droit (2), nous donne une intéressante défi- 
nition des foires de Lyon, nous apprenant ce qu'elles 
étaient exactement. Ce mot de foire évoque à l'esprit l’image 
d'une foule grouillante, encombrant certains endroits de la 
ville de petites boutiques de bois, d’amas de marchandises, 
autour desquels d’âpres discussions s'engagent entre ven- 
deurs et acheteurs. Rien de tout cela, au dire de Breton- 
nier, ne se voyait à Lyon. C’est à propos du prêt à intérèt 
qu’il consigne les détails suivants ; il nous apprend que 
des exceptions étaient apportées au sujet de ce dernier, aux 
ordonnances royales dont les dispositions reproduisaient 
celles du droit canonique, notamment : 


En faveur de la ville de Lyon, où il est permis de stipuler les intérêts 
de l'argent prêté aux marchands et même à toutes sortes de personnes, 


(1) Barthélemy-Joseph Bretonnier, avocat au Parlement de Paris, 
naquit à Montrotier, près Lyon, en 1656; il mourut à Paris, le 
21 avril 1727. 

(2) Le titre complet de son ouvrage est le suivant : « Recueil par 
ordre alphabctique des “principales questions de droit qui se jugent 
diversement dans les différents tribunaux du Rovaume, avec des re- 
flexions pour concilier la diversité de la jurisprudence cet la rendre uni- 
forme dans tous les Tribunaux, par M. Bretonnier, ancien avocat au 
Parlement. — Cinquième édition, augmentée de nouvelles notes et 
additions et d’une liste des provinces, villes et autres lieux régis par le 
droit écrit, par M. Boucher d’Argis, avocat au Parlement de Paris. — 
Paris, veuve Desaint, 1783, in-4e. 

Bien qu'annoncée comme la cinquième, cette édition n'est que la 
quatrième, les trois autres qui l'ont précédée datant de 1752, 1756 et 
1769, celle-ci en deux volumes in-12, 


NOTES ET SOUVENIRS 455 


pourvu que la somme soit payable en paiement, à quoi l’on ne manque 
jamais. 

Il est bon d'observer, pour les personnes qui ne sont pas au fait du 
commerce et singulièrement de celui de la ville de Lyon, que ce que 
l'on entend à Lyon par billet payable en payement ce sont des lettres et 
billets de commerce payables à un des termes ordinaires des paiements, 
qui se font dans les tems des foires de Lyon. 

Ce que l’on appelle les foires de Lyon ne ressemble en rien aux foires 
que l’on voit s'ouvrir à Paris et ailleurs en certains tems de l'année ; 
celles de Lvon ne sont autre chose qu’un tems de franchise pour les 
droits d'entrée et de sortie, accordé à cette ville pendant les quinze 
premicrs jours ouvrables de chaque quartier de l'année. 

Ce n'est pas qu'il y ait à Lyon un lieu particulier où se tiennent les 
foires et où se rendent à jour nommé des marchands forains, comme à 
Paris et dans plusieurs autres lieux. 

Il peut bien v venir quelques marchands qui nv résident que pendant 
le tems des foires, mais ils sont en petit nombre : ceux qui commercent 
à Lyon toute l’année sont également réputés marchands forains en tems 
de foire et ce sont eux principalement qui font le commerce dans ces 
tems de franchise. 

Le commerce des foires n’est autre chose que les envois qui sont faits 
aux marchands de Lyon, ou qu'ils font eux memes en tems de foire. 

Les foires de Lyon furent établies en 1414, par Charles VIL, alors 
régent sous le Roi son père; il y transféra les privilèges des foires de 
Brie, de Champagne et du Landit: leurs privilèges ont été confirmés 
par diverses Lettres patentes de nos Rois qu'il serait trop long d’énu- 
mérer. 

Les principaux privilèges de ces foires consistent en ce que, pendan 
les quinze premiers jours de chaque quartier il y a sur toutes les mar- 
chandises qui entrent dans Lvon une diminution de droits. 

Il suffit mème qu'une marchandise soit envoyée en foire à Lvon pou 
quelle ne pave rien ni à l'entrée du Rovaume, ni dans tous les endroits 
où elle passe, sauf à être taxée à la Douanne de Lvon, avec diminution 
des droits ordinaires. 

Quant aux droits de sortie, 1] v en a exemption totale pendant les 
foires: une marchandise marquée en foire à l'Hôtel de Ville de Lvon 
passe librement dans tout le Royaume, elle sort même de France sans 
visite ni paiement de droits, 


456 NOIES ET SOUVENIRS 


Mais le privilège de cette marque est restreint d’une foire à l’autre, en 
sorte qu'il ne dure que trois mois; c’est pourquoi les marchands de 
Lyon, pour faire leur commerce avec plus d'avantage, ne font commu- 
nément venir des marchandises et ne font leurs envois qu’en tems de 
foire. | | 

On peut tirer des lettres de change de Lyon sur Lyon, pourvu qu'elles 
Soient payables d'une foire à l’autre, ce qui est une exception à la règle 
générale, qui veut que pour donner le caractère de lettre de change il y 
ait remise de place en place, c'est-à-dire que la lettre soit tirée d’une 
ville sur une autre. | 

Les foires durent quinze jours ouvriers chacune, et chaque paiement 
dure depuis le premier jour du mois qu’il a été ouvert jusqu'à la fin 
d'icelui et encore trois jours complets et ouvrables du mois suivant, 
l'intervalle desquels est appelé le comptant du paiement. 


Justin GoDarT. 


.— à DS 


NES } ÈS PACE 


AUGUSTE ALLMER 


Lecture faite à l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts 


de Lyon dans sa séance du $ décembre 1899. 


_ 


MESSIEURS, 


ous m'avez demandé de vous parler d’ Allmer ; 

RE faire l'éloge d’un épigraphiste aussi éminent, c'est 
CE presque élever la prétention d’avoir été son col- 
lègue dans une science que je n’ai aucun droit dedire mienne, 
mais invité à rendre hommage À cette mémoire aimée et 


vénérée, je sens trop vivement le souvenir d'anciennes et 
précieuses relations pour décliner une tâche à laquelle je vou- 
drais être mieux préparé. 

Ces relations, Messieurs, elles remontent à un ET siècle 
environ; bien jeune alors, je me rappelle d’avoir eu à Paris, 
dans la salle des manuscrits de la Bibliothèque nationale, 
un voisin de table qui remarqua ma prédilection, dans les 
communications demandées, pour tout ce qui touchait au 
passé archéologique de notre vieux Dauphiné. Ce voisin, 
Messieurs, c'était Allmer; nous nous rencontrions sur le 


458 AUGUSTE ALLMER 


même terrain; Vienne, dont j'étudiais les annales, n'avait 
pas de secrets pour lui; il en fouillait le sol, je recherchais 
les monnaies de ses archevèques. Quelques années après, 
Allmer collaborait avec Alfred de Terrebasse; de cette asso- 
ciation scientifique sortait un livre ou plus exactement sor- 
taient six volumes qui sont indispensables aux amis de 
l'épigraphie antique ct médiévale; chacun des deux auteurs 
apportait la profonde expérience d’une orientation spéciale ; 
c'est un monument élevé à l’illustre capitale des Allobroges, 
nobilis Vienna, maxima Galliarum, comme on l’appelait sur 
ses monnaies. | a | 

C’est àu cours de ses modestes fonctions de percepteur 
qu’Allmer trouvait le temps de commenter ses précieuses 
découvertes ; il me semble que ce labeur professionnel a dù 
lui peser plus d'une fois. J'aime mieux me le représenter tel 
qu'on l’a vu plus tard, gravissant les montagnes, descendant 
dans les vallées, s’élançant à la recherche de ruines romaines, 
arrachant à des lettres incomplètes et mutilées le secret de 
leur langage en partie disparu. Par lui-même ou par ses 
correspondants, Allmer enregistrait un nombre infini de 
textes lapidaires, disséminés çà et là sur le sol de l’ancienne 
Gaule, principalement de la Gaule méridionale. Aussi 
quand on réimprima l'Histoire générale du Languedoc, de 
Dom Vaissette, et qu'il fallut apurer et analyser Îles 
inscriptions publiées par lillustre bénédictin, le concours 
d'Allmer fut sollicité, et la part prépondérante qu'il 
prit dans ce travail de révision constitue un de ses meil- 
leurs titres à la reconnaissance du monde savant. Mais 
ces investigations lointaines, ces hardies pérégrinations ne 
Jui faisaient pas perdre de vue notre chère cité. Né à Paris, 
il nous avait adoptés. Faut-il, Messieurs, vous parler de son 
recueil des Zuscriptions antiques de L'on. Là se trouvent 


AUGUSTE ALLMER 459 


accumulés les trésors d'une science impeccable, les fruits de 
minutieuses et ingénieuses observations. Il est juste d'ajouter 
qu'Allmer avait un collaborateur, un jeune, qui continue 
dignement sa tâche; nous savons qu'avec M. Dissard nos 
richesses archéologiques sont en bonnes mains. | 

Ce n’est pas tout, cependant; il fallait un couronnement 

à cette carrière, et ce couronnement, Messieurs, c’est la 
Revue épigraphique du Midi de la France, qui est l’œuvre 
d’Allmer, à lui tout entière. Si le mérite intrinsèque d’un 
livre se mesure à l'estime persistante qui survit à son appa- 
rition, on peut juger de la valeur de cette publication pé- 
riodique ; elle a rempli les jours de sa verte vieillesse, il y 
travaillait encore cette année, et dans sa branche elle fait 
autorité. 
Si modeste, si ennemi du bruit que füt Allmer, on 
n'atteint pas à une pareille hauteur sans être forcément 
remarqué. D'illustres amitiés lui furent acquises ; un Léon 
Renier, un Hirschfeld correspondirent assidûment avec lui. 
La Légion d'honneur, l’Institut, l’Académie de Lyon vou- 
lurent le compter dans leurs rangs. Et, puisque je prononce 
le nom de notre Compagnie, combien ne nous fut-il pas 
agréable de voir notre cher confrère sanctionner de sa haute 
approbation, de son incontestable autorité, les intéressantes 
découvertes, d'ailleurs pressenties par lui, que notre prési- 
dent, M. Lafont, a poursuivies si patiemment et judicieu- 
sement pour nous révéler ce qui fut l’amphithéître de 
Jugdunum ! 

Ce Lyon des Romains, cette Société cffondrée depuis tant 
de siècles, qui les a mieux connus qu’Allmer ? Je me suis 
dit souvent (et pardonnez, Messieurs, le ton peut-être trop 
familier de cette réflexion), je me suis dit qu'Allmer était 
au courant de la ville gallo-romaine, de son organisation, 


460 AUGUSTE ALLMER 


de ses cadres, comme un de ces préfets modernes de la car- 
rière, rompus aux détails du fonctionnarisme ct que n’embar- 
rasse jamais un seul des rouages soumis à son adminis- 
tration. Légats impériaux, proconsuls, sévirs augustaux, 
pontifes, nautes, utriculaires, tout cela, dans son vaste 
cerveau, était à sa place. Faire l'éloge de ces grandes qualités 
serait incomplet si je ne rappelais pas aussi les dons heureux 
d'une imagination gracieuse et poétique qui lui a plus d'une 
fois dicté des pages colorées ct vibrantes, celles, par exemple, 
qu'il a consacrées à l'autel d’Auguste, où il a décrit ces 
colonnes de granit surmontées de victoires ailées qui, sur 
la colline situte entre nos fleuves, regardaient l'Italie et 
semblaient saluer Rome, la reine du monde ! 

Comme tous ici-bas, Allmer a eu ses heures de tristesse 
et de deuil. Un fils, merveilleux dessinateur, dont il avait 
formé le goût pour les choses de l'antiquité, lui avait été 
enlevé il y a peu d'années. Par suite de circonstances parti- 
culières ce triste événement me rapprocha davartage du 
collègue que nous pleurons, et des relations toujours plus 
cordiales s’établirent entre nous. Vale et me ama, lui écri- 
vais-je il y a quelques mois. Cette fin de lettre lui plut 
infiniment et me valut une chaude réponse. Aujourd’hui 
encore, je lui dis adieu et je ne cesserai pas de l'aimer ! 


Henry Morix-Poxs. 


Revue de la Presse 


Bulletin municipal officiel de la ville de Lyon. — 1er, 8, 
15, 29, 27 Octobre; $, 12, 19, 26 novembre 1899. — Délibérations des 
corps municipaux de la ville de Lyon pendant la période rivolultionaire. — 
Conseil général : 23 décembre 1790: 20, 29 janvier; 1er février 1790. — 
Conseil municipal : 24, 30 décembre 1790; 1$, 19, 21, 24 janvier 1791. 
— Burcau municipal : 29, 30 décembre 1790; 3, 7, 10, 11, 12, 13, 14, 
27, 26 janvier 1791. ! 


Express. — 18 octobre 1899 : Le Lyonnais littéraire. — 3 novem- 
bre : Francdouaire, La question des eaux ; Jean du Dovenné : Les Tom- 
bes de la Primitialke.— $ novembre : Stevert, Une fausse légende (à pro- 
pos des Tombes de la Primatiale).— 24 novembre : Francdouaire, Mort 
de Pierre Sallé et de Carrand, peintres lvonnais. — 28 novembre : Auguste 
Allmer, épisraphiste. — 30 novembre : Francdouaire, Le monument 
Blandan. | 


Lyon Républicain (Supplément littéraire). — Suite des études 
Jyonnaises de M. Josse. — 1er octobre 1899 : Anciennes corporations, 
peintres et sculpteurs. — $ octobre : Les d'Albon. — 8 octobre : Ancieu- 
nes corporations, Ouvriers cn fer-blanc. — 12 octobre : Le martvr 


462 LL. REVUE DE LA PRESSE … - 


Alexandre. — 15 octobre : Le Compaznonnare à Lyon. — 19 octobre : 
Georges d'Amboise, — 26 octobre : {ndré-Marie Ampère. — 29 octobre 
et 4 novembre: Les fravaux de la Chambre du Comm:rce en 1898-99. — 
2 novembre : François Artaud. — 9 novembre : Les Audran. — 
12 novembre : L'Ecole des Beaux-Arts. — 16 novembre : Ballanche. — 
19 novembre : Vieilles enieirnes. — 23 novembre : Barrême. — 30 no- 
vermbre : Bayart; Louis Rosset, Une Villa romaine à Izeruore ; À. G. 
Carrand, peintre lvonnais. 


Progrès illustré. — 1er octobre 1899: Les grottes de la Balme, 
dessins de Girrane. — 8 et 15 octobre : Au parc de la Téle-d'Or, des- 
sins de Girrane. — 29 octobre : Félix Desvernay, Le quai de la Charité, 
la place Grolier, etc. dessins de Girrane. — 12 novembre : Félix Desver- 
nav, La place du Chanze. dessins de Girrane. — 19 et 26 novembre : 
Félix Desvernay, Le quartier Saint-Paul, dessins de Girrane. 


Le Salut Public. — 9 octobre : Une féte à Bourg-Argental, 
Tuauçguration du buste de Louis Jarrosson. — 18 octobre : Quartiers des 
Célestins et St- Antoine. — 22 octobre : Henri Rojeas, Le couvent des 
Célestins. — 26 octobre : À propos du couvent des Célestins. — 28 octobre : 
Le nouveau pont d'Ainav. — $ novembre : Henri Rojeas, Nos anciens 
théätres. — 9 novembre : Maubris, Le Pont de PUniversité. — 12 no- 
vembre : Henri Rojeas, La bibliothèque de la ville de Lyon. — 26 no- 
vembre : Henri Rojeas : Façades de Bellecour. 


Revue Dauphinoise. — 15 octobre 1899 : .{ualole de Gallier, 
par J. Brun-Durand ; Souvenirs d’un voyage, poèsie, par Henri Second ; 
Les Sentiments, la Musique et le Geste, par Paul Biblio ; Christian Almer, 
par W. À. B. Coolidge; Le Vercors (suite), par Etienne Méllier ; La 
grotte des nains de Mizoén, par Cousin Bénédict ; A travers les livres, par 
Jean-Tonin Parassac. | 


- 


— 15 novembre 1899 : Claude Expilly et les caux de Vals, par Henry 
Vaschalde; Poñsies, par G. C.; Anatole de Gallier (fin), par Brun-Durand ; 
Nous sommes sept, poésie, par Maurice Champavier ; Le Vercors (suite), 
par Etienne Mdllier ; Æssor, poësie, par Tardif ; 4 travers les revues, par 


Navier Parassac. 


REVUE DE LA PRESSE 463 


La livraison d'octobre contient un teau portrait de M. de Gallicr et 


celle de novembre, une 1cproduction du très rare portrait d'Expillv par 
Audran. 


La Revue Forésienne. — Novembre 1899. — Jules Massenet, 
par J. Manin; Le conseil dé commerce et les industries locales au commen- 
cement du XIXe siècle, par L. J. Gras : La paroisse et le village de St-Paul 
en-Coruillon, par J. Prajoux ; La France nouvelle (suite), par Paul Gour- 
mand ; Au pays des calvaires, par Charles Fuster ; Causerie militaire, 
Causerie industrielle, La Mode, Revue de la Bourse, etc. 


— Décembre 1899 : Jul's Massenet (fin), par Joseph Manin; Le Conseil 
de commerce et les industries locales au commencement du xiXe siècle (fin, 
par S.-J. Gras ; Le prieuré, lu paroisse, le village de Saint-Paul-cu- 
Coruillon (fin), par J. Prajoux; La france nouvelle (in), par Paul Gour- 
mand, Au pays des Calraires (fin), par Charles Fuster ; Chronique musi- 
cale ; Carnet mondaïn; La Mode; Revue de la Bourse, etc. 


Revue du Siècle. — Aoùt-scptembre 1899 : Essai d’un folklore 
lyonnais (suite), par Aimé Vingtrinier ; Un pocle normand au XVIe siècle, 
par Alexandre Piédagniel ; Du sentiment patriotique, par Ch. Poirson ; 
Georget et Gcorgette, nouvelle, par E. Flotard ; Philosophie de la littérature, 
par Ferraz ; Poésies, par Jean Renoud, Pierre de Bouchaud, baronne 
d'Ottenfels, Ch. Dornier ; Bibliovraphie, par Mme Antonia Bossu, A. B. 

: t 
et C.R. | 


— Octobre et novembre 1899 : Francisque Bouillier, par Alexis 
Bertrand ; Petits po‘mes en prose, par Montaurv ; L'enscionement intéeral, 
par H. Moulin; Tubleautin de vacances, par Fertiault; Essai d'un folklore 
vonnais, par Aimé Vingtrinier ; Poésies ; Bibliographie, etc. 


Chronique de novembre 1899 


SOMMAIRE. — La fète des morts. — Nécrologie du mois. — 


M. Allmer. — Menus faits. — Jacquard et Blandan. — Chronique 
des lettres et des arts. — Conférence de M. Godart. — L'entei- 
gnement colonial à Lvon. — Les théâtres. 


Re mois s'ouvre par cette fète des morts, fête du 
souvenir, que Lyon célèbre avec une piété plus 

grande peut-être que partout ailleurs. À cette 
occasion Son Eminence le Cardinal-Archevèque fait, chaque 
année, l’aspersion solennelle des tombes placées dans notre 
vieille cathédrale. Cette imposante cérémonie a fait naître 
cette année, dans les colonnes de notre çonfrère l'Express, 
une très intéressante polémique entre son collaborateur 
Jehan du Doyenné et notre érudit archéologue Steyert. La 
Revue du Lyonnais s'en fait plus haut l'écho. M. Stevyert y 
traitait de légendes plusieurs affirmations ne reposant sur 
aucune donnée certaine, sur aucun fait précis. Il eût pu y 
relever d’autres erreurs d’information. L'auteur parlait « des 
grands personnages etde nobles dames » enterrés à Saint-Jean 


CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 465 


et « des riches citoyens de la ville » qui y avaient fait ériger 
des chapelles entre le jubé et les piliers du grand chœur. 

Or, l’église de Saint-Jean était le lieu de repos exclusif des 
chanoines de Lyon; seul, M. de Mandelot et une femme, 
Isabeau d'Harcourt, y furent enterrés tout à fait exception- 
nellement. Quant aux chapelles de la Primatiale, elles ne 
furent jamais érigées par aucun citoyen de Lyon. 

L'article de Jehan de Lyon, n’en était pas moins très inté- 
ressant, même dans cette légende qu’il faisait revivre. 

Pourquoi faut-il que nous ayons aussi, dans ce mois de 
novembre, un si grand nombre de morts à pleurer ? 

Le 1°" novembre, meurt à Paris M. l’abbé Meritan, curé 
de Saint-Sulpice, qui fut pendant longtemps à la tête du 
Grand-Séminaire de Lyon. 

Le même jour nous apprenait la mort, au Cambodge, de 
M. Mevyrieux, jeune architecte lyonnais, élève de l’Ecole 
de Lyon. | 

M. Meyrieux avait été nommé l’an dernier architecte de 
première classe et envoyé par le gouvernement français au 
Cambodge. Il résidait à Pnompeuh, où ses funérailles ont 
revêtu le caractère d’une véritable solennité. 

"Le 7 novembre, succombe à Saint Béron, M. Xavier de 
Garnier des Garets, d’une famille si connue et si aimée. 

Le 12, c’est Carrand, le vieil artiste, qui meurt oublié, 
suivi à sa dernière demeute par quelques rares amis. 

Ce peintre inimitable qui, à près de quatre-vingts ans, des- 
sinait, peignait encore, était né à Lyon, le 25 août 1821. Il 
s'était isolé, presque en sauvage, dans son atelier du n° 44 de 
la rue Victor-Hugo, vivant seul, au milieu de ses collec- 
tions d’études, oublié souvent des anciens, inconnu ou 
dédaigné de la nouvelle école, estimé et admiré par tous les: 


connaisseurs en aft. C'était un impressionniste vibrant. 
N° 6. — Decembre 1899. 0 


466 CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1859 


On sait avec quel art il savait tirer des gris d'acier des 
effets intenses; quelle harmonie il condensait dans cette 
orgie de coloris féroce qu’il semait dans toutes ses 
œuvres. 

Le monde des lettres et celui de la bienfaisance perdaient, 
le 20 novembre, M. Barthélemy Casati-Brochier, ancien 
premier juge au Tribunal de commerce de Lyon, ancien 
administrateur de la Caisse d'épargne de Lyon, président 
de la Crèche Saint Bernard de la Croix-Rousse, vice-président 
de l'Œuvre des Messieurs, de Lyon, président du Conseil 
de fabrique d’Ainay, décédé en son chîteau de Saint Fonts, 
à Gleizé (Rhône) 

Il était le père de notre excellent confrère, M. Sylvestre 
Casati-Brochier du Salut Public. 

Le 22 novembre, nouvelle perte pour les arts : nous appre- 
nons la mort presque subite du vieux peintre Pierre Sallé. 

Sallé pouvait avoir environ soixante-cinq ans; c'était un 
travailleur acharné, sincère, ne sacrifiant rien à la mode, aux 
écoles du jour, mais mettant dans son œuvre toute son âme 
qui semblait toujours, comme ses toiles, enveloppée d’un 
voile de tristesse. Il était né à Bordeaux, vers 1835. 

Qui ne connaissait cette bonne figure qu’encadrait une 
longue barbe blanche qui faisait vaguement songer au profil 
de Meissonier ? 

Le caractère un peu sombre, tout entier de Pierre Sallé 
se retrouve dans ses toiles. 

Les Beaux-Arts de Lyon perdent en Sallé un artiste de la 
vieille école, ses amis un cœur sincère aux amitiés solides. 

Puis, c’est une série à la noire : le 23 novembre meurent, 
M. Jean Briguet, le libraire éditeur bien connu; Mme Fran- 
cisque Avnard, belle-mère de M. Aynard, vice-président de 
a Chambre des députés, représentant du Rhône; la véné- 


CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 467 


rée mère Maric-Thérèse de Jésus, supérieure générale des 
religieuses de Marie-Thérèse. 

Le 26 novembre, meurt à Biviers (Isère). M. le baron 
Louis de Polinière, capitaine de cavalerie, démissionnaire; 
tandis que s’éteignait à Trévoux M. le baron d’Urbal, chef 
d'escadron de cavalerie en retraite, chevalier de la Légion 
d'honneur, dont la famille compte encore plusieurs de ses 
membres dans l’armée. | 

Enfin, le monde des lettres et des sciences avait la douleur 
de perdre, le 27 novembre, l’éminent épigraphiste Louis- 
Christophe-Auguste Allmer, mort dans sa 85° année, 
chevalier de la Légion d’honneur, officier de l'instruc- 
tion publique, membre correspondant de l’Institut, membre 
non résident du Comité des travaux historiques et scienti- 
fiques, membre de l’Académie des belles-lettres, sciences et 
arts de Lyon, membre de la Société des antiquaires de 
France, etc., conservateur honoraire du musée épigraphique 
de la ville de Lyon, ancien percepteur de l'arrondissement 
de Vienne. | 

Né à Paris, en 1819, il était depuis longtemps Lyonnais 
d'adoption et c’est dans notre ville qu'il a conquis sa renom- 
mée, qui avait commencé à se produire à Vienne, où il avait 
été appelé par de modestes fonctions de percepteur. 

Ses deux grands ouvrages sur les inscriptions de Vienne 
et sur celles de Lyon, sans compter un grand nombre d’autres, 
resteront comme des monuments et des sources inépuisables 
auxquelles il faudra toujours recourir. Le dernier de ces 
recueils avait obtenu le grand prix Gobert, mais le rapport 
de l’Académie des inscriptions et belles-lettres déclarait qu’en 
lui accordant cette haute récompense, l’Institut voulait cou- 
ronner, non pas seulement ce travail, mais aussi quarante 
années d’une vie consacrée à la science, 


468 CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 


Auguste Allmer n'était pas seulement un savant, mais 
encore un caractère, une âme d'élite. Libéral dispensateur 
de son savoir, il en faisait généreusement part à tous ceux 
qui venaient le consulter. Bienveiïllant et loyal, il ne tardait 
pas à se faire des amis de tous ceux que les intérêts de la 
science mettaient en rapport avec lui. 

Sa mort 4 fait un vide immense, non seulement dans le 
domaine de la science, mais aussi dans le cœur de tous ceux 
qui ont pu apprécier cette Âme essentiellement affectueuse. 


Mais laissons nos morts en repos; qui sait si leur âme ne 
préfère pas la paix dans l’autre vie à ces apothéoses pos- 
thumes ! 

Et revenons aux faits divers qui sont comme la menue 
monnaie dont se paye notre activité sans cesse en éveil. 

La guerre du Transvaal et les exploits de la Haute-Cour 
sont les deux faits principaux du mois. 

Les Boërs continuent leur résistance acharnée contre 
l'invasion anglaise, et le 7 novembre, le Conseil municipal 
de Lyon, suivant l’exemple du Conseil municipal de Paris, 
votait une adresse de félicitations et d'encouragement à la 
noble nation qui lutte sans espoir pour ses libertés. Nos 
édiles envoyaient en même temps, une modeste offrande 
destinée à soulager un peu les blessés. 

Le 11, nos mêmes conseillers assistaient à l'inauguration 
du fameux tramway électrique de Lyon-Cusset et Croix- 
Luizet, attendu depuis si longtemps. 

Le 21 novembre, uu de nos confrère, le Lyon-Républicain, 
révèle à ses lecteurs la naissance du dernier enfant de 


CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 469 


Pompéien, un aéroplane, dont on annonce, parait-il, mer- 
veilles, mais qui ne nous semble pas encore prèt à entrer 
en lutte avec le ballon militaire dirigeable que, le même 
jour, célèbrent les journaux allemands. 

Le 23 nous appelle à glorifier d’autres luttes plus 
nobles, la lutte pour le bien ? Ce jour, l’Académie décernait 
les prix Monthyon à ses lauréats, et c’est avec joie que nous 
voyons récompenser quinze pérsonnes dans notre région; 
Lyon compte deux de ces cœurs dévoués, deux femmes : 
Jeannette Goddet et Marie Bruneau. 

Mais si le bien a ses jours de gloire, quelle triste apo- 
théose du crime, nous offre, le 28, la salle des assises du 
Rhône, où défile toute l1 bande ignoble des assassins de la 
veuve Foucherand, à la Villette ! Rien de plus repoussant 
que le spectacle de ces lâches bandits ; et comme l’on com- 
prend que la préfecture du Rhône, au lendemain de cette 
double condamnation à mort, nous annonce la création 
d'une brigade spéciale de sûreté dans chaque arrondisse- 
ment de Lyon! 

Sur la colline travailleuse que Michelet opposait à Îa 
colline mystique, les canuts s’apprêtent à recevoir la statue 
de Jacquard, que le Conseil municipal a chassé, le 28 
novembre, de la place Sathonay, pour céder son socle à la 
statue du sergent Blandan. Cette statue est due au ciseau 
du sculpteur Lamotte. 

‘L'artiste a rendu avec bonheur les traits du jeune sergent 
Blandan, âgé de vingt-trois ans. Il choisit l'instant où le 
sergent, qui vient de quitter, le 11 avril 1842, après l’inspec- 
tion, le canp d’Erlon, avec seize camarades du 26°, trois 
chass-d’AfF et le sous-aide major Ducros, entre dans la gorge 
de Beni-Mered, où il se voit aussitôt cerné par plusieurs cen- 
taines de cavaliers arabes des Ben-Salem. 


470 CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 


La lutte fut héroïque. Bugcaud en rendit compte dans 
un ordre du jour enthousiaste. 

Blandan sut jusqu’au bout soutenir l’ardeur de ses cama- 
rades et entretenir la résistance jusqu'au moment où, mou- 
rant de plusieurs blessures, il voyait les secours arriver et 
les Arabes décimés et en pleine déroute. 

Le sergent Blandan fut porté à l’ordre du jour de l’armée 
et le 26° célèbre avec enthousiasme, chaque année, la fête 
du héros de Beni-Mered. 

Ce jeunc sergent était né à Lyon, aux Terreaux, dans la 
rue qui porta longtemps le nom de Saint-Marcel et qui porte 
aujourd'hui son nom. 

Quant à Jacquard, on le déboulonne, sans savoir au juste 
quelle place de la Croix-Rousse lui donnera asile. 

Jacquard passera donc cet hiver sans domicile. Nous espé- 
rions que nos édiles, en vrais démocrates, ne permettraient 
pas qu'on enlevât la statue du malheureux inventeur sans 
lui avoir trouvé un abri nouveau. Ce pauvre Jacquard ! Il sera 
donc éternellement poursuivi par la malchance! 


La vie lyonnaise doit s'occuper encore de toute une série 
de menus faits qui présentent un réel intérèt. 

Le 2 novembre s'ouvre une splendide exposition de 
chrysanthèmes sur le cours du Midi, organisée par la Société 
d'Horticulture pratique du Rhône. Cette exposition est 
merveilleuse : on peut y admirer le chrysanthème japonais, 
incurvé, empenné, weith plume, alfeus hardy, bas ou stan- 
dart, fleur moyenne ou géante; tous les goûts sont dans la 
nature et trouvent dans le hall pleine satisfaction. 


CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 471 


Le 3 novembre une dépêche nous apprend que lun de 
nos compatriotes, M. Pierre Bonnaviat, ancien élève de notre 
Lycée et de notre Faculté des lettres, vient d’être attaché à 
la Cour impériale de Russie comme professeur de culture 
française pour les pupilles de l’impératrice Marie. 

Les pupilles de l’impératrice sont des jeunes filles de la 
noblesse, choisies au nombre de vingt parmi les élèves de 
l'institut Sainte-Catherine et de l'institut de Smolna. 

Elles viennent passer deux ans à la Cour pour se préparer 
à tre demoiselles d'honneur. 

Le $s novembre, grand banquet offert par la Société lyon- 
naisc des Beaux-Arts; et, le 13 novembre, à la reprise des 
conférences des avocats stagiaires, M. Godart, qui a écrit 
l'étude magistrale que l’on connait sur la vie des canuts à 
Lyon, prononçait une remarquable conférence sur le rôle 
social de l'avocat ; il s'agit de l’organisation fondée au barreau 
de Lyon pour assister les pauvres dans leurs procès. 

Etablie sur initiative de l'archevêque de Lyon, elle 
n'était point composée exclusivement d’avocats, s'ils furent 
nombreux dans son sein. Ceux-ci, de tout temps, en notre 
ville, s’efforcèrent d'être utiles et de coopérer aux grandes 
œuvres d'assistance. Ne le voyons-nous pas déclarer, et c’est 
l'expression de la vérité, dans leur mémoire contre le trai- 
tant de la recherche des faux nobles, « qu’ils sont peut-être 
les avocats, de tout le royaume, qui servent plus utilement 
le public par rapport aux soins désintéressés qu'ils se donnent 
dans l’administration des deux hôpitaux de la ville de Lyon, 
cclébres parles grands avantages qu’en retirent les peuples »: 
Ils apportèrent aussi leur concours à la Compagnie approu- 
vée le 18 janvier 1679 dont l'intention et la fin étaient 
« de procurer la gloire de Dicu et le secours du prochain 
dans la conservation des droits et prétentions légitimes des 


472 CHRONTQUE DE NOVEMBRE 1899 


pauvres ». De suite le peuple lui donna le titre qu’elle 
devait garder depuis, le Bureau du Conseil charitable, 

La conférence de M. Godart fut accueillie par des bravos 
prolongés. 

Et, comme pendant à cette étude très intéressante, 
Mer Dadolle, à la séance d’inauguration de l’Université 
catholique, prononçait, le 1$ novembre, un discours de 
circonstance qui était écouté avec l'attention la plus pro- 
fonde par un auditoire d’élite. 

Le même jour, banquet annuel du syndicat de la Presse 
quotidienne lyonnaise et le 18, au cercle Pierre Dupont, 
soirée select qui nous permet de goûter une primeur : Le 
Dernier Pas, saynète de salon, par M. Louvier, pleine 
d'esprit et de verve, jouée par l’auteur avec le concours 
aimable d’une très spirituelle et très jolie femme, Mn: deL... 

Glissons sur une découverte archéologique qui nous est 
signalée, le 20, à Yzernore (Ain) au hameau de Bussy. 

Le même jour, la Chambre de commerce de Lyon, qui 
vient de publier une étude très complète de ses travaux de 
l’année, inaugure, dans la salle des Réunions industrielles, 
au Palais du Commerce, ses cours d'enseignement colonial. 

M. Isaac, président de la Chambre de commerce, y fait un 
remarquable exposé des motifs qui ont poussé cette grande 
Compagnie à créer ces cours. 

« Lyon, dit-il, étant une ville essentiellement commer- 
ciale, s’est toujours intéressée beaucoup aux colonies. En 
sont les preuves, la si riche exposition coloniale de 1894, et 
la récente mission lyonnaise en Chine. Elle a compris le 
profit immense qu’elle pourrait retirer des débouchés colo- 
niaux pour écouler ses produits. C’est pour cela qu’aujour- 
d'hui la Chambre de commeree inaugure cette école 
coloniale. | 


CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 473 


« Beaucoup, il est vrai, prétendent que, de même qu’on 
nait écrivain ou orateur, on nait commerçant, et que ce 
n'est pas une école, si parfaite soit-elle, qui pourra commu- 
niquer des aptitudes coloniales. C'est absolument vrai : 
mais comme il est évident qu’il n’y a pas d'adaptation spon- 
tanée des cerveaux à l’industrie ou au commerce, l’école 
nouvelle aura pour but, non pas de créer, mais de déve- 
lopper les aptitudes coloniales chez les jeunes gens qui en 
sont pourvus. » 

Deux réunions à signaler encore, le 24, au Caveau lyon- 
nais, le 25, à Harmonie lyonnaise. 

Enfin, le 30 novembre nous apportait l’agréable nouvelle 
de la nomination de M. Jean Beyssac au grade de comman- 
deur de l’ordre de Saint-Grésoire-le-Grand. Cette distinc- 
tion si méritée est la juste récompense de la série de travaux 
d'archives que M. Beyssac a entrepris sur l’histoire des 
anciens archevêques de Lyon, des dignitaires du Chapitre 
primatial et des chanoines qui le composaient. 

Rappelons que M. Beyssac est un des rares, peut-être le 
seul, qui ait dépouillé, à cet effet, et page par page, les deux 
cents volumes in-folio, conservés aux archives départe- 
mentales et qui contiennent les registres capitulaires de 
Saint-Jean. Il a également publié d’intéressantes études sur 
des chanoines de Lyon dont le nom est mêlé à l’histoire 
générale : le bienheureux Louis Alleman, archevêque 
d'Arles ; saint Ismidon, évêque de Die ; les seigneurs de 
Villars ‘et autres opuscules. 

Toutes nos félicitations au dévoué ct distingué colla- 
borateur de la Revue du Lyonnais pour cette distinction 
si méritée. 


474 CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 


Ïl nous restera, pour compléter cette revue du mois de 
novembre, à rappeler les soirées sensationnelles qui nous 
ont été offertes par nos théâtres. 

Est-il vrai que nos salles de spectacle vont s’enrichir d’une 
nouvelle scène ? C’est ce qu'on nous apprenait au commen- 
cement du mois de novembre. Les quotidiens nous annon- 
çaient que M. Gerbert, l'artiste bien connu, professeur au 
Conservatoire, allait créer, sur les ruines du Gymnase, une 
« Bodinière », sur le plan des petites scènes de genre qui 
ont à Paris un si vif succès. | | 

Lyon n’a pas de théâtre de genre, depuis que la Bourse 
du travail a pris la place des Variétés, de gaie mémoire, et 
que le Gymnase a cru devoir fermer ses portes au nez d’un 
public récalcitrant. 

Tandis que Paris à vu s'ouvrir ces bonbonnières char- 
mantes où, en petit comité, en intimité presque, on va 
savourer tout à l’aise des nouveautés piquantes, des saynètes 
d'auteurs inconnus hier, aujourd’hui en pleine réputation, 
les Nouveautés, l1 Bodinière, le Théâtre Antoine, le Palais 
Royal, etc., etc., Lyon lui, est complètement tenu en dehors . 
de ce régal des lettres, parce que ce répertoire ne trouve 
pas son cadre sur nos grandes scènes municipales où il se 
sent noyé, écrasé, perdu. 

Souhaitons bonne chance, à cet essai original de décen- 
tralisation. 

Nombreuses ont été les reprises à sensation au Grand- 
Théitre. 

Le 7, Thaïs, où M"* Tournié obtient un succès très légi- 
time. 


CHRONIQUE DE NOVEMBRE 1899 47S 


Le 21, Carmen, bonne audition. 

Le 23, Samson et Dalila ; Lyon a gardé pour Samson et 
Dalila une spéciale prédilection, et, malgré que certaines 
de ses parties soient empreintes de l’austérité et de la 
sobriété rigoureuse de l’oratorio, l'œuvre entière retrouve 
pour tous les spectateurs un charme, un intérêt, une haute 
émotion artistique dont les trames ingénieuses d'autres 
opéras ne les ont jamais détournés. 

M. Scaramberg à composé le personnage de Samson avec 
une vaillance dramatique, une largeur de style musical, un 
sentiment énergique et sincère, qui ont été très applaudis 
et ont apporté à tout son rôle un remarquable relief 
artistique. 

Me Bresser a été une Dalila aux belles attitudes, au jeu 
intelligent et expressif. 

Enfin, le 29, Philémon et Baucis, soirée sans intérêt, 
interprétation terne de l’innocente opérette de Gounod. 

Aux Célestins, le 8, bonne reprise du Demi-Monde, l'anti- 
que comédie de Dumas fils, que le public applaudit avec 
vigueur pour son excellente interprétration, malgré ses scènes 
parfois vieillotes. 

Le Demi-Monde fut créé en 1855. En réalité il n'existe 
plus aujourd’hui. La vie à outrance de notre fin de siècle 
l’a fondu avec le monde qui s’en accommode sans honte, et 
c'est à peine si notre quart de monde l'effarouche par ses 
audaces débraillées. Aussi ne nous sentons-nous émus qu’à 
fleur de peau par les révoltes de la courtisane du Demi- 
Monde, comme nous avons cessé depuis longtemps de pal- 
piter aux déclarations larmoyantes et sentimentales de la 
Dame aux Camélias. 

Le 22, première représentation du Torrent, de M. Donnay, 
pièce à thèse singulièrement audacieuse, à cas de conscience 


476 CHRONIQUE DE NOVEMBRE 


intimement troublée, à psychologie parfois brutale et péni- 
ble, littéraire et spirituelle sans doute, mais peu scénique, 
et que le public a, d’ailleurs, très froidement accueillie. 

Enfin nous citerons, le 8, la première de la revue de 
l’Eldorado: Ab! penses-tu ! que le public ordinaire de ces exhi- 
bitions naturalistes applaudit pour le piment qu’on lui sert 
à haute dose. C’est tout ce qu’on peut en dire. L'art n'a 
rien à y voir. On ne demande même pas de l'esprit aux 
auteurs; et cette fois ils en donnent. C’est vraiment trop 
de bonté. 


Pierre VIRES. 


TABLE 


DU 


VINGT - HUITIÈME VOLUME 


HISTOIRE DE LYON ET DE SES ENVIRONS 


Alfred CARTIER. — Les imprimeurs lyonnais au xXvie siècle, ..., 11 
Paul de VANANXS. — Le collège de Thoissey...,............. . 56 
***, — Notes et souvenirs.....,....... RE 142, 271 


MoreL de VOLEINE.— Les Forces de la seigneurie de Montmelas 
en 1590; Ordonnance aux habitants de la seigneurie de 


MONMEMS ses essences 184 
Dr RÉvVEIL. — Notice sur la préface de la « Monographie de la 

table de Claude » de Monfalcon,.................... 191 
J: BEyssac. — Le bienheureux Louis Allemand, chanoine de 

VOD ESS Ni und ia eos 305, 422 
Léon GALLE. — À propos d’une vieille enseigne.............. 362 
REURE. — Voyage à Lyon de François Vinchant......,....,... 441 
J. GoparT. — Les foires de Lyon. ...........,.....,....... 454 


Pierre VIRÈS. — Chronique du mois... 71, 150, 215, 291, 376, 464 


478 TABLE 


VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LII TÉRAIRES 


Th. DELMONT. — Auguste Brizeux, d'après une étude récente. 32, 120 


JB.-VANEL. = SAne NIZIEE Lans situer diectens 81 
Léon MAYET. — La chasse à l'abonné....................... 105 
Léon GazLzE. — Un engagement d'artiste à Lvon en 1710...... 264 
J.-B. VANEL. — Un manifeste de l’école traditionnelle sur l’ori- 
gine des Eglises de France... ...,...,........,....., 346 
Joseph BERGER. — A l'ordre du jour; Souvenir du siège de 
Belfort ....,.... Re De Ch 448 


ARCHEOLOGIE, ANTIQUITÉS 


G. GEORGE. — De l'influence de l’étude de l'archéologie au point 


de vue de l'architecture... ....,................. 247, 326 
F. GaBuT. — Recherches préhistoriques dans les monts du £von- 

DAS dd de nt dance TE 396 

BIOGRAPHIE 
Robert BOUBÉE. — Arthur de Gravillon..................... $ 
Dr H. MoLLiÈRE. — Joannon de Saint-Laurent... .,,...... 161, 22j 
Auguste BLETON. — Baltazar-Jean Baron................,... 38; 
Henry Morix-Poxs. — Auguste Allmer..................... 457 
BIBLIOGRAPHIE 

À. GRAND. — L'ouvrier en soie, monographie du tisseur, par Justin 

GO sand den Chedeiie neede vecu: 64 
F. BREGHOT Du LuT. — À smi-côte, par J. Esquirol.......,..... 68 


Léon GaiLr. — Gincalogie des Rivérieulx, par Paul de Varax.... 145 


TABLE 


REURE. — Le peintre Jacques  Pillard, par M. Jules Bouvicr ct 
l'abbé Chudé BOUNICP. ee sue pétasse 


%%*, — Louis XV et les petites maitresses, par le comte Fleury... 
“+. — Lauriers et Cyprès, par Joseph Manin ................ 
“+. — Baisers d'ämes, par le même.....,......... ns een 
Léon GALLE. — Essai historique sur le village de Millery, par l'abbé 
POURARE Sr meinssese Cadenas 

— — L'antique école Levdrade, par le mêème...., Hi 

— — Notes historiques sur la maison de relraitedes prêtres 

du diocèse de Lyon... ..., INA See SU 6 


— — Le Beaujolais préhistorique, par Claudius Savore. 
A. GRAND. — Etudes historiques sur Villefranche pendant les sucrres 


de religion, par E. Longin.......................... 
J. B. VANEL. — Zacharie Paret, curé de Saint-Denis, par l'abbé 
DAUTOM A ES de Mr ana Des 


JRÈNÉE. — Vie de M. Ruirvet, par le chanoine Thcloz.......... 
F. BREGHOT DU LUT — Ceux de Belfort, par Gabriel Gerin..... 
UN BiBLIOPHILE SAVOYARD. — Pourtraict racourcy de B. H. 
François de Sales, tiré par Estienne Cavet, publié par 

Leon CAR seen Sins nt 

René des POMEYS. — Tableautins et médaillons, le Sachet d'amour, 
par Franco Deluxe diese dr dim ns 


Chanoine LECOQ — En Vivarais, par Jean Volane...... 2 
REURE. — À propos de la bibliographie de du Verdier. ,...,.. 
Révue:de Ti Presse. ss scsi A 158, 302, 


POÉSIE 


F. Grepro. — Fin d'automne, Crépuscule, Tableau flamand, 
Ivoire ancien, Sonnets..,.,....,.,...... 


SOCIÉTÉS SAVANIES 


Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lron., 209, 282, 


Socicté littéraire, historique ct archéologique de Lvon 


267 


373 


480 TABLE L 


à 


PLANCHES HORS TEXTE 


Portrait d'Arthur de Gravillon,........ .................. ss $ 


Portrait de Joannon de Saint-Laurent................. ee 161 
Portrait du bienheureux Allemand. ........................ . 305 
Portrait de Baron, graveur lyonnais. ......,...., rss 385 


Le Gérant : P. BERTHET. 


Imprimerie Mougin-Rusand, Waltener et Cie sucrs, rue Stella, 3 


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TAN 
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